mardi 31 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 31

Il n’y avait ni garagiste ni informaticien à Versélia, mais à l’inverse, certaines professions  étaient inconnues au bataillon. L’homme-oiseau avait ainsi la qualification de « sage. » Chaque versélien était libre de choisir sa voie, mais certains en avaient une toute tracée par nature comme les dryades et les naïades.
— Est-ce que parfois, il n’y a pas des manques dans certains domaines ? Pas assez de paysan ou de médecin ?
— Cela arrive, mais tout finit par s’équilibrer.
— Et est-ce que certains ne profitent pas du système du tout gratuit pour paresser tandis que les autres s’échinent?
— Il y a des oisifs, oui, mais cela est contrebalancé par les plus actifs qui travaillent plus sans que personne ne les y poussent.
En comparaison, du côté humain, avec l’argent,  c’était pire avec une véritable exploitation du travail d’autrui, les plus riches abusant des pauvres.
La nuit était tombée et Grégoire était épuisé. Être boulanger était plus sportif qu’il n’aurait cru et les ultimes effets de la feufleur ne s’étaient dissipés qu’en fin d’après-midi.
Il aurait dû aller se coucher, excepté qu’il n’avait pas envie de quitter le Gardien, ce qui était absurde puisque le grand arbre serait toujours au même endroit le lendemain, à moins bien sûr qu’il ne décide de partir en balade.
Grégoire souhaitait le revoir sous sa forme humaine.
— Bonne nuit, dit-il sans conviction, se demandant si les arbres dormaient.
— Oui. A demain.
Grégoire ne bougea pas pour autant et tapota le tronc doucement, puis rougit en se rappelant comment il s’était frotté au Gardien pas plus tard que le matin même.
Il ferait vraiment mieux de regagner sa cabane. Soudain, le grand arbre vibra et se contracta, se transformant en homme.
Le cœur de Grégoire rata un battement tandis que le Gardien l’attirait à lui avec fermeté.
— Tu te métamorphoses souvent de la sorte ?
— Ce n’est jamais que la deuxième fois de ma vie.
Grégoire déglutit. C’était pour lui. Peut-être à cause de lui.
Le Gardien inclina la tête et rapprocha lentement ses lèvres de celles de Grégoire lui laissant tout le loisir de refuser le baiser qu’il lui donna.
Les doigts de Grégoire se refermèrent sur les biceps du Gardien. Tout son être respirait la force et la solidité. Sa langue en lui était chaude et tendre.

lundi 30 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 30

— Où en étions-nous ? demanda Vulkain.
Il devait parler de leur conversation, car pendant son échange avec le centaure, il n’avait cessé de mélanger la pâte.
— Ma vocation.
Le dragon l’interrogea, cherchant à déterminer les dispositions de Grégoire, mais ce dernier était ouvert à tout, y compris des métiers n’existant pas à Versélia qui ne possédait aucune technologie.
Vulkain conclut que le mieux pour Grégoire était de tester et il se décida enfin à lui faire mettre la main à la pâte pour qu’il découvre  l’art de la boulangerie.
Grégoire passa donc le restant de la journée à façonner toutes sortes de petits pains, assistant le dragon qui lui était indéniablement un boulanger passionné. Vulkain savait même mesurer la force de ses flammes pour allumer son four à la bonne température.
Le dragon l’invita ensuite à grimper sur son dos  afin de le conduire au service de transports des centaures. Grégoire pourrait ainsi s’initier à un autre métier le lendemain.
Vu la manière dont Galway l’avait traité, l’idée semblait mauvaise à Grégoire, mais il ne parvint à expliquer ses réticences au dragon qui avait une bonne opinion du centaure.
Évidemment, il fallut que Vulkain, après l’avoir introduit au vieux centaure qui gérait le service, fasse appel à Galway.
— Si tu veux bien que Grégoire t’accompagne pendant une partie de ta tournée…
Galway accepta sans même faire valoir que « l’humain » allait le ralentir. Peut-être ne pouvait-on rien refuser au dragon. Grégoire, lui, avait du mal en tout cas.
Vulkain insista ensuite pour le déposer chez lui. Voyager à dos de dragon était une expérience similaire à se déplacer sur un oiseau géant, les écailles remplaçant les plumes et Grégoire fut bien content de retrouver le plancher des vaches.
Son premier mouvement fut de se rendre auprès du Gardien pour lui conter les derniers événements. Ce n’est qu’après coup qu’il se rappela qu’il valait mieux qu’il garde ses distances, pour ne pas trop s’attacher à lui.
La voix du grand arbre lui parvint avec une clarté qui le surprit :
— Tu vas être bien occupé.
— Je ne vais en effet pas avoir le temps de m’ennuyer.
Il aurait pu mettre fin à la conversation et retourner dans sa cabane, mais il la relança, le questionnant sur les différentes activités qu’il était possible d’exercer à Versélia. En l’écoutant, il se dit qu’à la vérité, c’était trop tard : il y avait déjà une connexion entre le Gardien et lui.

vendredi 27 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 29

Des questions bien choisies du dragon amenèrent Grégoire à lui raconter ce qui lui était arrivé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, à l’exception notable de l’incident provoqué par Saphir.
Vulkain interpréta à sa façon le conseil de l’homme oiseau. Selon lui, Grégoire devait trouver sa vocation.
— J’ai déjà un métier qui me plaît et me convient, argua Grégoire, en expliquant en quoi il consistait.
Vulkain fit claquer sa longue langue reptilienne.
— Toutes ses réunions et déplacements ne te passionnent pas, même si je ne doute pas que cela te satisfasse sur certains plans.
Le dragon n’avait aucun moyen de le savoir, mais Grégoire ne protesta pas, réalisant qu’il avait raison.
Une bruit de cavalcade à l’entrée de la grotte coupa la conversation.
Le centaure qui avait apporté à Grégoire les habits cousus par Rufus, entra, chargé de deux gros sacs.
— Bonjour Vulkain ! Je t’apporte ta livraison de farine !
— Merci Galway, pose tout ça à l’endroit habituel, s’il te plaît.
Galway allait s’exécuter quand il remarqua la présence de Grégoire.
— Qu’est-ce que l’humain fait là ? demanda-t-il en le pointant du doigt, comme s’il était une chose.
— Il me donne un coup de main, répondit Vulkain.
Grégoire qui avait jusque là soutenu le regard noir du centaure, refusant de se laisser intimider, piqua du nez. Bavarder, ce n’était pas travailler.
Galway se débarrassa de sa charge.
— Je peux t’aider, si tu as besoin.
— N’as-tu pas d’autres livraisons ?
— Je le finirai plus tard en vitesse.
— C’est gentil, mais il n’est pas nécessaire que tu uses tes sabots pour mon compte et risque un accident.
— Tu es sûr ? Parce que vraiment, cela ne me dérange pas.
— Certain, gronda le dragon.
Après un salut, le centaure s’en alla, à reculons, non sans un dernier coup d’œil menaçant envers Grégoire qui peinait à comprendre pourquoi Galway qui s’était montré professionnel, mais somme toute aimable durant leur première rencontre, se montrait soudain si hostile.
Ce qui était terrible, c’est qu’aucune des règles qu’il connaissait ne s’appliquait à Versélia.

jeudi 26 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 28

— C’est aux aurores que j’étais en feu.
Saphir émit un soupir déçu.
— Je ne suis pas un lève-tôt, hélas.
Grégoire, se rappelant de ses désirs concernant le géant, décida de rajouter à ses regrets mal placés, afin de lui rendre en quelque sorte la monnaie de sa pièce.
— C’est Zarn qui m’a débarrassé de la fièvre qui m’habitait quand il est venu effectuer les finitions de mon logis.
— Je te ne crois pas !
— Et tu auras raison… Ce n’est guère agréable, quand les autres abusent de notre confiance, n’est-ce pas ?
— Je voulais juste te désinhiber. Tu étais si coincé.
Grégoire aurait sûrement fini par céder à ses avances en dépit de ce qu’il ressentait pour le Gardien...
A cette pensée, il oublia momentanément Saphir et les mots de Corbin, Neegr et de la vieille sirène lui revinrent simultanément à l’esprit : « peut-être décideras-tu de rester », « obtenir l’amour d’un arbre », « je te souhaite de trouver quelqu’un... »
Une relation avec le Gardien, même s’il pouvait prendre forme humaine, n’était pas envisageable. Il ne pouvait s’attacher à lui et réciproquement. Sa vie n’était pas à Versélia. Il devait « se trouver » et avant cela payer ses dettes envers le dragon et Rufus.
Les petites mains dorées du fée s’agitèrent devant ses yeux.
— C’est parce que tu es fâché envers moi que tu ne me réponds plus ?
Grégoire secoua la tête.
— Non, mais il va me falloir un moment pour digérer. Tu veux bien m’expliquer comment me rendre chez Vulkain ?
Saphir se proposa de le guider, mais Grégoire exprima son besoin d’indépendance et le fée s’empressa de répondre à sa demande. Il ne se sentait pas forcément coupable de lui avoir donné un aphrodisiaque, mais il était en tout cas désireux de rentrer dans ses bonnes grâces.
Grégoire s’habilla, en dépit de sa peau encore très sensible, et grâce aux indications du fée, il parvint seul jusqu’à la caverne du dragon.
Face à son accueil chaleureux, la légère crainte qu’il lui inspirait ne tarda pas à s’évaporer.
Au lieu de le mettre au travail, Vulkain voulut qu’il lui tienne compagnie.
Il y avait quelque chose de délirant à voir cette puissante créature pétrir une gigantesque boule de pâte blanche dans une vasque de pierre.

mercredi 25 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 27

Alors que la panique montait en Grégoire, incontrôlable, un craquement le poussa à se retourner.
Il vit alors un homme aussi étrange que magnifique qui avançait à pas lourds et lents. Il était grand, musclé, les membres noueux, la peau basanée et craquelée, les cheveux composés d’un extraordinaire camaïeu de vert. Pour tout vêtement, il portait une large feuille au niveau de son entrejambe.
— Grégoire...
Sa voix était douce et profonde, comme celle du Gardien.
— Comment ?
— Beaucoup de facteurs entrent en jeu. Je craignais que tu ne reviennes pas alors j’ai pris cette forme pour essayer de te retrouver, même si je ne peux pas trop m’éloigner de mes racines.
— Je n’aurais pas dû m’enfuir, mais je…
Grégoire s’arrêta, ne sachant comment exprimer sa gêne, sans froisser le Gardien.
— Je comprends. Du point de vue humain, c’était mal, mais à Versélia, cela n’a rien de répréhensible.
Le naïade Neegr avait laissé entendre quelque chose de similaire.
Le Gardien posa une main chaude et rugueuse sur la joue de Grégoire et continua :
— Ne te reproche rien. Ce que tu m’as donné, je l’ai grandement apprécié. Et s’il y a quelqu’un à blâmer, c’est Saphir…
Le Gardien s’interrompit, parut écouter quelque chose dans le lointain et reprit :
— D’ailleurs, il arrive. Pardonne-moi, mais je préfère  qu’il ne me voit pas ainsi.
Ses lèvres dures se posèrent brièvement sur le front de Grégoire et il retourna à son emplacement où il se métamorphosa en un instant, son corps se raidissant et grossissant, ses bras et ses doigts s’allongeant et se divisant en branches.
Il était à nouveau un arbre quand Saphir descendit du ciel jusqu’à Grégoire qui était encore tout abasourdi.
— Bonjour ! lança le fée, guilleret. Comment te sens-tu ce matin ?
— Trahi.
Le mouvement des ailes de Saphir s’accéléra.
— Pour quelle raison ? Tu n’as pas chaud sous cette couverture ? demanda-t-il en tentant d’en soulever un pan.
Grégoire l’en empêcha en s’écartant, furieux qu’il joue l’innocent.

mardi 24 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 26

— Tu as l’air secoué ? Tu n’as pas aimé ?
Si, il y avait pris du plaisir, et c’était bien le problème.
— C’est arrivé à cause d’un aphrodisiaque, murmura Grégoire, pour se justifier, mais cela sonna faux à ses propres oreilles.
A la base, il n’avait rien eu de sexuel dans sa façon de toucher le tronc de l’arbre, et il l’avait embrassé par jeu, mais il était probablement dendrophile. Il avait adoré parler au Gardien et en détresse, c’était vers lui qu’il s’était tourné. Le grand arbre avait alors crié pour lui venir en aide. Peut-être même avait fait-il pousser cette branche pour le satisfaire...
Réalisant qu’il n’écoutait pas son interlocuteur, Grégoire s’en voulut et avec embarras lui demanda de répéter.
— Je disais juste que je compatissais à ton désarroi. Mais, même si c’était malgré toi, c’est quand même beau que tu aies séduis un arbre.
— Pourquoi ?
— Parce en général, ils demeurent de marbre ou plutôt de bois en dépit des outrages qu’ils subissent. Et à moins d’être une dryade, communiquer avec eux nécessite une oreille attentive.
A l’idée qu’il était spécial pour le Gardien, une douceur chaleur se répandit dans Grégoire et il regretta d’être parti en courant. Il aurait mieux fait de discuter, même cela obligeait le Gardien à s’époumoner.
— Merci de m’avoir réconforté, dit Grégoire, choisissant de se rincer, en dépit de la présence de Neegr.
— De rien. Me révéleras-tu l’identité de l’arbre avec lequel tu as fricoté ?
Grégoire hésita, puis répondit :
— Le Gardien.
Le naïade siffla entre ses dents.
— Le doyen des arbres de Versélia. Rien que ça ! Mes amies dryades le croyaient éteint sur le plan spirituel, j’entends, puisqu’il est évident qu’il est toujours debout.
— Je vais retourner auprès de lui.
— Excellente décision ! Je serais bien venu avec toi, mais en tant que naïade, je suis lié à ma rivière.
Après un ultime remerciement, Grégoire s’enfonça dans la forêt et retrouva avec moins de peine qu’il ne le craignait la cabine que lui avait construit Zarn.
Il eut cependant un choc de taille en constatant qu’à l’endroit où aurait dû se dresser le Gardien, il n’avait rien d’autre qu’un cercle de terre.
— Ce n’est pas vrai…

lundi 23 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 25

Seulement, dans le cas présent, c’était une branche attachée à un arbre qui avait une conscience. Il n’était pas sûr que ce point aggrave ou au contraire rende acceptable ce qu’il envisageait de faire. Il avait le consentement du Gardien en tout cas…
Le cœur battant à tout rompre, il frotta la branche pour s’assurer qu’il ne risquait pas de se blesser avec.
— Je ne sais pas, dit-il. C’est mal, répéta-t-il. Mais il avait envie d’être soulagé.
Il enduisit le bois de salive et avec une extrême lenteur, il s’empala dessus.
Il tressaillit, et à son gland, une goutte de liquide séminal perla, car, alors qu’il ne bougeait pas, tâchant de s’habituer au corps étranger qui l’emplissait, il lui sembla que la branche grossissait et remuait en lui... Il caressa fébrilement son pénis et jouit dans un éblouissement.
Il se détacha ensuite du Gardien, les joues en feu, horrifié. Le désir qui le torturait depuis son réveil l’avait enfin quitté, l’obligeant à faire face à son acte. Il ramassa la couverture et s’enfuit droit devant. 
Le hasard le conduisit jusqu’à une rivière. Il s’arrêta, essoufflé. Quelque chose coulait le long de sa jambe. Il s’attendait à du sang, mais certes pas à cette substance orangée et translucide.
Il en recueillit sur son doigt et découvrit qu’elle était collante. C’était de la sève.
Songeant qu’il était au-delà de toute honte, mais gêné quand même, il décida de se laver dans la rivière.
Au même moment, une tête rousse apparut de derrière un rocher.
— Tu as réussi à obtenir l’amour d’un arbre. Je suis jaloux.
Grégoire se figea, confus, regardant l’homme vert émerger de l’eau vêtu d’un fin tissu blanc qui ne cachait rien.
— Lequel t’a donc honoré ? reprit l’inconnu, ses yeux noirs brillants de curiosité.
Finalement, il y avait pire que briser un tabou : que quelqu’un le sache. Sauf que l’homme vert considérait que loin de braver un interdit, Grégoire avait accompli un exploit.
— Mais où sont mes manières ? Je me présente, je suis Neegr, un naïade. Et toi, tu dois être le fameux humain fraîchement débarqué. Toute la forêt bruisse ta venue.
Grégoire acquiesça et donna juste son nom, et se recroquevillant, il se renveloppa dans sa couverture. Il se montrait aussi bavard que Zarn.

vendredi 20 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 24

Son état était peut-être dû à une autre fleur telle la plante de l’infusion de Zarn… Le géant cependant ne semblait pas du genre à lui jouer un tour pareil. En même temps, en tant qu’humain, Grégoire était susceptible de réagir différemment d’un Versélien.
Qu’il touche ou pas ne changeait rien à l’engorgement de son sexe, et il avait mal. Il gémit, s’emballa dans la couverture, même si son poids le gênait et en désespoir de cause, marcha vers le Gardien, son pénis tressautant à chaque pas.
Appuyant son front contre l’arbre, il confia à mi-voix son problème.
Un murmure à peine audible lui parvint :
— J’ai essayé de te mettre en garde hier, mais tu ne m’as hélas pas entendu. D’ailleurs, là, je suis en train de hurler. Bref, Saphir t’a donné un met aphrodisiaque qui doit être renforcé par les dernières perturbations de la feufleur.
— Mais pourquoi ? demanda Grégoire, en ne pouvant se retenir d’effleurer son sexe au gland rouge et luisant.
— La particularité de cet aphrodisiaque est que tant que tu n’auras pas réalisé un de tes fantasmes, tu pourras pas te calmer, et Saphir compte là-dessus. Il ne devrait pas tarder à récolter les fruits de sa tromperie.
Grégoire n’avait pas pour habitude de rougir, mais il vira à l’écarlate, car le seul désir inavouable qu’il avait consistait à découvrir son point P, autrement dit à ce qu’un autre homme le pénètre.
Qu’il n’ait pas su cacher son attirance pour le fée était une chose, que ce dernier en abuse de la sorte en était une autre. Il n’avait aucune envie que Saphir obtienne satisfaction.
Il lécha son majeur et l’introduisit en tremblant dans la raie de ses fesses. La couverture glissa de ses épaules sans qu’il ne cherche à la rattraper. Devant l’énormité de ce qu’il était en train de faire, du tabou qu’il n’avait jamais oser brisé, il se figea.
La tension sexuelle qui l’habitait, lui fit plonger un doigt, mais des larmes de frustration ne tardèrent pas à lui monter aux yeux. Il n’arrivait à rien.
— Tu peux te servir de moi, chuchota le Gardien.
Grégoire ne comprit pas ce qu’il voulait dire par là jusqu’à ce que ses yeux se posent sur une branche basse, lisse, épaisse, mais pas trop, au bout émoussé.
Il déglutit se rappelant d’un ses camarades d’université qui collectionnait les noms de déviances sexuelles comme d’autres les timbres. Dendrophilie : pathologie dans laquelle l’individu est excité par les arbres. Une autre pensée le traversa : les premiers jouets sexuels étaient en bois.

jeudi 19 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 23

— J’ai une livraison pour vous de la part de Rufus.
— J’ai quelque chose à signer ?
Le centaure haussa un sourcil et s’ébroua, secouant ses longs cheveux noirs qui avaient tout d’une crinière.
— Non, répondit-il finalement en détachant avec habileté son fardeau.
Grégoire le récupéra.
Le centaure le salua à la militaire, s’en fut au trot et revint au galop.
— Si vous avez besoin d’envoyer quelque chose à quelqu’un, n’hésitez pas.
Il remit la main à sa tempe et s’en fut sans laisser le temps à Grégoire de s’enquérir de comment il pourrait faire appel à ses services.
Grégoire ouvrit le sac.
Rufus y avait mis trois pantalons collants supplémentaires, un bleu, un rouge et un crème, trois chemises blanches et autant d’écharpes. Il avait joint en prime deux couvertures d’aspect moutonneux. Adjointes à celle donnée par les fées, elles éviteraient à Grégoire de coucher directement sur le plancher. Il veillerait toutefois à se procurer par la suite un matelas et un oreiller pour lesquels il devinait qu’il n’aurait pas à payer un centime. A la place, il aurait un service à rendre, à moins de s’en tirer avec un baiser ou une mèche de cheveux...
Entre l’absence de sensations et la nouveauté du lieu, Grégoire ne parvint pas à fermer l’œil pendant si longtemps qu’il faillit presque retourner s’installer contre le Gardien.
Il émergea toujours fatigué, la peau brûlante et le sexe tendu comme un arc d’une manière qui n’avait rien à voir avec une banale érection matinale. Il sentait tout de façon extrême : la dureté du sol, la douceur de la couverture sur lui…
Il bougea, la simple friction du tissu sur sa peau l’excitant davantage. Il se dénuda et caressa son membre dressé. Une plainte lui échappa. Il était extrêmement sensible et éjacula en un instant. Son pénis resta dur comme un roc malgré ça. Il l’enserra dans sa main, effectuant des mouvements de va-et-vient frénétiques, haletant, jouit encore, mais son sexe ne s’amollit pas pour autant.
Il recommença sans que son excitation ne faiblisse au point que cela en soit douloureux. Il chercha à se rassurer, ce devait être l’ultime effet de la feufleur, le contrecoup à son absence de sensations la veille, excepté qu’il ne voyait pas pourquoi son hypersensibilité le condamnait au priapisme. Et puis, Saphir l’aurait prévenu, non ?

mercredi 18 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 22

Zarn acheva son travail et leur fit signe de venir.
Grégoire poussa la porte de sa nouvelle demeure : elle n’était pas plus grande qu’un lit pour deux personnes et ne comprenait ni toilettes ni cuisine ou salle de bains, ce dont il s’était douté. Avoir un abri où dormir, un chez lui, restait réjouissant.
Il voulut aussitôt payer sa dette auprès du géant. Saphir, sans cacher qu’il n’avait aucune envie de lui tenir compagnie pendant qu’il accomplissait une tâche aussi modeste que de ramasser du petit bois, s’envola vers d’autres cieux.
Zarn, sans un mot, invita Grégoire à monter dans sa charrette. C’était presque comme être dans un pousse-mousse.
Ses quelques tentatives pour nouer la conversation tombèrent à plat et Grégoire décida de respecter le silence du géant.
Une fois dans la forêt d’hiver, Zarn lui montra où et quel type de branches prendre et ensuite comment faire des fagots.
Grégoire finit par craquer :
— Pourquoi parles-tu aussi peu ?
Zarn eut un haussement d’épaules que Grégoire ne sut interpréter. Il n’avait entendu le géant prononcer en tout et pour tout qu’une unique syllabe depuis qu’il l’avait rencontré. Peut-être Zarn jugeait-il que verbaliser n’était pas nécessaire, que les actes suffisaient, et peut-être avait-il raison...
Les fagots rangés près de la cheminée, Zarn le fit s’asseoir, s’activa un instant devant le feu, puis déposa devant lui une tasse fumante.
— Merci encore de m’avoir bâti une maison, dit Grégoire après avoir bu l’infusion préparée par le géant.
Zarn inclina la tête sur le côté.
— Je te raccompagne, déclara-t-il.
Le cœur de Grégoire rata un battement. Une phrase complète. C’était un miracle.
Cela l’embêtait que le géant se donne cette peine, mais en vérité, sans lui, il aurait été pour le moment bien incapable de rentrer dans son tout nouveau chez lui.
Ils ne conversèrent évidemment pas pendant le trajet et Grégoire en profita pour bien regarder autour de lui. Il voulait savoir comment passer d’une saison à l’autre.
Après l’avoir ramené à bon port, Zarn tourna les talons et Grégoire entra dans sa cabane qui comportait une unique fenêtre, dépourvue de vitre, mais refermable par un volet. De là, il pouvait voir le Gardien.
Trois coups fermes à la porte firent sursauter Grégoire qui ne s’attendait certes pas à de la visite, même s’il commençait à connaître du monde à Versélia.
Il se retrouva nez à nez avec un centaure qui portait un sac sur sa croupe d’un blanc immaculé.

mardi 17 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 21

— Je peux vous aider ? demanda-t-il à Zarn qui commençait à décharger.
Le géant secoua la tête.
Dire un mot lui aurait sûrement écorché les lèvres, songea Grégoire sans insister. Il n’était pas dans son état normal et avec son toucher défaillant, il était bien possible qu’il se blesse sans s’en rendre compte.
Il se contenta d’observer Zarn qui s’activait en silence, maniant les rondins comme s’ils n’avaient pesé plus que des cure-dents.
Le spectacle était fascinant autant pour la force du géant que pour la manière dont le bâtiment grandissait.
Saphir débarqua, à taille humaine, portant un panier débordant de provisions, juste avant que Zarn ne se lance dans la toiture.
Grégoire préféra lui présenter des excuses même s’il jugeait le fée également en tort, mais celui-ci ne voulut pas les entendre.
— N’en parlons plus.
Grégoire aurait aimé qu’ils en discutent afin d’éviter une répétition de la scène, mais craignant que Saphir ne se fâche aussitôt, il accepta. Pour la même raison, il se retint de mentionner Crystal.
Incité par Saphir, il se servit à manger.
Le jus du pricot coula dans sa bouche riche et sucré. Celui du fruit suivant qui lui était inconnu, mais qui entretenait une ressemblance frappante avec les pommes se révéla encore plus divin. Un gémissement de plaisir lui échappa. Pas de doute son sens du goût était de retour, plus développé que jamais.
— J’adorerai être celui qui provoque ce genre de son chez toi.
Grégoire faillit s’étouffer.
Saphir lui tapota le dos avec sollicitude.
Pendant un moment, il n’y eut plus que le bruit des rondins que Zarn agençait les uns avec les autres.
Grégoire ne savait pas comment répondre à cette avance on ne peut plus explicite.
Saphir, comme si de rien n’était, reprit la parole :
— Quand je le vois ainsi en action, je regrette vraiment que Zarn n’ait pas voulu de moi.
Saphir cherchait apparemment à avoir des relations sexuelles avec beaucoup de monde et y réussissait parfois, comme avec Sergeï le suceur.
Grégoire, avec prudence, se déclara flatté que le fée soit intéressé, mais expliqua sa gêne à franchir le pas avec quelqu’un du même sexe.
— Et pourtant, la manière dont tu me regardes est révélatrice. Je sais que tu es tenté. Enfin, nous verrons demain, déclara le fée avec un sourire espiègle.
Grégoire n’osa répliquer quoi que ce soit, et enfourna un autre fruit aussi juteux que savoureux.

lundi 16 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 20

— Je vais te préparer tout un jeu dans le même style afin que tu puisses tourner.
Grégoire profita que le sujet de la propreté ait été mis sur le tapis, même de façon indirecte, pour demander où il pouvait se laver.
Rufus l’invita à se doucher sous la cascade avoisinante, mais devant l’embarras de Grégoire de se montrer nu à la vue de tous, Crystal proposa de l’emmener aux bains du lac où un système de cabines permettait de préserver l’intimité de ses occupants.
Après avoir remercié Rufus, ils partirent donc. La propriétaire était une tortue géante qui n’avait pas sa langue dans sa poche. Même prévenu par le Gardien que certains animaux parlaient, et même après tout le reste, Grégoire eut du mal à s’en remettre.
Il fut soulagé quand elle l’introduisit dans un cabanon construit moitié sur la berge, moitié dans le lac dont l’eau était d’une tiédeur délicieuse.
Grégoire usa sans réserve de la mystérieuse boule blanche qui devait être un savon, heureux de se débarrasser de la crasse des jours précédents.
Il s’essuya avec la serviette d’une douceur incroyable et enfila ses habits neufs, toujours plus propres que les siens.
Crystal le conduisit ensuite à la sirène qui avait été mariée avec l’humain. C’était une gentille petite vieille ridée qui avait la particularité d’avoir un soutien gorge en coquillage et une queue de poisson. Elle lui souhaita de trouver l’amour à Versélia comme cela avait été le cas pour son défunt époux.
Après quoi, Grégoire préféra retourner auprès du Gardien, questionnant en chemin Crystal sur les manières de se repérer dans les bois.
La fée aux ailes irisées s’empressa de lui enseigner comment se débrouiller.
Elle était plus accommodante que Saphir dont les remarques étaient souvent mordantes. Grégoire regrettait malgré tout l’absence de ce dernier avec lequel il aurait aimé se réconcilier. Le soir arriva cependant sans qu’il se montre. Après un dîner sans saveur, Grégoire se pelotonna contre le Gardien.
A l’aube, des bruits étranges le réveillèrent. C’était Zarn qui tirait une charrette pleine de rondins. L’effort tendait les muscles de ses bras.
Le bonjour que Grégoire voulait prononcer mourut sous ses lèvres quand, en se levant, il réalisa qu’il ne sentait pas la dureté des racines apparentes du Gardien sous ses paumes.
Il effleura l’écorce du bout des doigts, mais elle n’était pas râpeuse. Il passa la main dans ses cheveux, mais ils n’étaient ni doux ni rien. C’était pour le moins déconcertant, même si ce n’était que l’affaire d’une ultime journée avant que tous ses sens ne soient enfin rétablis.

vendredi 13 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 19

Ce fut la lumière du soleil qui le réveilla. Quand il ouvrit les yeux, il fut ébloui par les couleurs. Le vert des feuillages environnants étaient si vif qu’il semblait étinceler.
Grégoire salua le Gardien, mais il eut beau tendre l’oreille, aucune réponse ne lui parvint. Il tapota le tronc, s’étira et se leva. Il était vraiment sale. Il faudrait qu’il demande aux fées où il pouvait se laver.
Son estomac gargouilla. Par chance, il restait deux fruits, des « pricots », apportés la veille par Saphir. Ils se révélèrent sans saveur, évidemment. Il était privé de goût aujourd’hui et aurait aussi bien pu manger de la terre…
Alors qu’il avalait la dernière bouchée, Crystal apparut sans son acolyte.
— Encore désolé, dit aussitôt Grégoire.
— C’est bon. Je ne suis pas rancunière, mais tu as vraiment vexé Saphir. Je viens te conduire chez Rufus. Ton habit est prêt.
— Merci.
Désireux de ne pas la contrarier, Grégoire évita de mentionner pour le moment qu’il voulait apprendre à se déplacer dans Versélia sans guide. Il commençait à se faire à l’idée qu’il n’était pas près de réintégrer son monde et ne pouvait en conséquence continuer à dépendre des deux fées.
Rufus l’accueillit à bras ouverts comme s’il avait été un ami et Grégoire en éprouva un embarras mêlé de gratitude.
Il ne put refuser d’essayer l’habit que l’homme  à tête de loup lui avait confectionné, quand bien cela avait tout d’un costume de théâtre.
Dans une petite tente plantée dans un recoin de la boutique, Grégoire ôta ses vêtements et enfila la longue et épaisse chemise blanche aux manches  bouffantes et un pantalon vert pâle aussi moulant qu’un collant qui l’obligea à retirer son caleçon trop large pour tenir dessous. Conformément aux instructions de Rufus, il noua ensuite une écharpe jaune autour de sa taille. Le reflet que lui renvoya le miroir ovale sur pieds installé dans ce qui avait tout d’une cabine d’essayage le surprit : oui, il semblait déguisé plutôt qu’habillé, mais cela lui allait bien et l’absence de sous-vêtement n’était pas inconfortable.
Quand il émergea, Rufus émit un grognement satisfait et Crystal applaudit des deux mains.
— Il n’y a pas couturier plus doué que toi dans tout Versélia !
— Dommage que vous autres fées, vous passiez de mes services.
— Ce n’est pas vrai, nous faisons appel à toi pour les fêtes, seuls moments où nous nous habillons !
Rufus balaya l’argument d’un geste de la main, et les deux bracelets d’or à son poignet tintèrent.

jeudi 12 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 18

— Je ne me sens pas de marcher à l’aveuglette.
— Hier tu n’avais pas cette excuse. Très bien, reste donc collé au Gardien. Au revoir.
Grégoire le rappela en vain. Il l’avait encore fâché. Un long soupir lui échappa.
La voix profonde du Gardien retentit :
— Ne t’en fais pas. La nouveauté que tu représentes pour lui est trop grande, tôt ou tard, il reviendra.
Grégoire sourit, il n’était seul et abandonné à son triste sort, et laissa libre cours à sa curiosité.
— Pourquoi as-tu gardé le silence quand il était là ?
— Il est inutile de se fatiguer à communiquer avec quelqu’un qui ne croit pas qu’on ait des choses à dire.
— Avec moi, tu t’es donné cette peine pourtant…
— Ah, mais j’ai essayé longtemps avec Saphir et bien d’autres, mais il semblerait qu’avec les siècles, ma voix soit moins puissante. Toi, je tenais à te rassurer et te réconforter et privé de ta vue, ton ouïe renforcée par la feufleur a fait le reste.
Cela devait être dur de ne pouvoir échanger avec les autres.
— Tu souffres de la solitude ?
— Je ne suis pas vraiment seul, j’abrite dans mon tronc et mes branches, oiseaux, écureuils et insectes, mais oui, parfois.
— Sans oublier un humain dans tes racines… fit remarquer Grégoire avec amusement. Zarn doit me construire une habitation ici, ajouta-t-il.
— C’est un très bon endroit.
Le Gardien et Grégoire discutèrent longuement de la forêt versélienne par rapport à celle des humains.
Grégoire apprit entre autres que chaque versélien était lié à un élément, les dragons ayant la particularité d’être associé aux quatre : ils volaient dans les airs, crachaient du feu, respiraient sous l’eau et faisaient trembler la terre sous leurs pas. C’étaient eux les plus puissantes créatures de Versélia.
La bâillements de Grégoire d’abord espacés et discrets se multiplièrent.
— Tu es fatigué, dors donc.
Grégoire ne pouvait nier l’être et s’il luttait contre le sommeil, c’est qu’il regrettait l’idée de ne plus pouvoir entendre le Gardien le lendemain.
Le sommeil finit néanmoins par avoir raison de lui.

mercredi 11 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 17

Il était encore en train de se confier quand une voix désormais familière l’interrompit : celle du fée aux cheveux bleus.
— Bonjour ! Si tu parles au Gardien, tu peux attendre longtemps une réponse. Les dryades et nymphes des bois sont des pipelettes, mais nul n’est attaché à cette vieille branche.
Grégoire en déduisit que le fée n’entendait pas le grand arbre. Il attendit un commentaire de ce dernier qui ne vint pas, puis jugea préférable de changer de sujet.
— Crystal n’est pas avec toi ? demanda-t-il, la fée aux ailes irisées ne s’étant pas encore manifesté.
A force de les voir ensemble, il avait fini par les croire inséparables.
— Non. Tu devras te contenter de moi. Je t’ai amené des tas de mets différents, comme demain tu n’auras goût à rien.
— Merci, c’est gentil. Je suis désolé pour mon mouvement d’humeur hier. Tu voudras bien transmettre mes excuses à Crystal ?
— Oui, mais décidément, tu ne penses qu’à elle, alors que c’est moi qui suis venu bravant ta colère.
A son ton, Grégoire comprit qu’il était vexé.
— Je suis ravi de ta présence, assura-t-il, même s’il éprouvait une pointe de regret à ce que le Gardien semble préférer se taire devant Saphir.
Il sentit le fée s’approcher, ses ailes brassant l’air. Il sursauta néanmoins quand quelque chose se posa sur son épaule.
— Ce n’est que moi…
— Oui, pardon.
— Tu n’aimes pas qu’on te touche ?
— Ce n’est pas ça, c’est juste que cela m’a surpris. Je ne suis pas habitué à ne pas voir.
— Ce qui est prévisible et prévu n’est pas drôle pourtant. La routine est mortellement ennuyeuse.
Grégoire n’était pas de cet avis et il avait eu sa dose d’aventure et d’inédit pour le restant de ses jours.
— N’hésite pas à humer une feufleur, plaisanta-t-il.
Saphir eut un rire crystallin.
— Déjà fait ! C’était décevant !
Grégoire ne savait pas ce qu’il lui fallait.
Il mangea ce que Saphir plaçait dans sa main avec précaution, inquiet de se salir. Il n’avait aucune idée de ce qu’il mettait à la bouche, mais n’en aurait pas eu plus, même en les voyant. La nourriture versélienne lui demeurait étrangère.
Le repas terminé, Saphir voulut l’emmener se promener, ce que Grégoire refusa avec autant de tact que possible, ce qui n’empêcha pas de froisser son interlocuteur.
— Tu ne vas pas pourrir là pendant encore une journée, tu vas finir par prendre racine !

mardi 10 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 16

— Nous n’avons pas tous cette capacité, toujours est-il qu’avant que la feufleur ne bouleverse tes sens, mes paroles ne t’atteignaient pas.
Présenté de la sorte, cette horrible expérience de perte des sens prenait une coloration nouvelle. Cependant, cela n’aurait pas gêné Grégoire de continuer à ignorer le niveau de conscience du Gardien.
Heureusement qu’il avait uriné dans les buissons plus loin et non au pied du grand arbre. Il l’avait toutefois bel et bien utilisé comme siège et oreiller...
— Te voilà bien songeur.
Grégoire se décolla du tronc, soudain troublé. Il l’avait aussi caressé et embrassé…
— Cela ne me dérange pas que tu t’appuies sur moi. Mieux vaut d’ailleurs que tu ne t’éloignes pas pour le moment dans la mesure où tu es aveugle.
Grégoire se réinstalla.  Ses sens retrouvés, il ne pourrait probablement plus converser avec le Gardien alors c’était l’occasion ou jamais.
— A quoi reconnaît-on un arbre muet d’un bavard ?
— Il n’y a pas de différence apparente entre ceux sans âme et les autres, il suffit de savoir écouter. C'est pareil pour les animaux d'ailleurs.
— Sans âme ? répéta Grégoire.
Du point de vue religieux, cela avait de quoi interpeller.
— Par opposition à ceux qui ont conscience d’exister et qui pensent.
Grégoire rouvrit les yeux et les referma aussitôt. Les garder clos rendait son absence de vision moins pénible.
— C’est comment d’être un arbre ?
Le Gardien émit un bruissement étrange qui devait être un rire.
La maladresse de sa question frappa Grégoire, mais à sa décharge, il n’avait jamais appris à se montrer sociable avec un arbre. A Versélia, toutes les règles étaient changées et à découvrir.
— C’est accueillir en son sein de nombreux animaux et les protéger, goûter au soleil, à la pluie et au vent, et tenter de toucher le ciel de ses branches tout en plongeant au plus loin ses racines dans la terre.
La réponse s’appliquait à tous les arbres et non au Gardien en particulier, mais elle était belle. Grégoire n’aurait su définir ce que c’était être humain avec autant de simplicité et de poésie.
— Je suppose que tu… vous avez suivi ce qui m’étais arrivé depuis que je me suis égaré…
— En partie, tu n’étais pas tout le temps sous ma ramure, alors je suis tout ouïe.

lundi 9 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 15

Crystal et Saphir l’assommèrent d’informations.
La majorité des fruits et fleurs aux effets nocifs poussaient dans les marécages et il en existait une vraiment longue liste. Les fées, sans doute désireux de contrebalancer, détaillèrent également ceux et celles dont le parfum ou l’ingestion avaient des conséquences positives.
Grégoire les écouta avec attention, cherchant malgré lui à intervalle régulier à sentir quelque chose, n’importe quoi, en vain.
Le soir venu, ils le laissèrent. Grégoire se blottit une fois de plus dans les racines du Gardien où il savait pouvoir dormir à l’abri, même en l’absence de toit.
Au matin, il fut assaillit par toute sortes d’odeurs, comme si en avoir été privé ne serait-ce qu’une journée avait aiguisé son sens olfactif. C’était déroutant, d’autant que le silence était assourdissant.
Quand les deux fées qui décidément l’avaient pris sous leur aile apparurent, chargées de provisions, il vit leurs lèvres bouger sans rien entendre.
— Je suis sourd, déclara-t-il, puis il se tut.
C’était trop bizarre que sa propre voix ne parvienne pas à ses propres oreilles.
Il leur demanda de partir.
Les deux fées parurent vexés, mais après un échange que Grégoire ne put comprendre, elles s’envolèrent au loin.
Grégoire regretta aussitôt des les avoir chassés. Peut-être avait-il crié sans s’en rendre compte et que Saphir et Crystal l’avaient cru fâché alors qu’il était juste malheureux.
Tous les versaliens s’étaient montrés gentils et accueillants, mais cela ne l’empêchait pas d’être triste : ce n’était pas son monde et cette perte des sens était un cauchemar.
La journée s’étira en longueur, affreusement silencieuse avant que la nuit n’arrive enfin, permettant à Grégoire de s’évader dans le sommeil.
De bruyants chants d’oiseaux le réveillèrent, mais il eut beau cligner des yeux, il demeura dans le noir le plus complet.
Quelques larmes roulèrent sur les joues de Grégoire.
— Tu vas guérir, déclara une voix douce et lointaine semblant venir des profondeurs de la terre.
— Qui est là ? demanda Grégoire aussitôt, se rencognant contre le tronc.
Ne pas voir le rendait vulnérable.
— Je suis le Gardien. Je te prodigue des mots de réconforts depuis ton arrivée, mais tu ne les percevais pas, du moins pas consciemment.
— Les arbres ne parlent pas… bredouilla Grégoire.
Il n’aurait pas dû être surpris après tout le reste, mais il l’était quand même.

vendredi 6 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 14

Zarn sortit un mètre de la poche de son pantalon et mesura la taille de Grégoire. Il leva ensuite une de ses grandes mains, agita quatre doigts épais et s’en fut, les abandonnant sans même un regard.
— Il est parti se mettre au travail, expliqua Saphir.
— Ce n’est pas un bavard, commenta Crystal.
C’était un euphémisme.
Vouloir uniquement connaître la localisation pour bâtir une habitation sans même questionner le nombre de pièces désiré,  semblait léger, mais c’était gratuit et Zarn ne manquait pas de talent, son logis en était la preuve.
— Je n’ai vraiment rien à payer ? s’enquit Grégoire, gêné de la générosité versélienne.
— Zarn a accepté que tu l’aides à ramasser du petit bois pour son feu, répondit Saphir.
— Laissez-moi deviner, il a juste pointé sa cheminée en hochant la tête…
Les deux fées opinèrent, Crystal précisant que Grégoire n’aurait à faire des fagots qu’une fois que Zarn aurait fini de lui construire une habitation.
Saphir était en train de suggérer qu’ils se rendent à présent chez la sirène qui avait été mariée au précédent humain quand Grégoire se rendit compte qu’il ne sentait pas la bonne odeur du feu qui crépitait pourtant dans le foyer de pierres.
Il inspira profondément, narines frémissantes, mais rien.
Il s’en ouvrit aussitôt aux fées, s’attendant presque à ce qu’elles lui expliquent que c’était normal dans la forêt hivernale, mais les mouvements des ailes des deux fées s’accélèrent, trahissant une certaine nervosité.
— Uh oh, lâcha Saphir.
— Les feufleurs ne poussent pas au printemps, s’étonna Crystal.
— Mais c’est un des symptômes caractéristiques que la perte d’odorat. Ensuite c’est l’ouïe, puis la vue, le goût et enfin le toucher qui sont atteints.
Grégoire interrompit leur échange, essayant d’étouffer la panique qui montait en lui.
— Ce n’est que temporaire ?
— Cela dure cinq jours. Mieux vaut retenir son souffle près des feufleurs.
Excepté que c’était trop tard.
— Le dernier jour, je serais privé de tous mes sens ?
— Non, c’est un à la fois. Ce serait par trop horrible, sinon, murmura Crystal.
— Il y a d’autres fleurs à éviter ?
Saphir et Crystal en citèrent tour à tour avec rapidité tels deux joueurs de tennis se renvoyant la balle.
Impossible de tout retenir en une fois.
Grégoire décida de reporter la visite à la sirène et préféra retourner près du Gardien. Son absence d’odorat le déroutait et la perspective d’être tour à tour aveugle et sourd était trop angoissante pour qu’il ait envie de faire la conversation. Il était prêt par contre à en apprendre plus sur Versélia et ses dangers.

jeudi 5 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 13

Tout ayant été déjà planifié, Grégoire n’eut plus qu’à se laisser faire. Il n’était de toute façon ni en état ni en position de discuter de quoi que ce soit.
Avec enthousiasme, Rufus chercha vêtements et étoffes et finit par prendre les mesures de Grégoire, tout en ne cessant de parler chiffons d’un ton passionné.
Il ne tarda pas à affirmer qu’il souhaitait confectionner une habit adapté à Grégoire qui n’aurait qu’à passer le prendre d’ici trois jours. L’homme-loup sélectionna déjà pour lui une paire de chaussures dans un tissu souple.
A la différence des vêtements, ce n’était pas lui qui les fabriquait, mais des lutins avec lesquels il travaillait de concert. Encore un détail qui semblait tout droit sorti d’un conte.
Grégoire repartit donc avec un sac en tissu contenant un manteau plié avec soin et délicatesse par Rufus et des nouvelles chaussures aux pieds. En temps habituel, il lui fallait toujours du temps pour faire une paire neuve, mais celle-là, il l’avait trouvée confortable dès qu’il l’avait enfilée et c’était tant mieux car il y avait une trotte jusqu’à chez Zarn le bâtisseur se trouvait dans la partie hivernale de Versélia.
Dès que l’air fraîchit, Grégoire remit sa veste de costume avant de s’arrêter un kilomètre plus tard pour mettre à profit son nouveau manteau, long, ample et chaud avec des larges boutons.
A mesure qu’ils progressaient, le froid s’intensifia et les branches noires et nues des arbres se poudrèrent de blanc.
Sous les pas de Grégoire, la neige crissait, mais sans pour autant détremper ses minces chaussures, ce qui était étonnant.
Il était perturbé de passer des tropiques au pôle nord, mais il continua à satisfaire la curiosité des fées sur son monde.
Zarn habitait dans une haute et belle cabane de rondins de bois.
Crystal toqua à la porte et son occupant l’ouvrit, emplissant tout l’encadrement.
L’homme était immense, massif et barbu. Il faisait largement plus de deux mètres estima Grégoire qui se sentit pour la première fois petit avec son mètre quatre vingt.
Sans un mot le géant retourna à l’intérieur et les deux fées l’y suivirent quand bien ils n’avaient pas été invités à entrer, aussi Grégoire les imita.
— Où ? demanda Zarn d’une voix puissante.
Grégoire se dit qu’il avait raté une étape. A coup sûr, Crystal et Saphir étaient déjà passés chez le bâtisseur.
Le fée aux cheveux bleus vola au propre et au figuré à son secours.
— Zarn veut savoir où tu souhaites t’installer, chuchota Saphir à son oreille.
— Dans la forêt du printemps, près du Gardien, répondit Grégoire sans hésiter.

mercredi 4 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 12

Quand il revint au pied du Gardien, le jour était levé. Il se demanda si les deux fées voudraient encore un baiser pour leurs services de guides. Il leur était redevable, mais céder à la tentation de goûter à la bouche Saphir, c’était briser un interdit et ne pouvait être considéré comme un paiement ou alors il était bon pour embrasser le Gardien qui avait veillé sur son sommeil à deux reprises.
A sa connaissance, il n’y avait pas de règle à ce sujet, même s’il doutait que quiconque sain d’esprit fasse ce genre de chose. Plus par dérision qu’autre chose, Grégoire pressa brièvement ses lèvres contre le tronc râpeux.
Peu après, les deux fées arrivèrent en voletant.
— Prêt à te rendre à pieds chez Rufus ?
Grégoire acquiesça.
Un tour en oiseau géant ne lui aurait pas déplu, mais s’il continuait à donner des mèches de cheveux, il finirait par avoir un trou, car malheureusement pour lui, sa dernière visite chez le coiffeur était récente et sa coupe courte.
Grégoire ne put rater le passage de la forêt printanière à l’estivale, la chaleur y était tropicale.
Il retira sa veste de costume. Avec tous ses changements de température, il était bon pour tomber malade. Il jeta un regard envieux aux corps nus et dorés des petits fées qui s’ajustaient à leur environnement sans souci.
Comme Vulkain le dragon boulanger et Sergeï le suceur, Rufus résidait dans une grotte située tout près d’une cascade au milieu d’une végétation luxuriante.
Cependant, l’intérieur débordant de tentures et soies masquaient les murs de roches donnant l’impression d’être dans une vaste tente.
Le plus étonnant était encore le propriétaire des lieux un homme avec une tête et une queue de loup blanches vêtu d’un pantalon noir bouffant, et d’une jaquette rouge sans manche brodée qui dévoilait un torse musclé et imberbe. Des sandales dorées rappelant la couleur de yeux complétaient l’ensemble.
Il tendit une main manucurée à Grégoire.
— Enchanté, Crystal et Saphir m’ont beaucoup parlé de toi.
Il avait une avantage sur lui, mais comment reprocher aux fées d’avoir omis de le prévenir que Rufus était un homme loup ? C’était la norme à Versélia.
La voix de Rufus était grave et sa poigne ferme. L’homme-loup poursuivit :
— Je t’ai mis un manteau de côté qui devrait t’aller comme un gant. Après, si tu préfères du sur-mesure, il n’y a pas de problème. Maintenant que je t’ai vu, je compte te dénicher la tenue parfaite. Et si tu tiens absolument à me payer, je compte sur toi pour mon inventaire dans vingt jours.

mardi 3 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 11

Un oiseau eut tôt fait de les conduire à destination. Les deux fées, respectant le vœu de Grégoire, repartirent sur le champ, mais revinrent peu après avec une couverture moelleuse et vaporeuse et une corbeille de fruits inconnus.
Grégoire n’eut plus qu’à les remercier et accepter qu’ils viennent le lendemain pour continuer à lui faire visiter Versélia et l’aider à s’installer.
Épuisé, Grégoire se rencogna dans les racines de l’arbre et posa la tête contre le tronc. Il repensa à  ce qu’il avait vu et toutes les personnes qu’il avait rencontré tout en caressant machinalement l’écorce du bout des doigts.
Sa situation était dingue. Si jamais il parvenait à retrouver le chemin jusqu’à chez lui et qu’il lui prenait l’envie de raconter son aventure, il aurait le droit à une cellule capitonnée.
Grégoire s’apaisa peu à peu, aidé par la solitude et le fait d’être dans un coin de forêt plutôt ordinaire. Être adossé au grand arbre avait par ailleurs comme un effet calmant sur lui. Ses paupières se fermèrent doucement et le sommeil l’emporta.
Quand il se réveilla, la nuit était claire, signe que le jour n’était plus loin. Il aurait presque pu croire avoir rêvé les deux fées et tout le reste, s’il n’avait senti une légère démangeaison là où Sergeï le suceur l’avait mordu.
Grégoire se leva et s’étira. Il se devait de tenter de regagner son monde. Pour entrer dans Versélia, il avait bien dû passer par un endroit spécial.
Il se mit en marche non sans se retourner régulièrement. Il ne voulait pas perdre de vue le Gardien qui consistait un excellent point de repère. Il voulait pouvoir, au besoin, revenir sur ses pas.
Il n’était pas un expert en plantes, mais comme il ne reconnaissait rien dans la végétation environnante, il en déduisit qu’il n’était pas dans la bonne direction et bifurqua, mais rien à faire, il demeurait en terrain inconnu.
Ses chaussures de ville étaient fichues désormais et son costume avait souffert après deux nuits passé dedans. Grégoire se sentait sale et découragé. Il fit demi-tour, ne s’arrêtant qu’un instant pour humer des fleurs dont une splendide aux pétales semblables à des flammes et au parfum riche et capiteux.

lundi 2 juillet 2018

Bienvenue à Versélia - 10

La situation se prolongeant, la tête de Grégoire devint légère et sa vision se troubla.
— N’est-ce pas suffisant ?! s’écria soudain Crystal.
Sergeï se détacha en douleur et lécha sa morsure, arrachant un frisson de plaisir à Grégoire.
— Un véritable nectar. Il est 100% pur.
— Je n’ai rien d’un innocent, protesta Grégoire, se rappelant des relations physiques qu’il avait eu et des fois où il s’était masturbé.
— Il ne parle pas sexuellement, précisa Saphir. C’est une question de bonté. Nous sommes tous plus ou moins gentils, ou au contraire méchants.
Le souvenir de jeux vidéos auxquels il avait joué dans son adolescence, sans excès bien sûr, remonta à l’esprit de Grégoire. Dedans, il fallait  choisir son camp, être plus ou moins du côté du bien ou du mal ou encore adopter une position neutre.
Grégoire essayait de toujours bien se comporter, mais il n’était certes pas blanc comme neige. Il tenta de le faire valoir à ses interlocuteurs, mais Sergeï était certain de ne pas s’être trompé.
— Qu’est-ce que cela change au final que je sois 100% bon ou pas… Je suis coincée ici de toute façon, se découragea Grégoire.
— Cela permet de déterminer que ton élément n’est pas le feu et que ta place n’est ni dans les marécages ni à ses abords.
— Parce que les « méchants » sont forcés d’y vivre, c’est comme un ghetto ? voulut savoir Grégoire.
Le terme était inconnu aux Versaliens qui l’assurèrent que personne n’était contraint à rien. Seulement, de la même manière que les papillons sont attirés par la lumière, certains êtres l’étaient par l’ombre.
Grégoire fut d’autant moins convaincu qu’il était pour sa part à priori obligé de rester à Versélia au lieu de pouvoir retrouver son rassurant et familier quotidien.
Il les écouta débattre de la prochaine étape - des habits chez Rufus ou bien la commande d’un futur logis à Zarn le bâtisseur puisqu’il lui était impossible de dormir avec les fées dans les nuages  - mais il n’avait plus envie de voir quiconque. Il demanda à être ramené là où les deux fées l’avaient trouvé, à l’arbre qu’ils appelaient le Gardien, il souhaitait se reposer et réfléchir.
Saphir et Crystal cherchèrent à le dissuader, mais Sergeï jugea que c’était une bonne idée.
— Laissez donc lui le temps d’assimiler et digérer son nouvel environnement.