vendredi 29 juin 2012

Rendez-vous manqué - 33

Beckett ne put venir ni lundi, ni mardi, ni même  mercredi. Il avait des devoirs à faire et des leçons à réviser. Il avait trop repoussé le moment de s'y atteler afin de passer le plus de temps possible avec Al, mais maintenant, à moins de se payer des mauvaises notes, il n'avait plus le choix. Le jeune homme invisible, au téléphone, avait tenté de le convaincre de venir les faire chez lui, mais l'adolescent avait refusé. Il craignait de ne pas réussir à se concentrer chez Al et il tenait à appaiser ses parents qui n'étaient pas ravis qu'il rentre tard tous les soirs.
Le jeudi soir, vers 17 heures, quand il revint chez Al, enfin à jour sur son travail scolaire, la première chose que fit Al, ce fut de le serrer contre lui et de l'embrasser, cherchant à lui transmettre à quel point il lui avait atrocement manqué. Hélas, Beckett ne parut pas très réceptif.
– Ça ne va pas ? s'enquit le jeune homme invisible, déçu et inquiet à la fois.
– Tu es venu au lycée en douce ? demanda l'adolescent, sans prendre la peine de répondre à la question qui lui avait été posée.
Al avait été d'autant plus tenté de le faire que la température était clémente ces derniers jours, mais il y avait renoncé afin de ne pas déranger l'adolescent.
– Non. Je t'aurais prévenu à l'avance.
Beckett passa une main lasse à l'arrière de son crâne.
– C'est bizarre. J'ai eu la sensation d'être observé aujourd'hui et à plusieurs reprises, j'ai comme senti un souffle dans mon oreille.
– Je te promets que je n'ai pas quitté mon appartement.
– J'ai dû prendre mes désirs pour la réalité, alors...
– Que veux-tu dire par là ?
– Que j'avais envie de te voir. Enfin, façon de parler. Ce qui est bizarre, ce que les autres fois où tu m'as regardé à mon insu, je ne m'étais rendu compte de rien. Mais j'ai dû rêver.
Comme Beckett faisait un petit geste de la main pour signifier que tout cela était sans importance, Al, soulagé d'avoir manqué à l'adolescent, l'embrassa à nouveau, obtenant cette fois une réaction autrement plus enthousiaste.
Après quoi, le jeune homme invisible donna à Beckett  le double des clefs qu'il avait retrouvé au fond d'un tiroir, puis il ne put résister à l'envie de lui montrer le lit double qu'il avait reçu le matin et passé l'après-midi à mettre en place. Il avait viré les deux autres à la cave. Beckett, tout naïf qu'il était, n'était pas innocent au point d'occulter à quoi allait servir le grand lit.
– On ne va pas faire l'amour en plein jour... hein ? balbutia-t-il, soudain fasciné par les chaussettes oranges qu'il portait.
– On pourrait, pourtant. Mais je te montrai juste le lit.
– Oh...
Al était amusé que cette fois, ce soit Beckett qui se soit trompé sur ses intentions. Enfin, pas complètement. Maintenant qu'ils étaient juste devant le lit, il était diablement tenté de le pousser dessus, de lui ôter tous ses vêtements  un à un tout en faisant courir ses mains invisibles sur sa peau et de découvrir quel visage Beckett avait quand il jouissait.

jeudi 28 juin 2012

Rendez-vous manqué - 31 et 32

Quand Al émergea le lendemain matin, il constata que lit à côté du sien était vide. Il se leva avec précipitation, craignant que Beckett ne soit parti à cause de leur intimité de la nuit dernière. C'était une inquiétude irationnelle et un bruit provenant de la cuisine le rassura de suite.
Beckett, vêtu de son jeans de la veille et d'un t-shirt jaune canari, les pieds nus, était en train de tremper une biscotte recouverte de confiture dans un bol de lait chocolaté. En silence, Al le regarda s'enfiler cinq autres biscottes avec un bel appétit, puis laver son bol et passer un coup d'éponge sur la table. L'adolescent gagna la salle de bains où il se lava les dents avant de revenir dans la chambre, en marchant à pas de velours.
En voyant sa couette mal remise sur son lit, Al comprit qu'il était plus que temps qu'il manifeste qu'il s'était levé. Même s'il y avait quelque chose de fascinant à regarder quelqu'un qui se croyait seul, il n'aurait pas dû l'espionner ainsi.
– Bonjour !
Beckett sursauta et fit volte-face, la voix étant située derrière son dos.
– Al ! s'exclama-t-il, la main sur le coeur, comme quelqu'un qui a eu peur.
– Désolé. Je t'ai vu petit déjeuner, avoua Al.
– Tu aurais pu me prévenir que tu étais réveillé !!
– Pardon.
Beckett avait toutes les raisons d'être contrarié. Al n'aurait pas dû profiter de la sorte de son invisibilité.
– Non, c'est moi. Je me suis servi dans ton frigo et dans ton placard sans autorisation, mais j'avais trop faim. Et à t'écouter respirer, tu semblais encore profondément endormi.
– Cela ne me dérange pas. Tu es encore en pleine croissance, c'est normal.
– Si tu veux, je peux aller acheter du pain et des vienoiseries.
Le pain frais et autres douceurs de boulangerie, Al n'en mangeait pour ainsi dire jamais. La dernière fois qu'il avait essayé, la boulangère s'était évanouie. Heureusement, les pains au chocolat congelés existaient.
– Je préférerai que tu restes avec moi. Surtout que toi, tu n'en as pas eu.
– Bah oui, sinon, j'aurais été obligé de te réveiller pour rentrer dans l'appart.
– Je dois avoir un double qui traîne quelque part. Je le retrouverai et te le donnerai pour les prochaines fois.
Cette marque de confiance parut enchanter Beckett et Al nota la recherche des fameuses clés supplémentaires dans sa liste mentale de choses à faire.
La matinée passa en un clin d'oeil, sans qu'ils reparlent des aveux ou des caresses de la veille, s'en tenant à de simples, mais ô combien délicieux baisers. Cependant, Al était certain que dans les circonstances s'y prêteraient, ils recommenceraient et iraient même plus loin dans l'exploration mutuelle de leurs corps...

L'après-midi, comme il faisait beau, ils se rendirent comme prévu au parc. Beckett tenait son téléphone portable collé à son oreille, pour faire comme si tandis que Al chuchotait. Il avait beau être invisible, il était audible, mais en parlant bas, les gens pouvaient toujours croire que la seconde voix provenait du mobile.
Le soleil étant au rendez-vous, le parc grouillait de monde, contrairement au dimanche pluvieux et sinistre où ils s'étaient rencontrés pour la première fois. L'ambiance était très différente avec les rires d'enfants et les bavardages des adultes qui se promenaient ou paressaient sur les pelouses.
Beckett, en amoureux de la nature, donnait à Al le nom des fleurs et des arbres. Comme l'adolescent pointait du doigt une buisson, attirant quelques regards étonnés puisqu'il était au téléphone, Al le mit en garde. Cependant, Beckett rétorqua qu'il s'en moquait. Quelle importance si des inconnus le prenaient pour un cinglé ?
– Il y a toujours la possibilité que tu croises des gens qui te connaissent, répliqua Al, en obligeant l'adolescent à baisser le bras qu'il venait de lever vers le feuillage d'un arbre au large tronc.
– Rabat-joie, soupira Beckett.
Al voulut protester qu'il agissait de la sorte pour le protéger, mais fut coupé dans son élan par la sonnerie tintinabulante du mobile de l'adolescent.
Beckett qui avait déjà son téléphone prêt à l'emploi, décrocha immédiatement.
– Salut Garance ! Oui... Tu as posté hier soir l'article sur Al sur ton site internet ? Je t'avais pourtant demandé de ne pas le faire... Quoi ? Tu es déçu parce que les gens qui commentent disent que tu as tout inventé et que les photos sont truquées ? Cela aurait été mieux si Al avait été moins beau, cela aurait fait plus crédible !? Non, je ne te plains pas ! Et puis quoi encore !? Ah... il y quand même une personne qui te croit et qui voudrait entrer en contact avec lui... Oui, je suis avec lui... Non, je ne te le passerai pas... Oui, c'est ça, je lui transmettrai. Bye. A demain.
Même sans avoir bien entendu ce qu'avait raconté Garance, Al avait compris l'essentiel et n'avait pas besoin d'explications supplémentaires.
– Je ne souhaite pas avoir d'échanges avec cette personne.
– Je m'en doutais et je comprends sans souci. J'essayerai de faire entendre raison à Garance.
– Je suis désolé de te mettre dans une situation inconfortable vis à vis de tes amis. Et de ta famille aussi.
– Ce n'est pas ta faute. C'est moi qui ait souhaité que tu rencontres mes amis, moi qui ait parlé de toi à ma famille, et eux qui réagissent plus ou moins bien à la situation. De toute manière, tu vaux largement tous ces petits tracas.
S'il n'y avait pas eu autant de monde autour d'eux, Al l'aurait embrassé, seulement, Beckett se serait payé l'affiche et ça, Al ne voulait pas. Main dans la main, ils revinrent à l'appartement, bavardant de petits riens, puis, bien trop vite au goût de Al, l'heure où Beckett devait rentrer chez lui arriva.

mercredi 27 juin 2012

Rendez-vous manqué - 30

Comme rien de tout cela n'était prévu, Al n'osa plus bouger, se contentant de savourer la peau nue de Beckett contre la sienne, puis leurs bouches s'unirent à nouveau, sans que le jeune homme invisible ne sache si c'était lui ou l'adolescent qui avait pris l'initiative. Collés l'un contre l'autre comme ils l'étaient dans l'étroit lit, ils sentirent leur mutuelle excitation grandir.  Al commença à explorer timidement le corps de Beckett avant de s'enhardir à effleurer son pénis. L'adolescent, loin de se dérober, lui rendit la pareille et chacun se mit à caresser le membre de l'autre avec ardeur. Ils haletèrent de concert jusqu'à la jouissance.
Lentement, leurs respirations s'appaisèrent et la réalité reprit ses droits.
– On a dû salir les draps, s'inquiéta Beckett.
– Ce n'est pas grave. On va les changer.
A tâtons, le jeune homme invisible retrouva l'interrupteur de sa lampe de chevet et la lumière les éblouit. Après le moment intime qu'ils venaient de partager, se retrouver face à face était un peu gênant et pour une fois, Al ne fut pas fâché d'être invisible. L'adolescent qui n'avait pas cette « chance » s'enfouit la tête dans l'oreiller.
– Je n'ose plus te regarder maintenant, déclara t-il d'une voix étouffée.
– Je suis invisible, tu te souviens ? le taquina Al.
L'adolescent souleva un coin de l'oreiller.
– Oui, mais toi, tu me vois...
– C'est vrai et tu es craquant avec tes cheveux ébouriffés.
Beckett lança l'oreiller en direction de Al qui le reçut en plein torse. Il protesta, étonné que l'adolescent ait su où il se trouvait, avant de se rappeler qu'il était pour ainsi dire « marqué » par son sperme et celui de Beckett. Il se dépêcha de filer dans la salle de bain pour se nettoyer.
Propre et parfaitement invisible, il regagna la chambre où Beckett achevait de s'essuyer avec un mouchoir en papier, assis au bord du lit. Al admira un moment le corps longiligne de l'adolescent avant de se racler la gorge pour signaler son retour. Au même instant, il redevint visible et Beckett, ses mouchoirs  roulés en boule dans sa main, sursauta avant de sourire. Cette fois, Al s'offrit au regard de Beckett. Après tout, ce n'était que justice après l'avoir détaillé à loisir.
Ses quelques minutes de visibilité achevées, Al indiqua à Beckett qu'il y avait  une poubelle dans la salle de bains, juste à côté du lavabo. Pendant que l'adolescent partait jeter  ses mouchoirs sales, Al commença à changer les draps du lit pliant, regrettant de ne pas avoir plutôt acheté un lit double qui leur aurait permis de dormir ensemble, l'un contre l'autre. Mais évidemment, il n'avait pas osé, de peur que l'adolescent ait l'impression qu'il lui force la main pour qu'ils fassent l'amour au plus vite... Toujours est-il que c'était triste de devoir retourner dans son lit froid après avoir goûté à la chaleur de Beckett. Sur le pas de la porte, comme s'il avait lu dans ses pensées, l'adolescent demanda :
– Dormir à deux dans un lit pour une personne, c'est vraiment impossible, hein ?
– Cela doit être terriblement inconfortable, répondit Al, en se promettant de commander un lit double dès lundi matin première heure.

mardi 26 juin 2012

Rendez-vous manqué - 29

Beckett descendit du lit, s'excusa de la curiosité qui l'avait poussé à fouiner dans l'étagère de Al et avoua, gêné, qu'il l'attendait.
Le jeune homme invisible, persuadé que Beckett voulait passer à la vitesse supérieure, se lança dans quelques explications confuses sur le rôle  du passif et celui de l'actif. L'adolescent s'empourpra.
– Je ne t'attendais pas vraiment pour ça... Et pour honnête, je n'avais pas réfléchi à tout ça jusqu'à ce que mon frère qui n'y va pas toujours avec le dos de la cuillère, m'ait dit que si j'étais avec un mec, j'avais « toutes les chances de me faire enculer. »
Al, embarrassé d'avoir mal interprété les propos et l'attitude de l'adolescent mit un moment à réaliser ce qu'impliquait la réponse de Beckett.
– Ton frère est au courant que tu es homo ? s'écria-t-il avec un temps de retard.
– Bisexuel puisque les filles me plaisent aussi, rectifia Beckett. Mais oui, j'ai informé ma famille puisque j'allais passer le week-end chez toi.
– Tu ne dors jamais chez des amis ?
– Cela m'arrive, mais tu es mon amoureux, pas un simple ami. Et mentir, je n'aime pas ça.
Al était partagé entre admiration et effroi devant tant de téméraire sincérité.
– Comment ont-il pris la chose ?
– Pas trop mal. Mes parents et ma soeur aînée trouvent que tout cela est un peu beaucoup précipité tandis que mon frère et ma petite soeur sont vaguement dégoûtés. Mais dans l'ensemble, ça va. Parce que l'essentiel pour eux, c'est mon bonheur.
Le jeune homme invisible se sentit soulagé d'apprendre que la famille de Beckett, sans être ravie, était compréhensive. Il ramena le sujet  à la raison pour laquelle l'adolescent l'avait attendu.
– Je voulais nous mettre sur pied d'égalité... commença Beckett, en ôtant son sweat-shirt et son t-shirt d'un seul coup, révélant un torse imberbe.
Il retira ensuite ses chaussettes et fit glisser son jeans et son slip. Incapable de formuler une quelconque pensée cohérente, Al caressa des yeux le corps nu de Beckett avant que ce dernier ne s'allonge dans le lit pliant et rabatte la couette sur lui.
– Comme ça, toi aussi, tu m'as vu tout nu, termina l'adolescent.
C'était adorable de sa part. Et en même temps, cela tenait de la torture, songea Al. Il se déshabilla, éteignit les lumières et se mit à son tour au lit. Ils venaient à peine de se souhaiter une bonne nuit que la voix de Beckett s'éleva à nouveau dans la pièce :
– Quand on est plongé dans le noir, comme ça, c'est comme si nous étions invisibles tout les deux.
Il aurait pu inverser les choses et dire que dans l'obscurité, il était normal qu'il ne voit pas Al. Mais Beckett semblait toujours savoir quel corde pincer pour faire vibrer le coeur du jeune homme invisible.
– Je t'aime.
– Moi aussi, je t'aime, répondit Beckett en écho.
Al se redressa sur un coude, se demandant s'il n'était pas en train de rêver.
– Tu veux bien répéter ?
– Non, c'est trop embarrassant.
Al se releva et se pencha sur le lit de Beckett. A l'aveuglette, il chercha ses lèvres et l'embrassa. L'adolescent lui rendit son baiser et l'attira dans le lit qui grinça sous leur deux poids réunis.

lundi 25 juin 2012

Rendez-vous manqué - 28

Al débarrassa l'adolescent de son bouquet et se mit en quête d'un improbable vase dans le placard de la cuisine. Rien dans sa maigre vaisselle ne pouvait faire l'affaire. Beckett vint à son aide en suggérant de couper le haut d'une bouteille en plastique et d'y mettre les fleurs.
Le résultat n'était pas très esthétique, mais cela fonctionnait. Le jeune homme invisible posa le bouquet et le vase improvisé sur la table de la cuisine et invita l'adolescent à se mettre à table. Beckett fit honneur à la poêlée forestière et au dessert, mais ne prit qu'une cuillère du taboulé - il n'aimait guère ce genre de plat de froid. Al nota l'information dans un coin de sa tête.
Tout en mangeant, ils discutèrent de la manière dont ils allaient occuper leur week-end. L'adolescent avoua qu'il avait un moment pensé aller au parc le dimanche histoire de fêter leur première semaine, mais il ne voulait aucunement forcer Al à sortir. C'était une idée  romantique qui charma le jeune homme invisible si bien qu'il accepta qu'ils y aillent à condition que la météo soit suffisamment favorable pour lui permettre de sortir sans habits. Ils s'entendirent pour regarder un film d'action et faire quelques parties de cartes avec le jeu amené par Beckett. Leur programme étant plus ou moins fixé, ils parlèrent bouquins. Beckett trouvait l'homme invisible de H.G.Wells antipathique et avait du mal à finir le livre. Il lui demanda avec naïveté s'il n'avait pas songé à se maquiller et à porter des lentilles pour se rendre visible. Il ne comprenait guère pourquoi l'homme invisible s'était embêté à se déguiser avec de peu discrètes bandelettes et un nez en carton pâte alors qu'il aura pu se farder. Al répliqua que l'auteur n'y avait peut-être pas pensé et que dans son cas, indépendamment du côté fastidieux et coûteux de la chose, il ne pouvait pas le faire sans que cela lui irrite la peau. Son invisibilité était après tout, un problème dermatologique.
L'un dans l'autre, l'après-midi s'écoula à une vitesse surprenante et la nuit tomba sans que Al y prenne garde. Un bâillement de l'adolescent lui fit prendre conscience qu'il était tard. Avec nervosité, il proposa qu'ils aillent se coucher. Il avait choisi d'installer le lit pliant dans sa chambre, en parallèle avec le sien, mais il n'était plus si sûr que ça d'avoir pris une bonne décision.
– On peut le déplacer dans le salon, si tu préfères, déclara-t-il en désignant le lit de fortune.
– Oh, non ! C'est plus sympa d'être dans la même pièce.
Al, sous prétexte d'aller aux toilettes, s'éclipsa de la chambre. Il espérait qu'à son retour Beckett serait en pyjama et prêt à dormir. Mais quand il revint, il découvrit que l'adolescent ne s'était pas encore changé et pis qu'il était installé à quatre pattes sur son lit, en train de regarder les livres de l'étagère qui y était accolée. La position mettait en valeur ses fesses et Al déglutit, l'esprit soudain plein de ce qu'il avait vu et lu sur le sexe anal.
– Pas encore couché ? demanda-t-il d'une voix étranglée.

jeudi 21 juin 2012

Rendez-vous manqué - 27

Bon, comme l'épisode de vendredi est prêt, que j'ai été sadique, je le reconnais avec la coupe pour l'épisode du jour, et que vous avez émis d'éloquentes protestations, je le poste en avance et je vous dis à lundi pour la suite...

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Le bras qui tenait le bouquet s'abaissa  doucement et les épaules de Beckett s'affaissèrent brusquement comme si tous les malheurs du monde venait de lui tomber dessus.
– Pourquoi tu en reviens toujours là ? D'accord, c'est vrai, je reconnais qu'à l'origine, je voulais être en couple avec quelqu'un, et puis c'est tout, mais tu me plais, et la réciproque est vraie. Je sais bien que tu es aussi un garçon, tout invisible que tu sois, et j'ai conscience que ce n'est pas franchement bien vu dans notre société et que ce n'est pas ta maladie qui change quoique ce soit. Alors, je t'en prie, ne dis plus ça.
Al se sentit d'autant plus démuni devant ce plaidoyer qu'il n'avait plus d'arguments, ou plutôt pas le courage d'en donner. Il objecta sans conviction :
– Pour offrir des fleurs, ce serait mieux que tu aies une petite amie.
Beckett releva le bouquet de roses blanches.
– Tu ne les trouves pas superbes ? Moi, j'adore les fleurs. D'ailleurs, j'aimerai devenir fleuriste... ou garde forestier.
Al se rappela soudain que l'adolescent aimait la nature, les plantes et les animaux et que cela lui serait pénible de se cloîtrer avec lui dans son appartement. Il exposa cet ultime argument à Beckett qui se mit en colère :
– Et ? On verra bien. On prendra les problèmes les uns après les autres, pas la peine de vouloir les résoudre tous d'un coup ! L'essentiel, c'est que l'on se ressemble, que l'on soit attiré l'un par l'autre !!
– C'est la deuxième fois que tu dis qu'on se ressemble, et je n'avais pas relevé la première fois, mais je t'avouerai que je ne vois pas en quoi...
– Tu es peut-être littéralement invisible, mais moi, je suis transparent pour les autres. Je n'ai rien de spécial. Je suis moyen en tout, que ce soit mon physique ou mes résultats scolaires. Personne ne tient jamais compte de mes opinions sous prétexe que je suis trop naïf. En fait, je crois bien que si je ne m'habillais pas avec des couleurs vives, on ne me remarquerait jamais !
L'adolescent exagérait peut-être, mais sa détresse était réelle. Al se sentit encore plus amoureux. Cet aveu les rapprochait. Il l'enlaça, s'excusa, l'embrassa à perdre haleine et s'excusa à nouveau :
– Je ne suis pas doué pour les relations humaines. Je manque de pratique.
– Ce n'est pas grave, mumura Beckett, calmé, le souffle court à cause du baiser.

Rendez-vous manqué - 26

Le lendemain soir et le surlendemain, Beckett vint rendre visite à Al après ses cours. Les deux fois, il arriva assez tard, expliquant qu'il avait été retenu, par Garance qui avait voulu lui refouguer un questionnaire à transmettre à Al et par Félicité qui, remise de son émotion, voulait absolument savoir « le truc », refusant de croire à l'histoire de la maladie. Une heure avec Beckett par vingt-quatre heures, ce n'était pas beaucoup, mais c'était mieux que rien, surtout que l'adolescent avait promis à Al qu'il resterait avec lui du samedi midi au dimanche soir.
Le week-end qui n'avait jamais eu d'attrait particulier pour le jeune homme invisible, car son samedi et son dimanche ressemblaient furieusement aux autres jours de la semaine, devint soudain très intéressant. En urgence, Al commanda un lit pliant et un matelas, ainsi que des préservatifs et du lubrifiant. Il n'escomptait pas que ces derniers servent de suite, mais il préférait être prévoyant. Il avait également commencé à se renseigner en détails sur le sexe homosexuel. Evidemment, le vendredi soir quand Beckett lui avait demandé à quoi il avait passé sa journée, Al avait été très vague parlant de recherches sur internet, n'osant pas lui rapporter ce qu'il avait vu et lu sur la sodomie. Il était désormais moins pressé de franchir le pas, car il n'était pas certain de savoir ce qu'il souhaitait... Actif, passif, les deux ou bien du sexe sans pénétration ? Et l'adolescent, avait-il des préférences ? Al avait-il droit de l'entraîner dans une voie qui le marginaliserait ? Le jeune homme invisible, jusque là, n'avait jamais eu de questions à se poser sur sa sexualité. Pour quelqu'un comme lui, il n'y avait que l'abstinence agrémentée de temps à autre par une séance de plaisir en solitaire. Les filles comme les garçons, avant sa rencontre avec Beckett, étaient pour lui aussi inaccessibles que les étoiles. Ultimement, Al savait juste qu'il avait envie de sentir la chaleur de Beckett tout contre sa peau.
Al, en sifflotant, mit une dernière touche à la table de la cuisine. Il espérait que le menu plairait à l'adolescent : taboulé en entrée, poêlée forestière avec morceaux de poulets en guise de plat principal et un gâteau de macarons aux fraises pour le dessert. Le tout sortait du congélateur.
La sonnette tinta et le jeune homme invisible se dépêcha d'aller ouvrir. Beckett se tenait sur le palier avec son sweat-shirt vert à manches longues, un jeans usé, ses baskets noires à lacets oranges, un sac de sport jaune vif sur l'épaule et une main dans le dos. En souriant, il entra, et brandit un bouquet de roses blanches sous le nez du jeune homme invisible qui fut pris de court par ce cadeau inattendu.
C'était comme le signe que l'adolescent aurait dû être avec une fille, et non avec lui, car qui offre des fleurs à un garçon ?
– Nous devrions rompre. Tu vas bien finir par te trouver une gentille fille de ton âge.
Et, lui, il retournerait à sa solitude ; il ne voulait pas gâcher la vie de l'adolescent.

mercredi 20 juin 2012

Rendez-vous manqué - 25

– Au final, je ne sais pas si je suis plus fâché envers Julius qui a détalé à la première occasion venue ou contre Garance qui s'est mis à t'ensevelir de questions... Je reconnais que sur le moment, j'étais content d'en apprendre plus sur toi, Al, mais c'était excessif de sa part. Surtout les photos !
– C'est pourquoi je préfère sortir le moins possible et privilégier les endroits peu fréquentés... Tu sais, avec ma maladie, je crains que nous ne puissions faire « comme font les couples » en général quand ils sortent ensemble.
Une franche déception se peignit sur le visage de Beckett, mais elle disparut aussi vite qu'elle était venue, remplacée par une expression joyeuse.
– Ce n'est pas grave. Parce que nous sommes à même de faire des choses que les autres couples ne peuvent pas faire !
– Comme quoi ?
– Et bien, par exemple, tu peux m'accompagner en cours à l'insu de tous !
Beckett était vraiment adorable. Il affirmait ça en souriant, alors que la visite inopinée du jeune homme invisible n'avait pas été sans lui occasionner quelques soucis. Al l'attira à lui et l'embrassa, d'abord sur le menton pour le taquiner, puis sur les lèvres avant que l'adolescent n'ait pu protester. C'était délicieux, et Al prolongea le baiser autant qu'il le put.
– Al...?
– Quoi ?
– Même si tu n'avais pas des yeux aussi splendides, je serai sorti avec toi...
Bien que Garance l'ait complimenté, comme Beckett, sur son apparence physique, Al n'était pas convaincu d'être séduisant et quand bien même, cela ne changeait rien au fait que les gens le fuyaient comme la peste 99,9% du temps.
– Tu es en train de me dire que tu n'es pas juste attiré par ma belle gueule que tu ne peux admirer qu'à peu près 5 minutes par 24 heures avec de la chance ? demanda-t-il avec malice.
Beckett opina et essaya une fois encore de l'embrasser à l'aveuglette. Et, cette fois-ci, il y réussit, éveillant le désir du jeune homme invisible.
– A partir de quand peut-on considérer qu'on se connaît assez pour dépasser le stade du baiser ? laissa échapper Al, une fois qu'il fut à nouveau en mesure de parler.
Beckett, pas effarouché par la question, prit l'air songeur avant de répondre :
– Ma soeur aînée dit qu'il ne faut jamais coucher avant au minimum un mois et qu'attendre trois mois, c'est mieux. Mes parents répètent qu'il faut bien réfléchir et surtout bien se protéger.
– Et ton frère  ?
– Mon frère prétend que tout dépend de ce qu'on cherche dans la relation.
– Tu n'avais pas une autre soeur ? demanda Al, espérant vaguement qu'un des membres de la famille de Beckett soit d'avis que, même après seulement quelques jours, faire l'amour était une excellente idée.
– Elle n'a que douze ans. Mon père est donc soulagé qu'elle soit sans opinion sur le sujet.
– Tu sembles vraiment bien t'entendre avec ta famille.
Beckett qui savait désormais que la situation était tendue entre Al et ses parents, acquiesça, mais ne développa pas le sujet ni ne lui proposa de la rencontrer un jour. L'expérience avec ses amis devait avoir suffi.

mardi 19 juin 2012

Rendez-vous manqué - 24

Le jeune homme invisible ne savait comment se dépêtrer de cette désagréable situation. Beckett plaça alors enfin un mot dans la conversation :
– Garance, tu ne crois pas que cela suffit maintenant ?
Devant les sourcils froncés de son ami, le binoclard fit disparaître son calepin et son mobile.
– Tu as raison. Mais, j'aurais quand même une dernière question...
L'invisibilité de Al cessa à cet instant et Garance en oublia ce qu'il voulait demander. Il siffla entre ses dents, ressortit promptement son téléphone portable et flasha à nouveau Al. Beckett le fit aussitôt cesser :
– Mais à quoi tu joues à la fin ?
Garance s'excusa, mais il n'avait pas l'air le moins du monde désolé. Il glissa ensuite à l'oreille de son ami, mais pas suffisamment bas, si bien que Al entendit :
– Je comprends mieux pourquoi tu es soudain devenu gay, il a des traits et des yeux époustouflants ! Jamais vu ça !
A haute voix, il prit ensuite rapidement congé tandis qu'Al redevenait invisible. Le jeune homme était trop épuisé pour le retenir et exiger qu'il efface les photos qu'il avait prises. Qu'il les mette sur internet si cela lui chante, grand bien lui fasse ! Après une dernière poignée de main dont Al se serait passée, il claqua la porte sur Garance. Il ne restait plus que Beckett maintenant, mais Al le regrettait presque. Il lui en voulait, même s'il savait qu'il avait également ses torts dans la façon dont la rencontre avec les amis de l'adolescent s'était déroulée. Après tout, lui, il savait à quoi s'attendre. De l'incrédulité, de la peur, de la curiosité malsaine... Le cocktail habituel quand il affrontait le regard des autres.
Plutôt que de devoir écouter les reproches de Beckett qu'il croyait mériter, il attaqua le premier :
– Si c'est pour être au centre de l'attention que tu voulais que je rencontre tes amis, tu as dû être comblé.
Beckett, le regard triste, soupira :
– Je suis désolé. Bien sûr que j'avais envie de te montrer et de me vanter d'avoir un petit ami, mais pour moi, ta maladie n'entrait pas en ligne de compte. Je ne pensais pas que cela passerait comme ça... Je leur en veux !
La colère qu'Al ressentait à l'égard de Beckett s'évapora. L'adolescent était furieux de la manière dont les autres avaient réagi, pas contre lui. Il avait vraiment naïvement pensé que l'invisibilité d'Al ne poserait pas de problème, parce que lui-même, passé le premier moment de surprise, l'avait accepté.
– Si tout le monde était comme toi, Beckett, je pourrais aller en cours sans avoir l'impression d'être une monstruosité ambulante, déclara Al en caressant d'un doigt la joue de l'adolescent.

lundi 18 juin 2012

Rendez-vous manqué - 23

Garance lui attrapa la main du premier coup et la lui broya presque. Malgré son profil intello, il était plutôt musclé. Al grimaça, ce que nul ne put bien sûr voir. L'adolescent à lunettes prolongea la poignée de main, probablement désireux de vérifier qu'il y avait bien quelqu'un devant lui et non des vêtements en mouvements.
– C'est incroyable quand même. La légende du lycée Wellingbert n'en est donc pas une, mais un fait authentique. Cela ferait un excellent article.
– Garance veut devenir journaliste et il tient actuellement un Webmagazine, précisa Beckett.
La situation se normalisant vaguement, Julius, resté en retrait, se rapprocha d'un pas.
– On va se boire un truc quelque part ? suggéra-t-il, encore un peu pâle.
Il n'appartenait pas à Al de refuser, mais il lui coûtait de continuer à être regardé comme une bête de cirque. Même l'intérêt de Garance lui était pénible, car il était évident que celui-ci le considérait comme un fait sensationnel et non comme une personne à part entière.
– On pourrait peut-être aller chez Al, proposa Beckett.
Le jeune homme invisible appuya cette invitation. Chez lui, il serait à l'abri des regards : il n'aurait plus qu'à supporter ceux de Garance et Julius.
Le rouquin ne parut pas enchanté. Un lieu public devait lui sembler préférable face à l'étrange personne qu'était Al.
– Garance, les deux amoureux souhaitent sûrement se retrouver en tête à tête, on ferait mieux de les laisser tranquille, non ?
Al admira d'autant plus l'élégante façon de se dérober de Julius qu'il ne tenait pas à ce que les amis de Beckett viennent chez lui. Malheureusement pour Al et Julius, Garance n'était pas du tout de cet avis :
– T'es idiot ou quoi, c'est l'occasion de faire connaissance. J'ai quelques questions à poser.
Al remit son bonnet, ses lunettes, ses gants et son écharpe et le petit groupe se mit en route, Garance interrogeant le jeune homme sur sa maladie. Cependant, à mi-chemin, Julius se rappela d'un soit-disant rendez-vous chez le dentiste qu'il avait oublié et il les abandonna. Al s'efforça de satisfaire la curiosité insatiable du binoclard tandis que Beckett écoutait religieusement.
– C'est un problème dermatologique... Oui, j'ai vu pas mal de médecins... Il paraît en effet qu'il y a dans le monde, quelques personnes atteintes d'un mal similaire. C'est une maladie rare, mais pas orpheline... Au début, j'avais de simples crises d'invisibilité, maintenant, c'est l'inverse... Je passe la majeure partie de mon temps chez moi... Je vais très rarement au lycée... Oui, ils ont quand même fini par me faire passer en terminale, ils veulent se débarrasser de moi, je pense... Oui, on a parlé de mon cas dans quelques magazines scientifiques, il y a des années de ça et  je suis probablement apparu dans quelques faits divers dans des journaux qui s'intéressent au surnaturel...
Quand ils arrivèrent à son appartement, Al avait la gorge sèche et un léger mal de tête. Il offrit des boissons chaudes et froides, gagnant un moment de répit avant que Garance ne recommence à le questionner avec ardeur et l'oblige à en révéler plus qu'il n'aurait souhaité sur ses mauvaises relations avec sa famille. L'adolescent à lunettes avait sorti un calepin de sa poche et prenait des notes. Avec son mobile, il photographia même Al sans demander son autorisation.

vendredi 15 juin 2012

Rendez-vous manqué - 22

Au compte goutte, puis en petits groupes, des élèves poussèrent les portes du bâtiment principal et franchirent les grilles. La plupart, trop content d'en avoir fini avec le lycée pour la journée, ne s'occupait pas de Al, lui lançant tout au plus un bref regard intrigué. Certains, en revanche, le dévisagèrent avec insistance et formèrent un attroupement autour de lui, à une distance respectable. A mi-voix, ils commentaient son apparence. Al, de plus en plus mal à l'aise, était tenté de battre en retraite. Un des adolescents, plus téméraire que les autres, l'interpela, mais Al fait comme s'il n'avait pas compris qu'il s'adressait à lui. Enfin, il aperçut Beckett entouré de son ami rouquin et de celui à lunettes. Il reconnut également Félicité juste derrière eux, en grande conversation avec une brunette. Sans réfléchir, il fit un signe de la main, avant de se maudire. Son équipement hivernal le faisait déjà suffisamment sortir du lot comme cela. Les cinq adolescents pressèrent le pas. Al déglutit.
– Je vous présente Al, annonça Beckett avec une emphase qui renforça chez le jeune homme invisible emmitouflé, l'impression d'être un monstre de foire.
Julius, Garance, Félicité et son amie ajoutèrent à son désarroi en l'examinant en silence, avec une attention dérangeante.
– On dirait plutôt un de ses pervers qui ouvrent leurs imperméables devant les enfants, commenta finalement le rouquin.
– Il n'est pas vraiment invisible, trancha la brunette.
Al, sur les nerfs, plein de regrets d'avoir opté pour un long manteau et d'avoir fait l'effort de se rendre « normal », ôta son bonnet, ses lunettes et son écharpe d'un geste vif. Tous les curieux qui étaient restés crièrent en voyant ce corps sans tête et bon nombre d'entre eux préférèrent quitter la scène. Julius, lui, eut un mouvement de recul significatif.
– Il y a forcément un truc, affirma Félicité d'une voix légèrement tremblante, en se rapprochant de son amie brune dont le visage était devenu blanc comme de la craie.
– Vous avez besoin du strip-tease complet ? demanda Al d'un ton provocateur, en retirant ses gants.
Beckett, catastrophé que les choses se passent si mal, secoua la tête avec vivacité.
– Je peux te serrer la main ?
La question émanait de Garance qui semblait le seul de la scène à être plus fasciné qu'horrifié. Al n'y tenait pas, mais il tendit la main vers lui.
Devant cette manche qui s'ouvrait sur du vide, Félicité, son amie et encore une partie des badauds n'y tinrent plus et déguerpirent.

jeudi 14 juin 2012

Rendez-vous manqué - 21

Al se réveilla aux alentours de midi, affreusement fatigué. Il n'avait réussi à s'endormir qu'à l'aube, après s'être tourné et retourné dans son lit,  tourmenté par la perspective de se montrer au grand jour dans un lieu fréquenté. Il était hors de question qu'il se défile, car il ne voulait pas décevoir Beckett, mais cela ne l'empêchait pas d'appréhender.  Hier soir, l'adolescent avait été si heureux de sa décision, qu'il l'avait gratifié d'un beau sourire avant d'essayer de l'embrasser. Ses lèvres avaient atterri sur le menton de Al. L'adolescent avait été contrarié de manquer sa cible, mais Al qui, lui, pouvait voir la bouche de Beckett, l'avait aussitôt capturée. Le baiser avait été suivi d'un autre et encore d'autre... Et puis,  l'adolescent avait aperçu l'heure sur la pendule du salon et il s'était rappelé que c'était son tour d'aller promener le labrador de la famille. Al l'avait retenu encore quelques instants, lui demandant ce qu'il ferait après son tour avec son chien et Beckett lui avait avoué qu'il allait se lancer dans la lecture de L'homme invisible de H.G. Wells. Il l'avait emprunté la veille au C.D.I. du lycée, mais n'avait pas encore eu le temps de le commencer. Al qui avait bien entendu déjà lu le livre l'avait aussitôt prévenu que le héros invisible du roman de  H.G. Wells était très différent de lui : son invisibilité était due à une expérience scientifique, et il en usait pour commettre des crimes...
En soupirant, Al quitta son lit. Il espérait que Beckett ne ferait pas l'amalgame entre cet antipathique personnage de H.G. Wells et lui. Il avait hâte de retrouver l'adolescent et en même temps, il n'était pas pressé de devoir s'exposer aux regards des gens.
Mal à l'aise, il s'occupa tant bien que mal jusqu'à l'heure fatidique où il devait sortir. Il se prépara avec soin, s'emmitouflant plus que la température extérieure le nécessitait afin de paraître le plus normal possible. Il enfonça un bonnet marron sur ses oreilles, enroula une écharpe beige autour du bas de son visage, mit une fausse paire de lunettes aux verres  épais et enfila des gants en cuir noir. Enfin, la gorge nouée, il quitta son immeuble.
Au début, il ne rencontra pas un chat. Le premier passant qu'il croisa, le nez dans son mobile ne lui accorda même pas un regard, pas plus que le second qui avait la tête ailleurs. Les choses se corsèrent quand il arriva aux abords du lycée Odyssée. Quelques personnes se retournèrent sur son passage. Son accoutrement très hivernal détonnait avec la relative douceur printanière. Enfin, Al s'arrêta devant les grilles du lycée. Quelques adolescents qui traînaient là remarquèrent le vide bizarre derrière le verre de ses lunettes et se mirent à chuchoter entre eux en lui jetant des coups d'œil fort peu discrets. Al n'avait pas besoin de les entendre pour deviner qu'ils parlaient de lui, commentant son étrange apparence. Il s'efforça de les ignorer, priant pour que Beckett et ses amis ne tardent pas trop à sortir.

mercredi 13 juin 2012

Rendez-vous manqué - 20

En sortant de l'ascenseur, il eut la bonne surprise de trouver l'adolescent adossé à sa porte, pâle et confus. Il avait dû rentrer dans l'immeuble en même temps que quelqu'un. Al se pencha, souleva le coin de paillason pour récupérer sa clef.
– Al, tu es là ? murmura Beckett.
– Oui, tu es parti très vite et, cette fois, je n'ai pas réussi à te rattrapper.
– J'étais persuadé que tu me suivais, et je t'ai parlé, mais tu n'as pas répondu et, j'ai commencé à me dire qu'ils avaient raison et que j'étais peut-être devenu schizophrène... ou que j'avais des hallucinations visuelles et auditives... que tout était dans ma tête depuis le début.
Al le poussa gentiment à l'intérieur de l'appartement et claqua la porte sur eux.
– Je fais cet effet au gens, soupira-t-il. Mais c'est toi qui es dans le vrai en affirmant que j'existe, que je suis de chair et de sang, ajouta-t-il en attirant Beckett dans ses bras.
– Tu es frigorifié ! s'exclama l'adolescent, et il se mit à lui frotter le torse avec énergie, soudain oublieux de ses doutes quant à l'existence de son interlocuteur.
La sollicitude de Beckett était agréable, mais elle les entraînait vers une pente dangereuse...
– Je vais prendre une douche et m'habiller. Et, après, nous pourrons discuter.
– Pourquoi pas pendant ?
Al pouvait difficilement invoquer la pudeur pour refuser sa compagnie. Et à dire vrai, il n'en avait pas envie. Mais, en même temps, avoir un spectateur pour sa douche était un peu trop excitant.
– Pourquoi pas en effet, répondit Al, décidé à garder la tête froide, même si la partie basse de son anatomie n'était pas du même avis.
Beckett le suivit dans la chambre pendant qu'Al récupérait des vêtements, puis dans la salle de bains qu'il qualifia de glauque, chose que le jeune homme invisible ne put qu'approuver.
Al entra dans la douche tandis que Beckett s'asseyait sur le bord de la baignoire. Le jeune homme invisible ouvrit le robinet d'eau chaude, et la fit ruisseler sur son corps.
Beckett qui avait commencé à reparler du moment où Al lui avait lâché la main, s'interrompit en plein milieu de sa phrase.
– Les gouttes d'eau, elles révèlent les lignes de ton corps. C'est magique ! s'extasia-t-il.
Son enthousiasme et sa joie un brin enfantine illumina la pièce aux carreaux noirs, la faisant paraître soudain moins sinistre. Toute pensée sexuelle déserta Al. Pour complaire à son spectateur, il laissa couler l'eau plus longtemps que nécessaire. Seulement, cela eut pour effet de  recouvrir de buée les parois transparentes de la douche, masquant la vue à Beckett qui vint coller son nez dessus pour continuer à voir. C'était si comique que le jeune homme invisible éclata de rire. Il dirigea le jet vers la paroi, faisant disparaître la buée et reculer l'adolescent.

Il mit ensuite fin à sa douche et s'essuya avec avec sa serviette, effaçant les goutelettes qui permettaient encore de deviner la forme de son corps. Pendant l'opération, Beckett était devenu grave et silencieux. Et, soudain, il détourna les yeux. Al devina qu'il avait enfin pris conscience de l'intimité de la scène et supposa que l'adolescent n'y était pas indifférent. Mais de toute façon, que Beckett éprouve ou non du désir, ne changeait rien à la situation. Il était trop tôt pour qu'ils aillent plus loin. D'ailleurs, il n'aurait peut-être pas dû se déclarer aussi vite ; cela avait été plus fort que lui, les mots avaient franchi ses lèvres presque tous seuls.
Al enfila ses habits, tous gris et noirs, et invita Beckett à aller dans le salon où il offrit à nouveau de s'asseoir sur l'unique fauteuil. Cette fois, l'adolescent refusa. Il préférait se mettre sur la moquette afin d'être au même niveau que Al et être en contact avec lui. Ils auraient pu s'installer sur le lit dans la chambre pour obtenir le même résultat, mais cela n'aurait pas été raisonnable et le jeune homme invisible ne le proposa pas. Se tenir collés, épaule contre épaule, était suffisamment troublant.
– Tu penses que tes amis t'en voudront de les avoir planté sans plus d'explications ?
– Je n'espère pas, mais je ne voyais pas comment les convaincre que je ne fabulais pas, si tu refusais de te manifester... Et puis, devant leur incrédulité, je me suis mis à douter de ma santé mentale.
– Ce que tu dois comprendre, c'est qu'à cause de ma maladie, je vis en quelque sorte retiré du monde. Cela ne m'a jamais apporté rien de bon, alors j'évite de me montrer aux autres...
Et pourtant, adresser la parole à Beckett avait été loin d'être une erreur. Avec sa naïveté, son visage sur lequel on lisait comme un livre ouvert, il lui avait offert cette chaleur humaine dont Al avait toujours rêvé.
– J'aimerai bien te présenter aux autres. Cela mettrait un point final à l'impression que j'ai de ne pas tourner rond, et surtout, je n'ai pas envie de me cacher. Mais je ne peux pas t'obliger à faire connaissance avec mes amis ou qui que ce soit. Enfin, le jour où tu seras prêt, ce serait bien.
– Tu réalises que ce serait plus simple de me laisser tomber et de tenter ta chance une nouvelle fois avec Félicité ou une autre ?
– Je ne peux pas !
– Et pourquoi ça ? Je te fais trop pitié et tu ne veux pas m'abandonner à mon triste sort  ?
– Non, ce n'est pas ça. Mais on se ressemble... et il y a comme une alchimie entre nous... Tu n'as pas ce sentiment, toi ?
L'adolescent avait-il déjà oublié qu'il lui avait avoué son amour ? Oui, entre lui et Beckett, il y avait une attirance irrationnelle, quelque chose qui méritait qu'il fasse des efforts et qu'il sorte de sa coquille.
– Si... Et c'est pour ça, que je viendrai te chercher à la sortie de tes cours demain, afin de saluer Julius, Garance... et Félicité.

mardi 12 juin 2012

Rendez-vous manqué - 19

– Je vais chez lui, oui, balbutia Beckett.
La jeune fille les rejoignit dans le couloir. Elle avait des yeux azurs ourlés de longs cils magnifiés par du mascara, des cheveux blonds remontés en un savant chignon d'où s'échappait quelques boucles et une bouche rouge comme une cerise.
– C'est quand que tu me le présentes ?
Beckett piqua du nez, soudain captivé par ses baskets noires aux lacets oranges.
– Ce n'est pas prévu. Désolé...
Que l'adolescent soit ainsi gêné en face de la jeune fille ne plut pas à Al. Cela le rendait jaloux, très jaloux, car il était obligé d'admettre que Félicité - il était certain que c'était elle - était très jolie.
– Tu me dois bien ça, pourtant. Je me faisais une joie de sortir avec toi, dit la jeune fille en posant familièrement la main sur l'épaule de Beckett.
– Je dois y aller, marmonna Beckett.
Félicité eut une moue charmante.
– Tu ferais mieux d'avouer que tu as inventé toute cette histoire de petit ami atteint d'une maladie qui le rend invisible, pour te venger, parce que je ne me suis pas venue à notre rendez-vous.
Julius et Garance qui venaient de sortir et passaient justement à leur hauteur, se figèrent sur place.
– C'est quoi ce délire ?! s'exclama le rouquin.
Beckett releva la tête et regarda un point dans le vide à sa droite. Al supposa que c'était lui qu'il cherchait à consulter ainsi, sans savoir qu'il était à sa gauche.
– Comme c'est curieux que tes meilleurs amis, ne soit pas au courant, commenta Félicité, avec un air faussement étonné.
Elle jouait mal la comédie. Elle avait bien sûr fait exprès. Quelle peste ! songea Al.
– Il me semble avoir entendu parler de cette histoire de jeune homme invisible. C'est une légende d'un lycée du quartier, le lycée Wellinbert, je crois, annonça Garance en tapotant sa tempe du doigt, tentant apparemment de se rappeler de plus de détails sur le sujet.
Beckett parut embarrassé. Al faillit intervenir. Il était audible et tangible, tout invisible qu'il soit.
– Il est tout ce qu'il y a de plus réel ! s'écria l'adolescent avant de prendre la fuite.
Sans se soucier de Julius, Garance et Félicité, Al s'élança à sa poursuite. Focalisé sur la silhouette qui s'éloignait à vive allure dans le couloir encombré d'élèves, il bouscula plusieurs personnes qui poussèrent des exclamations étonnées. Puis, par mégarde, il entra en collision avec un élève qui venait de déboucher de l'escalier et manqua de tomber à la renverse. Il perdit alors Beckett de vue. Ayant recouvré son équilibre, il abandonna sa victime interloquée, et dévala les marches jusqu'au hall d'entrée sans l'apercevoir. Il y avait du monde à cette heure-ci et dans ces conditions, il n'était pas facile de le retrouver. Il finit par décider de rentrer à son appartement où il était à l'origine supposé attendre la venue de Beckett.
C'était la fin de l'après-midi, et le temps s'était gâté. Al éternua à trois reprises et courut jusqu'à chez lui. Il était pressé de se mettre au chaud et espérait que l'adolescent serait là-bas. Hélas, quand il arriva devant l'immeuble, il n'y avait personne. Il fut déçu, mais choisit de rentrer chez lui, malgré tout. Il pourrait essayer de téléphoner à Beckett, savoir où il était...

lundi 11 juin 2012

Rendez-vous manqué - 18

Les tables étaient collées les unes aux autres, formant des lignes difficilement pénétrables où il fallait se faufiler derrière les chaises pour s'installer. L'adolescent s'était heureusement assis tout en bout de table, du côté de l'étroite allée qui permettait de circuler dans la petite pièce tout en longueur, et il avait bloqué la chaise à sa gauche en y posant son sac à dos. Al espéra que cela voulait dire que Beckett souhaitait qu'il demeure malgré tout à ses côtés. Quand Al parvint au niveau de Beckett, il remarqua de suite que ce dernier tapotait son stylo sur la page de gauche du cahier ouvert devant lui, comme s'il battait la mesure.
Son prénom écrit en lettres majuscules "AL" attira son attention et il lut : "Al, si tu es toujours là, sache que tu aurais pu me laisser terminer ma phrase. Je n'avais pas l'invention de te présenter à mes amis. Enfin, pas dans ses circonstances, car tu n'es pas supposé te trouver dans l'enceinte du lycée et certainement pas sans habits. Bref, j'allais juste dire que non, ce n'était pas ça, que je n'étais pas blessé, et que je leur expliquerai plus tard. Et sinon, la prochaine fois que tu veux venir ici, je tiens à ce que tu me préviennes d'abord. Et quand tu pars aussi."
Le message de Beckett trahissait son agacement d'avoir été repoussé et en même temps, il était évident qu'il était à mille lieux de souhaiter à rompre.
Al comprit qu'il devait répondre. Avec délicatesse, pour ne pas lui faire peur, le jeune homme invisible referma la main sur celle de l'adolescent qui tenait le stylo et la lui bougea pour écrire à son tour, de façon à ce que personne ne se doute de rien. Beckett sursauta légèrement à son contact, mais il lui abandonna sa main.
D'une écriture maladroite, en raison de la manière de procéder, Al fit écrire à Beckett : "Je suis désolé. Je n'aurais pas dû réagir comme ça, mais j'ai été bien trop souvent confronté à des gens qui considéraient ma maladie de façon déplaisante. Quand je sors avec rien sur le dos, c'est pour être incognito et éviter les réflexions désobligeantes et les cris d'effroi. Je n'aurais pas dû venir dans ton lycée comme ça, mais je n'avais pas envie de rester tout seul dans mon appartement."
Ayant transmis ce qu'il avait sur le cœur, Al libéra Beckett. L'adolescent, aussitôt, écrivit en réponse "Re-discutons de tout ça, après les cours."
Derrière cette courte phrase, il dessina un visage souriant, signalant par ce biais qu'il n'était plus en colère. Al, bien que pas complètement rasséréné, eut le sentiment qu'un poids immense lui était ôté de la poitrine.
Le cours d'histoire et celui d'anglais parurent toutefois longs à Al. Il était fatigué d'être debout, mais il ne voulait pas s'éloigner de l'adolescent et il se voyait mal s'asseoir à même le lino ou sur un coin de table recouvert de rognures de gommes...
Enfin, le professeur d'anglais, après avoir donné des devoirs à faire, fut obligé de libérer ses élèves. Beckett fourra en toute hâte son cahier et sa trousse dans son sac à dos et fut l'un des premiers à sortir de la salle de classe. Cependant, alors qu'il venait d'en franchir le seuil, Al sur ses talons, une voix féminine l'interpela :
- Hé ! Beckett, tu vas voir ton petit ami invisible ?
L'adolescent s'arrêta et pivota. Al fit de même. Cela devait être Félicité.

vendredi 8 juin 2012

Rendez-vous manqué - 17

Al l'enfila de bonne grâce. Le sweat était long et descendait sur le haut des cuisses. Cela ne le rendait pas convenable pour autant, mais cela lui évitait de commettre un attentat à la pudeur. Et cela tenait chaud. Très chaud même, car c'était érotique de porter le haut de Beckett. Al lutta contre le désir qui montait à nouveau en lui, en se visualisant sous une douche froide. De son côté, Beckett semblait également troublé.
– Tu es sexy comme ça, dit-t-il d'une voix voilée, en se mordillant les lèvres.
Rapidement cependant, la peau de Al pâlit et devint translucide. Il rendit le sweat-shirt à l'adolescent. Les quelques minutes de la journée où il était visible étaient déjà terminées. Deux vieilles dames débouchèrent alors au coin de la rue et le jeune homme invisible songea qu'ils l'avaient échappé belle.
Même après leur passage, Beckett et Al gardèrent leur silence. Il y avait entre eux comme une gêne. L'adolescent consulta sa montre et décréta qu'il était temps de retourner au lycée. Main dans la main, mais sans parler, ils franchirent les portes du bâtiment principal. Pour Al, il était évident que l'épisode de sa brève réapparition avait dû faire réaliser à l'adolescent une partie des problèmes qu'impliquaient sa maladie. L'apercevoir tout excité n'avait pas dû arranger les choses. Peut-être que Beckett croyait maintenant qu'il était capable de se masturber en toute discrétion, devant le nez de tout le monde, ce qui était pourtant parfaitement impossible, son sperme devenant bien visible quand il éjaculait...
Devant la salle de classe où devait avoir lieu le cours d'histoire, ils retrouvèrent Julius et Garance, au milieu de d'autres élèves. Les deux adolescents accueillirent Beckett plutôt fraîchement, en lui faisant remarquer que cela n'avait pas été cool de sa part de filer comme il l'avait fait. Beckett s'excusa platement. Après avoir accepté son mea culpa, Garance, remontant ses lunettes sur son nez, demanda :
– Tu as un problème à la main ?
Evidemment, une main aux doigts repliés sur un vide apparent, cela à de quoi intriguer. Beckett leva le bras, obligeant Al à suivre le mouvement et commença à dire :
– Non, ce n'est...
Effrayé à l'idée qu'il révèle la vérité, le jeune homme invisible lui lâcha la main avec brutalité. Les yeux antharcites de Beckett s'assombrirent aussitôt, comme un ciel avant l'orage.
– C'est quoi ? reprit l'adolescent à lunettes.
Beckett laissa retomber le bras le long de son corps, étira les doigts et grommela :
– Trop compliqué à expliquer.
– T'es bizarre aujourd'hui, commenta Julius.
Sur ces entrefaites, le professeur arriva, agitant un lourd trousseau de clefs et la cloche sonna. Beckett étant fâché, Al faillit renoncer à pénétrer dans la salle. Finalement, il y entra avec les derniers, ceux qui traînaient les pieds, et il dut fouiller les rangées des yeux avant de repérer Beckett.

jeudi 7 juin 2012

Rendez-vous manqué - 16

– Je ferais mieux de rentrer chez moi. Si nous continuons à bavarder, ta pause de midi sera finie sans que tu ais mangé.
– Et toi, tu n'as pas faim ? Je peux acheter deux sandwichs.
Al se voyait mal manger quoique ce soit, dehors, tout nu. Mais il était content que Beckett veuille le retenir.
– De la nourriture qui vole dans les airs avant de disparaître, cela risque d'attirer l'attention. Mais je suis loin d'être affamé, je peux encore rester un moment avec toi, si tu le souhaites.
– Ce serait super... Enfin, seulement si tu n'as ni faim, ni froid.
Le jeune homme invisible confirma que c'était bon, et ils se mirent en route pour la boulangerie la plus proche, non sans que Beckett n'ait exigé que Al lui donne la main.
– C'est ce que font les couples. Et puis, comme ça, je suis certain que tu es vraiment avec moi.
Al prit bien volontiers dans la sienne la main de l'adolescent. Il ne s'était jamais promené main dans la main avec personne, et cela l'enchantait.
– Comme s'appellent tes deux amis ?
– Le roux, c'est Julius et l'autre, c'est Garance. On se connaît depuis la première année de collège. Mais, dis-moi, ce n'était pas ennuyeux d'assister à mes cours ?
– Non. J'ai séché la plupart des miens. C'est d'ailleurs pour cette raison que je suis encore lycéen à mon âge.
– Oh. A cause de ta maladie ?
Une question idiote, une de plus. Al, sans aller jusqu'à y prendre goût, commençait à s'y habituer.
– Oui. Je détonne. Quand je sors habillé, on dirait que des vêtements se promènent sans leur propriétaire.
– Et cela ne te tentait pas les cours pas correspondance ?
L'arrivée à la boulangerie dont la vitrine laissait voir de délicieux gâteaux et vienoiseries, permit à Al de ne pas répondre avec amertume que ses parents avaient trouvé cela excessivement cher par rapport à l'école publique. Son éducation leur importait peu. Tout ce qu'ils avaient souhaité, c'était qu'il arrête de vivre avec eux le plus vite possible. Oui, pour ses parents, vu sa monstrueuse maladie, les études ne lui seraient pas vraiment utiles, car personne ne voudrait jamais embaucher quelqu'un comme lui.
Quand il accompagna Beckett à l'intérieur, les bonnes odeurs de pains et de pâtisseries réveillèrent l'appétit de Al qui pria pour que son estomac ne gargouille pas.
L'adolescent qui avait les deux mains prises entre son mobile et Al, choisit de ranger son téléphone afin de payer et de récupérer le sac plastique contenant ce qu'il avait commandé : un sandwich aux oeufs et à la tomate, une part de quiche et deux gros macarons au chocolat.
Après quoi, il souhaita une bonne après-midi à la jeune femme qui tenait la caisse, et ils ressortirent.
– Retournons dans la rue d'où nous venons. Cela a l'avantage d'être près du lycée, tout en étant tranquille, suggéra Beckett.
– Il n'y avait pas de banc...
– Je peux m'asseoir par terre. Mon jeans ne craint rien ! Et toi, de toute façon, vu ta tenue d'Adam, je parie que tu n'aurais pas posé les fesses dessus...
Al reconnut qu'il avait raison. Les bancs dans les rues n'étaient pas connus pour leur propreté entre les crottes de pigeons et les gens qui mettaient les pieds dessus pour renouer leurs lacets.
L'adolescent se débrouilla pour extirper son sandwich d'une seule main et se mit à manger.
– Qu'est-ce que tu vas faire cet après-midi ? demanda-t-il entre deux bouchées.
– Rien de particulier. Sûrement lire.
– Cela n'a pas l'air de t'enthousiasmer plus que ça.
Le jeune homme invisible n'osa pas lui dire que rester à ses côtés lui semblait nettement plus palpitant ; même si être nu et sauter un repas n'étaient pas exactement confortables.
Comme ils étaient revenus au niveau du poteau électrique, Beckett lui offrit la part de quiche et l'un des macarons.
– Il n'y a personne. Je suis plutôt gourmand et je pourrais les manger sans problème, mais je les ai pris pour toi. Comme ça, tu pourrais assister aux cours de l'après-midi et nous irions ensuite ensemble chez toi.
Cette nouvelle preuve que l'adolescent était content qu'il soit là, rendit Al heureux. Peut-être l'aimait-il déjà, même s'il n'avait pas fait écho à sa déclaration.
Le jeune homme invisible engloutit rapidement la nourriture, vérifiant que nul passant n'arrivait. Beckett lui savourait. Il dégustait son macaron avec une mine de chat gourmand qui provoqua une poussée de désir chez Al. La malchance voulut qu'il redevienne visible à cet instant précis. Être nu et en érection en pleine rue, calma aussitôt ses ardeurs. Beckett manqua de s'étouffer sur son dernier morceau de macaron. Tout en le regardant avec un intérêt non dissimulé, il ôta avec précipitation son sweat-shirt vert clair à manches longues et le lui tendit.

mercredi 6 juin 2012

Rendez-vous manqué - 15

Beckett plaqua les mains de chaque côté de sa tête et lui rendit son baiser avec une fougue maladroite avant de le relâcher et de déclarer :
- J'ai cru que j'étais fou d'imaginer que tu étais là.
- Je suis vraiment désolé.
- Tu es arrivé quand ? Pendant le cours de philo ?
- Non, avant. Mais j'étais à l'extérieur de la salle.
Beckett fronça les sourcils et Al s'attendit à ce qu'il l'accuse de l'avoir surveillé à son insu, mais l'adolescent s'exclama simplement :
- Puisque je ne te vois pas du tout, c'est que tu es tout nu !
- Oui, désolé.
- Tu n'as pas froid ? demanda Beckett, là où Al s'imaginait un "tu n'as pas honte ?"
- ça va.
- Quand je pense que tu m'as fait la morale en me disant de ne pas rester sous la pluie... A mon tour de te faire la leçon !
Al était complètement décontenancé. Beckett semblait effectivement contrarié, mais pas du tout pour ce qu'il avait cru. Ni la nudité ni son "espionnage" ne le dérangeaient, il le trouvait juste gonflé avec le recul qu'il lui ait suggéré de prendre soin de sa santé alors que lui-même n'en faisait pas grand cas.
- Tu as raison.
- Ceci dit, cela me fait plaisir que tu sois venu, dit Beckett avec un sourire ravi.
- Même si à cause de moi les gens vont te prendre pour un dingo qui se parle à lui-même en gesticulant en plein milieu du trottoir ? demanda Al en apercevant au coin de la rue une femme perchée sur de hauts talons jaunes qui approchait.
- Cela n'étonne plus personne avec les mobiles, répliqua Beckett.
Sur cette affirmation pleine d'assurance, l'adolescent récupéra son téléphone portable dans la poche avant de son sac à dos orange et le mit à son oreille pour faire comme si...
Sa façon de s'adapter à leur situation insolite était charmante. Le coeur de Al se gonfla d'une joie profonde.
- Je t’aime, souffla-t-il.
L'aveu lui avait échappé. Bien que Beckett soit encore au fond un inconnu, ce qu'il ressentait à son endroit, était bel et bien de l'amour.
Les paupières de l'adolescent papillonnèrent et il tendit la main en direction de Al, sans doute dans l'intention de le toucher.
- Merci, balbutia-t-il.
Al aurait préféré un "moi aussi" comme réponse, mais il savait aussi qu'il n'aurait pas dû être aussi exigeant. Beckett appréciait ses baisers, c'était déjà ça.

mardi 5 juin 2012

Rendez-vous manqué - 14

Al retint son souffle et alla se réfugier au fond de la salle. Il ne revint aux côtés de l'adolescent qu'au bout d'un bon quart d'heure et en gardant une distance prudente. L'adolescent semblait toujours perturbé : avait-il deviné sa présence ?
L'heure de midi arriva, le cours se termina et Beckett retrouva ses deux amis.
- On se prend un panini chez Freddy ? proposa le rouquin.
- Faut que je passe aux toilettes d'abord, déclara Beckett.
- Pareil, enchérit le binoclard.
Les traits de Beckett se plissèrent, trahissant une contrarié qui lui valut d'être charrier par ses deux camarades sur la grosse commission qu'il ne voulait pas que les autres entendent. L'adolescent protesta et Al ne put se demander si son attitude quelque peu étrange était liée avec l'incident qui avait eu lieu en cours de philosophie.
Il ne poussa pas le vice à entrer dans les toilettes avec eux. Il préférait voir les parties génitales de Beckett avec son plein accord et dans des circonstances moins prosaïques. Il patienta donc aux côtés du rouquin dans le couloir.
Il suivit ensuite les trois garçons hors de l'enceinte du lycée, soulagé de constater que la température avait augmenté depuis le matin et que le vent avait cessé. Ils avançaient d'un pas tranquille quand Al, trop occupé à admirer Beckett, se tordit le gros orteil sur un caillou qui traînait sur le trottoir. Il ne put retenir un léger gémissement. Heureusement, il y avait d'autres élèves qui marchaient derrière le trio. Beckett choisit néanmoins ce moment pour se séparer de ses deux camarades :
- Je vais vous laisser aller chez Freddy sans moi, annonça-t-il.
- Hein ? On peut manger ailleurs, si tu veux, offrit le rouquin.
- Non, ce n'est pas ça. Je viens de me rappeler que j'ai un truc à faire, répondit Beckett.
- Quoi donc ? demanda le binoclard.
Sans répondre, Beckett fit un petit geste de la main et s'éloigna à grandes enjambées, laissant ses deux amis tout étonnés derrière lui. Al surprit par ce départ précipité, lui emboîta le pas avec un temps de retard. Il entendit le binoclard demander au rouquin si à son avis, Beckett avait rendez-vous avec le type qu'il avait rencontré dans le parc. La réponse en revanche lui échappa, car il venait d'enfin rejoindre l’adolescent qui avançait à vive allure vers une destination inconnue.
Dans une petite rue déserte parallèle au lycée, Beckett s'arrêta au niveau d'un poteau électrique, se retourna et appela doucement :
- Al ? C'est toi ? Tu es là ?
Le jeune homme invisible hésita à répondre. Admettre sa présence, c'était s'exposer à des reproches et à une possible rupture. En même temps, si Beckett ne faisait que confirmer ce dont il était certain, il risquait de se fâcher qu'il ait gardé le silence.
- Al ? murmura une fois encore Beckett, en tâtant l'espace autour de lui, les yeux plissés.
Il était adorable avec son air perdu et Al qui l'avait regardé toute la matinée avec le désir de le toucher, vint impulsivement poser ses lèvres contre les siennes.

lundi 4 juin 2012

Rendez-vous manqué - 13

Il espionnait sa conversation avec ses camarades. Bien sûr, ces histoires de contrôles et de professeurs n'avaient rien de confidentiel... Plusieurs autres élèves à qui bavardaient à proximité pouvaient les écouter. Alors qu'Al cherchait à se rassurer ainsi, le rouquin lança soudain :
- Et alors, Félicité, qu'est-ce qu'elle te voulait hier soir après les cours après t'avoir laissé poireauter au parc dimanche ?
Beckett rapporta les explications de Félicité comme il l'avait fait avec Al.
- Et t'as gobé ça tout rond, comme d'habitude, je parie, commenta l'adolescent à lunettes. Sache que d'après mes sources, ses deux grand-mères sont mortes et enterrées depuis longtemps.
- Je n'ai pas de raison de mettre en doute sa parole, répliqua Beckett.
- T'es encore en train de te faire mener en bateau, soupira le rouquin.
- Non, parce que ce soit vrai ou pas, j'ai décliné son offre de nouveau rendez-vous.
  La dernière partie surprit Al. Beckett ne lui avait pas précisé que Félicité lui avait proposé de sortir avec elle.
- Bah, pourquoi ? demanda le binoclard.
- J'ai rencontré quelqu'un d'autre au parc. Je ne suis plus célibataire désormais.
- Tu ne l'as pas mentionné hier. T'as eu de la chance dans ton malheur, dis-donc. Comment est-elle ?
- Ce n'est pas une fille.
Trop tard pour le faire taire, songea Al en se tapant le front de la main, atterré par la facilité avec laquelle Beckett avouait sa nouvelle orientation sexuelle.
- Depuis quand tu es de ce bord là !? s'exclama le binoclard.
Le rouquin poussa un cri de dégoût accompagné d'une grimace éloquente.
- Au moins, je sais ce que cela fait d'embrasser, rétorqua Beckett. Et, ne vous inquiétez pas, cela ne m'intéresse pas d'essayer avec vous.
Le rouquin eut un petit rire nerveux et se détendit tandis que le binoclard faisait preuve d'une curiosité non dissimulée :
- Alors, c'est comment ?
Beckett sourit et garda le silence. Son camarade le relança, mais la sonnerie de fin de récréation retentit et la conversation se recentra sur des sujets scolaires.
Ils remontèrent en cours et cette fois Al put entrer dans la salle de classe. Tel un ange gardien, il resta debout dans l'allée, juste à côté de la chaise de l'adolescent. Même s'il était toujours tenté de lui passer la main dans les cheveux, il résistait, décidé à ne pas trahir sa présence qui avait toutes les chances de déranger son petit ami. Il se contentait de le dévorer des yeux, tout en écoutant le professeur de philosophie disserter sur la réalité et les penseurs y ayant réfléchi. Beckett était visiblement moins intéressé par ce cours que le précédent. Il s'était mis à jouer avec son stylo qu'il faisait tournoyer entre ses doigts. Le bic noir finit par lui échapper : il tomba sur le lino blanc qui imitait du carrelage et roula jusqu'au pied de Al. Par réflexe, ce dernier se pencha pour le ramasser. Au même moment, Beckett voulut récupérer son bien et leurs doigts se touchèrent. Le jeune homme invisible s'empressa de reculer. Beckett s'empara de son stylo et se redressa, l'air perplexe.

vendredi 1 juin 2012

Rendez-vous manqué - 12

Al regarda autour de lui, hésitant à prendre le couloir de droite, celui de gauche ou bien l'escalier qui montait à l'étage. Il n'avait pas la moindre idée de l'endroit où Beckett pouvait être, aussi s'engouffra-t-il au hasard dans l'un des deux couloirs. Il fit toutefois machine arrière quand il se rendit compte qu'il n'y avait là qu'une enfilade de bureaux - celui du proviseur, de son adjoint, du conseiller d'orientation...
Il emprunta l'escalier. A l'étage, se trouvaient des salles de classe munies par chance de fenêtres donnant sur le couloir, permettant de voir ce qui s'y passait. Bénissant cette disposition architecturale qui facilitait ses recherches, Al poursuivit sa quête avec une ardeur renouvelée. Les rideaux de certaines salles étaient tirés, mais souvent mal, si bien que Al pouvait tout de même vérifier que Beckett n'était pas à l'intérieur. Au quatrième étage, la chance lui sourit enfin et il repéra l'adolescent assis au premier rang qui écoutait un professeur à la chevelure poivre et sel qui se déplaçait avec grâce devant le tableau noir. Beckett semblait très concentré. De temps à autre, il prenait des notes sur le cahier posé devant lui. Ses cheveux bruns étaient tout ébouriffés. Il devait avoir oublié de se peigner avant de partir de chez lui. Al colla sa main à la vitre. Il aurait aimé toucher Beckett, glisser ses doigts dans les mèches brunes sous prétexte de les recoiffer, mais à moins que quelqu'un n'utilise la porte, il ne pouvait s'introduire dans la salle de classe sans soulever un paquet de questions. Il détacha son regard de l'adolescent et s'intéressa  aux autres élèves, s'attardant plus particulièrement sur les filles. Il se demandait laquelle d'entre elles était Félicité. Etait-ce cette jolie blonde au visage de poupée, cette brune à la bouche généreuse...? Il la détestait sans même la connaître. Même si Beckett l'avait choisi au final, il était incapable d'oublier qu'il avait voulu faire de Félicité sa petite amie. Une fille mâchait un chewing-gum, une autre tapait sur son mobile tandis que Beckett continuait à avoir une conduite exemplaire.
Al était toujours en train d'admirer l'adolescent de loin quand la cloche sonna, marquant la fin du cours. En quelques instants, la classe se déversa dans le couloir, obligeant Al à se faire tout petit afin d'éviter qu'on ne lui rentre dedans ou qu'on ne lui écrase les pieds. Il entreprit ensuite de suivre Beckett qui discutait du cours à venir avec deux garçons de sa classe, un rouquin et une grande perche à lunettes. Les trois adolescents, au milieu d'une foule d'autres, descendirent les escaliers et se rendirent dans la cour. C'était l'heure de la pause de dix heures. Le vent soufflait et Al frissonna, mais il ne retourna pas à l'intérieur. Il était là pour être Beckett, même si celui-ci n'était pas conscient de sa présence. D'ailleurs, à la réflexion, il valait peut-être mieux qu'il n'apprenne pas qu'Al était venu lui rendre visite. Il trouverait sûrement ça malsain.