mardi 11 décembre 2018

Pause de Noël

Oui, c'est un peu tôt, mais entre les préparatifs de Noël, les verres cassés à cause de fatigue, les visites de la famille... Dur de prendre le temps d'écrire, surtout que le rythme n'est pas évident à tenir même en période normale.
Alors, je vous souhaite de joyeuses fêtes et on se retrouve pour la suite de Chocolat Blanc, le 1er janvier 2019 !

lundi 10 décembre 2018

Chocolat Blanc - 19

Wyatt était à la joie de son cœur que Kembou soit venu et qu’il écoute ses déboires sans le juger. Ce n’était pas comme ses parents qui cessaient de lui reprocher ses manquements. Kembou était un ami précieux, un ami en or dont il ne voulait pas se séparer.
— C’est dommage que tu n’aies pas voulu intégrer la même école que moi. Nous aurions pu être colocataires.
Wyatt n’avait pas eu l’intention de dire ça, mais c’était sorti tout seul.
— Oui, cela aurait été cool, reconnut Kembou. Mais, même si bosser n’est pas une partie de plaisir, principalement à cause de ce maudit Mathieu, je suis content d’en avoir fini avec les cours. Devoir rester assis à prendre des notes, c’est usant à la longue.
Wyatt savait bien que si Kembou n’avait pas choisi la même voie que lui, ce n’était pas tant une question de finance ni certes un défaut d’intelligence – ses notes avaient toujours été meilleures que les siennes – cela ne l’empêchait pas de regretter.
Il appréhendait à mort la rentrée. Ses parents pouvaient bien lui répéter sur l’air des lampions que cela marquait le début de son indépendance, qu’il bâtissait son avenir, que c’était l’occasion de fréquenter de nouvelles personnes, Wyatt ne parvenait pas à éprouver le moindre enthousiasme. Sa passion, c’était l’écriture et il n’avait pas besoin de milles relations, un ami lui suffisait.
Il poussa Kembou à vider son sac sur Mathieu, un type qu’il détestait alors même qu’il ne l’avait jamais vu de sa vie. Il rêvait de se pointer au supermarché où travaillait son ami et de secouer les puces de ce con qui ne réalisait pas à quel point Kembou était formidable. Évidemment, ce n’était pas réaliste et cela causerait forcément des ennuis à son ami.
Kembou ne s’étendit pas trop sur le sujet, se plaindre n’était pas dans sa nature, ce que Wyatt admirait.
Ils finirent par jouer à la console que Wyatt avait bien sûr emporté avec lui.
Pendant quelques heures, en dépit de la localisation différente et du manque de place qui les obligeait à jouer épaule contre épaule, ce fut comme si rien n’avait changé.
Ce n’était qu’une illusion.
Bien plus tôt qu’il ne l’aurait fait si Wyatt avait toujours été chez ses parents, Kembou annonça qu’il devait rentrer.
Wyatt faillit protester, mais se contint. Il alla avec lui à la porte et la mort dans l’âme, regarda Kembou mettre ses baskets et sa veste.
— A la prochaine ! lança son ami.
Soudain, se contenter d’un simple au revoir alors qu’ils ne se reverraient pas avant Dieu sait quand, parut insuffisant à Wyatt. Il le retint par la main et lui fit une accolade. Kembou se figea un instant, puis se détendit.
Wyatt le relâcha peu après, embarrassé d’avoir  eu un geste qui n’était pas dans leurs habitudes. Le sourire éclatant de Kembou le rassura. Après tout, leurs vies n’étaient plus comme avant.

vendredi 7 décembre 2018

Chocolat blanc - 18

Kembou ravala son envie de prendre Wyatt dans ses bras et entra.
Faire le tour des lieux fut l’affaire de quelques minutes à peine. La salle d’eau se résumait à une cabine de douche étroite, un lavabo minuscule, des toilettes et une machine à laver. Avec tout ça, au sol, il y avait juste la place d’un tapis. La cuisine était tout en longueur avec une planche fixée au mur en guise de table qui nécessitait des hautes chaises pour pouvoir y manger. Le salon et la chambre ne faisait qu’un et le tout n’était guère plus grand que trois lits. Le bureau muni de pratiques étagères mangeait un bon tiers tandis que le couchage que Wyatt avait transformé en canapé grâce à une série de coussins en occupait un autre.
— Alors, cela te plaît d’avoir ton chez toi ? demanda Kembou.
— Pour le moment, j’ai plus l’impression d’être un invité qu’autre chose, enfin un qui devrait faire toutes les corvées ménagères. Regarde donc la catastrophe que j’ai provoqué, déclara Wyatt en ouvrant un placard incrusté dans le mur que Kembou n’avait pas remarqué.
Wyatt attrapa un tissu rose qu’il brandit devant son nez. C’était un boxer.
— Il était blanc à l’origine. Ils l’étaient tous. C’était sans compter mon t-shirt rouge.
Kembou déglutit.
— C’est sexy comme couleur, tenta-t-il de plaisanter, priant que sa voix ne trahisse pas son trouble.
Impossible de ne pas l’imaginer en porter un à l’instant même. Et son sexe qui n’en finissait pas de durcir, ce traître. Kembou devait penser à autre chose.
— Je n’ai rien contre le rose, mais je préfère le blanc, rétorqua Wyatt.
— Au bout de quelques lavages, cela devrait s’arranger.
— Tu crois ?
— Oui, ce genre de blague arrive parfois aussi dans ma famille.
— Tu me rassures. J’ai aussi réussi à brûler mon repas. L’une des casseroles est irrécupérable, j’en ai peur.
A tous les coups, Wyatt avait dû se laisser distraire par une de ses histoires pendant que cela cuisait.
Kembou tut les mots tendres qu’il brûlait de prononcer et s’en tint à une approche pragmatique.
— Tu as fait tremper avec un fond d’eau et du liquide vaisselle ? Tu as une éponge métallique ?
— Oui et non. J’ai juste frotté comme un dingue avec la partie verte. Toi aussi, tu as eu des soucis ?
— Pas moi, mais c’est arrivé à Rokia et une de mes sœurs.
— Je me sens moins nul.
— Tu manques d’entraînement, c’est tout.
— Je n’ai jamais eu à participer aux tâches de la maison vu que mes parents ont une femme de ménage qui se charge aussi du linge et ma mère ne cuisine qu’une fois dans les neiges, autrement, c’est plats du resto ou surgelés à réchauffer.
— Tu vas t’habituer.
— J’espère bien ! s’exclama Wyatt avant de soupirer.
C’est sûr qu’entre ça et la nouvelle école, cela impliquait beaucoup de nouveautés.
Kembou, cependant, ne pouvait pas vraiment l’aider, pas alors qu’ils habitaient désormais loin l’un de l’autre.

jeudi 6 décembre 2018

Chocolat blanc - 17

Septembre arriva sans crier gare. Cela fit bizarre à Kembou : pas de rentrée scolaire pour lui cette année, pas d’inquiétude à savoir si oui ou non, il serait encore dans la même classe que Wyatt.
Comme il passait ses journées à bosser, il n’avait plus guère l’occasion de le voir. Wyatt était venu deux fois en coup de vent, le soir et Kembou s’était rendu une fois chez son ami un dimanche après-midi et c’était tout.
Wyatt avait emménagé dans son studio fin août, dix jours avant que les cours ne débutent dans son école. Il l’avait bien entendu invité, mais Kembou, éreinté par son boulot, n’avait trouvé l’énergie malgré sa curiosité et son envie de pouvoir se présenter Wyatt dans son nouvel environnement.
Kembou commençait à prendre ses marques dans son poste, ce qui n’empêchait hélas pas Mathieu de continuer à s’adresser à lui comme s’il avait eu deux ans d’âge mental. Sans vouloir faire son Rokia, Kembou le soupçonnait de racisme. C’était moins flagrant que cette vieille dame en train de faire ses courses qui lui avait carrément crié de rentrer dans son pays alors qu’il était occupé à regarnir un rayon, mais Mathieu le méprisait, pas de doute.
Kembou grimaça en se remémorant l’indignation de la vieille quand il lui avait répliqué qu’il était né en France. Oui, il avait la peau noire, oui, il avait des ancêtres africains et non, il n’avait jamais mis les pieds en Afrique de sa vie.
Fatigue ou pas, Kembou se décide à découvrir où habitait désormais Wyatt. Il savait qu’une fois que son ami aurait effectué sa rentrée, entre les cours et les devoirs, Wyatt n’aurait plus une minute à lui.
Il le contacta et reçut tous les détails nécessaires pour se rendre au studio de son ami, adresse, plan et codes des portes.
Durant le trajet, il sortit un livre, mais somnola dessus et manqua de rater le bon arrêt. Grâce à toutes les indications fournies par Wyatt, il n’eut aucune peine à arriver à bon port. L’immeuble était assez passe-partout, extérieur comme intérieur. La façade était grise, l’intérieur propre et plutôt sombre, l’ascenseur petit.
Quelques étages plus tard, il fut accueilli par Wyatt qui avait laissé sa porte ouverte, guettant apparemment son arrivée.
— Bienvenue dans mon palace, lança-t-il de façon grandiloquente, ses yeux bleu-verts pétillant.

mercredi 5 décembre 2018

Chocolat Blanc - 16

Kembou était enchanté que Wyatt soit là, si proche de lui que leurs genoux se touchaient. Même s’ils étaient tous les deux en pantalon, ce contact l’électrisait. Wyatt avait bronzé et était plus craquant que jamais, à moins que ce ne soit une conséquence de leur trop longue séparation.
Apprendre que ce n’était pas parce que Wyatt avait été trop occupé à flirter avec des filles à la plage, mais que c’était parce qu’il avait été absorbé par une de ses histoires qu’il n’avait guère donné de nouvelles, était un véritable soulagement.
C’était du bonheur de le voir et l’entendre surtout après ces éreintants premiers jours de boulot où il était obligé de fréquenter un gars, Mathieu, qui le traitait comme un idiot juste parce qu’il était nouveau. Il n’avait guère envie de parler de lui, car c’était lui accorder plus d’importance qu’il n’en méritait.
C’était sans compter sur Wyatt qui avait remarqué ce qu’il ne racontait pas et qui, après avoir exposé son nouveau projet d’écriture, le réorienta sur son job.
— Ce n’est pas trop barbant la mise en rayon ?
— Non, cela a un petit côté Tétris, comment faire tenir un max de boîtes dans les étagères…
— Et donc, vous êtes beaucoup à faire ça ?
Kembou acquiesça.
— Et parmi eux, il y a un pénible, n’est-ce pas ?
Wyatt voulait qu’il se confie.
Kembou céda. Il avait trop tendance à tout garder pour lui. Cela lui ferait sûrement du bien de se décharger de ce poids-là, car il ne pouvait en parler ni à Rokia qui se lancerait tout de suite dans une diatribe contre les blancs sans compatir, ni à sa mère et ses sœurs afin de ne pas les inquiéter.
— Mathieu. Il s’adresse à moi comme si j’étais un débile mental. C’est pourtant normal que je ne sache pas tout vu que je viens de commencer.
— C’est sûr que ce n’est pas cool. Il a beaucoup d’expériences, lui ?
— Même pas ! Deux ans, je crois.
— Peut-être qu’il se venge sur toi de la personne qui l’en a fait baver quand il a débuté. Enfin, peu importe ses raisons, et pauvre de toi !
Wyatt lui pressa l’épaule dans un geste de réconfort qui le troubla. Kembou était ridicule de s’exciter pour si peu, mais c’était ainsi. Les doigts de son ami étaient chauds à travers la mince épaisseur de son t-shirt en coton et Wyatt sentait bon, d’une odeur qui n’appartenait qu’à lui. Kembou noua ses mains pour s’empêcher de faire un truc stupide.
Ils parlèrent de bien d’autres choses, puis Rokia vint râler : il voulait se coucher. Il était encore tôt, et il exagérait, cependant, Kembou se contint, car après tout, c’était sa chambre aussi, et Wyatt prit congé.

mardi 4 décembre 2018

Chocolat Blanc - 15

Enfin, Wyatt rentra. D’habitude, dès ses retours de vacances, Kembou et lui se retrouvaient dès le lendemain. Que son ami travaille compliquait les choses, mais Wyatt proposa tout de même par mail à son ami de passer chez lui en coup de vent une fois sa journée de travail terminée, même si c’était tard.
Kembou lui donna son feu vert. Ce genre de visites ne serait plus possible une fois que Wyatt aurait emménagé dans son studio à une bonne heure et demie de là, alors il fallait mieux en profiter.
Wyatt connaissait le code d’entrée de l’immeuble, aussi pénétra-t-il dans le bâtiment, prit l’ascenseur jusqu’au cinquième étage et sonna à la porte de gauche.
Kembou lui ouvrit, un sourire éclatant aux lèvres. Il n’avait bien sûr pas changé en une quinzaine de jours, mais il avait l’air fatigué.
Ils passèrent dans le salon où Wyatt dit bonsoir. Rokia l’ignora, les yeux rivés à l’écran de l’ordinateur. Les deux jeunes sœurs de Kembou lui firent en revanche un signe de la main avant de reprendre le fil de la série télévisée qu’elles étaient en train de regarder. Ils se rendirent ensuite dans la cuisine où Wyatt salua la mère de son ami à laquelle il donna une boîte de biscuits, spécialité du coin dont il revenait. Elle le remercia et les envoya s’amuser.
Ils s’installèrent dans la chambre que son ami partageait avec son frère, raison essentielle pour laquelle c’était plus souvent Kembou qui venait le voir que l’inverse. La pièce peinte en blanc était encombrée par deux penderies et deux lits séparés par un long bureau flanqué de deux chaises.
— Raconte un peu tes vacances. Tu as été plutôt avare en détails… dit Kembou en s’asseyant au bord de son lit.
Wyatt l’imita, en se mordant la lèvre. S’il avait à peine écrit à son ami durant son séjour, c’était parce qu’il avait voulu éviter de se plaindre et sa seule façon de s’en empêcher avait de ne pas donner de nouvelles ou presque.
— Oh, tu sais, elles n’ont rien eu de spécial. Quelques visites et sinon, j’ai beaucoup écrit.
— Pas de chouettes rencontres ?
Il y avait quelque chose dans la voix de Kembou quand il posa cette question qui interpella Wyatt sans qu’il parvienne à définir ce que c’était.
— Non, à moins de compter la fille de la maison où nous étions invités. Le truc, c’est que ma mère voulait tellement qu’on se mette en couple que ce n’était juste pas possible. Et toi, ton boulot ? Tes collègues sont sympas ?
Kembou grimaça et passa la main dans ses courts cheveux crépus.
— La plupart oui.
Pas difficile de déduire qu’il y en avait au moins un qui ne l’était pas. Wyatt attendit que Kembou développe, mais son ami préféra le questionner sur ses écrits.

lundi 3 décembre 2018

Chocolat Blanc - 14

Wyatt se réjouit en apprenant par mail que Kembou avait décroché un emploi.
Il faudra absolument qu’on fête cela à mon retour ! écrivit-il de son smartphone.
Il étouffa la part de lui qui était déçue, ce travail signifiant que son ami ne serait plus très disponible quand il reviendrait de ses vacances forcées, et se consola en songeant que de son côté, il serait occupé à faire des cartons pour emménager dans le studio à proximité de sa future école.
En attendant, écrire au bord de la mer avait son charme, exceptée que la plage était bondée et qu’il ne se sentait pas très à l’aise en tant qu’invité dans la maison du collègue de son père.
Cela aurait été plus confortable si sa mère n’avait pas cherché à le coller à tout prix avec la fille du collègue en question. Oui, la jeune fille avait son âge, était aimable et jolie, et il aurait peut-être pu avoir envie de se rapprocher d’elle si sa mère n’avait pas joué l'entremetteuse avec ses gros sabots.
Il s’éclipsait donc le plus possible en solitaire avec un cahier et un stylo et se dénichait des coins le plus tranquilles possibles pour écrire.  Il s’était lancé dans une histoire se déroulant dans une tribu africaine. Il n’avait pas encore déterminé d’époque exacte, mais se représentait cela dans un passé lointain. Les héros étaient deux enfants, le premier fils du chef, le second, un blanc, découvert dans le désert et recueilli par la tribu. Les deux garçons grandissaient ensemble aussi proches que deux frères. Évidement, il y avait dans ces deux personnages beaucoup de Kembou et lui. C’était un récit d’amitié et d’aventures. Pour rendre cela plus authentique, il passait beaucoup de temps sur internet via son smartphone pour se renseigner sur la culture africaine.
S’il était honnête avec lui-même, il ne profitait pas du tout de son environnement marin, car qu’il se plonge dans ses recherches ou dans l’écriture en elle-même, le reste du monde s’effaçait. Il aurait été aussi bien chez lui, dans sa chambre.
Enfin, son père lui aurait reproché tout pareillement d’être asocial. Aucun de ses parents ne comprenait le plaisir qu’il trouvait à créer des mondes nouveaux. Il faut dire qu’ils n’étaient eux-mêmes pas des lecteurs, et Marine non plus.
Il ne pouvait parler ni livres ni écriture avec eux, pas comme avec Kembou qui, sans être aussi accro que lui, aimait bouquiner et donner son opinion sur les histoires écrites par Wyatt.

vendredi 30 novembre 2018

Chocolat Blanc - 13

Kembou reposa le combiné avec mélancolie. Il n’aimait quand Wyatt était loin de lui. C’était si confortable de songer que seule une demi-heure de marche à pieds les séparait.
— Qu’est-ce qu’il te voulait encore ? demanda Rokia.
— Juste m’informer que sa famille et lui allait s’absenter.
— Tant mieux ! Tu vas enfin pouvoir te consacrer à ta recherche d’emploi !
Comme si Kembou n’y passait pas déjà la majeure partie de son temps. Il avait d’ailleurs essuyé plusieurs refus dont un de façon sûre à cause de sa couleur de peau, ce qui était aussi ridicule que rageant.
Rokia ne réalisait pas que Wyatt lui donnait la force de tout affronter, ce qui était aussi bien, car alors son frère aurait peut-être compris que Kembou était gay et amoureux de son ami. Il n’osait imaginer la réaction de son frère face à son homosexualité, pas plus que celle de ses sœurs et de sa mère d’ailleurs.
Garder secrète cette part de lui était déplaisant et en même temps, il se demandait si ce ne serait pas préférable à subir une double discrimination, à être peut-être rejeté par sa famille.
Kembou se força à retourner à ses brouillons de  lettres. Il était inutile d’attendre que Rokia lui reproche de rester là à rêvasser près du téléphone, vain également de se rendre malade avec d’hypothétiques futurs désagréables.
Évidemment, il peina à se replonger dedans. A force de multiplier les candidatures, c’est à peine s’il se souvenait de l’entreprise pour lequel il postulait.
Son esprit dériva vers Wyatt. Il l’imaginait déjà à la plage en maillot de bain en train de lécher avec application un cornet de glace à deux boules. L’excitante vision vira au cauchemar quand des filles en bikinis entrèrent dans le tableau. Wyatt allait se faire draguer ou bien c’est lui qui essayerait d’en séduire une. Ce n’était pas son style, mais cela ne voulait pas dire qu’il ne le ferait jamais. Au moins, Kembou n’y assisterait pas.
Cela ne l’empêcha pas de se torturer avec cela les jours suivants entre deux recherches d’emploi. Son humeur était d’autant plus maussade que Wyatt ne lui avait pas donné signe de vie, hormis un bref message pour le prévenir qu’il était arrivé à bon port.
Kembou se montra brusque avec sa mère, coupant avec ses sœurs, et se disputa avec Rokia. Puis, il fut finalement embauché pour effectuer de la mise en rayon dans un supermarché - ce qui fut l’occasion de se réconcilier avec tout le monde - et cerise sur le gâteau, il reçut un courrier de Wyatt contenant un filet de sable et une carte postale de mer ensoleillée.

jeudi 29 novembre 2018

Chocolat Blanc - 12

Le repas achevé, Wyatt remonta dans sa chambre. L’envie d’écrire lui était passé, dégoûté qu’il était par la tournure des événements. Se plaindre d’être obligé de partir en vacances faisait probablement de lui un gamin pourri gâté et capricieux. Kembou ne râlait pas de n’aller pratiquement jamais nulle part, lui.
Wyatt prit son smartphone pour appeler son ami et l’informer de ce rebondissement inattendu, au fond assez typique de ses parents. Ce n’était pas si grave que ça s’il tombait sur le frère de Kembou.
— Bonjour, c’est Wyatt.
Un long soupir exaspéré se fit entendre. C’était du Rokia tout craché, ça.
— Tu peux me passer Kembou, s’il-te-plaît ?
— Tu l’as vu tout à l’heure, t’as pas d’autres potes ? Laisse-le respirer. Il a des choses plus importantes à faire que s’occuper de ta pomme.
Le ton méprisant était blessant. Hélas, impossible de rétorquer quoique ce soit parce que ce n’était pas faux.
Il réitéra sa demande polie.
Rokia marmonna un truc qu’il était sans doute préférable de ne pas comprendre et appela Kembou au téléphone.
— Wyatt ? Ça va ?
— Oui. Pardon de te déranger.
Il aurait dû envoyer un mail.
— C’est bon, t’inquiète, j’étais en train de galérer à rédiger une lettre de motivation.
Wyatt se mordit la lèvre, se sentant plus que morveux. Kembou s’efforçait de décrocher un emploi tandis que lui, son problème, c’était de devoir aller se dorer la pilule au bord de la mer.
En deux mots, Wyatt l’informa, sans geindre, qu’il allait être absent pour cause de vacances surprises.
— Amuse-toi bien et n’oublie pas de m’envoyer une carte postale !
— Promis. Maintenant que je t’ai mis au parfum, je ferais mieux de te laisser retourner à tes occupations…
— Oui. A très bientôt !
Wyatt raccrocha tristement. C’était idiot, mais il aurait aimé que Kembou regrette son départ, que cela empiète sur les jours qu’ils leur restaient à passer ensemble. Mais évidemment, son ami avait raison de l’encourager à profiter de son séjour à la plage. Il allait s’y efforcer. L’air marin l’inspirerait peut-être...

mercredi 28 novembre 2018

Chocolat Blanc - 11

Kembou parti, Wyatt se décida à peaufiner une nouvelle de science-fiction qu’il avait écrit au début des vacances. L’année du bac n’avait pas été très productive en terme d’écriture à cause du stress et il était à craindre que lors de sa première année en école d’ingénieur, loin du nid familial, il manque d’énergie pour y consacrer du temps.
Il se lança à corps perdu dans la tâche, conscient que c’était maintenant ou jamais.

— A table !
A l’appel de Marine, Wyatt sursauta. Absorbé par ses corrections, puis par la nouvelle histoire qu’il écrivait, il n’avait ni remarqué que l’heure tournait ni entendu ses parents et sa sœur rentrer.
— J’arrive, répondit-il, finissant malgré tout sa phrase pour ne pas perdre son idée.
Il descendit à contrecœur, l’esprit encore empli de ses personnages.
Son père, sa mère et Marine étaient installés dans la salle à manger. Ils n’avaient pas encore touché à leurs assiettes. Ils l’attendaient.
— J’ai bien cru que nous allions devoir envoyer une équipe de recherche, dit sa mère d’un ton léger, non sans une moue irritée.
Wyatt s’excusa. Il considérait qu’ils auraient dû commencer sans lui. Seulement, ce n’était pas les règles de la maison quand les parents étaient présents. La vie en solo mettrait fin à cette simagrée. Enfin, s’il avait été seul, il aurait été obligé de préparer le repas. En même temps, il n’aurait pas été coupé dans son inspiration.
Avec un certain amusement, il découvrit que sa mère s’était contenté de ramener des plats du restaurant près de son bureau.
Pendant un moment, il n’y eut plus que le bruits des couverts, puis son père parla de son boulot et annonça qu’un collègue l’avait invité à venir profiter de sa maison au bord de la mer.
— Je n’avais pas prévu de prendre de jours, mais l’occasion est trop belle pour que nous la rations. En plus, il a des enfants dans vos âges.
Wyatt grimaça. Partir en vacances, cela voulait dire être loin de Kembou.
Quand il était petit, cela ne t’attristait pas trop, car ils rendaient visite à ses grands-parents maternel, mais depuis que c’était dans des clubs ou chez des amis de ses parents, cela l’ennuyait franchement.
— Je préférerai rester ici.
Sa sœur, cette peste, non contente de ne pas le soutenir, l’enfonça.
— Tu es si pressé que cela de commencer à vivre seul ? C’est sans doute nos dernières vacances en famille.
— C’est vrai, ça, enchérit aussitôt sa mère. Tu auras sûrement un stage en entreprise à réaliser l’année prochaine.
Son père en rajouta une couche : c’était vraiment une magnifique opportunité.
Wyatt sut qu’il n’avait plus qu’à rendre les armes avant que ses parents lui signifient qu’il n’avait pas le choix.

mardi 27 novembre 2018

Chocolat Blanc - 10

Le cœur de Kembou battait si fort dans sa poitrine qu’il craignait que son ami ne l’entende. Parfois Wyatt disait des choses qui lui donnait envie d’espérer plus. Il croisa les bras sur son torse, luttant contre l’envie de le serrer contre lui. C’était dur alors que Wyatt venait en quelque sorte de lui déclarer qu’il souhaitait passer le restant de ses jours à ses côtés.
Comme son pénis s’éveillait, Kembou se représenta aussitôt quelque chose de peu ragoûtant. Il était passé maître dans l’art de tuer ses érections.
Et s’il ne parvenait pas à s’empêcher de fantasmer sur son ami, de rêver au goût de ses lèvres, d’imaginer de ce que ce serait de fourrer son nez au creux du cou de Wyatt, il bannissait toutes ses pensées de son esprit, quand il se masturbait seul chez lui, enfermé dans la salle de bains. C’était sa façon à lui de ne pas trahir leur amitié. C’était peut-être un scrupule absurde compte tenu du fait qu’il gardait secret ses véritables sentiments pour son ami, mais il s’y accrochait.
Avouer son amour à Wyatt aurait été libérateur, mais la crainte de détruire leur relation actuelle était plus forte. Et, à présent qu’ils allaient se voir sur une base moins régulière, le danger était encore plus grand : si jamais Wyatt le prenait mal, il couperait les ponts avec aisance et Kembou ne le supportait pas.
Aimer son ami en silence était plus prudent. Le plaisir de sa compagnie était tout ce qui comptait.
— Tu as faim ? demanda Wyatt.
Sachant que Marine était absente, Kembou accepta le goûter proposé, quand bien même manger avec son ami avait parfois tout d’une torture.
Au lieu de se goinfrer comme la plupart des gens de leurs âges, Wyatt savourait chaque bouchée. L’acte en devenait sensuel, à moins que ce ne soit son attirance pour lui qui le transforme ainsi… Mais non, Kembou se rappelait très bien comment deux filles s’étaient poussées du coude en regardant Wyatt déguster la bûchette de Noël à la cantine l’année dernière...
— Il a fallu que je freine Marine sur la plaque de chocolat blanc, mais il en reste…
Voilà qui n’avait pas dû plaire à Marine. Heureusement qu’elle était de sortie.
Kembou prit un carré et regarda Wyatt grignoter et sucer une barre de chocolat noir. Le souffle court, il se répéta en boucle que c’était la manière naturelle de Wyatt de manger. A force, il aurait dû être immunisé, mais il avait au contraire de plus en plus de mal à contrôler son attirance. Il aimait tout chez Wyatt, ses cheveux châtains ébouriffés comme ses réflexions qui sortaient de nulle part. Peut-être qu’un peu de distance entre eux ne serait pas plus mal… Mais il allait lui manquer.

mardi 20 novembre 2018

Malade

Chocolat Blanc reprendra le mardi 27 novembre.

lundi 19 novembre 2018

Chocolat Blanc - 9

— Des nouvelles de tes entretiens ?
— C’est trop tôt, mais ils ont promis de me recontacter.
— Et toi, c’est quand que vous récupérez la clef de ton futur nouveau logis ?
— Il y a encore de la paperasse. Mon père m’oblige à en remplir une partie pour me responsabiliser et tout ça.
A un moment, Wyatt avait culpabilisé de mentionner son paternel devant Kembou, surtout pour s’en plaindre, mais son ami l’avait remarqué et mis à l’aise : prendre des précautions ne changerait rien à la douleur de la perte de son père.
— Tu t’es défoulé en jouant à la console ?
— Non. J’aime mieux jouer avec toi.
Ce n’était pas un mensonge, c’était plus amusant à deux. Il y avait néanmoins une autre raison : il avait toujours trouvé injuste de s’entraîner dans son coin alors que Kembou qui n’en avait pas, ne pouvait pas.
Ils discutèrent, jouèrent, mangèrent un bout dans la cuisine et retournèrent devant la console.
Après une défaite aussi cocasse que cuisante, Wyatt demanda grâce en riant. Il s’amusait trop avec son ami.
— J’aimerai bien avoir le pouvoir d’arrêter le temps, déclara Wyatt.
— Pour revivre la même journée jusqu’à ce qu’elle soit parfaite, comme dans certains films ?
C’est ça qui était génial avec Kembou. Quelle que soit l’idée saugrenue que Wyatt lançait, il participait.
C’était comme ça depuis leur première rencontre. Wyatt lui avait proposé un rôle dans un de ses jeux où la cour de récréation était tour à tour une planète extraterrestre, une prison, un vaisseau spatial et Kembou avait accepté. Ses autres camarades de classe n’avait jamais voulu – ils trouvaient trop bizarre ses histoires où tout reposait sur l’imagination.
— Non, je veux dire, que tout se fige à cet instant précis. Nous sommes trop bien, là, tous les deux.
Kembou le regarda pensivement. Wyatt pouvait se montrer extravagant dans ses propos, son ami, lui gardait toujours son sérieux.
— L’avantage à ce que les heures continuent de tourner, c’est qu’on peut collectionner les souvenirs des bons moments passés ensembles, tu ne crois pas ?
Vu sous cet angle, Wyatt pouvait presque se consoler de l’inévitable passage du temps.

vendredi 16 novembre 2018

Chocolat Blanc - 8

Enchaîner les visites d’appartements se révéla éreintant et plutôt déprimant. Certains logis étaient franchement mal conçus, celui avec des toilettes pile en face de la douche avait été le pompon. Enfin, c’était toujours mieux que celui où il fallait partager avec les voisins de l’étage. Aucun n’avait convaincu son père. Wyatt, lui, au bout du cinquième – le moins pire du lot – aurait été prêt à signer.
Une fois qu’ils s’étaient retrouvés en tête-à-tête, son père lui avait cependant expliqué que c’était exactement ce qu’avait escompté l’agent immobilier, que c’était une stratégie. Wyatt, lui, avait surtout eu l’impression qu’ils avaient perdu du temps qui aurait pu être mieux employé.
Il avait bien sûr accepté de décaler d’un jour la visite de Kembou, seulement il allait encore devoir repousser, son père étant décidé à poursuivre la recherche du studio parfait pour Wyatt jusqu’à obtenir satisfaction.
Il écrivit un long mail à son ami, lui décrivant le déroulé de son interminable journée qui allait hélas se répéter.
En mettant le point final à son récit, Wyatt réalisa avec mélancolie que communiquer par écrit avec Kembou allait devenir la norme.
Près d’une semaine plus tard, ils ne s’étaient toujours pas revus, le hasard (pour ne pas dire la malchance parce que c’était positif pour son ami) ayant voulu que Kembou ait des entretiens, juste après que le père de Wyatt ait enfin validé un des trop nombreux studios visités. Évidemment, il avait envoyé des encouragements à son ami. Pas de doute, c’était un avant-goût de la vie qui les attendait désormais : fini les bavardages de vive-voix en face à face et bonjour, les mails et la distance. Cela ne plaisait pas à Wyatt, et pourtant, il devrait s’y faire.

Enfin, Kembou et lui furent libres et disponibles en même temps.
Quand son ami sonna à la porte, Wyatt qui le guettait, lui ouvrit sur le champ. Il n’y avait personne pour se moquer de son impatience, les parents travaillant et Marine étant sortie avec une amie.
Kembou lui adressa un grand sourire, ses dents blanches contrastant avec sa peau noire. Wyatt lui sourit en retour. Il était impossible qu’une fille ne lui pique pas un jour… Non, qu’il soit à lui.

jeudi 15 novembre 2018

Chocolat Blanc - 7

Sans se préoccuper davantage de son frère qui continuait à rager, Kembou rangea ses chaussures et alla s’installer devant l’ordinateur dans la pièce principale.
Avant de dénicher de nouvelles annonces, il commença par regarder ses mails dès fois, que par miracle, il ait reçu une réponse, n’importe quoi pour que Rokia lui lâche la grappe.
Dans sa boîte de réception, il trouva quelques publicités qu’il mit direct dans la corbeille et un message de Wyatt avec comme objet « Pardon » qu’il s’empressa d’ouvrir.

Coucou Kembou,
Mauvaise nouvelle, mon père m’emmène visiter des appartements demain. Nous ne pourrons donc finalement pas nous voir. Je suis vraiment désolé.
A+,
Wyatt


Chassant un soupçon de tristesse et de déception, Kembou répondit sur le champ à son ami :

Cher Wyatt,
Ne t’inquiète pas. Ce n’est que partie remise. On se voit après-demain ?

A bientôt,
Kembou


Il se déconnecta de sa boîte et se laissa aller à rêver à ce que ce serait s’il avait eu les moyens d’emménager avec son ami. Il aurait eu plus d’une occasion de le voir nu. Son sexe commença à durcir à cette perspective. Avec les cours de sport et notamment de piscine, il savait comment était Wyatt sans vêtements : ses longs bras, ses grandes jambes et son torse parsemé d’un duvet clair qui semblait si doux. Au souvenir des tétons rose bonbon, son pénis s’allongea encore. Avoir une érection au milieu du salon alors qu’il était en short était cependant mal venu. Il inspira et expira à fond pour se calmer.
— Ce n’est pas demeurant bras ballants devant l’écran que tu vas arriver à quelque chose, lança Rokia dans son dos.
Pour le coup son frère avait raison. Tout excitation l’ayant déserté, Kembou se mit à l’ouvrage. Consulter les offres d’emploi était frustrant, car chaque fois au moins année d’expérience était demandée comme s’il était possible d’en obtenir si personne ne donnait sa chance aux débutants. De surcroît, souvent, il fallait le permis, excepté qu’il fallait de l’argent pour le passer et donc un travail : c’était le serpent qui se mord la queue.
Cela obligeait à ne pas faire le difficile. Enfin, de toute façon, il n’avait pas d’idée précise sur ce qu’il souhaitait faire, juste qu’il préférait une activité physique : il avait trouvé pénible durant toute sa scolarité de rester assis des heures entières.

mercredi 14 novembre 2018

Chocolat Blanc - 6

Wyatt monta dans sa chambre, essayant de se consoler en imaginant comme ce serait bien d’avoir son chez lui. Kembou pourrait dormir là-bas sans que personne ne puisse y trouver à redire.
Kembou n’ayant pas de mobile, pour l’informer du changement de programme, Wyatt pouvait soit lui envoyer un mail et prendre le risque qu’il ne le lise pas, soit téléphoner sur la ligne fixe et éventuellement tomber sur le frère aîné de ce dernier qui se montrait toujours méprisant à son égard.
C’était comme ça depuis la première fois où il l’avait rencontré chez son ami, dix ans plus tôt. Au début, Wyatt avait naïvement essayé d’entrer dans les bonnes grâces de Rokia, le grand frère de Kembou, puis renoncé, croyant que Rokia n’avait aucune considération pour les plus jeunes en général. Ce n’est que bien plus âgé qu’il avait compris pourquoi Rokia le traitait de la sorte.

                                               *

Kembou venait à peine de franchir le seuil du petit appartement que son frère apparut dans l’entrée, accusateur.
— Tu étais encore fourré chez l’endive ?
Son aîné n’avait même pas pris la peine de dire bonjour. Kembou jugea que cela ne méritait pas de réponse. Wyatt était certes plus appétissant que ce légume. Il était à croquer, comme le chocolat.
— Tu n’as rien de mieux à faire ? Et ta recherche d’emploi ? reprit son frère avec agressivité.
Il n’avait jamais que deux ans de plus que lui, mais depuis la mort de leur père, Rokia avait en quelque sorte endossé le rôle de chef de famille, sauf qu’il s’y prenait mal.
— J’attends des retours. Je vais postuler pour d’autres offres dès à présent.
— Tu aurais sûrement déjà décroché quelque chose, si tu ne perdais pas autant de temps auprès de ton pote blanc.
C’était le même refrain depuis qu’il avait reçu ses résultats du baccalauréat et Kembou en était las.
— Je profite de mes dernières vacances de lycéen.
— A cause de ses cons de blancs et de leurs préjugés de merde, il faut que tu te bouges plus, parce qu’autrement, tu vas enchaîner les refus. Délit de sale gueule, tout ça.
Rokia parlait d’expérience, hélas. Le problème, c’est qu’il considérait que tous les blancs étaient racistes. Kembou avait déjà tenté de pointer que son attitude l’était également, mais son frère avait nié, prétendant juste rendre la monnaie de leur pièce aux blancs. Excepté qu’avec Wyatt qui s’était toujours montré aimable, cela ne tenait la route. Rokia avait cependant sa théorie quant à son amitié avec Kembou. Selon lui, Wyatt ne le considérait pas comme un égal, mais comme un sous-fifre à la manière de Vendredi dans Robinson Crusoé. Excepté que rien n’était plus faux. Wyatt ne voyait dans les couleurs de peau que des attributs physiques et rien de plus.

mardi 13 novembre 2018

Chocolat Blanc - 5

Il aurait voulu que Kembou aille étudier dans la même école d’ingénieurs que lui. Elle était publique et donc, les frais étaient raisonnables, mais son ami avait décliné. D’une ce n’était pas des études qui le tentait, de deux, il avait besoin d’un salaire toute de suite. Depuis la mort de son père, trois ans plus tôt,  sa famille avait du mal à joindre les deux bouts et il n’était pas question pour lui de rester à charge plus longtemps. Wyatt non plus n’était guère intéressé par devenir ingénieur. Seulement, la pression parentale avait eu raison de lui, surtout qu’il n’avait aucune idée de carrière.
Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était écrire, mais quand il s’en était ouvert à ses parents, au début du lycée, les deux avaient été unanimes : c’était un loisir, ce ne pouvait être un métier.
Kembou allait manquer terriblement à Wyatt. Ils avaient été dans la même classe durant toute leur scolarité, à l’exception de la première année de collège, et Wyatt ne gardait pas de cette séparation un bon souvenir alors même qu’ils se retrouvaient à chaque récréation. Là, une fois l’été terminé – et peut-être même avant si Kembou dénichait vite un emploi – ils devraient accorder leurs violons pour se voir. En dépit de la certitude qu’ils trouveraient toujours du temps l’un pour l’autre, Wyatt avait peur. Ils allaient chacun rencontrer d’autres gens que ce soient des camarades ou des collègues et parmi eux, peut-être l’un d’entre eux prendrait plus d’importance… Et si Kembou ou lui se mettait en couple, ce serait leur partenaire qui aurait leur priorité et Wyatt n’aimait pas cette idée. Et pourtant, cela risquait d’arriver un jour ou l’autre. Il ne pouvait compter qu’ils restent tout deux célibataires toute leur vie...
Wyatt s’ébroua et se décida à monter l’escalier alors que ses parents commençaient à le descendre.
A leurs tenues élégantes, il n’était pas dur de déduire qu’ils étaient de sortie, comme souvent.
Ils se croisèrent à mi-chemin.
— Bonsoir, mon chéri, dit sa mère en lui effleurant la joue d’une bise parfumée.
— Sais-tu où es ta sœur ? demanda son père.
— Au salon. Passez une bonne soirée tous tes deux.
— Merci, mon chéri.
Wyatt grimpa encore quelques marches avant que son père ne l’interpelle du bas.
— Wyatt ! Au fait, demain, nous allons visiter des appartements.
— Déjà ?
— Il est plus que temps, répliqua son père.
— Mais j’ai invité Kembou à venir.
— Annule !
Wyatt aurait bien suggéré que son ami les accompagne. Mais, même si cela lui aurait rendu la corvée plus agréable, il doutait que cela amuse Kembou. Et à tous les coups, son père aurait refusé.

lundi 12 novembre 2018

Chocolat Blanc - 4

Wyatt referma doucement et la solitude s’abattit sur lui comme une chape de plomb. Bien sûr, ses parents et sa sœur étaient quelque part dans les tréfonds de la maison, mais ce n’était pas pareil.
Il se rendit dans la cuisine et se servit un grand verre d’eau. Il avait un creux, mais à 18h largement passées, ce n’était plus l’heure de goûter.
Il poussa ensuite la porte du salon dans l’intention de regarder la télévision.
Marine était déjà en face du large écran, allongée de tout son long sur l’un des canapés rouges. Elle zappait allègrement.
Wyatt hésita dans l’embrasure.
Prenant en compte sa présence, elle lança soudain :
— C’est bon, il est enfin parti ?
La formule comme le ton employé était détestable. Wyatt ne comprenait pas comment Marine qui, à l’origine, adorait Kembou, en était  arrivée à ce stade.
Bien sûr, dès qu’il avait remarqué son attitude, il lui avait posé la question. Dans un premier temps, elle avait paru croire qu’il se moquait d’elle, puis elle avait inventé une histoire abracadabrante dans laquelle Kembou lui aurait soit disant fait des avances qu’elle aurait dû repousser. Il n’y avait accordé aucun crédit. Kembou et lui parlaient rarement de filles entre eux, parce que justement, à la différence d’une trop grand partie de leurs camarades, ils ne les considéraient pas comme juste une paire de seins et de fesses. Kembou avait aussi des sœurs et surtout, il n’était pas du genre à embêter les autres.
— Tant que j’habiterai ici, tu seras obligée de le voir.
— Il n’est pas de notre milieu ! Quand est-ce que tu vas grandir un peu !?
Wyatt lui aurait bien renvoyé ses propres mots à la figure, excepté que cela aurait manqué de maturité. Il préféra argumenter :
— Ce n’est comme si cela se choisissait. Tu demandes aux gens la profession de leurs parents avant de devenir amie avec eux, toi ? Notre mère aurait pu être femme de ménage et notre père, éboueur. Qu’ils soient ingénieurs ne nous rend pas meilleurs.
— Tu délires, rétorqua-t-elle avant de fixer son attention résolument sur la série télévisée à l’écran.
Wyatt abandonna la partie, le cœur lourd. Marine avait dû finir par se laisser influencer par le discours parental, car son père, sans aller jusqu’à réprouver franchement son amitié, lui conseillait régulièrement d’élargir le cercle de ses fréquentations. Le pire, c’est qu’il allait y être obligé à la rentrée.

vendredi 9 novembre 2018

Chocolat Blanc - 3

— Jouons que je puisse encore te battre à plates coutures.
Wyatt s’humecta les lèvres. Sans le vouloir, Kembou l’imita.
— J’aimerai te demander comment se portent tes chevilles, mais tu es plus doué que moi à ce jeu de combats… T’es sûr que tu ne veux pas casser la croûte ? Il y a du pain frais et du chocolat blanc dont tu raffoles tant.
Tout tentant que cela soit, le mieux était encore refuser par une pirouette.
— Non, c’est bon, j’ai déjà tout ce qu’il faut niveau tablette, déclara-t-il en tapotant son ventre, puis il s’assit à côté de son ami.
— Depuis quand ? demanda Wyatt d’un air amusé. Montre-moi ça, ajouta-t-il avant de soulever le bas du t-shirt blanc que portait Kembou.
Cela ressemblait trop à l’un de ses fantasmes. Kembou rougit, bénissant le fait que cela ne puisse se voir.
Les longs doigts fins de Wyatt lui chatouillèrent les côtes.
Autrefois, Kembou aurait contre attaqué et ils se seraient probablement retrouvés à rouler en riant sur la moquette. Cela se serait terminé avec Kembou au-dessus de Wyatt ou son ami à califourchon sur lui… Ce n’était plus option, car il n’aurait pu s’empêcher d’avoir une érection dans un cas comme dans l’autre. Il se contenta donc de le bloquer en lui capturant les poignets.
Wyatt tenta de se libérer. Kembou tint bon.
— OK. J’abandonne ! s’écria Wyatt.
Kembou le relâcha.
La marque de ses doigts étaient visibles sur la peau pâle de son ami – il l’avait serré trop fort.
— Désolé, dit-il tandis que Wyatt se frottait les poignets.
— Ce n’est rien, c’est moi qui ait commencé, et c’est la preuve que même si tu n’as pas des abdos ultra-définis, tu ne manques pas de muscles !
Kembou s’excusa à nouveau. Cela le tuait de lui avoir fait mal. Il aurait plutôt dû  subir quelques chatouilles sans se défendre avant de déclarer forfait.
Wyatt lui fourra la manette dans la main, décidé apparemment à mettre l’incident derrière eux.
— Pardon, murmura encore Kembou.
— Allez, cesse de faire cette tête-là ! Je ne suis pas une petite chose fragile, je marque facilement, c’est tout. Enfin, si tu te sens si coupable que cela, tu n’as qu’à me laisser gagner !
Kembou savait que Wyatt plaisantait.
— Dans tes rêves ! lança-t-il.
Ils enchaînèrent les matchs, Kembou accumulant les victoires malgré les efforts acharnés de Wyatt. Ils s’affrontèrent ensuite à un autre jeu où son ami prit le dessus, puis Kembou constata que l’heure tournait.
Il n’avait pas la moindre envie de quitter Wyatt, mais il devait s’occuper de sa recherche d’emploi.
— Faut que je me rentre.
— Déjà ? Tu reviens demain ?
— Oui.
Il n’aurait pas dû. En même temps, c’était ses dernières grandes vacances avant d’entrer dans la vie active.
Wyatt le raccompagna à la porte.
Kembour regretta pour la millième fois que la mode ne soit pas à la bise entre garçons et que se serrer la main ait toujours semblé trop formel à son ami.
Un au revoir, un sourire et Kembou s’éloigna.

jeudi 8 novembre 2018

Chocolat Blanc - 2

Kembou sortit de la chambre et descendit à l’étage pour utiliser les cabinets.
Wyatt l’invitant régulièrement depuis qu’ils avaient fait connaissance en première année de primaire, la maison lui était aussi familière que l’appartement de ses parents. Il était cependant loin d’y être aussi à l’aise. Les parents de Wyatt se montraient assez froids à son égard et la sœur de ce dernier aussi, depuis l’année dernière.
Après avoir fini sa petite affaire, il eut la malchance de la croiser dans le couloir.
— Encore là, toi ! s’exclama-t-elle avec une moue pincée.
Kembou préféra garder le silence.
Quoiqu’il dise, elle prendrait mouche, tout ça parce qu’il avait refusé de sortir avec elle quand elle lui avait fait sa déclaration un an plus tôt.
— C’est malpoli d’ignorer les gens ! s’écria-t-elle.
Kembou se retint de répliquer que sa façon de le disputer était pire. Cela dégénérerait et il ne voulait pas que Wyatt ou ses parents doivent intervenir. Marine était tellement furieuse contre lui qu’elle serait capable d’inventer une histoire à dormir debout où il aurait le mauvais rôle. Le père et la mère de Wyatt seraient trop contents d’avoir une excuse pour le bannir de leur demeure et son ami, même s’il le défendrait, à ne pas en douter, serait obligé de l’accepter.
Il se dépêcha de gagner la chambre de Wyatt, heureux de songer que bientôt, ce ne serait plus un problème, et qu’il n’aurait plus à voir Marine, car Wyatt allait emménager à la rentrée dans un studio pour être plus près de l’école d’ingénieur dans laquelle il allait étudier.
— On se fait une autre partie ? A moins que tu ne veuilles prendre un goûter ?
L’estomac de Kembou se noua, rien qu’à l’idée de retomber sur Marine dans la cuisine. Il ne s’était pas confié à Wyatt au sujet de sa sœur pour ne pas embarrasser la jeune fille et il le regrettait, mais c’était un peu tard maintenant... Il avait trop de secrets pour son ami et n’en était pas fier, mais il avait peur de perdre son amitié. Wyatt était cool et il était presque certain que son homosexualité ne le dérangerait pas, mais il se voyait difficilement lui annoncer et continuer à lui cacher ses sentiments.
— Kem ?
A force de se torturer l’esprit, il n’avait toujours pas répondu.

mercredi 7 novembre 2018

Chocolat Blanc - 1

En dépit de la fenêtre ouverte et des rideaux tirés pour bloquer les rayons trop vifs du soleil, il régnait une chaleur infernale dans la chambre.
Kembou étala son ami d’un coup de pied jeté dans le thorax. La musique de victoire retentit : il avait gagné le match.
Wyatt poussa un long soupir en lâchant la manette sur le sol.
— La vie est tellement plus intense dans les livres...
Depuis le temps qu’ils étaient amis, Kembou était habitué aux réflexions aussi étranges qu’impromptues de Wyatt.
— Tu voudrais être le héros d’un ?
Wyatt se laissa tomber en arrière sur la moquette. Son t-shirt loup remonta dévoilant une raie de peau blanche des plus appétissantes. Kembou détourna le regard.
— Tu parles ! Je n’en ai pas l’étoffe ! Je serais plutôt un figurant dans le décor, au mieux un personnage secondaire !
Kembou chercha les mots susceptibles de remonter le moral de son ami. S’ils se mettait à énumérer toutes ses qualités, il risquait de trahir l’amour qu’il éprouvait à son égard depuis le collège, période durant laquelle il avait compris que c’était les garçons qui l’attirait et non les filles.
Dans le silence qui se prolongeait, Wyatt reprit :
— Les héros, ils sont tous impossiblement beaux, ou alors avec un tare physique pour les distinguer, jamais médiocre. Je n’ai pas une once de charisme, rien de spécial. Toi, par contre…
Kembou aurait adoré qu’il termine sa phrase, mais pas question d’aller à la pêche aux compliments. De toute façon, lui non plus n’avait rien de particulier. Il était plutôt grand, mais sans excès, et avait la peau noir ébène et les lèvres épaisses de ses ancêtres africains.
— Qu’est-ce qui te plaît tant dans les livres, hein ?
— Tous les moments ennuyeux sont coupés.
— Oui, enfin bon, un roman qui décrirait chaque passage de ses personnages aux toilettes ne serait pas très passionnant, si ?
Wyatt grimaça de façon comique.
— Vrai. En même temps, cela pourrait être un exercice de créativité des expressions différentes étaient employées à chaque fois : un tour au petit coin, besoin de soulager sa vessie, envie pressante.
Kembou se leva.
— Tu vas où ? demanda Wyatt.
— Devine !
Un passage aux WC s’imposait.

mercredi 24 octobre 2018

Fin, pause et nouvelle histoire

Nous voilà arrivés à la fin de Bienvenue à Versélia, un peu plus court que prévu initialement.
J'ai enfin réussi à raconter mon histoire d'amour entre un homme et un arbre - oui, c'est moi, la spécialiste des romans bizarres !
J'ai plusieurs couples prévus entre différents verséliens, notamment le centaure et le dragon, mais je dois vous avouer que ce n'est pas toujours facile de mettre en scène des amours qui transcendent les genres et les espèces, alors pour le moment, je vais laisser Versélia de côté pour me consacrer à l'écriture d'une autre histoire avec des êtres 100% humains, sans doute celle de Taj et Malek, dans le monde des 4 points cardinaux.
Cependant, avant cela, pause jusqu'au 7 novembre !

Bienvenue à Versélia - 77

Leurs lèvres se joignirent et ce n’est que longtemps après qu’ils sortirent de la chaumière, le Gardien s’appuyant sur Grégoire.
Une fois à sa place, il se métamorphosa,  son feuillage encore maigre.
Grégoire s’adossa à tronc et ils parlèrent. Il y avait beaucoup de choses à raconter entre le retour forcé de Grégoire dans son monde, ses doutes sur l’existence de Versélia, ses difficultés à revenir, sa découverte de l’état catastrophique du Gardien, ses tentatives pour le soigner et son travail de médiateur. Le grand arbre commentait de temps en temps. Il était enchanté que Grégoire exerce un métier qui lui plaise en profondeur et surtout qu’il le fasse à Versélia.
— Au moins, je n’ai aucune concurrence, plaisanta Grégoire.
Puis redevenant sérieux, il dit :
— Tu sais, je ne regrette pas de m’installer auprès de toi, mais je suis triste pour mes parents.
— Passer de Versélia à ton monde n’est pas exactement facile, tu as pu le constater par toi-même, mais cela n’a rien d’impossible ou d’interdit.
— Vraiment ? Non, parce que je ne pouvais initialement quitter les lieux qu’à condition de me trouver… Ensuite, j’ai été éjecté comme un mal propre et après, j’ai tourné en rond dans la forêt pendant des heures.
— Oui, il n’y a pas de passage. Dans un sens comme l’autre, il faut une raison. Vouloir garder le contact avec ta famille en est une excellente et souhaiter revenir à mes côtés pour résoudre des conflits entre verséliens aussi. Sans compter l’équilibre que tu apportes en y vivant. Vu que Versélia s’est ouvert pour toi, non pas une, mais deux fois, le phénomène se reproduira.
Grégoire sourit. Son bonheur était complet. Se perdre avait du bon. Se retrouver aussi.
Le Gardien reprit :
— Il faudrait qu’on organise une petite fête.
— Pour célébrer ton rétablissement ?
Grégoire voyait déjà la scène : la table dressée chargée de pains de Vulkain, Sergeï papotant avec Saphir, Crystal perchée sur l’épaule de Zarn, Rufus parlant chiffons avec Galway qui n’aurait d’yeux que pour son dragon. Et, à un moment, ils descendraient au bord de la rivière pour bavarder avec Neegr...
La voix profonde du Gardien le ramena au présent :
— Non, pour te souhaiter la bienvenue à Versélia.

FIN

mardi 23 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 76

Grégoire se précipita vers lui, et s’arrêta juste à côté de lui, n’osant troubler son repos, puis finalement craqua et posa sa paume à plat sur le torse du Gardien au niveau du cœur.
L’homme-arbre recouvrit sa main de la sienne et murmura son prénom avant de dévoiler ses prunelles vertes.
Grégoire l’embrassa, des larmes de joie et de soulagement coulant librement sur ses joues.
— J’ai cru que je ne te reverrai jamais.
— Moi aussi, répondit le Gardien.
— Je suis désolé… Je n’ai pas choisi de te laisser. J’ai été enlevé alors même que j’avais décidé de rester pour être avec toi.
— Quand tu as disparu, j’ai imaginé mille possibilités et j’ai essayé de te contacter par le biais des rêves… Mais au bout du compte, je ne savais pas, peut-être t’étais-tu trouvé et avais-tu préféré partir.
— Sans un au revoir, après que nous ayons fait l’amour ? Jamais je n’aurais fait cela !
— Oui, cela ne te ressemblait pas. Mais je n’étais certain de rien. Pas même de tes sentiments à mon égard.
Grégoire faillit s’indigner avant d’être obligé de reconnaître qu’il ne les avait jamais formulés clairement. N’en déplaise à Zarn, montrer ne suffisait pas toujours, s’exprimer verbalement était parfois nécessaire.
— Je t’aime, déclara-t-il.
Le Gardien l’attira à lui pour un doux baiser. Il caressa ensuite d’un doigt l’une des joues mouillées de Grégoire.
— Ce sont les larmes que tu as versé qui m’ont ramené…
— Quoi ?
— Oui. J’étais mourant, j’avais sombré dans l’inconscience, mais la terre les a bues et je m’en suis nourri…
Grégoire regretta de les avoir retenues aussi longtemps, tout ça pour respecter cette règle idiote qui voulait que les hommes ne pleurent pas. C’était une preuve de plus qu’il fallait ne pas tout respecter à la lettre et faire la part des choses.
— Alors, tu n’exagérais vraiment pas quand tu affirmais que je t’étais devenu indispensable ?
— En effet, répondit le Gardien. Je vais devoir retourner pour terminer de me rétablir, ajouta-t-il dans un soupir.
— Oui, bien sûr. Tu n’aurais même pas dû te transformer, si ?
— Je pensais que c’était mieux pour nos retrouvailles.
— Un mot de toi aurait suffit à me combler.
— Je voulais pouvoir t’enlacer, répliqua le Gardien.
Et c’est ce qu’il fit.

lundi 22 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 75

Grégoire grimpa d’abord avec précaution, prenant bien garde aux distances entre les branches, mais au moment d’atteindre enfin la feuille, dans son empressement, son pied dérapa, sa prise lui échappa et il tomba dans un cri, sans possibilité de se rattraper.
Il ferma les yeux, se préparant à l’inévitable impact. Cependant, au lieu de s’écraser sur le sol, il se retrouva dans des bras puissants.
Un instant, il espéra que c’était le Gardien, mais eut tôt fait de découvrir que c’était Zarn qui le fixait d’un air plein de reproche.
Grégoire pouvait presque l’entendre critiquer son manque de prudence.
— Merci. J’ai remarqué une feuille sur le Gardien…
Zarn écarquilla les yeux, puis leva la tête vers les branches. Enfin, il déposa en douceur Grégoire et monta voir par lui-même. Impossible de ne pas lui envier ne serait-ce qu’un peu son agilité.
Il redescendit en deux temps trois mouvements, un grand sourire aux lèvres.
— Je n’ai pas rêvé, hein ? demanda Grégoire.
Le géant tapota simultanément son dos et le tronc du Gardien, lui confirmant qu’il ne s’était pas trompé.
Grégoire courut annoncer la nouvelle à Neegr qui partagea sa joie.
Débordant d’énergie, il fit le tour de ses amis. Même Vulkain ne réussit pas à tempérer son enthousiasme en lui faisant remarquer que ce n’était pas encore gagné.
Les jours suivants, d’autres feuilles apparurent, chacune enthousiasmant Grégoire. L’arbre restait muet, mais Grégoire ne doutait pas qu’il reparlerait.
Une part de lui avait envie de rester coller au Gardien pour ne pas rater le moment oùcela se produirait, une autre savait que l’attente le rendrait fou, aussi continua-t-il à son travail de médiateur. Résoudre des conflits de manière amiable le satisfaisait en profondeur. C’était une façon de préserver l’ordre.
Il revenait donc, après avoir aidé deux lutins en bisbille à renouer le dialogue quand il constata que le grand arbre avait disparu. Son cœur s’emballa dans sa poitrine : si le Gardien avait disparu, c’est qu’il avait dû se transformer et qu’il ne devait pas être pas loin.
Grégoire regarda tout autour, appela, puis poussa finalement la porte de la chaumière que Zarn avait fini de lui construire.
L’homme-arbre était allongé sur son lit, les yeux clos, ses cheveux verts clairsemés.

vendredi 19 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 74

Saphir fut enchanté de son projet et ravi que Grégoire soit décidé à s’installer définitivement parmi eux.
Pas plus tard que le lendemain, le fée lui amena ses premiers clients, deux nains désireux de s’installer exactement au même endroit.
Grégoire mit aussitôt à profit ce qu’il avait appris du travail de médiateur dans son monde via internet.
Quand il revint auprès du Gardien après avoir résolu le conflit en ayant déniché un autre emplacement libre correspondant aux critères de ses clients, il trouva Zarn à l’ouvrage.
Le géant manipulait de grosses pierres taillées avec autant de facilité que s’il s’était agi de cailloux. Il les disposait là où il avait bâti la cabane de bois qui avait été incendiée.
— C’est pour qui ? demanda Grégoire, s’inquiétant que quelqu’un vienne s’installer aussi près.
Zarn, une fois qu’il eut les mains libres, pointa un doigt sur Grégoire.
— Pour moi ? Mais j’ai déjà un abri…
Le géant leva les yeux au ciel. Il ne devait pas juger cela suffisant.
— C’est parce que cela a brûlé la dernière fois que tu construis en pierre ?
Zarn secoua la tête et déclara, solennel :
— Parce que tu restes.
Avec le géant, il fallait deviner et interpréter, un peu comme avec l’homme-oiseau en fait. Le logis précédent avait donc été bâti en une matière moins durable parce que son séjour n’était supposé être que temporaire. Maintenant que Grégoire s’installait pour de bon, Zarn procédait différemment.
— Tu veux de l’aide ?
Zarn répondit par la négative.
— Il te faudra combien de jours ?
Le géant leva les deux mains.
Cela convenait à Grégoire. Il n’était pas pressé de quitter son abri dans les branches du Gardien. Au moins, il y était en contact avec l’arbre.
La nuit venue, il y grimpa et se laissa encore aller au chagrin. L’homme-arbre lui manquait. Le jour revint, et Zarn aussi, avec sa charrette chargée de pierres, réveillant Grégoire qui se frotta les yeux, s’étira, se leva et la vit, tâche verte brillante dans les branches nues du Gardien : une feuille. Il cligna des paupières, mais elle ne disparut pas.
Il se décida à jouer l’acrobate. Il fallait qu’il la touche pour être sûr qu’il ne rêvait pas.

jeudi 18 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 73

— Pardon, souffla Grégoire. Puis-je voir Corbin ?
La vieille ouvrit grands ses ailes, le forçant à se pousser de côté.
— Corbin, appela-t-elle. Un idiot a besoin de toi !
Ce n’était guère flatteur autant pour Grégoire que l’homme-oiseau, preuve que la vieille chouette était vexée, mais Grégoire ne parvint pas en éprouver du remords. C’était elle qui l’avait traité sans le moindre égard.
Un instant plus tard, Corbin descendit en vol plané et l’enjoignit à le suivre un peu plus loin tandis que la vieille s’occupait de la personne suivante.
Entre l’homme-oiseau et lui, il y eut un long silence.
Grégoire se passa la main dans les cheveux et se rappela qu’il devait donner une mèche pour la consultation, ce qu’il fit avant de finalement déverser pèle-mêle ce qu’il avait sur le cœur. Corbin l’écouta avec attention, sans le bousculer, puis l’enveloppa dans ses grandes ailes avant de poser son front contre le sien.
— Patience… Au fond de toi, tu sais.
Grégoire interpréta aussitôt ses mots comme une assurance que le Gardien allait revenir à lui et qu’il lui suffisait d’attendre.
Il se demanda ensuite si cela ne signifiait simplement pas que les choses allaient se dénouer d’elles-mêmes et qu’avec le temps, il saurait quoi faire de sa vie.
C’est en tout cas apaisé qu’il quitta l’homme-oiseau et s’en retourna vers le Gardien à pas lents – il avait trop mal pour marcher autrement.
Il réussit à réfléchir calmement. Repartir, c’était abandonner encore le Gardien et que ce dernier demeure ou non dans cet état, il ne pouvait pas. Il avait par ailleurs déjà tenté et échoué à reprendre le cours de sa vie d’avant. D’accord, les circonstances seraient différentes puisqu’il aurait la certitude que Versélia n’était pas un pur produit de son imagination, mais cela ne changeait presque rien. Sa place était ici. Même sans le Gardien, il avait un rôle à jouer. Du moins, c’est ce qu’avait affirmé Saphir avec son histoire d’équilibre entre la pureté supposée de Grégoire et le côté démoniaque de l’enfant dont les expériences toxiques avaient rendu malade un paquet de verséliens. Et surtout, l’absence de technologie était plus reposante qu’autre chose, de même que l’inexistence de l’argent et du concept de propriété.
Il n’avait plus qu’à s’établir en tant que médiateur et s’accrocher au mince espoir que le Gardien plutôt que de pourrir allait refleurir.

mercredi 17 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 72

Après une journée à se morfondre, Grégoire ne se retrouva pas plus avancé. En dépit de son chagrin, le retour de son sens du toucher éveilla son excitation. Sans l’aphrodisiaque, cela n’avait rien d’insupportable, mais impossible de ne pas se souvenir de la manière dont il s’était empalé sur une des branches du Gardien. Il la chercha des yeux avant de les clore. Il ne comptait pas renouveler la performance. C’eût été comme faire l’amour à un cadavre.
Il n’avait pas besoin que l’arbre se transforme et le caresse. Tout ce qu’il désirait, c’était entendre sa voix. Il était prêt à faire n’importe quoi pour qu’il revienne à la vie.
Il contempla l’idée de l’arroser de sa semence ou de son sang. Cela n’avait aucune chance de marcher. A la différence du Gardien et de sa sève, il n’avait rien de magique. Toutes ses pensées trahissaient son désespoir.
Il avait cru être mal quand il était plongé dans le doute quant à l’existence de Versélia, mais c’était bien pire maintenant. Le problème, ce n’était même pas que ses membres étaient lourds comme du plomb, ses courbatures plus vives. Le plus douloureux, c’était son cœur qui était comme pris dans un étau. Son esprit partait dans toutes les directions, incapable de se poser. Il était perdu. Il avait besoin d’aide.
Il quitta son abri tristement exposé dans les branches nues du Gardien et dans sa hâte à descendre, la corde lui brûla les paumes. Il allait consulter le sage Corbin. L’homme-oiseau était un professionnel, non ? Et si cela révélait improductif, il pouvait toujours compter sur ses amis verséliens… à moins qu’il ne rentre dans son monde, parce que sans le Gardien, Versélia avait beaucoup moins d’attraits… Grégoire pressa brièvement ses lèvres contre le tronc, s’ébroua et un manteau sur le bras, gagna la forêt d’automne.
Il dut s’arrêter et demander son chemin à plusieurs reprises, mais arriva finalement à bon port.
Contrairement à la dernière fois, il y avait une file d’attente. La vieille femme-oiseau était présente et attirait plus de monde que son disciple.
Quand ce fut enfin le tour de Grégoire, il ne sut par quoi commencer. Il se posait trop de questions : comment guérir Gardien, comment décider s’il devait rentrer ou rester…
— D’autres souhaitent me consulter, jeune homme, alors si c’est pour demeurer planté là sans rien dire, laissez votre place au suivant, râla la vieille.

mardi 16 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 71

Il ne savait plus quoi faire. S’il devait ou non faire son deuil, continuer à interroger des dryades ou peut-être des soigneurs… Devait-il  rester à Versélia même si le Gardien n’était plus ou rentrer chez lui ?
Le chagrin le submergea et il pleura encore. Maintenant que le barrage était rompu, il ne parvenait plus à endiguer les larmes.
Ce n’est que quand Saphir débarqua qu’il cessa, essuyant ses joues mouillées.
Le fée était tout agité.
— Sergeï a démasqué ceux qui t’ont emmené hors de Versélia ! s’exclama-t-il, sans même un bonjour.
Grégoire accueillit la nouvelle sans plaisir. Le mal était fait de toute façon.
— Ce sont des fées, une partie des mêmes qui t’avaient attaqué à coups de pierres, continua Saphir.
Grégoire se força à réagir.
— Vont-elles être punies d’une façon ou d’une autre ?
Il n’avait aucune idée de la manière dont la justice fonctionnait à Versélia. Il n’était même pas sûr qu’il y en ait une. Les enquêtes étaient à priori lancées à titres privés.
— Bien sûr ! Elles ne sont pas trop jeunes pour cela à la différence du gamin et ses potions toxiques. Elles vont être enfermées dans l’obscurité dans une grotte au milieu des marécages pendant autant de jours que tu as été forcé de rester hors de Versélia afin de réfléchir à leurs actes et leurs conséquences.
— Qui a décidé de cela ?
— L’un des plus vieux dragons de Versélia. Ce sont eux qui choisissent des sentences des criminels, souvent après consultation avec des sages.
— Je vois. Tu crois que le responsable derrière l’incendie qui a brûlé ma cabane sera un jour puni lui aussi ?
Saphir se frappa le front de la main.
— Ah ! J’avais oublié de te le dire ! Un suceur que tu ne connais pas a mené l’enquête et  l’a capturé. C’était une créature des marais et elle est toujours emprisonnée à l’heure actuelle. La pauvre n’a pas toute sa tête apparemment.
Forcément, en une demi-année, il s’était passé plein de choses. Le grand arbre avait eu le temps de dépérir.
Grégoire cligna des paupières. Les larmes menaçaient encore.
— Tu veux bien me laisser ?
Saphir hésita.
— S’il-te-plaît, ajouta Grégoire.
— Tu es sûr de vouloir rester seul ?
Grégoire acquiesça, se retenant de rétorquer qu’il serait avec le Gardien. Même s’il lui en coûtait de l’admettre, le grand arbre n’était plus vraiment présent.

lundi 15 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 70

La dryade pencha la tête sur le côté pensivement, sans répondre.
Saphir crut bon de lui expliquer la situation.
En l'écoutant décrire l'état déplorable du Gardien, l'air manqua à Grégoire.
— Entre les arbres et nous, cela fonctionne par symbiose. Il n'y a rien à faire, finit-elle par dire.
Grégoire insista.
La dryade voulut bien donner quelques trucs et astuces, mais selon elle, au stade où en était le grand arbre, c'était trop tard.
Grégoire ne se laissa pas abattre pour autant et enjoignit Saphir à le conduire auprès d'autres dryades.
Il reçut des réponses semblables encore et encore. La dernière feuille était tombée, il n’y avait plus rien à faire.
Quand Saphir ne sut plus où aller, Grégoire voulut qu’ils aillent consulter Neegr qui en connaissait plein.
Le naïade ne lui reprocha pas d’avoir tardé à le visiter et leur donna volontiers des indications pour trouver ses amies.
— Tu as raison de ne pas renoncer. L’amour peut faire des miracles.
Grégoire que le découragement gagnait face à l’accumulation d’avis négatifs des dryades reprit espoir.
Mais les amies de Neegr n’avaient pas non plus de solution à lui offrir et une seule d’entre elles affirma qu’il y avait encore une petite chance que le Gardien ne soit pas complètement mort. A la nuit tombée, c’est moralement et physiquement épuisé qu’il retourna auprès du grand arbre.
— Tu voudras continuer demain ? demanda Saphir qui volait à une allure d’escargot, preuve qu’il était également à bout de forces.
Grégoire secoua la tête. Il n’avait même plus l’énergie de parler.
Le fée monta lentement vers les nuages et disparut.
Grégoire colla son front contre le Gardien et les larmes qu’il avait réussi à retenir jusque là coulèrent finalement.
C’est roulé en boule entre les racines du grand arbre et en pleurs qu’il s’endormit.
Il se réveilla tard et tout courbaturé. C’était le prix pour avoir sillonné Versélia d’un bout à l’autre la veille.
Son absence de toucher lui pesa plus que la dernière fois. Ne plus pouvoir sentir la fermeté et la rugosité du Gardien, en plus d’être incapable de l’entendre, c’était trop.

vendredi 12 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 69

Grégoire n’avait pas le cœur à bavarder, aussi laissa-t-il Saphir faire la conversation. Le fée était intarissable sur Versélia et ses habitants. Il avait un côté commère.
Le lendemain matin, le monde avait retrouvé ses couleurs. Leur splendeur agressait Grégoire dont l’humeur était sombre. Aujourd’hui, rien n’aurait de goût, ce qui ne serait pas vraiment pire que les jours précédents. Il n’avait pas d’appétit depuis son retour. Grégoire se força à manger pour avoir l’énergie d’arpenter la forêt.
Le soleil était déjà levé depuis longtemps quand Saphir se montra enfin.
Avant qu’ils ne se mettent en route, Grégoire promit au Gardien de revenir vite. A son grand soulagement, le fée ne lui fit pas remarquer que cela ne servait à rien de prévenir le grand arbre. Il était à dire vrai curieux qu’il le soutienne de son entreprise de questionnement des dryades alors qu’il n’avait même pas voulu lui cueillir une feufleur.
Comme Saphir terminait une anecdote sur une bévue de Crystal, Grégoire l’interrogea sur son revirement.
Les ailes de Saphir cessèrent de battre un instant avant qu’il ne se reprenne.
— Eh bien… Sergeï mène l’enquête pour savoir qui t’a enlevé et porté hors de Versélia…
Grégoire fronça les sourcils, ne comprenant pas le rapport.
— D’après lui, j’ai ma part de responsabilité, parce que c’est moi qui ait raconté à plein de gens que tu t’étais trouvé, condition à ton éventuel départ… Je suis désolé. Je ne voulais pas te causer de tort.
Un autre que Grégoire aurait pu se fâcher et l’accuser d’être indirectement coupable de l’état dans lequel était le Gardien.
— Je m’en doute, soupira-t-il.
La situation actuelle était la faute de celui ou celle qui avait décidé de lui retirer sa liberté de choisir et l’avait poussé à douter de l’existence de Versélia en lui enfilant son costume.
A l’approche des marécages, Saphir râla sur la nécessité de visiter cette dryade en particulier, d’autres vivant dans des coins bien plus agréables. Grégoire le laissa faire, sachant que le fée était à cran à cause de leur environnement.
L’arbre qu’il avait vu malade éclatait de santé et la dryade était méconnaissable. Grégoire ne perdit pas de temps en amabilités et alla droit au but : il voulait savoir comment soigner un arbre.

jeudi 11 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 68

Ses amis aussi le visitèrent, du moins, ceux qui pouvaient se déplacer. Vulkain lui apporta des pains à domicile et Rufus, des habits, en mains propres. Zarn lui tapota le dos de façon réconfortante pendant un court moment. Crystal, peu bavarde pour une fois, l’embrassa sur la joue. Galway, sans rien sur la croupe, se montra aussi. Il ne s’attarda pas, mais Grégoire apprécia qu’il soit venu exprès. Sergeï lui offrit des condoléances que Grégoire refusa avec emportement : le Gardien n’était pas mort !
Ce fut Crayan avec un pince-nez qui ramena une feufleur. A la différence du fée, le lutin pensait qu’il y avait une chance que le Gardien ne se soit pas complètement éteint et jugeait le test pas inutile.
Grégoire la huma en inspirant à fond. Le faire en connaissance de cause était idiot, mais ne rien tenter était pire.
La perte d’odorat attendue se produisit. Et le lendemain, tout sentit plus fort, y compris l’odeur de pourriture qui émanait des feuilles roussies et craquantes qui s’étaient accumulées au pied du grand arbre.
Dans le silence, Grégoire parla au Gardien. Ne pas entendre sa propre voix était inconfortable, mais au moins, ne pas recevoir de réponse était normal.
Il ne fit que somnoler durant la nuit, impatient de se réveiller en pleine possession de son ouïe. Peu importerait le noir qui l’entourerait si la voix du Gardien lui parvenait.
Sa déception fut immense. Tous les sons et bruits étaient assourdissants, et l’obscurité angoissante et aucun mot du Gardien ne vint le rassurer.
Grégoire battit des paupières pour retenir les larmes qui menaçaient. Le tronc solide de l’arbre demeurait derrière sa tête.
Il regretta tout de même d’avoir demandé à ses amis de ne pas venir le voir pendant que la feufleur agissait.
Il s’ébroua, refusant de céder au désespoir. Demain, il quitterait temporairement le grand arbre pour aller s’enquérir auprès de dryades comment elles soignaient leurs arbres. Il commencerait par la fameuse patiente zéro et pourrait lui demander ainsi qu’à Neegr où trouver d’autres dryades.
— Alors ?
Grégoire sursauta. C’était la voix de Saphir. La fée, fidèle à lui-même, n’avait pas respecté sa demande de tranquillité. Et au final, c’était aussi bien, car il lui éviterait de ressasser de sinistres pensées.
— Rien, fut obligé de reconnaître Grégoire avant d’exposer son projet, même s’il s’attendait à ce le fée l’enjoigne à renoncer.
Saphir le surprit.
— Je t’accompagnerai, déclara-t-il.

mercredi 10 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 67

A l’affût d’une réaction, Grégoire raconta tout ce qui s’était passé depuis leur séparation, en vain.
Il ravala ses larmes – les hommes n’étaient pas supposés pleurer – et se détacha lentement du tronc.
Saphir voletait à quelques pas de là.
— Ramène-moi une fleufleur, demanda Grégoire.
— Cela ne servira à rien.
— Je veux quand même essayer.
S’infliger cette épreuve de pertes successives des sens valait la peine, s’il pouvait réentendre le Gardien.
— Il est encore debout, mais il n’est plus là, insista Saphir.
Grégoire ne pouvait s’empêcher d’espérer encore.
— Si tu ne m’aides pas, j’irai en cueillir une moi-même.
— Ce n’est plus qu’une coquille vide. Il va finir par pourrir et disparaître pour de bon.
— Il était en parfaite santé, quand je l’ai vu trois mois plus tôt.
— Sept, tu veux dire. En ton absence, il a peu à peu dépéri.
Grégoire secoua la tête. C’était vrai que le temps ne s’écoulait pas de la même façon entre les deux mondes. Les trois mois et quelques passés chez lui comptait pour le double, ici.
Le Gardien aurait pourtant dû savoir qu’il reviendrait. Il aurait dû l’attendre. Non, c’est Grégoire qui n’aurait pas dû tant douter et chercher à retrouver le chemin de Versélia de suite au lieu de tenter de reprendre le fil de sa vie d’avant. Las, les regrets ne servaient à rien. Le passé ne pouvait être changé.
Si Saphir ne se trompait, que le Gardien n’était vraiment plus, que ferait-il ? C’était surtout pour lui qu’il s’était acharné à regagner Versélia, mais à en croire le fée, sa présence était bénéfique et contribuait à l’équilibre des lieux...
Non, Grégoire ne devait pas penser en ses termes. Le Gardien hibernait, mais guérirait, se réveillerait. N’en déplaise à Saphir, Grégoire respirait le parfum d’une feufleur pour augmenter ses chances de l’entendre à nouveau et ne quitterait plus le grand arbre.
La nouvelle de son retour se répondit incroyablement vite et dans l’après-midi, des verséliens vinrent lui présenter des excuses pour s’être montrés désagréables avec lui. Il y eut même une fée qui avait participé à sa lapidation qui se présenta, prête à ce qu’il se venge, mais Grégoire n’en fit rien. Le repentir de la fée lui suffisait.

mardi 9 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 66

— Je ne sais pas exactement où je suis… Tu veux bien me conduire au Gardien ?
— Ah… souffla Saphir.
Une ombre passa sur son visage. Et après un silence, il s’écria :
— Seulement si tu m’embrasses !
Grégoire ne pouvait croire qu’ils en reviennent là. Il ne souhaitait pas perdre de temps avec les petits jeux du fée. Il voulait voir le Gardien sans plus tarder. Le plus simple était encore de céder.
Il lui planta un baiser rapide sur les lèvres.
— Et maintenant, tu veux bien ?
Sûrement, le fée n’oserait pas exiger qu’il l’embrasse dans les règles de l’art. Il savait bien qu'il était en couple avec le Gardien.
Les ailes du fée s’agitèrent frénétiquement. Il hocha finalement la tête et fila droit devant.
Il allait si vite que Grégoire eut du mal à le suivre.
Alors qu’il commençait à reconnaître où il se trouvait, Saphir s’arrêta net et se tourna vers lui.
— Il faut que tu saches. Je ne peux pas te laisser le découvrir par toi même. Le Gardien n’est plus.
C’était la première fois que Grégoire voyait le fée si grave et si sérieux.
— Comment ça ? Avant aussi, tu croyais cela parce que tu ne l’entendais pas…
— C’est différent. Il est vraiment mort. Toutes ses feuilles sont tombées jusqu’à la dernière.
— Cela ne veut rien dire, contra Grégoire, mais sa gorge était serrée.
— Il vit dans la forêt du printemps. Son feuillage demeure vert toute l’année. Il ne roussit qu’en cas de maladie et ne tombe complètement qu’en cas de décès.
Le grand arbre avait affirmé avoir besoin de soleil, de pluie et de Grégoire pour vivre, mais cela aurait du être une manière parler, une façon de signifier l’importance qu’il avait.
Grégoire secoua la tête, contourna Saphir et courut vers l’endroit où il pensait que le Gardien se dressait.
Même face aux branches nues dans lesquelles l’abri construit par Zarn était bien visible, il ne ralentit pas et se plaqua contre le tronc.
Sous ses pieds, les feuilles mortes crissèrent de façon sinistre.
— Je suis là, déclara-t-il, l’oreille collée contre l’écorce.
Mais la voix du Gardien ne lui parvint pas, pas même un murmure.

lundi 8 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 65

Grégoire passa la main dans ses cheveux. Il les avait laissé pousser. Il savait qu’à Versélia, ses mèches avaient de la valeur. Il soupira, rangea tout dans son sac à dos et repartit.
Trois pas plus tard, une forme ailée grandissante fonçait sur lui, manquant de le renverser.
— Hé ! Tu es revenu ! s’écria Saphir avant de s’écarter comme pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé de personne.
Grégoire eut un large sourire. Il avait réussi. Il n’avait rien inventé.
— C’est formidable que tu sois de retour parce que Sergeï a trouvé l’individu qui a répandu cette maudite maladie ! C’est un enfant maléfique. Et toi, avec ta pureté, tu équilibres les choses en étant parmi nous.
Grégoire digéra l’information et se rappela de la dryade racontant ses journées et mentionnant une mère à la recherche de son gamin en vadrouille.
— Tu aurais pu prévenir au lieu de disparaître comme ça, enchaîna Saphir.
— Ce n’est pas moi qui ait choisi. J’ai trébuché, perdu conscience et je me suis retrouvé dans mon monde avec mes vieux habits sur le dos.
— Oh ! Un nouveau mystère à résoudre pour Sergeï ! s’enthousiasma Saphir.
Grégoire aurait préféré que le fée sache comment cela se faisait au juste qu’il ait été arraché de Versélia contre son gré, car il ne voulait pas que cela se reproduise.
En dépit de son envie de courir auprès du Gardien, il prit le temps de demander des détails à Saphir sur le gosse à l’origine de la maladie.
Le fée lui expliqua volontiers comment l’enfant s’était amusé à faire des expériences avec des plantes dangereuses, créant des concoctions dont les émanations s’étaient révélées toxiques. Ayant constaté qu’il y avait des effets, le gamin avait jugé intéressant de continuer, reproduisant sa recette empoisonnée à différents endroits de Versélia. L’enfant n’avait guère que cinq ans et l’excuse de la jeunesse et il avait d’ailleurs assuré ne pas prétendre à mal, mais le suceur avait mis à jour sa noirceur en goûtant à son sang.
— Quelle histoire ! s’exclama Grégoire quand Saphir se tut. Tout le monde a pu être soigné ?
— Oui, aucun souci. Un premier médicament a été distribué peu après ton départ, puis un second, plus efficace a été mis au point, une fois le coupable attrapé et son mélange connu.
Grégoire se sentit soulagé et rassuré. Les verséliens n’avaient plus de raison de lui en vouloir, de s’en prendre à lui, de le souhaiter mort ou hors de chez eux – car c’était sûrement pour cela qu’il s’était retrouvé dans son monde.

vendredi 5 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 64

Grégoire ne s’arrêta qu’à la nuit tombée, moulu et découragé. Demain, il marcherait encore, mais s’il ne trouvait rien, alors, il lui faudrait renoncer, et dire adieu à Versélia pour toujours.  Reprendre le cours de sa vie normale ne le réjouissait pas, mais errer jusqu’à épuisement dans les bois n’avait pas de sens.
Le débat en lui faisait rage : dans son cœur était ancré la certitude que Versélia et ses habitants existaient, mais sa raison s’y refusait et lui reprochait de persister dans cette folie.
C’est sur ses pensées qu’il s’endormit, et c’est avec les mêmes qu’il se réveilla.
Il remballa ses affaires, hésitant à se servir de la boussole et rebrousser chemin au lieu de s’enfoncer davantage dans les bois.
Il se demanda encore si c’était elle ainsi que sa lampe de poche qui l’empêchait d’entrer à Versélia et songea à s’en débarrasser, mais ne le put. C’était son filet de secours pour ne pas rester perdu au milieu des arbres.
Il se colla des pansements sur les pieds et marcha au hasard. Dans sa frustration à ce qui s’apparentait fort à tourner en rond, il se mit à se parler à lui-même à haute-voix :
— Ce n’est pas juste ! Je ne voulais même pas quitter Versélia ! On m’y arraché, alors que j’avais décidé de rester !
Seul une bourrasque de vent répondit à sa tirade énervée.
Grégoire s’assit au pied d’un arbre et se prit la tête entre les mains. Il était fou. Son acharnement était vain et absurde et pourtant, impossible de laisser tomber.
Il inspira et expira à fond. Il en avait assez de se poser des questions, assez de douter. Il défit et ouvrit son sac à dos pour prendre la boussole, sans savoir encore s’il allait s’en servir pour regagner la civilisation, mais ne la trouva pas. Il étala toutes ses affaires par terre sans plus de résultat. La lampe de poche avait également disparu.
Son cœur se gonfla d’espoir. C’était une signe que peut-être, juste peut-être, il était à Versélia. Il regarda autour de lui. Les cailloux, les fougères et les arbres n’avaient rien de spécial, mais tout de même, la coïncidence de la perte de ses deux objets était trop grosse pour ne rien signifier.
Il se leva. L’arbre auprès duquel il s’était posé avait peut-être une conscience. Il posa la main sur le tronc.
— Bonjour ?
Un oiseau pépia dans les branchages et ce fut tout.

jeudi 4 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 63

Tout en marchant, Grégoire pensait à ses amis verséliens, à Crystal et Saphir prompt à jouer des tours, au silencieux Zarn, à Vulkain et ses pains, au fier Galway, au sage Corbin, au gentil Neegr et à l’aimable Rufus dans sa boutique de vêtements.
Il espérait de tout son cœur qu’ils avaient une vie propre en dehors de son esprit et qu’il allait pouvoir les revoir.
Il souhaitait au minimum retrouver le grand arbre majestueux et protecteur, même si ce dernier ne possédait pas de conscience. Il était sûr qu’il le reconnaîtrait au premier coup d’œil. Son large tronc, ses racines épaisses, ses branches tendues vers le ciel, tout était gravé dans son esprit.
Il avança sans relâche jusqu’à l’épuisement ait raison de lui.
Le ciel s’obscurcissait de plus en plus. Il n’avait pas prévu de tente, mais un sac de couchage. C’était l’été et dormir à la belle étoile, c’était presque déjà être de retour à Versélia.
Il aurait aimé s’y réveiller, mais à l’aube, il fut bien obligé de constater que la végétation autour de lui était on ne peut plus ordinaire. Il était ironique de songer que quelques mois plus tôt, c’était le contraire qui l’avait désespéré.
Il se remit en marche, changeant de direction à intervalle régulier. Se perdre était peut-être la clef pour se rendre à Versélia. A moins que ce ne soit l’absence de technologie. Il n’avait pas pris son téléphone, ayant jugé que cela l’encombrerait pour rien vu que le réseau ne passait pas dans les bois, mais il avait une lampe de poche et une boussole. Fallait-il qu’il s’en débarrasse pour atteindre son but ?
Grégoire rit de lui-même. Il en était réduit à des suppositions ridicules.
La fatigue le gagnant, il se demanda de plus en plus si cela valait la peine de continuer. Il n’allait nulle part. Il aurait mieux fait de se confier à des médecins, même pour s’entendre dire que Versélia était un monde qu’il avait crée pour remplacer des souvenirs traumatisants.
En même temps, quand il se remémorait tout ce qu’il avait vécu avec Versélia, il doutait avoir autant d’imagination. Et si tout était vrai, alors le Gardien l’attendait et quand il le verrait, il se métamorphoserait et ils s’embrasseraient. Cela suffisait à l’inciter à mettre un pied devant l’autre, même s’il commençait à avoir mal aux talons, signe que des ampoules étaient en cours de formation.

mercredi 3 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 62

Il donna son congé au propriétaire de l’appartement qu’il louait et mit de l’ordre dans ses affaires, vendant et se débarrassant de plein de choses. Il comptait juste louer un box pour stocker sa voiture et quelques objets personnels.
Une part de lui-même se jugeait ridicule, une autre songeait que même s’il ne retrouverait pas le chemin de Versélia, il continuerait à se demander toute sa vie ou pas s’il avait tout fabriqué de toutes pièces ou pas, mais ultimement, il espérait que son expédition aboutirait.
Avant de partir, il rendit visite à ses parents. Que ce soit temporaire ou définitif, il ne voulait pas qu’ils se quittent en mauvais terme.
— Je vais voyager quelques temps, déclara-t-il quelques minutes après qu’ils l’eurent accueilli.
— Quoi ? Mais tu devrais être en train de chercher un nouveau poste ! s’insurgea son père.
— Depuis que tu t’es perdu dans ce bois, tu n’es plus le même, murmura sa mère.
— C’est vrai et pour me retrouver, j’ai besoin de m’absenter.
— Ce n’est pas raisonnable, clama son père.
— Tu es sûr que c’est la solution ? demanda sa mère.
Grégoire opina.
— Je suis désolé de ne pas être en mesure de répondre à vos attentes, mais j’ai besoin de changer d’air.
Sa contrition évidente apaisa ses parents.
— Tu as toujours été un enfant si sage jusque là, presque parfait, dit sa mère avec tendresse.
— Ma foi, tu es bien assez âgé pour décider ce qui est le mieux pour toi, bougonna son père.
Grégoire sourit à ses parents et profita du reste de l’après-midi en leur compagnie, les écoutant avec attention, conscient qu’il n’était peut-être pas près de les revoir.
Il prit un taxi pour le déposer sur le bas-côté de la fameuse route serpentante où sa voiture avait calée.
Le chauffeur le regarda comme s’il doutait de sa sanité, car c’était basiquement au milieu de nulle part.
Honnêtement, Grégoire se posait lui-même des questions sur son état mental, mais il fallait qu’il essaye, car c’était la seule possibilité de confirmer l’existence de Versélia.
S’il échouait, il vivrait toujours dans le doute, mais au moins peut-être réussirait-il à aller de l’avant, à ne plus sans cesser rêver au Gardien, à s’interroger sur les ravages de la maladie… Un médicament avait-il été mis au point ? Sergeï avait-il capturé le coupable ?

mardi 2 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 61

A défaut d’un arbre parlant et se transformant en homme, peut-être y en avait-il un qui lui avait servi de refuge quand il s’était égaré. Grégoire caressait l’idée de retourner dans les bois pour le trouver, sans oser. Il ne voulait pas risquer de se perdre à nouveau et d’inquiéter encore ses proches. Hélas, il ne parvenait pas pour autant à vivre comme avant, et se sentait prisonnier des contingences matérielles.
Il en vint à la conclusion que vrai ou pas – ce qu’il n’avait aucun moyen de vérifier – Versélia l’avait changé. Il était toujours attaché aux règles, mais il se rendait compte désormais de leur relativité. 
Il posa sa démission dans le but de se reconvertir dans le métier de médiateur. Certaines personnes de son entreprise tentèrent de l’en dissuader, puis l’acceptèrent : c’était sa vie.
Ses parents furent très déçus quand il leur annonça, surtout en apprenant qu’il n’avait pas d’autre poste en vue.
Il eut beau leur faire valoir qu’il avait trois mois avant d’être sans emploi, ils n’approuvèrent pas. Ils critiquèrent également sa décision de changer de carrière. C’était son premier vrai conflit avec ses parents.
Grégoire préféra ne pas l’aggraver en partageant avec eux sa bisexualité, mais se mit à fréquenter quelques bars gays où il put confirmer son attirance pour les hommes sans pour autant agir dessus. Aucun ne lui plaisait au point de vouloir franchir le pas. Par rapport avec le Gardien, ils étaient tous terriblement banals.
Quelques types flirtèrent avec lui, mais rien à faire, impossible d’oublier sa connexion avec le grand arbre de Versélia. Même en se répétant qu’il avait sûrement tout inventé, dans un coin de sa tête, il y avait toujours ce fameux « et si ce n’était pas le cas. »
Il comprit à quel point il n’arrivait pas à aller de l’avant quand il se retrouva à aborder un jeune homme pour la seule raison qu’il avait les cheveux verts, ce qui n’était rien d’autre qu’une teinture et évidemment, le jeune n’avait rien d’autre en commun avec le Gardien.
Il cessa aussitôt de sortir le soir et peu après ses efforts pour devenir médiateur. Ses tentatives pour mettre Versélia derrière lui ne fonctionnant pas, il ne lui restait plus qu’à tenter d’y retourner.
S’il avait déliré, il serait bon pour une inutile marche dans la forêt, mais cette fois, il serait équipé : tenue et chaussures adaptées, sac à dos rempli de provisions, boussole et carte.

lundi 1 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 60

Certaines de ses relations se montraient pleine de sollicitude, d’autres faisaient au contraire preuve d’une curiosité malsaine. D’autres encore ne savaient plus trop sur quel pied danser avec lui. Grégoire était inconfortable avec tous, y compris ses propres parents.
Prétendre avoir oublié lui pesait, mais il ne voulait pas parler de Versélia. C’était son jardin secret. Soit il avait tout inventé et le mentionner ne ferait qu’entraîner d’inutiles consultations médicales, soit c’était vrai et dans ce cas, c’était trop délirant pour que quiconque y adhère.
Lui avait envie d’y croire, car il ne voyait pas pourquoi il aurait imaginé survivre à une lapidation et à un incendie pour effacer d’autres événements traumatisants. Mais en même temps, toutes les créatures qu’il avait rencontré semblaient toutes droit sorties de contes de fée. Par ailleurs, le temps de sa disparation et celui passé à Versélia était différent et son ultime souvenir – nu sous la couverture après avoir fait l’amour – ne collait pas avec son réveil en costume.
Il avait tourné et retourné dans sa tête le problème, cherchant sans fin à démêler le vrai du faux, le réel de l’imaginaire. La lapidation et le feu pouvaient très bien refléter une partie de ce qui lui était vraiment arrivé et peut-être que ce qu’il avait imaginé vivre à Versélia n’était qu’un message de son inconscient pour l’inciter à changer de travail et à assumer sa bisexualité. Il n’était pas forcément souhaitable de découvrir ce qu'il avait véritablement vécu.
Mais il y avait toujours la possibilité que sa mémoire ne le trompe pas.  Après tout, le temps pouvait très bien s’écouler différemment à Versélia et quelqu’un avait très bien pu récupérer son costume et ses chaussures et les lui enfiler. Il ne pouvait toutefois s’expliquer les motivations de l’individu en question.
C’était si étrange qu’il se soit réveillé dans son monde juste après que sa discussion avec Neegr lui ait permis de comprendre qu’il voulait rester avec le Gardien. C’était si douloureux de se dire que l’homme-arbre et le nymphe n’étaient peut-être que des produits de son imagination.
Chaque nuit, il rêvait du Gardien, de sa chevelure verte broussailleuse, sa peau craquelée, sa voix grave et profonde, ses bras solides autour de lui. Il lui semblait qu’il l’appelait. Il dormait mal. Il avait été obligé de déserter son lit et son trop moelleux matelas pour camper sur le sol, mais même ainsi, il n’était pas bien. Il lui manquait la protection du grand arbre.