mardi 30 juin 2015

Contes modernes - 78

— Je sais que vous avez été brûlé dans l'exercice de votre métier. J'ai d'ailleurs rencontré l'enfant que vous avez sauvé ce jour-là, mais si vous pouviez me raconter...
— Non, gronda l'ancien pompier.
Cela s'annonçait mal, songea Cain.
— C'est douloureux pour vous de vous en souvenir ?
— Évidemment ! A qui cela-t-il peut faire plaisir de se rappeler un moment où il s'en est pris plein la tronche, hein ?
Angel flanqua un coup de poing rageur dans la table, ce qui fit sursauter Cain. Sous l'effet de la colère, son hôte devenait effrayant.
— Vous n'avez pas tort... souffla-t-il.
— Question suivante !
— Pierrot vous est très reconnaissant, de même que ses parents. Qu'est-ce que cela vous inspire ?
— Ça m'arrange qu'ils me commandent plein de jouets, autrement, ils sont lourds. Si cela n'avait pas été moi, cela aurait été un de mes collègues. J'aurais préféré qu'ils ne cherchent pas à me contacter.
— Pourquoi ?
Angel baissa les yeux, puis les releva, pleins de défi.
— C'est pour ça que je ne voulais pas de ces questions, merde...
Cain devina ce qu'il se refusait à dire. Une part d'Angel regrettait d'être aller sauver le petit garçon car il avait payé le prix fort. Il était moins défiguré que d'autres, mais le vivait plus mal. Sa moitié intacte montrait à quel point il avait été séduisant autrefois.
— Je ne suis pas obligé de mettre tout ce que vous me dîtes dans le dossier.
— Encore heureux !
— Vous auriez préféré que quelqu'un d'autre que vous sauve Pierrot ?
Angel émit un petit bruit désabusé.
— C'est ça. Pourquoi posez-vous des questions dont vous avez déjà les réponses ?
— Parce que je ne les ai pas. Ce ne sont que des hypothèses. Tout le monde est différent. C'est à cause de vos brûlures que vous vivez à l'écart ?
— Là encore, vous gaspillez votre salive !
— Le dernier grand brûlé que j'ai interrogé le fait par désir de tranquillité.
— Tsst ! Ça pue le mensonge, ça ! C'est pénible d'être regardé comme un monstre de foire, comme quelqu'un déguisé toute l'année pour Halloween !
Sa voix était comme le grondement d'une bête blessée.
Cain poursuivit :
— Cela fait combien de temps que vous avez emménagé ici ?
— Presque dix ans. Je n'ai pas tenu plus de quelques mois en société après ma sortie de l'hôpital. Pitié, curiosité, dégoût, je me suis vite lassé !
— Vous ne voyez jamais personne ici ?
— Oui. Le moins possible en tout cas. Je me fais livrer et je me suis arrangé avec le postier pour qu'il récupère les commandes de jouets que je dois envoyer devant la maison.

lundi 29 juin 2015

Contes modernes - 77

— Si vous avez besoin de quoi que ce soit, ma chambre est en face, indiqua Angel avant de quitter brusquement la pièce.
Cain eut à peine le temps de dire bonne nuit, déjà la porte claquait.
Il se brossa les dents, se déshabilla et essaya le pyjama. Le pantalon était bien trop long, de même que les manches de la chemise dans laquelle il flottait. Toutefois, comme il n'aimait pas dormir nu et que garder son slip qu'il devrait remettre le lendemain ne lui disait rien puisqu'il n'avait pas emmené de change, il garda le haut du pyjama et se glissa dans le lit. Les draps étaient froids, presque humides, mais le matelas était confortable.
Avant de s'endormir, il songea que son hôte était un peu comme sa maison, repoussant et accueillant à la fois.

Au réveil, Cain fut désorienté. Un jour gris filtrait à travers les rideaux. Il était difficile de déterminer l'heure. Se rappelant qu'il y avait une pendule en bas, il se leva et descendit doucement le vieil escalier qui se moqua de ses efforts de discrétion en craquant joyeusement.
Surprise ! Angel Bist se trouvait dans la cuisine en dépit des six heures et demi affichées à la pendule. Sur la table étaient disposés deux bols, du lait, de la confiture et une grosse boule de pain.
— Pile à l'heure pour le petit déjeuner... déclara Angel, en l'enveloppant d'un regard étrange.
Cain se rappela alors de la tenue qu'il portait. Il devait avoir l'air ridicule.
— Je remonte m'habiller. Je reviens de suite.
Il remonta quatre à quatre, s'habilla en vitesse, récupéra son sac à dos et redescendit.
La disposition des chaises était identique à la veille et cela gêna Cain. Ce n'était pas propice à un quelconque échange, or il avait bien l'intention de commencer l'interview dès la fin du petit déjeuner, Angel lui ayant bien fait comprendre la veille qu'il préférait manger sans bavarder. Il empoigna la chaise libre et commença à la déplacer.
— Qu'est-ce que vous fichez ?! s'emporta Angel.
— C'est plus convivial de manger côte à côte, surtout avec une longue table comme ça, répliqua Cain avec plus d'assurance qu'il n'en ressentait.
L'ancien pompier grogna.
— Si vous y tenez, mais mettez-vous à gauche ou vous risquez d'avoir l'appétit coupé.
Ainsi, Cain verrait son bon profil, la partie de son visage que le feu n'avait pas marqué.
— Cela m'est égal, affirma-t-il.
— Pas moi !
C'était un cri du cœur. Cain ne discuta pas plus avant.
Le pain était croustillant, la confiture de framboise sucrée et le lait riche et tiède. Tout était à priori « made in Angel. » La dernière bouchée avalée, Cain demanda aussitôt :
— Vous êtes prêt pour les questions ?
— Non, mais allez-y.

vendredi 26 juin 2015

Contes modernes - 76

— Merci pour le dîner, déclara Cain avant de goûter à la salade à laquelle il n'avait pas encore touché, attendant que son hôte soit également installé.
Elle était délicieuse, fraîche et croquante.
— Elle vient du jardin ? demanda-t-il, ayant aperçu des laitues dans le potager.
— Oui. Les tomates aussi.
— Vous ne mangez que ce que vous produisez ?
— Presque, mais je ne peux pas tout fabriquer moi-même, alors je me fais livrer ce qui me manque. Et ça suffit avec les questions !
L'omelette s'avéra succulente. Quant aux fraises à la crème qui furent servies dans des coupes en cristal en guise de dessert, elle se révélèrent tout bonnement divines. Cain ne s'était jamais autant régalé de sa vie.
Ses quelques tentatives cependant pour en savoir plus sur l'ancien pompier au cours du repas se soldèrent par un échec cuisant, Angel ayant fini par lui reprocher de ne pas savoir savourer ce qu'il mangeait, le réduisant au silence.
Le dîner terminé, son hôte refusa son aide pour la vaisselle qu'il fit avec une dextérité et une rapidité impressionnante.
Et maintenant quoi ? se dit Cain en étouffant un bâillement. Si Angel Bist refusait d'être interviewé, il n'avait aucune raison de s'imposer plus longtemps.
— Venez, je vais vous conduire à votre chambre.
— Je ne vais pas rester dormir ici, protesta Cain.
— C'est dangereux de rouler quand on est fatigué, pour vous comme pour les autres. C'est comme ça que se produisent les accidents.
On sentait l'ancien pompier dans cette remarque.
— Mais si vous ne voulez pas répondre à mes questions, je ne...
— Demain, coupa Angel.
— Vous me laisserez-vous interviewer ?
L'ancien pompier émit un  grommellement indistinct et sortit ensuite de la cuisine, poussant une autre porte qui révéla un magnifique escalier en bois patiné.
Cain le suivit jusqu'à une chambre au papier peint orné de roses qui sentait le renfermé et comportait un majestueux lit à baldaquins encadré par deux tables de chevets. Une coquette salle de bains avec tout le confort moderne y été accolée. Là encore, le contraste était curieux.
Angel Bist lui fournit une brosse à dents neuve et un tube de dentifrice ainsi qu'un pyjama. Cain était confus de toutes ses attentions, mais son hôte n'écouta aucune de ses protestations. Sans en être tout à fait sûr, il semblait à Cain que malgré le ton mal aimable qu'Angel employait et l'air peu engageant qu'il affichait, ce dernier était plutôt content de le recevoir. Cole Sorière n'en avait pas fait le quart de la moitié... mais il  avait répondu à ses questions. Cain espéra qu'au matin, l'ancien pompier ne reviendrait pas sur son grognement d'assentiment.

jeudi 25 juin 2015

Contes modernes - 75

Cain ne le quitta pas des yeux et le geste d'Angel Bist s'arrêta alors qu'il ne restait plus qu'une faible ouverture.
— Je ne vous effraie pas, hein ? demanda-t-il en désignant la moitié de son visage qui avait été brûlé.
— Non, pas du tout.
— Il est tard. Le restaurant le plus proche est à plusieurs kilomètres, pareil pour la supérette qui sera de toute façon fermée le temps que vous y parveniez.
Le jeune homme ne sut comment interpréter ce changement de sujet.
Angel Bist continua :
— Je peux bien vous offrir le dîner. Après tout, vous avez dû faire du chemin pour venir jusqu'ici.
Cain reprit espoir, mais comme si son interlocuteur avait lu dans ses pensées, l'ancien pompier précisa :
— Cela ne veut pas dire que j'accepte de répondre à vos fichues questions.
Le jeune homme ne se laissa pas décourager : ils n'allaient pas manger en silence quand même ? Ce serait toutefois délicat s'il ne pouvait prendre de notes... C'était dans les moments comme ça qu'il se prenait à regretter de ne pas être équipé d'un dictaphone. Il franchit le seuil et découvrit le jardin. Si les grilles étaient ornées de rosiers, le reste du jardin n'était guère fleuri : il était coupé en deux par une allée bordée de grillage avec un potager à droite et un pré herbeux où une vache normande ruminait, un abri et poulailler derrière elle.
Dans le dos de Cain, le portail se clôt dans un fracas sinistre et Angel Bist lui passa devant, avançant à grandes enjambées. Cain dut courir pour le rattraper. Déjà l'ancien pompier s'était engouffré à l'intérieur de la sombre maison aux tourelles.
L'entrée était nue, à l'exception d'une patère en bois sculptée vide accrochée au mur. Sans se préoccuper de son invité, l'ancien pompier entra dans la pièce d'à côté. C'était une cuisine avec un poêle à bois, un vieil évier, une longue table aux pieds torsadés avec en tout et pour tout une chaise paillée à chaque bout. Toujours comme s'il n'était pas là, Angel Bist fourragea dans un haut réfrigérateur blanc résolument moderne, et sortit des œufs, des tomates, un gros morceau de fromage ainsi qu'un panier à salade plein.
Cain avait l'impression de ne pas être à sa place. C'était le moment de poser des questions, et en même temps, la situation ne s'y prêtait pas.
— Puis-je faire quelque chose ? demanda-t-il finalement.
— Oui, asseyez-vous !
En quelques minutes, Angel Bist eut dressé la table : deux jolies assiettes bordées de petites fleurs qu'il emplit de salade, deux verres à pied décorés de gravure dans lesquels il versa de l'eau, des couverts en argent.
Cain n'avait pas bougé.
— Qu'est-ce que vous attendez pour poser votre cul sur une des chaises ? gronda Angel.
Cain obtempéra, de plus en plus mal à l'aise. C'était quelque chose dans l'atmosphère de la maison, ce mélange d'ancien et de moderne, de rustique et de raffiné, mais aussi dans l'attitude ambiguë de son hôte.
Ce dernier s'activait toujours. Il avait allumé la cuisinière à bois et cassait à présent les œufs sur le bord d'une poêle. Ceci fait, il ajouta les tomates coupées préalablement en deux ainsi que des petits bouts de fromage. Il remua le tout et quand il considéra que c'était prêt, se mit à l'autre bout de la table.

mercredi 24 juin 2015

Contes modernes - 74

Dans le ciel, le soleil déclinait. Cain se demanda si Angel Bist s'était absenté et allait revenir ou bien s'il ignorait volontairement la cloche. Il la secoua avec insistance à plusieurs reprises et finalement, des bruits de pas se firent entendre de l'autre côté de la grille et une voix rocailleuse retentit :
— Qu'est-ce que vous voulez ?
— Je m'appelle Cain Landy. Je vous avais écrit pour vous interviewer...
— Il me semble vous avoir répondu que je n'étais pas intéressé.
— Vous n'avez eu aucune réaction, mais...
— C'est la même chose ! trancha l'ancien pompier.
Cain expliqua le dossier qu'il faisait.
— J'en ai rien à foutre ! Dégagez !
Cain ne renonça pas. Il avait roulé pendant près de trois heures et son interlocuteur était juste de l'autre côté de la porte. Il fallait simplement trouver les bons arguments.
— Cela ne prendra pas longtemps.
Angel Bist ne répondit pas et le silence se prolongea. Cain supposa qu'il l'aurait entendu s'éloigner et reprit, changeant de stratégie :
— Vous avez de fort belles roses, puis-je en cueillir une ?
— Et puis quoi encore ? Non content de venir emmerder les gens chez eux, faut que vous les voliez ?
— Je vous demandais l'autorisation, fit remarquer Cain sans se laisser décourager par l'agressivité dont l'ancien pompier faisait preuve.
— C'est non ! Et maintenant, ouste, du balai !
Il y eut un bruit de pas. Cain allait repartir bredouille...
— De quoi avez-vous peur au juste ? l'interpella-t-il d'une voix forte, espérant faire réagir son interlocuteur en le provoquant.
Le portail s'ouvrit dans un grincement terrible et Cain le vit alors. Angel Bist était une homme très grand, deux mètres au moins. Il était large d'épaules, bien plus carré que les frères de Cain. Son visage encadré de cheveux blonds mi-longs était amoché, mais seulement de moitié, ce qui donnait un effet très étrange. Un de ses yeux bleus, celui du côté « monstrueux » était comme voilé. Le jeune homme avait cependant vu bien pire au cours du mois écoulé. Il ne cilla pas. Angel Bist parut décontenancé par son absence de réaction. Avait-il cru que Cain allait crier et s'enfuir en le voyant ?
— Je ne veux pas répondre à vos putains de questions, c'est tout ! grogna l'ancien pompier.
— S'il-vous plaît, je vous assure que cela ne sera pas long.
Maintenant que l'homme était sorti, Cain sentait que la partie était presque gagnée...
— Et si je continue à vous refuser, vous allez camper devant ma porte ?
— C'est une idée... répliqua Cain sans le penser sérieusement.
Son estomac gargouilla, il avait encore oublié de se prévoir un casse-croûte.
L'ombre d'un sourire flotta sur la bouche légèrement tordue d'Angel Bist.
— Il faut croire que le siège ne durerait pas longtemps... dit-il, commençant à refermer la porte.
Si Cain avait eu plus d'audace, il aurait bloqué celle-ci en avançant le pied, mais quel soit son envie de connaître l'histoire de cet homme blessé dans sa chair qui en était venu à vivre à l'écart du monde, il ne pouvait le forcer à se confier.

mardi 23 juin 2015

Contes modernes - 73

Cain avait entendu parler de cet ancien pompier par l'intermédiaire du garçon qu'il avait sauvé, dix ans plus tôt. Bébé à l'époque, le garçon âgé de onze ans à présent, ne se souvenait bien sûr pas de son sauveur, mais sa mère lui avait raconté encore et encore l'histoire si bien que l'homme qui l'avait arraché aux flammes au prix de graves brûlures était devenu son héros. Le petit garçon n'avait, lui, eu que son bras de touché. Ce n'était pas joli à voir, mais il était vivant et son père comme sa mère débordaient de reconnaissance envers le pompier. Sans lui, ils auraient perdu leur enfant dans l'incendie ce jour-là. La mère avait admis avoir été irresponsable, même si elle n'avait bien sûr pas pu imaginer un incident pareil, quand elle avait laissé son bébé de dix huit mois le temps d'une course dans le magasin au pied de son immeuble. Quand elle avait su qu'un incendie s'était déclenché dans les étages supérieurs où elle résidait, il était déjà trop tard pour qu'elle y retourne. Elle avait eu beaucoup de mal à aborder les pompiers. L'un d'entre eux avait heureusement fini par comprendre sa détresse et s'était chargé du cas.
Comme ils se sentaient extrêmement redevables envers le pompier, ils s'étaient renseignés à son sujet. Ils avaient ainsi appris qu'après un long séjour à l'hôpital, il était parti vivre à la campagne. Grâce à son nom, Angel Bist, ils avaient ensuite retrouvé sa trace : l'ancien pompier s'était reconverti en fabricant de jouets en bois sur internet. Cain l'avait contacté par mail sans succès. Cependant, après son expérience avec l'écrivain, il avait envie de tenter une approche directe. Son adresse était présente dans les mentions légales de son site de vente. Bien sûr, c'était un pari, mais peut-être parviendrait-il ainsi à le convaincre de lui parler. Se déplacer était une preuve de motivation. L'ancien pompier y serait peut-être plus sensible qu'à ses mails qu'il n'avait au demeurant peut-être pas lu, si jamais ils avaient atterri par malchance dans les spams.
Ce n'était pas choisir la voie de la facilité, mais Cain était sûr que ce serait intéressant, que cela en valait la peine.

Cain, dès qu'il put, repartit sur les routes. Il eut beaucoup moins de difficultés qu'avec le chalet de l'écrivain et put se garer devant la maison de l'ancien pompier qui avait tout d'un petit château avec ses deux tourelles. Elle était entourée d'une haute grille entièrement recouverte de rosiers. Seule le portail en était dépourvu, mais une grande plaque noire bouchait la vue. En guise de sonnette, il y avait une vieille cloche rouillée. Cependant, Cain eut beau tirer sur la chaîne permettant de la faire retentir, personne ne vint. Il tenta de pousser le portail, mais ce fut peine perdue, alors il attendit en admirant les roses. Il y en avait des jaunes, des oranges et des rouges et toutes elles embaumaient.

lundi 22 juin 2015

Contes modernes - 72

Cain remercia l'écrivain de l'héberger pour la nuit, puis avec gêne, ajouta :
— Je sais que c'est abuser de votre bonté, mais pourriez-vous me faire la faveur de dédicacer Moi et mon fantôme pour mon ami qui possède toutes vos œuvres ?
Cain avait acheté exprès le dernier livre de l'auteur pour son ami. Il ne lui avait touché mot de cette opportunité de rencontrer l'écrivain ou de la possibilité d'obtenir de dédicace afin de lui en faire la surprise et de lui éviter une éventuelle déception. Sans cela, Ariel aurait pu le renseigner sur les fameuses nouvelles de Cole Sorière qui évoquaient les grands brûlés...
L'écrivain poussa un long soupir.
— Je peux. Donnez-le moi.
Cain se dépêcha de sortir le livre de son sac et le lui tendit avec un stylo.
— Comment s'appelle-t-il ?
— Ariel.
Cole Sorière griffonna quelques mots sur la page de garde et lui rendit ses affaires.
— Merci beaucoup.
— Oui. Bon, venez récupérer votre couverture à l'étage, après, je ne veux plus vous entendre. Pas même un ronflement. J'ai une histoire qui m'attend.
Cain s'empressa de suivre l'écrivain qui disparut un instant de la pièce dont il était sorti tout à l'heure, lui fourra un plaid tigré dans les bras et lui claqua la porte au nez. L'homme n'était pas des plus commodes, mais il avait été somme toute plutôt accueillant. Il avait répondu à toutes les questions de Cain et lui avait dédicacé le livre. A présent, le moins que le jeune homme pouvait faire, c'était de respecter son désir de paix.
Il descendit sur la pointe des pieds, mais son estomac se mit à gargouiller, gâchant ses efforts. Une fois en bas, il acheva de mettre à terre ce qui encombrait encore le canapé avant de s'allonger dessus. Ce n'était pas très confortable, mais c'était mille fois mieux que d'être dans la forêt. L'épuisement l'emportant sur la faim, il ne tarda pas à s'endormir.

Il se réveilla à l'aube, la bouche pâteuse et le cou endolori. Il remit les affaires en place sur le canapé du mieux qu'il put en faisant le moins de bruit possible et replia la couverture avec soin. Pour se défaire de l'impression qu'il s'enfuyait comme un voleur, il écrivit ensuite un mot, remerciant encore Cole Sorière pour son hospitalité et sa disponibilité.
Il eut moins de peine dans le sens inverse : descendre la montagne boisée était moins dur que de la gravir et la forêt devenait moins dense au fur à mesure de sa progression. Il fut cependant soulagé quand il repéra la carrosserie rouge de sa voiture et c'est tout guilleret qu'il s'installa dedans. Il avait réussi à interviewer l'écrivain, ce qui n'était pas gagné d'avance. Comme quoi, se déplacer chez les gens sans être annoncé n'était pas synonyme d'échec... Cela lui donnait envie de tenter également sa chance auprès de cet ancien pompier qui avait été sévèrement brûlé dans l'exercice de son métier et n'avait daigné répondre à aucun de ses mails.

vendredi 19 juin 2015

Contes modernes - 71

— Pardonnez mon indiscrétion, mais est-ce à cause de vos brûlures que vous vivez isolé ?
— Pas du tout. J'ai la chance qu'aucune ne soit visible, à moins de me déshabiller, et je n'ai certes pas honte de me déplacer avec une canne. C'est plus classe que de franchement claudiquer. Non, j'ai besoin d'une tranquillité absolue pour écrire. Être coupé du monde dans ce coin perdu me garantit zéro interruption. Enfin, normalement.
Le regard noir qu'il posa sur lui était si éloquent que Cain se rencogna dans le canapé. C'est vrai qu'il s'était imposé.
— Désolé, souffla-t-il.
— Vous avez encore des choses à me demander ?
Il avait apparemment épuisé la patience de Cole Sorière. Cain avait toutefois encore quelques questions.
— Vous éprouvez de la reconnaissance envers les pompiers qui vous ont secouru à deux reprises ?
— La cavalerie est arrivée un peu tard dans les deux cas. Cependant, j'ai de l'admiration pour eux, car ce n'est pas un métier facile.
— Vous n'avez jamais eu envie de mettre en scène des personnages victimes du feu compte tenu de votre expérience ?
— J'ai abordé le sujet dans quelques nouvelles, mais de manière fantastique et non réaliste.
Cain s'en voulut. Ses recherches sur les œuvres de Cole Sorière n'avaient pas été assez poussées. Ce n'était ni sérieux ni professionnel de sa part.
— Dans quels recueils se trouvent-elles ?
— Pourquoi, vous allez les lire ?
A son ton, il était clair qu'il doutait. Cain opina. C'était important pour son dossier et même s'il n'était pas fan de l'auteur, son style lui plaisait.
Cole Sorière lui fournit les références. Cain les nota avec soin. Il les emprunterait à Ariel.
— Avez-vous quelque chose à ajouter ? Un mot à dire à ceux qui comme vous ont été victimes de graves brûlures ?
— Ah, nous en avons donc fini... Je n'ai rien à dire, à part peut-être que tous les accidentés, qu'elles que soient les origines de l'évènement, sont semblables à des phénix. Nous renaissons des cendres changés, mais pas moins majestueux.
— C'est magnifique, souffla Cain, ému en repensant à la mère fardée qui avait renoncé à son fils par amour, à la petite fille du centre hospitalier qui avait peur de son reflet et à d'autres encore.
Cole Sorière se leva. Cain fit de même. Il était épuisé entre les heures de conduite et sa longue errance. Il étouffa un bâillement. Il faisait à présent nuit noire et à coup sûr, il allait se perdre...
— Je vous remercie du temps que vous m'avez accordé. Si cela vous intéresse, je vous ferai parvenir le dossier quand je l'aurais achevé.
— Même si je suis curieux de lire votre travail terminé, pas la peine de me l'amener ici. Mon éditeur se chargera de récupérer une copie à l'association où je suppose que vous en laisserez un exemplaire. Autrement, je ne suis ni un monstre ni une bête sauvage, aussi ne vais-je pas vous mettre dehors en pleine nuit dans la forêt. Vous pouvez dormir sur le canapé. Je vais vous donner une couverture. Il y a une coupe de bonbons sur la table basse, vous pouvez vous servir.
Inutile de me prévenir quand vous partirez demain matin.

jeudi 18 juin 2015

Contes modernes - 70

Cain termina vite son bonbon et demanda :
— Pour commencer, pourriez-vous me raconter dans quelles circonstances vous avez été brûlé ?
— La première ou la deuxième fois ?
Cain fut un instant interloqué, puis déclara :
— Procédons chronologiquement.
— Quand j'avais six ans, j'ai voulu prendre la friteuse en fonte pour la mettre sur la table et me servir. J'avais faim, le minuteur venait de sonner, signalant que les frites étaient cuites et ma mère, dans le salon, restait suspendue au téléphone. L'ustensile était plus lourd et plus chaud que prévu et je l'ai lâché. J'ai été ébouillanté par l'huile et j'ai eu le pied écrasé en prime.
— Comment votre mère a réagi ?
— Alertée par mon cri, elle est arrivée en catastrophe dans la cuisine. Elle a commencé par récupérer la friteuse et à la vue de mon pied ensanglanté, s'est évanouie. Quand elle a reprit ses esprits, moi, j'étais en état de choc. Je crois qu'elle a appelé les pompiers, dépassée qu'elle était par les évènements. Après, pendant longtemps, elle n'a plus touché au téléphone que ce soit pour appeler ou répondre et jamais plus elle n'a laissé quelque chose sur le feu sans surveillance. Elle s'est toujours senti coupable. Pourtant, la bêtise était mienne.
— Vous vous déplacez avec une canne à cause des brûlures ou bien, c'est le poids de la fonte qui...
L'écrivain, une fois de plus, ne le laissa pas terminer.
— Je ne me souviens pas des explications du médecin. Mon pied a pris cher ce jour-là et j'ai gardé les cicatrices de mes brûlures.
— D'où votre soutien à l'association ? demanda Cain.
C'était fou comme un banal incident domestique pouvait ainsi tourner au drame.
— Cela y a contribué, mais l'élément déclencheur, cela a été l'incendie qui a ravagé mon chalet, il y a 8 ans. J'aurais pu y rôtir vivant.
— Que s'est-il passé ?
— Difficile à dire. Les possibilités sont multiples. On peut imaginer que c'est cause d'une braise du feu dans la cheminée, ou bien de la flamme d'une des bougies parfumées que j'aimais allumer, ou encore d'un défaut de la cuisinière à gaz.
Malgré toutes les suggestions émises par l'écrivain, Cain eut l'impression que Cole avait une idée précise sur comment s'était arrivé et ne souhaitait pas l'exposer pour une raison ou une autre. Il n'osa pas insister.
— Comment vous en êtes-vous sorti ?
— De justesse. Tout le bas flambait déjà, j'ai dû passer par la fenêtre de l'étage, ce qui m'a valu une belle chute qui n'a pas arrangé mon pied.
— Vous n'avez pas été brûlé ?
— Si, car j'ai hésité à sauter et fait une tentative  de passer par le bas malgré les flammes.
— Le feu s'est-il étendu à la forêt ?
— Quelques arbres ont été calcinés, mais coup de chance la fumée a été repérée par un hélicoptère qui survolait le coin. Les pompiers ont été contactés en urgence, alors seul mon chalet a vraiment souffert. C'est à mon séjour à l'hôpital que j'ai appris l'existence de l'association des grands brûlés qui m'a inspiré le texte que vous connaissez et à laquelle j'ai fait de nombreux dons. Ensuite, j'ai fait rebâtir ma cabane et je suis retourné vivre dedans.

mercredi 17 juin 2015

Contes modernes - 69

La pièce comportait un coin salon avec une cheminée éteinte devant laquelle se trouvaient un canapé et deux fauteuils envahis par des paquets de feuille et un côté cuisine avec une table recouverte d'assiettes et casseroles sales. Le sol était tapissé de papiers froissés. Au milieu, un escalier de bois montait à l'étage. Cain appela encore, avançant lentement. Il était arrivé en haut quand un homme apparut brusquement. Il avait des cheveux gris mi-longs en bataille, des habits chiffonnés et était muni d'une canne. Il ne ressemblait que peu à la belle photo qu'on pouvait voir sur les couvertures de certains de ses livres.
— Je peux savoir ce que vous faîtes chez moi ? aboya-t-il, l'air furieux. A cause de vous, mon idée s'est envolée !
— Désolé, vraiment. Je me suis égaré. Je venais vous voir...
— Vous êtes mon nouvel éditeur ? coupa Cole Sorière.
— Euh non. Je m'appelle Cain Lan...
— Cain. Cela signifie beau en gallois. Vous portez bien votre nom, l'interrompit Cole Sorière.
La mère de Cain lui avait appris la signification de son nom peu avant sa mort, ce à quoi il lui avait répliqué avec l'innocence de l'enfance : « Et si j'avais été laid ? » Déjà à l'époque il recevait des tas de compliments. Elle avait répondu : « La beauté ne se réduit pas à ce que l'on voit. »
— Merci, répondit le jeune homme avant d'expliquer qu'il était étudiant en journalisme, avait eu son adresse par l'association des grands brûlés et souhaitait l'interroger à ce sujet.
Cole Sorière perdit sa mine renfrognée, sans pour autant se faire aimable.
— Vous êtes vraiment venu jusqu'ici juste pour cela ?
— Oui.
— Vous êtes un de mes fans ?
— Non, avoua Cain avec un brin d'embarras.
Il avait lu deux romans de Cole Sorière poussé par Ariel et les avait appréciés sans accrocher plus que cela. Bien sûr, pour les besoins de l'interview, il s'était renseigné davantage sur l'ensemble de ses œuvres, mais c'était tout.
— J'ai peine à vous croire.
— Un de mes amis l'est. Moi, ce qui m'intéresse, c'est essentiellement votre expérience de grand brûlé.
Cole Sorière émit un grognement dubitatif. Cain lui affirma encore que c'était pour cela qu'il avait fait tout ce chemin et Cole Sorière parut se détendre.
— Bon, descendons au salon.
Cain le laissa passer devant. Malgré sa canne, l'écrivain descendit rapidement, le fruit d'une longue pratique sans doute.
Cole Sorière s'assit sans scrupule sur un des fauteuils encombrés sans se soucier de ce qu'il y avait dessus. Cain libéra un espace sur le canapé avant de s'y installer et sortit de son sac à dos les questions qu'il avait préparées ainsi que de quoi écrire. Avant qu'il se lance, l'écrivain lui offrit un bonbon que Cain prit plus par politesse qu'autre chose, car il n'était pas trop friand de sucré. C'était d'un vrai repas dont il aurait eu besoin après toutes ses heures à tourner en rond dans la forêt, mais il n'allait pas faire le difficile alors que Cole Sorière semblait disposer à lui parler. Au moins, il n'avait pas soif ayant pensé à prendre une bouteille d'eau avec lui.

mardi 16 juin 2015

Contes modernes - 68

Cain, dans le silence de la nuit, termina de taper  au propre les dernières interviews qu'il avait réalisées, puis s'autorisa à consulter ses mails avant d'aller se coucher. Une surprise de taille l'y attendait et il se retint de justesse de pousser un cri de joie qui aurait pu réveiller ceux qui dormaient déjà sous le tout familial : la secrétaire de l'association, même si elle n'était pas supposée le faire, lui avait fourni l'adresse personnelle de Cole Sorière. L'écrivain qu'adorait son ami Ariel avait en effet été victime d'une grave brûlure dans son enfance et il soutenait l'association. Il avait entre autres écrit quelques lignes qui figuraient dans un grand cadre accroché en bonne place dans l'accueil de l'association :
« Les flammes nous ont refaçonnés,
Toujours le feu brûle en nous,
Et rien jamais ne l'éteindra. »
Cain aimait cette image du feu cruel et destructeur devenant flamme courageuse animant les grands brûlés qui devaient lutter d'abord pour guérir, puis pour supporter leurs corps irrémédiablement changés. L'écrivain vivait comme un reclus dans une forêt perdue au fin fond de la montagne. Il n'y avait aucun moyen de le contacter, si ce n'est se rendre sur place.
Cain planifia aussitôt son itinéraire sans se laisser décourager par les six heures de voiture qu'il lui faudrait faire pour parvenir à destination : le jeu en valait la chandelle malgré les difficultés et les frais d'essence que cela engendreraient. Ses heures de liberté suffiraient tout juste à faire l'aller-retour et rentrer à temps pour le boulot. Il fallait espérer que Cole Sorière accepte de le recevoir. Son témoignage de célébrité apporterait une touche intéressante au dossier. Et si jamais Cain arrivait à obtenir une dédicace par dessus le marché, Ariel serait ravi.

Finalement, le pire ne fut pas le long trajet en voiture, mais de trouver la maison de l'écrivain. Cain erra plusieurs heures dans la forêt, avant que finalement, à la tombée de la nuit,  une lueur entre les arbres lui permette d'atteindre un coquet chalet.
Il était tard, guère une heure décente pour débarquer chez un inconnu qui avait choisi de vivre isolé – peut-être parce qu'il était défiguré, même si sur les photos à l'arrière de ses livres, il ne l'était pas. Cain  toqua toutefois à la porte. Il aurait été bien en peine de retrouver le chemin jusqu'à sa voiture avec juste la lumière des étoiles pour se guider. Personne ne vint. A tout hasard, il tourna la poignée et la porte s'ouvrit.
Il entra. Une odeur chaude et sucrée l'assaillit.
— Il y a quelqu'un ? appela-t-il.
Seul le silence lui répondit.

lundi 15 juin 2015

Contes modernes - 67

Même très occupé entre son job de caissier, ses piges et son dossier, Cain n'avait pas oublié son ami Ariel. Il était passé le voir à la plage à trois reprises et appris que ce dernier était attiré par un homme qu'il avait sauvé de la noyade. Sa collège Axelle s'était cependant attribuée tout le mérite, profitant de son mutisme.  Comme autrefois, quand Ariel lui avait rapporté ses malheurs à l'école, il n'avait pas voulu qu'Ariel intervienne d'une quelconque manière. Cain, cependant, ne l'avait pas entendu cette fois de cette oreille. Il n'était plus un enfant et respecter le souhait de son ami lui avait paru moins important que de rétablir la vérité. Axelle était une jeune fille magnifique avec sa crinière rousse et ses yeux violets, mais cela ne lui donnait pas tous les droits. Toute l'affaire était injuste : non contente de mentir, en prétendant avoir sauvé l'homme qui plaisait à son ami, elle était sorti avec lui et avait par-dessus le marché coupé les cheveux d'Ariel.
Son ami avait affirmé que ce n'était pas grave, qu'il n'avait de toute façon aucune chance avec celui qu'il avait sauvé et que quand bien même cela aurait été le cas, il ne souhait pas se lancer dans une nouvelle relation amoureuse après tous les échecs retentissants qu'il avait essuyé, mais Cain s'en était mêlé, prenant le prétexte de son dossier, élargissant son sujet – un mensonge pour la bonne cause – et était entré en contact avec l'homme : Jim Sanders.
Les résultats avaient été au-delà de ses espérances puisque ce dernier s'était mis en couple avec son ami. Cain le trouvait trop vieux pour Ariel, mais s'était quand même réjoui pour lui qui, de toute façon, était toujours sorti avec des hommes plus âgés que lui. Oui, l'essentiel était qu'Ariel nageait enfin dans le bonheur...
La vie amoureuse de Cain était beaucoup moins reluisante. Il n'avait eu en tout et pour tout qu'une seule petite amie à la fac et cela s'était fort mal terminé. A la base, c'était elle qui avait insisté pour sortir avec lui et il avait fini par céder parce qu'elle partageait son amour des fleurs, respectait sa passion pour le journalisme et ne manquait pas de charme. Seulement, très vite, elle s'était plainte qu'il n'avait jamais de temps pour elle, ce qui était vrai au demeurant entre les cours et ses piges. Elle avait couché avec son frère aîné. Il l'avait découvert et ils avaient rompu. Hélas, il avait dû continuer à la voir parader au bras de son frère pendant plusieurs mois après cela. Il avait été soulagé quand cela s'était terminé entre eux. Cain avait reçu beaucoup d'avances depuis, mais ne s'était plus laissé tenter, même si certaines filles étaient tout à fait son genre. Il craignait que le schéma ne se reproduise. Ses études passaient avant tout. Plus tard, peut-être... Être avec quelqu'un lui manquait parfois, mais il n'avait guère le loisir de s'appesantir sur la question. Son dossier actuel le passionnait, même si certaines rencontres avec de grands brûlés étaient éprouvantes.

vendredi 12 juin 2015

Contes modernes - 66

Le journalisme, c'était sa vocation. Enfant déjà, il créait de faux journaux. Sa mère déjà malade à l'époque « s'abonnait » volontiers et le félicitait pour ses petits textes agrémentés de dessins. Il avait participé ensuite au journal du collège, puis du lycée. A la fac, il était devenu pigiste, même si ça payait mal et continué après être entré dans une école de journalisme. Effectuer les stages généralement non rémunérés dans les radios et les journaux s'était avéré impossible pour lui qui avait besoin d'un véritable salaire l'été afin de payer les frais d'inscriptions. Il avait obtenu une dispense exceptionnelle de stage en échange de dossiers de journalisme qui avaient l'avantage de pouvoir être réaliser à n'importe quelle heure de la journée, dans son peu de temps libre. Cain était très reconnaissant envers la directrice de l'école. Ses excellents résultats en cours avaient aidé, mais le jeune homme se doutait que ses beaux yeux avaient également joué en sa faveur. Dans son enfance, il avait obtenu plus d'un tour de manège gratuit supplémentaire au grand dam de ses frères et à la boulangerie, il n'était pas rare qu'il soit servi plus généreusement. Il ne voyait jamais la couleur des suppléments, ses frères dévorant tout, mais cela ne gênait pas Cain.
Pour son second dossier de remplacement, le jeune homme avait choisi un thème ambitieux et délicat sur les grands brûlés, côté victimes comme sauveurs. Il était entré pour cela en contact avec une association aidant ses derniers ainsi qu'avec la caserne de pompier de la ville et avait obtenu après discussion des noms et des adresses. Il s'était aussi rendu dans un hôpital possédant un service dédié aux victimes de brûlures. Au début, Cain avait eu du mal face aux peaux boursoufflés et abîmées, aux corps rafistolés, aux membres déformés et aux visages fondus comme la cire des bougies, mais finalement, il s'était habitué au point de pouvoir regarder au delà : derrière les apparences parfois monstrueuses, souvent impressionnantes, battaient des cœurs humains et sensibles.
Même après avoir recueilli bon nombre de témoignages, il continua, désireux de rendre un dossier le plus complet possible, susceptible de réconforter ces êtres dont la vie avait été bouleversée à jamais. Certaines personnes étaient réticentes à se confier, mais Cain prenait le temps de les convaincre. Ce n'était pas pour embêter les gens, mais parce qu'il pensait sincèrement que cela pouvait les aider. L'association des grands brûlés était du même avis : il était important que tous ces gens prennent conscience qu'ils n'étaient pas seuls.
Au final, c'était souvent ceux qui refusaient de prime abord de se confier qui avaient le plus de choses à dire. Cain avait été très marqué par cette mère lourdement fardée pour masquer, sans y parvenir, les brûlures qui l'avaient défigurée qui avait fini par lui raconter comment elle avait enveloppé à la hâte son bébé de linges mouillés, le protégeant ensuite de son corps pour franchir un mur de flammes, seule porte de sortie pour s'échapper de l'appartement en feu. Elle y avait perdu sa beauté, mais son fils en était ressorti indemne. Son mari l'avait quitté, ne supportant pas sa nouvelle apparence. « Souhaitant que notre enfant ait une vie normale et heureuse, j'ai préféré lui en laisser la garde. Mieux vaut qu'il soit loin de moi, plutôt qu'il ait honte de moi ou doive me défendre de ses camarades qui me traiteraient de monstre. »

jeudi 11 juin 2015

Contes modernes - 65

BRÛLURE
Cain où qu'il aille et d'aussi loin qu'il se souvienne, avait toujours attiré les regards et récolté des compliments. D'adorable petit garçon à mignon adolescent, il était devenu un beau jeune homme de vingt trois ans. Il ne comptait plus le nombre de fois où de parfaits inconnus, hommes comme femmes, vieux ou jeunes, s'étaient extasiés sur ses yeux vert pâle. A la longue, il s'y était habitué, mais cela ne l'avait pas rendu imbu de lui-même pour autant. Il faut dire que chez lui, ce n'était pas le même son de cloche. Son père comme ses quatre frères le considéraient comme le vilain petit canard de la famille : là où ils étaient tous bruns aux yeux marrons, tous carrés et musclés, Cain avait un corps fluet, des cheveux auburn et des yeux vert clair. « Si je n'avais pas une entière confiance en ta défunte mère, je pourrais croire qu'elle m'a trompé sur ce coup » disait parfois son père. « Tu fais efféminé » lançait régulièrement ses aînés, l'immobilisant sans mal, pour lui montrer à quel point il était faible par rapport à eux. « Tu es comme une pâle copie de nous » clamait le benjamin à qui mieux-mieux.
Tout cela avait amené Cain à s'interroger sur les apparences et comment elles pouvaient être trompeuses. Un visage avenant ne reflétait pas nécessairement une apparence aimable et des grandes différences entre les membres d'une même famille ne cachait pas forcément quelque honteux secret.
Toujours est-il qu'il ne s'entendait guère avec ses frères. Ces derniers affectionnaient le sport et les jeux vidéos tandis que lui préférait les fleurs et l'écriture. Très tôt, ses frères l'avaient écarté de leurs jeux et c'était comme ça que Cain s'était retrouvé à sympathiser avec le fils des voisins âgé de deux ans de plus que lui, le silencieux Ariel. Découvrant qu'il était muet, Cain avait de suite proposé qu'ils communiquent uniquement par écrit, transformant le handicap en un jeu d'espions. Leur amitié avait continué, même quand Cain avait cessé d'utiliser un carnet et un stylo comme Ariel pour converser avec lui. Elle avait résisté sans peine à la révélation de l'homosexualité de son ami, car pour Cain, la sexualité n'avait rien à voir avec l'amitié : les garçons pouvaient être amis avec les filles sans désirer leur sauter dessus. Leur amitié avait également survécu au déménagement d'Ariel. Cain, lui, quelque soit son envie, faute de moyens, n'avait toujours pas pu quitter la maison familiale où tous ses frères résidaient d'ailleurs encore. A la maison, depuis que son père avait fait des mauvais placements, l'argent manquait toujours. Cain avait vite appris à faire des économies, mais ses frères peinaient à avoir un train de vie inférieur à autrefois : ils regrettaient l'époque des copieux repas, de la femme de ménage et des gadgets derniers cris... Cain, lui, se moquait de tout cela : ce n'était pas la mort que de manger des pommes de terre, de passer l'aspirateur et d'avoir un vieil ordinateur. Depuis qu'il était lycéen, il travaillait tous les étés, faisant divers job, contribuant aux finances de la maisonnée et mettant le reste de côté. Pour lui, ce qui comptait, c'était de parvenir à payer ses études et ses frais de transports.

mercredi 10 juin 2015

Contes modernes - 64

Quand ils furent rentrés au loft, Jim demanda ses impressions à Ariel.
« Tu n'avais pas menti : ta nièce est très gentille, ton neveu et son chéri sont sympathiques et ton frère et son épouse plutôt intolérants. »
— L'un dans l'autre, cela ne s'est pas trop mal passé, non ?
Ariel opina.
« C'est vrai que tu es sorti avec beaucoup de gens ? »
Les propos de Mike avaient bel et bien réussi à inquiéter Ariel...
— C'est un bien grand mot. Je collectionnais plutôt les aventures d'un soir, mais je t'assure que j'étais à la recherche de la bonne personne. Je suis quelqu'un de fidèle.
« Je te crois. »
Jim l'embrassa.
— Merci pour ta confiance.
Plus le temps passait, plus Ariel lui était cher et il espérait que la réciproque était vraie. Non, il le devinait.
L'idée que le jeune homme reparte le lendemain le rendait triste et il le dit.
« Moi aussi. » nota Ariel.
— Je t'aime, déclara Jim une nouvelle fois, et il reçut en retour un baiser passionné.
Peut-être qu'Ariel ne le lui écrirait jamais, mais il lui faisait sentir, et c'était l'essentiel.

Le jeune homme parti, Jim se dépêcha de finir ses cartons et boucler toutes ses affaires afin de revenir vite à ses côtés.
Les retrouvailles furent brûlantes. Tout au long du mois d'octobre, ils visitèrent les appartements jusqu'à ce qu'ils en trouvent un qui leur plaisent à tous les deux, ni trop grand, ni trop petit, situé pas trop loin de la piscine où travaillait Ariel. La plage était une bonne demi-heure de marche environ, mais comme le jeune homme n'y bossait que l'été, ce n'était pas un problème.
Ce fut au tour d'Ariel d'emballer ses affaires. Plusieurs cartons de livres de Cole Sorière, ainsi que de dessins et de tableaux. Il y avait là-dedans des trésors et Jim ne put se retenir de relancer le jeune homme :
— Tu es certain que tu ne veux pas qu'ils soient exposés ? C'est criminel de les garder cachés comme ça.
« A ce point ? »
— Je ne veux pas t'obliger, hein...
« Je sais. Moi non plus, je ne souhaite pas te contraindre à quoi que ce soit. »
Jim eut un éclair de génie en lisant ses mots : il y avait une façon tout simple de résoudre les derniers sujets de discorde entre eux qui n'en étaient pas vraiment puisqu'Ariel ne lui avait plus parlé de se baigner dans la mer depuis longtemps... La saison était passée, mais ce n'était pas la seule raison, Ariel était patient. C'était comme pour l'histoire de leurs positions au lit, il était prêt à attendre, même sans certitude.
— Faisons un échange de bon procédé. L'été prochain, je retourne nager dans la mer et toi, tu autorises une exposition de tes œuvres.
Ariel réfléchit, peut-être gêné que la proposition s'apparente à un marché, puis accepta d'un hochement de tête avant d'ajouter :
« Que dirais-tu de m'accompagner à la plage pour sceller notre accord? »
On était début novembre et le vent soufflait fort, mais Jim céda : les demandes d'Ariel étaient simples à satisfaire.
Arrivés à la plage déserte vu le temps, Ariel ôta ses baskets et ses chaussettes, remonta son jeans.
— Tu es fou ! s'écria Jim.
Ariel, le sourire aux lèvres, entra dans la mer. Jim qui n'avait pas remis un orteil dedans depuis sa noyade, finit par l'imiter lentement, sans enthousiasme aucun, mais désireux de lui montrer que ce qu'il avait annoncé tout à l'heure n'étaient pas des paroles en l'air.
— C'est glacé ! s'exclama-t-il.
Ariel pouffa.
Ils marchèrent côte à côte un petit moment en silence. La mer était aussi belle que mortelle. Et froide aussi. En même temps, c'était grâce à elle que Jim avait rencontré quelqu'un qui égayait son quotidien.
Finalement, les pieds gelés, ils sortirent de l'eau et remontèrent sur la plage, vers la ville. Ariel s'arrêta cependant en cours de route pour ramasser un bâton avec lequel il se mit à dessiner dans le sable.
« Je t'aime » déchiffra Jim qui lui prit en douceur le bâton des mains pour écrire « moi aussi. »
Rien n'était plus beau que ce moment partagé avec Ariel sur cette plage.

FIN de Sauvetage silencieux

mardi 9 juin 2015

Contes modernes - 63

Vic reçut donc tout le monde. Dillon, en vrai cordon bleu, avait préparé un festin de rois.
Cela ne faisait que quelques minutes qu'ils étaient à table que Mike lança une réplique mal venue sur ces jeunes personnes qui s'assuraient un avenir confortable en mettant le grappin sur des gens plus âgés et plus fortunés – de quoi rappeler à Jim pourquoi il n'avait pas fréquenté son frère plusieurs années.
C'était une façon de critiquer Ariel, mais aussi Dillon puisque Mike comme Agathe considéraient en effet toujours que le jeune homme avait épousé leur fils uniquement pour son argent.
Mike et Agathe enchaînèrent les petites remarques désagréables.
— Il est muet, pas sourd, finit par grommeler Jim, ne pouvant plus supporter de les laisser faire comme si Ariel n'était pas là.
— Dillon non plus, enchérit Vic.
Assurément, l'ambiance eut été plus cordiale si Mike et Agathe n'avaient pas été présents. En même temps, c'est vrai qu'ils étaient plus bêtement protecteurs que méchants.
— Alors, vous vous êtes rencontrés comment au juste ? demanda Tori, créant une diversion  pour éviter que les choses ne dérapent.
— Il m'a sauvé de la noyade.
— Comment ça, tu as failli te noyer ?! s'inquiéta Mike.
Jim évoqua sa fatigue générale et la méduse, passant sous son silence Axelle qui avait tenté de s'attribuer tout le mérite de son sauvetage.
— Eh beh ! s'écria Tori. Cela me fait de la peine que tu ailles habiter loin de nous, oncle Jim, mais je suis ravie que tu te ranges enfin. Il était temps.
— J'attendais la bonne personne.
— Oui, enfin, ça défilait à tes côtés, déclara Mike.
— Tu exagères, intervint aussitôt Vic.
Maudit soit son frère et béni soit son neveu. De quoi Mike se mêlait-il à troubler Ariel avec ses conquêtes passées ?
— Comment vous faîtes pour communiquer ? demanda Agathe.
— Par le biais d'un carnet.
Ariel en avait apporté un avec lui bien sûr, mais ne s'en était pas encore servi, par timidité ou par gêne. Jusque là, Jim avait parlé pour lui.
— Ça ne doit pas être très pratique, commenta Mike.
Pourquoi ne voulait-il pas comprendre qu'Ariel entendait tout ce qu'il disait ?
— Cela fonctionne très bien, contra Jim.
— Dillon, tu crois que ce te serait plus facile de me dire certaines choses par écrit ? demanda Vic.
Le jeune homme parut embarrassé. Lui non plus n'avait guère ouvert la bouche depuis le début de la soirée.
— Peut-être, murmura-t-il.
— Je vais t'offrir un carnet, décréta Vic.
Dillon ne pipa mot, les yeux baissés sur son assiette trahissant sa gêne.
Ariel éclata d'un rire silencieux qui se communiqua aux autres, même si ce qui avait provoqué son hilarité échappait en fait à une partie de l'assemblée.
Jim, lui, avait deviné. Dans le genre silencieux, Dillon n'était pas mal non plus et Vic avec sa suggestion très sérieuse avait transformé le handicap d'Ariel en quelque chose de commun.

lundi 8 juin 2015

Contes modernes - 62

Ariel posa finalement trois jours de congé. Jim resterait plus longtemps afin d'organiser son déménagement. Le jeune homme voulait prendre des billets de train de train aller-retour, mais Jim protesta : même s'il ne rentrerait pas en même temps que lui, il n'y avait aucune raison qu'ils fassent le trajet chacun de leur côté.
— C'est quoi le problème avec ma voiture ? demanda-t-il.
Le jeune homme n'était pour ainsi dire jamais monté dedans, alors cela ne pouvait pas être sa façon de conduire qui était en cause...
Ariel fit tourner le stylo dans ses doigts deux fois avant d'écrire :
« Que je sois passager ou conducteur, impossible d'avoir une conversation dedans. »
A moins de risquer un accident, songea Jim dans son for intérieur : dans un cas, il était dangereux de quitter la route des yeux pour lire les messages d'Ariel, dans l'autre le jeune homme ne pouvait en effet pas tenir le volant et utiliser son carnet.
— Ce n'est pas gênant du tout, affirma Jim.
« Cela a posé des problèmes avec tous mes ex pour les longs trajets. »
Jim commençait à s'habituer à ce qu'Ariel fasse allusion à son passé amoureux et il ne s'en agaça pas. Il était différent d'eux.
— Je vais t'avouer un petit secret, je déteste qu'on me parle quand je conduis. Tu vois, nous sommes fait pour nous entendre.
« Vraiment ? »
Sur son visage, son incrédulité pouvait se lire. Il faut dire que c'était presque trop beau pour être vrai, mais ce n'était pas pour lui faire plaisir.
— Oui, je t'assure que je préfère me concentrer sur la route. En temps habituel, je ne fais que supporter par politesse le bavardage de mes passagers.
Ariel parut terriblement soulagé et Jim en voulut à tous les hommes qui l'avaient blessé, lui faisait ressentir son handicap. Ce n'était quand même pas la mort de mettre un disque si le silence dans l'habitacle était pesant.

    Ils prirent donc la voiture. En découvrant le loft de Jim, Ariel ne fut impressionné ni par sa grandeur, si par son home cinéma, ni par ses meubles anciens, ses sculptures ou même ses tableaux, la seule chose qui l'enthousiasma fut le jacuzzi. Ils firent l'amour dedans, alternant les positions, Jim remettant à plus tard tout le reste.

Le soir, il appela Vic qui les invita à dîner dès le lendemain chez lui avec Tori. Jim accepta volontiers. Moins d'une heure plus tard, cependant, son neveu rappela, désolé, expliquant que Tori avait bêtement vendu la mèche aux parents au sujet de l'amoureux sérieux de Jim et que Mike et Agathe seraient également de la partie.
C'était une mauvaise nouvelle, car si Tori était une crème et Vic gay, Mike et son épouse Agathe avait une vision plus étriquée du monde. Jim avait pensé qu'il n'était pas nécessaire qu'Ariel les rencontre de suite. Ils n'étaient pas méchants, mais dans le genre indélicats, ils se posaient là. A coup sûr son frère lui reprocherait d'avoir choisi un homme, sans se soucier de blesser Ariel au passage.
Jim préféra prévenir le jeune homme, s'excusant par avance. Ariel ne tenta pas de faire machine-arrière. Même sans mise en garde, il semblait convaincu que de toute façon, cela ne pouvait que mal se passer – le fruit de ses anciennes expériences.

vendredi 5 juin 2015

Contes modernes - 61

Jim qui avait été trop loin pour faire machine-arrière déclara :
— Je pense que tu es amoureux de lui, même si tu ne t'en rends pas compte parce que tu le considères comme inaccessible, comme il est hétéro et tout.
Ariel ne se fâcha pas, paraissant plus perplexe qu'autre chose.
« Je ne comprends pas comment tu peux imaginer une chose pareille. »
Jim lui rappela la soirée qu'ils avaient passé à trois et la fois où Ariel avait interrompu leur ébat pour lui.
« Cain avait l'air vraiment mal cette fois-là. Pour tout avouer, tout hétéro qu'il soit, il est tombé amoureux d'un homme et ça ne change rien pour moi.
C'est un ami et ça s'arrête là. C'est avec toi que je veux emménager. »
Jim digéra la nouvelle, se dit qu'il aurait dû se contenter de cela, mais emporté dans son élan de jalousie, il poursuivit :
— Cela ne veut rien dire... Plutôt que ton mutisme, tu ne crois pas c'est plutôt ton attachement à Cain qui a causé tes multiples ruptures ? Tu t'es installé avec d'autres avant moi, non ?
« Tu es le premier à qui j'ai proposé cela. »
Cela calma Jim aussitôt. Il était spécial, différent des trop nombreux ex d'Ariel. Peut-être pouvait-il cesser de se tourmenter avec Cain, peut-être que pour Ariel, l'amitié, c'était sacré, et impliquait de laisser au besoin son amoureux en plan.
— Le premier... répéta Jim.
Ariel confirma d'un hochement de tête énergique.
Jim, considérant qu'il s'était assez donné en spectacle pour la soirée, n'en profita pas pour demander au jeune homme s'il l'aimait. Peut-être qu'il s'était monté la tête tout seul et qu'Ariel n'était juste pas du genre à mettre des mots sur ses sentiments, qu'il fallait lire entre les lignes.
— Désolé.
« C'est bon. C'est mieux que nous ayons parlé plutôt que cette idée étrange continue à te ronger. »
Jim lui retira doucement son carnet des mains, de même que son stylo et les posa au sol avant de l'embrasser.
Il n'était plus l'heure de converser à présent, enfin pas avec des mots, mais plutôt avec leurs corps...
Il renversa Ariel sur le canapé, accompagnant son baiser de caresses. Délaissant ses lèvres, il souleva son haut et lécha la pointe des tétons bruns du jeune homme dont la respiration s'accéléra tandis qu'une bosse caractéristique se formait au niveau de son entrejambe. Jim ouvrit la braguette d'Ariel et tira sur son jeans et son slip, libérant son érection. Il prit dans la bouche le membre brûlant. Les doigts d'Ariel vinrent se perdre dans ses cheveux. Jim s'interrompit un instant pour voir si le jeune homme voulait qu'il s'arrête. Ayant confirmé du regard qu'il pouvait continuer, il le suça jusqu'à ce qu'il jouisse.
Ariel, le souffle court, acheva de se déshabiller et aida ensuite Jim à se débarrasser de ses vêtements. Il passa du temps à l'embrasser et le caresser, le préparant à l'accueillir en lui. Jim se laissa volontiers faire. Il savait désormais que prendre ou être pris était tout autant délicieux. Dès que le pénis d'Ariel fut à nouveau au garde-à-vous, il le pénétra d'une poussée, imprimant à son corps un rythme de plus en plus rapide jusqu'à la jouissance.

jeudi 4 juin 2015

Contes modernes - 60

Sa décision étant prise, Jim contacta une agence immobilière réputée pour s'occuper de la vente de son loft, puis téléphona à Vic pour l'informer de son retour qui ne serait que temporaire puisqu'il avait rencontré quelqu'un à la mer.
— Toi aussi, tu as fini par trouver chaussure à ton pied, oncle Jim ? C'est du sérieux ?
— Oui.
— Et quand pourra-t-on le ou la rencontrer ?
— Je ne sais pas, répondit Jim.
Il n'était pas sûr qu'Ariel ait envie de s'impliquer à ce point-là. Il se demandait aussi si son neveu ne tiquerait pas en le voyant avec un type si jeune, plus jeune que lui-même. Pour une conquête d'un soir, cela n'avait rien de trop surprenant, mais pour du long terme...
— Quand j'aurais annoncé la nouvelle à Tori, elle n'aura cesse de te harceler jusqu'à ce qu'elle puisse faire sa connaissance.
Jim n'en doutait pas, mais il n'allait pas forcer Ariel à quoi que ce soit. C'était déjà beau que le jeune homme veuille qu'ils vivent ensemble...

Quelques jours avant son départ, alors qu'ils venaient de passer au salon, sur le canapé-lit encore plié, Jim ne put toutefois s'empêcher de poser la question à Ariel.
« Rencontrer des membres de ta famille ? Est-ce vraiment nécessaire?»
— Non, bien sûr que non, répliqua immédiatement Jim.
« Avec mon mutisme, cela ne se passe jamais bien. »
— Parce que tu as déjà rencontré des parents...? demanda Jim, jaloux que le jeune homme ait déjà fait ça pour certains de ses ex.
« Oui... Et si cela te fait vraiment plaisir, je veux bien. »
Cette phrase était la preuve qu'Ariel souhaitait s'investir dans leur relation, mais Jim était incapable de chasser en lui un sentiment de malaise : il lui semblait n'être qu'un numéro dans la longue ligne des petits amis d'Ariel, un futur ex en somme. Ses partenaires finissaient toujours par appartenir au passé et seul Cain restait...
— Tu prendrais quelques jours de vacances pour m'accompagner, que je te présente ?
Le jeune homme acquiesça. Il commença à écrire « Je suis... » mais Jim retint son poignet pour l'empêcher de continuer.
— Ariel...
Les yeux verts du jeune homme le regardèrent, interrogateurs.
Jim hésita, ne sachant comment exprimer ses inquiétudes sans le froisser et sans passer pour un idiot. Il s'éclaircit la gorge et reprit :
— Tu ne préfèrerais pas être avec Cain ?
Ariel libéra sa main que Jim entravait encore.
« Je croyais que tout était clair sur le sujet. C'est un ami qui m'est cher, point à la ligne.»

mercredi 3 juin 2015

Contes modernes - 59

Délaissant le doigt d'Ariel, Jim s'empara de ses lèvres, en savourant toute la douceur. Il voulait lui montrer à quel point il tenait à lui, à quel point il lui était précieux, à quel point il était prêt à tout pour lui... A tout ? Alors pourquoi refuser à Ariel de le sodomiser ? Le jeune homme le désirait en dépit de sa quarantaine passée, c'était flatteur en un sens. De quoi avait-il peur au juste ? Il savait aussi que bien lubrifié, il n'aurait pas mal.
— Nous sommes égaux, nous sommes pareils, lui souffla-t-il à l'oreille. Tu peux faire ce que tu veux de moi, ajouta-t-il, la voix rauque.
Un autre aurait peut-être demandé une confirmation, mais dans le cas d'Ariel, cela impliquait d'interrompre leur ébat pour reprendre le carnet. Il ne le fit pas et descendit les mains sur les fesses de Jim, les agrippant possessivement. Depuis leur discussion sur leurs rôles au lit, c'était une zone qu'il avait évité ce dont Jim lui avait été gré. Pour l'heure, c'était très excitant d'être touché à un endroit qui ne l'était pas habituellement. Jim appréhendait malgré tout.
Ariel lui baissa son pantalon et son slip, Jim acheva de les retirer. Le jeune homme lui palpa les cuisses, remonta sur ses hanches, et ses doigts glissèrent sur son pénis. Il composait sa propre partition amoureuse. Pour une fois, Jim n'était pas le chef d'orchestre.
Peut-être parce qu'il voulait garder une certaine maîtrise, il le conduisit jusqu'au canapé-lit commodément resté déplié. En vérité, Ariel s'embêtait rarement à le refermer.
Ils s'allongèrent. Le jeune homme continua à le caresser. Ce n'était pas si différent que cela d'habitude, mais Jim savait ce qu'il l'attendait et il se raidit quand Ariel glissa la main dans la raie de ses fesses.
Le jeune homme s'interrompit, mais ce n'était que pour récupérer le tube de lubrifiant. Il en déposa une quantité généreuse sur chacun de ses index et chose inattendue, se doigta, tout en s'occupant de l'orifice de Jim.
C'était étrange, mais pas trop désagréable, pas du tout même. Ariel s'empala sur le sexe dressé de Jim, sans cesser de bouger son index à l'intérieur de lui, auquel vint se joindre le majeur.
Jim gémit parce que c'était vraiment bon de le sentir sur lui et en lui. Ariel ne tarda hélas pas à se détacher de son corps.
— Reviens, supplia Jim.
Ariel cependant ne reprit pas chevauchée. A la place, il le pénétra en douceur, enserrant le pénis gonflé de Jim qui crut qu'il allait mourir de plaisir.
D'abord, Ariel ne bougea pas, lui laissant le temps de s'habituer, puis il lui donna de légers coups de reins avant de lui imposer un rythme de plus en plus rapide, caressant toujours son pénis.
Jim jouit dans un cri. Ariel le rejoignit dans son orgasme et s'affala à moitié sur lui.
— Tu avais raison de me dire que je ratais quelque chose, déclara Jim quand il eut recouvré son souffle.
Cela ouvrait de nouvelles possibilités de jeux amoureux.
Ariel lui sourit d'un air ravi qui valait tous les discours.

mardi 2 juin 2015

Contes modernes - 58

— S'il-te-plaît, je regrette. Je veux savoir ce que tu as me dire.
Ariel ramena le carnet devant lui et l'ouvrit. Jim put alors lire :
« Tu as une voix.
Tu es plus âgé que moi.
Tu es riche. »
Il n'était pas du tout question de dominant et dominé au lit. C'est Jim qui se tourmentait avec ça...
— Je pensais que c'était en rapport avec le sexe, avoua-t-il. Pour ton aphasie, je t'assure que je t'entends très bien. Pour l'argent, je n'y peux rien, je suis né avec et j'ai pu constater dès le début que n'était pas ce qui t'intéressait chez moi vu comme tu refusais tous mes cadeaux. Pour l'âge, c'est moi qui complexe face à ta jeunesse, je n'ai pas l'impression que cela me donne du pouvoir sur toi.
Jim attendit pendant qu'Ariel écrivait :
« Passif. Actif. Dessus. Dessous. Ce n'est pas très important et je ne désespère pas que tu veuilles tester un jour. Que tu sois plus vieux que moi ne me dérange pas. D'ailleurs, je pense que c'est grâce à ton âge que tu es aussi patient pour attendre mes réponses écrites. Mes parents ont 12 ans d'écart et sont ensemble depuis 30 ans, preuve que cela peut très bien marcher.»
A la lecture de ses mots, Jim se sentit profondément heureux : Ariel leur voyait un avenir commun.
— Tu es bien plus communicatif que certaines personnes douées de paroles. Je ne sais pas si tu le serais autant autrement.
« Merci. »
— Cela te pèse d'écrire tout le temps ? Cela ne me poserait pas de problème d'apprendre la ligne des signes.
« C'est gentil, mais même si c'est pratique, je n'aime pas trop m'en servir. Après les gens croient que je suis sourd et je me retrouve à entendre des choses que je ne voudrais pas sur mon compte ou sur celui d'autrui. »
— Ça doit être embarrassant.
« Le pire, ça reste ce garçon de ma classe qui avait transformé son effaceur en sarbacane et m'envoyait des boulettes en papier avec. Cela l'amusait follement que je ne puisse qu'encaisser la douleur sans pouvoir crier, que je sois obligé de lui écrire d'arrêter. Une fois aussi, il m'a enfermé dans les toilettes, mais je me suis débrouillé pour m'échapper par le haut.»
Jim prit Ariel dans ses bras. Il aurait aimé pouvoir remonter le temps et le sauver de ce sale gosse qui l'avait fait souffrir.
Ariel se dégagea en douceur pour écrire encore quelque chose :
« Lors d'une sortie de classe à la mer pour étudier les coquillages, il a fait le malin et aurait été emporté par les vagues si je n'avais pas été déjà à l'époque un excellent nageur. »
— Il a cessé de t'embêter après cela ?
« Il s'est calmé, surtout qu'un de nos camarades qui, jusque là, le regardait me harceler sans broncher a dénoncé son comportement après. Résultat, il y a même eu un petit article sur nous dans un journal local. »
— Pas de doute, tu es dans ton élément dans l'eau. Sans toi, je...
Ariel lui mit un doigt sur la bouche pour le faire taire. Bien qu'il lui ait sauvé la vie, il ne voulait pas que Jim se sente redevable à son égard.
Jim lui attrapa et le lécha avec gourmandise. La respiration du jeune homme s'accéléra très légèrement. Vraiment pour faire l'amour, nul besoin de mots ou de cris... Chaque caresse exprimait l'essentiel.

lundi 1 juin 2015

Contes modernes - 57

— Je vais rentrer chez moi, annonça-t-il, ce soir-là.
Ariel parut peiné et d'une main, il lui indiqua d'arrêter de parler tandis qu'il griffonnait :
« Tu t'es lassé de moi, c'est ça ? » 
Heureux de voir qu'Ariel tenait à lui, Jim s'empressa de dissiper le malentendu.
— Bien sûr que non. C'est juste que j'ai des choses à régler avant de pouvoir me trouver un logement ici.
Ariel, en se mordant la lèvre, nota :
« Désolé, je me suis emporté un peu vite. J'ai eu plusieurs ruptures difficiles. Tu veux vivre ici avec moi ? »
Jim regarda autour de lui et rit. La proposition lui faisait plaisir, mais l'appartement était bon pour une personne, pas plus. S'il aimait la décoration d'Ariel avec la peinture marine et les dessins, cela manquait d'espace.
Le visage triste d'Ariel lui fit comprendre sa maladresse.
— Ton offre me touche, mais nous devrions trouver quelque chose de plus grand.
« Je n'ai pas beaucoup de moyens. »
— Moi, si.
Ariel fronça les sourcils.
« Je ne veux pas profiter de toi. »
— C'est moi qui te le proposes.
La question de l'argent ne s'était jamais posée entre eux jusqu'ici. Bien sûr, Jim avait expliqué pourquoi il pouvait passer ses journées à se promener au lieu de travailler, mais Ariel avait juste trouvé cela bien qu'il puisse faire ce qu'il lui plaise sans lui envier sa liberté. Il aimait son métier de maître-nageur. Ce n'était pas toujours facile, comme il était muet, mais il parvenait à apprendre à nager à ceux qui venaient pour cela à la piscine, les aidant à positionner correctement leurs bras et leurs jambes, validant d'un pouce levé et d'un sourire leur réussite.
Ce qu'il adorait, c'était nager sous l'eau, car tout le monde y était silencieux. Le seul langage possible était les gestes.
« Tu me domines sur déjà beaucoup trop de plans. »
Jim crut qu'il faisait allusion à leurs positions respectives au lit et se braqua.
— Qu'est-ce que ça vient faire là-dedans ?! s'écria-t-il.
Pour la première fois depuis qu'il le connaissait, il ne regarda pas la main d'Ariel courir sur le papier et il tourna la tête quand le jeune homme lui mit le carnet devant le nez.
Au bout d'une minute, Ariel vint se planter devant lui et lui montra lentement la porte du doigt.
Jim s'en voulut aussitôt : comment les choses avaient-elles pu tourner aussi vite à la dispute alors qu'Ariel venait de lui suggérer qu'ils vivent ensemble, prouvant que leur relation était importante pour lui ? Le jeune homme roux avait raison, si Jim ne voulait pas le lire, ce n'était pas la peine qu'il reste. Il tendit le bras vers le carnet qu'Ariel tenait fermé, mais le jeune homme le mit derrière son dos. Il était vraiment fâché.
La scène rappela à Jim le moment où il lui avait piqué son carnet sur la plage.