vendredi 28 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 81

C'était vrai, mais Al n'était pas prêt à renoncer à Beckett pour rentrer dans les bonnes grâces de ses parents. Il aurait pu mentir bien sûr, dire qu'il regrettait ses « erreurs », mais la répugnance de l'adolescent pour le mensonge avait commencé à déteindre sur lui.
– Je ne vois pas le problème. Tout ce que vous voulez, c'est être débarrassé de moi. De mon côté, tout ce que je souhaite, c'est mon appartement, mes affaires et une chance de terminer mes études afin d'obtenir un travail...
– Je ne veux plus te donner d'argent. Si tu n'as rien de plus à nous dire, sors d'ici, coupa son père.
– Je ne partirai pas tant que vous n'accéderez pas à ma demande et je vous souhaite bonne chance pour réussir à me mettre à la porte.
Maud lui avait appris combien il était difficile de mettre dehors quelqu'un d'invisible qui s'y refusait.
– Chéri ! Fais quelque chose !
Sa mère perdait son calme. C'était elle qui avait toujours eu le plus de mal à supporter l'invisible présence de son fils.
Al se dégoûtait de faire en quelque sorte du chantage à ses parents. Mais le pire de tout, c'est qu'il les menaçait tout simplement de rester avec eux. Il aurait dû s'efforcer de devenir financièrement indépendant d'eux bien plus tôt... excepté qu'il les avait crus quand ils lui avaient dit et répété qu'il ne pourrait jamais rien faire de sa vie en raison de son invisibilité.
– A cause de mon état, je ne suis pas en mesure de vous faire un procès pour m'avoir jeté à la rue, et vous, vous ne pouvez pas me faire expulser par la police.
Son père grinça des dents tandis que sa mère s'affalait dans le fauteuil le plus proche.
– Ne crois pas que nous allons céder comme ça !
– Vraiment ? Alors, comme tout bon fantôme, je viendrai vous tirer les pieds dans votre lit cette nuit.
C'était une bravade. Al était à deux doigts de renoncer. Tout cela lui faisait trop mal.
– Très bien, tu as gagné ! Je suppose que c'est le prix à payer pour avoir mis une monstruosité au monde, grommela son père.
Al, glacé jusqu'à l'os, rectifia mentalement : c'était leur manque de cœur qui les avait amenés à cette situation.
Même après que son père ait baissé les bras, Al dut encore batailler longtemps et ce n'est que tard dans la nuit qu'il quitta enfin la maison familiale, avec les clefs de son appartement à la main. Heureusement, à minuit et des poussières, les rues étaient désertes, à l'exception de quelques chats en promenade si bien qu'il n'y avait personne pour s'étonner de voir un trousseau de clefs flotter dans les airs.  L'inconvénient, c'est qu'il faisait froid. Regrettant qu'il soit trop tard pour retourner chez Beckett, le jeune homme invisible se mit à courir pour gagner son appartement. Son père n'avait pas encore résilié le bail, mais avait en revanche commencé à vendre ce qu'il contenait et Al appréhendait l'état dans lequel il allait retrouver les lieux.

jeudi 27 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 80

Quand Al se retrouva devant la maison familiale où il avait grandit, il resta longtemps devant, à contempler ses murs blanchis à la chaux, son toit aux tuiles pimpantes et ses fenêtres aux volets verts, agrémentées de jardinières. Il n'était plus certain que jouer aux fantômes soit une si bonne idée que cela. L'approche frontale semblait plus raisonnable, mais nécessitait une bonne dose de courage. La dernière fois qu'il leur avait parlés, il s'était fait chasser comme un malpropre. Ultimement, il sonna, l'estomac noué et la gorge serrée, sans être vraiment fixé sur ce qu'il ferait. Sa mère ouvrit, le visage froid et sévère. Ne voyant personne, elle s'apprêtait à refermer après s'être plaint à mi-voix des enfants blagueurs, quand Al la salua. Elle plissa le nez et claqua la porte.
Elle avait choisi pour lui, se dit Al. Il enjamba le portillon, fit le tour de la maison, et passa par la porte-fenêtre de la terrasse qu'il savait n'être que rarement fermée à clef. Il ne ressentait aucun plaisir à s'introduire chez ses parents comme un voleur, mais il était décidé à obtenir gain de cause. Il traversa la cuisine blanche et noire, longea le couloir et déboucha dans le salon où sa mère tordait un mouchoir en soie entre ses doigts, tout en parlant de lui. Son père, bien calé dans l'un des fauteuils en cuir, l'écoutait, son journal replié sur les genoux, sans trahir aucune émotion.
– Il est sans ressources. Il est même surprenant qu'il ne soit pas venu plus tôt, déclara-t-il finalement.
– Nous n'allons quand même pas nous embarrasser à nouveau de lui ! s'exclama sa mère avec horreur.
– Pas ici, bien sûr. Mais s'il reconnaît ses erreurs...
Al serra les dents. Il n'avait rien fait de mal. Rencontrer Beckett était la meilleure chose qui lui soit arrivée. Ne pouvant supporter d'en entendre plus, il s'approcha d'eux sans faire de bruit et cria « bouh ! »

Sa mère pâlit et son père se raidit dans son siège.
– Comment es-tu entré ?!
– Quelle importance ?
– Tu n'es pas le bienvenu, clama sa mère, en  recouvrant son nez de son mouchoir froissé.
– Pourquoi es-tu là ? demanda son père d'un ton glacial.
Al, se sentant fléchir devant leur froideur, pensa aux yeux anthracites souriants de Beckett, et parla de l'avenir qu'il pourrait avoir : un travail qu'il ferait chez lui et qui lui permettrait d'être financièrement indépendant à terme.
Sa mère se gaussa, son père haussa un sourcil plus que dubitatif. Le jeune homme invisible insista.
– Quand bien même tu y parviendrais, ce dont je doute, cela ne change rien à la raison pour laquelle nous t'avons coupé les vivres et mis dehors, remarqua son père.

mercredi 26 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 79


Quand lundi arriva, Al eut bien envie de repousser une fois encore la visite à ses parents, mais il ne le fit pas. Cela n'aurait pas été raisonnable et Cole l'aurait sûrement traité de froussard. Le grand frère de Beckett n'était en effet pas un tendre.
Cependant, il ne servait à rien qu'il prenne trop tôt le chemin de la maison familiale, car ses parents seraient alors encore au travail. Al attendit donc, partagé entre le sentiment que les aiguilles avançaient trop lentement et celui qu'elles allaient trop vite. Il aurait bien voulu ne jamais y aller et en même temps, que la scène pénible qui s'annonçait soit déjà derrière lui.
Le retour de Zoé du collège aux alentours de 16 heures, le motiva à partir. Il descendit la prévenir qu'il n'allait pas tarder à se rendre chez ses parents et qu'il ne savait pas exactement à quelle heure il rentrerait.
– Vas-y et restes-y, rétorqua la petite sœur de Beckett.
Le jeune homme invisible retint un soupir devant son hostilité. Dès qu'elle aurait quitté l'entrée, il ôterait les habits colorés que lui prêtaient Beckett et s'en irait.
– Qu'est-ce que tu attends ? reprit Zoé comme il ne bougeait pas.
Al hésitait à lui expliquer, quand il redevint visible. Zoé en resta bouche bée, puis elle rougit et bégaya :
– Tu es vraiment beau. Beckett ne mentait pas...
Al qui avait toujours eu du mal à croire qu'il était séduisant bien que Beckett le lui ait assuré, et que Maud et Garance l'aient complimenté chacun une fois sur son physique, fut cette fois convaincu que c'était le cas, tout simplement parce que cela venait de Zoé qui ne l'appréciait pas du tout à la base.
– Merci, murmura-t-il, tout en sachant que cela n'avait pas d'importance, puisqu'il était invisible avant tout, ce qui lui valait d'être considéré comme un monstre par la plupart des gens, ses parents compris.
– Tu as l'air triste, dit-elle, et elle ne cessa de le dévorer des yeux jusqu'à ce qu'il soit de nouveau invisible.
Après quoi, elle commença à grimper l'escalier, se retourna sur la cinquième marche pour lui souhaiter bonne chance avec sa famille et acheva sa montée.
Al comprit à cet encouragement que le regard de Zoé sur lui avait changé, parce qu'elle l'avait vu, « beau » et « triste. »  Cela lui redonna un peu d'espoir vis à vis de ses parents. Peut-être qu'eux aussi arriveraient un jour à le voir autrement que comme une « chose »... Le jeune homme invisible se déshabilla, plia rapidement les vêtements colorés prêtés par Beckett et sortit, s'attardant un moment auprès de Scott qui avait déboulé du fond du jardin pour quémander des caresses.

mardi 25 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 78

– Beckett, appela-t-il doucement quand il fut au niveau de l'adolescent.
Ce dernier sursauta, puis sourit. Et Al qui avait été peiné de lui avoir fait peur, se sentit immédiatement consolé.
– Cela a été avec Maud ?
Al lui rapporta sa conversation avec la jeune femme invisible avant de demander comment les choses s'étaient passées avec son ami.
– C'est compliqué. J'ai essayé de le décourager de sortir avec Maud, en évoquant toutes les misères qu'elle nous avait fait subir, mais il m'a rétorqué que personne n'était parfait et que tout le monde avait le droit à l'erreur.
– Il n'a pas tort, mais pour ma part, je ne peux pas pardonner Maud et je ne suis pas certain qu'il ferait preuve d'autant indulgence si elle n'était pas invisible.
– C'est un point qui le fascine, c'est sûr. Mais il n'y a pas que ça. Tu as bien vu comment elle est charmante avec lui et s'intéresse à toutes ses histoires, même les plus insignifiantes.
– Au fond, cela les regarde...
– Oui. Je ne m'emmêlerai plus, mais j'ai quand même précise à Garance que nous ne ferions plus de double rendez-vous. Droit à l'erreur ou pas, sa présence me met mal à l'aise. Et ce n'est pas parce qu'elle est invisible, hein !
La précision de Beckett, bien qu'inutile, fit plaisir à Al. Il était doux d'entendre que l'adolescent le prenait tel qu'il était.
Ils avaient marché tout en discutant et soudain, Al reconnut l'endroit où il avait vu Beckett pour la première fois.
– Tu nous y amenés exprès ?
– Oui, mon rendez-vous raté est devenu un bon souvenir grâce à toi.
Beckett alla s'asseoir sur le banc qui, par chance, était libre tandis que Al restait debout devant lui. En bavardant de petits riens comme s'ils n'avaient eu aucun souci au monde, comme si Al n'avait pas été différent, ils se détendirent petit à petit.
Quand ils rentrèrent chez Beckett, Al s'empressa d'aller s'habiller, ce qui ne lui évita pas une deuxième conversation délicate avec les parents de l'adolescent, excepté que cette fois, Beckett refusa d'être mis à l'écart.  Le jeune homme invisible expliqua pourquoi il préférait sortir nu plutôt qu'habillé. Ses premiers arguments -  le regard et les cris des gens étaient gênants - furent insuffisants pour le père. Celui des évanouissements fonctionna, Natacha ayant raconté comme elle avait tourné de l'œil, en voyant un vêtement se promener seul...
Ce soir-là, Al, épuisé, s'endormit cette fois tout de suite sur le canapé en dépit de l'absence de Beckett à ses côtés. Le lendemain, il renonça à aller voir ses parents. Il n'était pas d'attaque pour une nouvelle confrontation.  Après tout, puisqu'il avait gagné un « permis de séjour » d'une semaine, il pouvait bien en profiter un peu. Beckett l'approuva. C'était dimanche et c'était l'occasion pour eux de passer du temps ensemble. Pour le coup, ils y parvinrent sans difficulté. Personne ne vint les déranger dans la chambre à part à l'heure des repas. C'était l'un des avantages à ce que la présence de Al dans la maison soit connue.

lundi 24 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 77

Être avec un interlocuteur qu'on ne voyait pas, était vraiment étrange et penser que c'était ce qu'il imposait le plus souvent à Beckett, attristait Al. Il se serait presque cru seul, sauf qu'il ne l'était pas...
– Je vais être brève. Je n'ai aucune envie de passer plus de temps avec toi que nécessaire... Vous n'avez pas intérêt à rapporter à Garance ce que j'ai fait à Beckett. Je nierai tout en bloc et raconterai comment vous m'avez frappé et menacé, juste parce que vous me trouviez envahissante.
Ce retour de la véritable Maud ne surprit guère Al. Le contenu de sa tirade le laissa en revanche perplexe. Garance était déjà au courant... Mais elle ne le savait pas et s'en inquiétait. C'en était presque comique.
– Je croyais que tu considérais n'avoir rien fait de mal à Beckett.
– C'est le cas ! Seulement c'est son ami et il pourrait être jaloux.
C'était vraiment une peste. Mais elle devait être sincèrement attachée à Garance, sinon, elle n'aurait pas craint de perdre son affection.
– Tu devrais reconnaître que tu t'es mal comportée, mais bon, j'imagine que tu ne le feras pas. Garance sait déjà que tu t'en es pris à Beckett, et à priori, cela ne le dérange pas plus que ça.
Le ton de la jeune femme invisible révéla son étonnement :
– Il ne m'en a pas parlé... Il s'en moque vraiment ?
– Peut-être pas. Je le connais mal, mais je suppose que le sujet doit lui sembler délicat à aborder puisqu'il ne t'a pas interrogé dessus alors qu'il n'est pas du genre à se gêner niveau questions.
Maud eut un rire attendri :
– C'est vrai. Il veut tout savoir sur moi. Et en détails. En long et en large.
Al préféra ne pas lui préciser que Garance l'avait interrogé avec une passion similaire. Après tout, peut-être que l'ami de Beckett était vraiment amoureux de la jeune femme invisible, peut-être n'était-ce pas seulement de la curiosité...
Il jeta un œil aux deux adolescents et constata qu'ils regardaient dans leur direction. Ils s'impatientaient sûrement.
– C'est tout ce que tu avais à me demander ?
Comme elle ne répondait pas, il répéta sa question, sans obtenir plus de réaction. Enfin, il comprit qu'ayant été rassurée, la jeune femme invisible l'avait planté là. Il n'avait plus qu'à les rejoindre. Il avança deux pas, puis constatant que Beckett quittait son ami pour se diriger vers le lampadaire, il alla à sa rencontre.

vendredi 21 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 76

– Vous formez vraiment un couple ? demanda Beckett, d'un ton hésitant.
– Oui, je te l'ai déjà dit au téléphone.
– C'est vrai, mais comment s'est arrivé ?
– Et bien, j'ai proposé qu'on se rencontre, elle a accepté...
– Et ça a été le coup de foudre, compléta Maud.
Là-dessus, elle dut le gratifier d'un baiser, car Garance entrouvrit la bouche et ferma les yeux.
Il avait l'air ridicule et Beckett grimaça. De quoi comprendre pourquoi le jeune homme invisible évitait de l'embrasser en public.
Le baiser terminé, Garance suggéra qu'ils se promènent dans le parc et monopolisa plus ou moins la parole, racontant des potins sur les élèves et professeurs du lycée Odyssée, évoquant les derniers articles qu'il avait mis en ligne sur son site. Maud Quentin, quand elle parlait, se montrait charmante. Beckett et Al se contentaient d'un mot par-ci par-là. Les choses avaient beau se passer aussi normalement que possible, compte tenu du fait que deux d'entre eux étaient invisibles, ni Beckett ni Al ne parvenaient à se détendre. Ils se rappelaient avec trop acuité la difficulté qu'ils avaient eue à expulser Maud de l'appartement du jeune homme invisible et des répliques cruelles de cette dernière. Le plus étrange dans l'affaire, c'est qu'elle se comportait comme si rien de tout cela n'avait eu lieu. De son côté, Garance avait à priori complètement occulté que sa petite copine invisible s'était permis de peloter son ami.
Cela faisait une bonne heure qu'ils arpentaient les allées du parc, quand Al décida qu'il était temps de mettre fin au double rendez-vous. La situation était trop bizarre et trop fausse pour durer et il voyait bien que Beckett n'était pas au mieux de sa forme.
– Nous allons rentrer, déclara-t-il, coupant Garance au milieu d'une phrase.
– Déjà ? s'étonna Maud. Puis-je te parler quelques instants à part avant que vous partiez ? D'invisible à invisible. J'ai besoin d'un conseil.
La demande était polie, mais ferme. Al n'avait aucune envie d'aider la jeune femme d'une quelconque façon que ce soit, mais cela permettrait de s'assurer qu'elle n'avait pas l'intention de leur causer du tort, tout donnant une chance à Beckett d'essayer de faire entendre raison à son ami à son sujet.
– Bien sûr, répondit-il.
Beckett émit une brève protestation. Le jeune homme lui caressa  la joue d'un doigt apaisant et, espérant ne faire une grossière erreur, se mit d'accord avec Maud pour qu'ils aillent bavarder devant le lampadaire entouré de pâquerettes, qui se dressait un peu plus loin, à leur droite.

jeudi 20 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 75

Al qui avait escompté se rendre chez ses parents après le petit déjeuner, tant qu'il en avait le courage, vit son projet perturbé par les parents de Beckett qui voulaient s'entretenir avec lui entre quatre yeux.
Le bazar de la veille à côté de ça, ce n'était rien. Mais quelque soit son envie d'y couper, le jeune homme invisible ne recula pas. Les enjeux étaient trop importants. La bonne opinion des parents de l'adolescent était essentielle et pas seulement pour le toit qu'ils pouvaient lui offrir.  Il s'agissait de leur plaire afin qu'ils ne cherchent pas à l'empêcher de fréquenter leur fils.
Durant la conversation, le père ne le ménagea pas, se montrant limite blessant. Heureusement, la mère était là pour arrondir les angles et Al sut être convaincant. Les parents de Beckett parurent fortement soulagés quand il leur expliqua qu'il comptait rendre visite à sa famille pour tenter d'arranger les choses et il obtint le droit de séjourner avec eux une semaine de plus sur le canapé du salon.
Cependant, un coup de fil de Garance acheva de chambouler les plans de Al. Le binoclard proposait en effet à Beckett et à Al un double rendez-vous au parc, histoire de leur présenter officiellement sa toute nouvelle petite amie, Maud Quentin. Beckett commença par refuser refuser, remettant son ami en garde contre la jeune femme, puis comme ce dernier insistait, il accepta à contrecœur.
Le jeune homme invisible ne pouvait pas laisser Beckett faire face à Maud sans lui, aussi il repoussa la visite à ses parents. Les affronter eux et Maud Quentin la même journée était au-dessus de ses forces, sans compter que la discussion avec les parents de Beckett n'avait pas exactement été de tout repos...
A 14 heures, raides et nerveux, Beckett et Al arrivèrent donc au parc et attendirent debout, devant les grilles, au pied du chien de pierre de l'entrée. A postériori, Al regrettait de ne pas avoir choisi de s'habiller, même sans avoir le matériel nécessaire pour avoir l'air à peu près normal, car, évidemment, les parents de Beckett avait tiqué en comprenant qu'il sortait dans le plus simple appareil afin d'être parfaitement invisible. Scott, lui, avait manifesté son mécontentement de ne pas être emmené en promenade.
– Le voilà, murmura Beckett en repérant son ami qui s'avançait d'un pas tranquille, un grand sourire aux lèvres, les doigts de la main droite repliés sur un vide apparent. Il devait tenir la femme invisible par la main.
– Les voilà, rectifia Al.
– Salut ! Je crois que les présentations formelles sont inutiles vu que vous vous connaissez déjà.
– En effet, répondirent Al et Beckett dans un ensemble parfait.
– Wow ! Vous êtes synchro !
– J'espère que nous serons comme cela, un jour.
Beckett eut un frisson et broya la main de Al qu'il tenait dans la sienne. C'était la voix de Maud.

mercredi 19 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 74

 Al se réveilla sur le canapé du salon où il avait passé la nuit malgré les réticences de Beckett qui aurait préféré qu'il reste avec lui. Le jeune homme invisible avait trouvé plus judicieux de se plier à la volonté du père afin d'obtenir le droit d'habiter avec eux, ce qui n'était pas gagné d'avance !
Le canapé était à peine plus confortable que l'étroit lit, et surtout, il s'était habitué à dormir collé à Beckett si bien que cela lui avait manqué.
Déserté par le sommeil, l'esprit en ébullition en raison de la discussion qu'il avait eue avec la famille de Beckett, Al avait réfléchi à son avenir, pas celui de parasite inutile que ses parents lui avaient brossé des années durant, mais un où il pourrait être libre et indépendant. Il ne savait pas encore avec exactitude ce qu'il voulait faire, juste que cela devrait être un travail qui s'effectuerait à distance. Seulement pour y arriver, il faudrait qu'il se remette à étudier sérieusement et surtout qu'il obtienne à nouveau l'aide ses parents. Ce n'était pas à ceux de Beckett de payer pour lui, ni même de l'héberger. Cela promettait une confrontation pénible, mais celle avec la famille de Beckett lui avait montré que ce qu'on craint est parfois pire que la réalité.
Il n'avait plus qu'à aller en informer Beckett. Il en profiterait pour lui emprunter des habits. Maintenant que la famille de l'adolescent savait qu'il était là, s'habiller devenait indispensable.
Vêtu d'un pyjama vert que Cole lui avait prêté, Al monta les escaliers, faisant crier Zoé qui descendait.
– Bonjour, déclara Al, légèrement peiné malgré tout par la réaction de la petite sœur de Beckett.
Zoé grommela quelque chose d'incompréhensible entre ses dents et continua sa route, comme si de rien n'était.
Al entra chez Beckett, sans toquer, et le retrouva en train d'enfiler un large sweat-shirt orangé. Ces cheveux mouillés indiquaient qu'il sortait de la douche. Il avait un air triste qui disparut à la vue de Al - ou plutôt du pyjama.
Le jeune homme invisible lui rapporta le fruit de ses réflexions nocturnes.
– Tu veux faire ça quand ? Tu ne souhaites pas que je t'accompagne ?
– Je pensais faire ça dès aujourd'hui, et seul, parce que je vais leur donner raison...
– Sur quoi ? Sur le fait que l'homosexualité, c'est bizarre et que tu n'aurais pas dû poser les mains sur moi ?
Al songea que Beckett était adorable tout le temps, aussi bien attristé que contrarié. Même si bien évidemment, il le préférait souriant et content.
– Non. Sur ma prétendue monstruosité. Je vais leur montrer qu'avoir un fantôme chez soi, c'est ennuyeux. Jusque là je me suis toujours efforcé de leur faire plaisir, en me tenant à l'écart, comme ils le souhaitaient, mais cela ne sert plus à rien désormais, je veux dire... de toute façon, ils ne m'aimeront jamais... alors autant les forcer à terminer leur rôle de parents. Ceci dit, dès que je serai en mesure de me passer d'eux, je le ferai.

mardi 18 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 73

Comme l'heure tournait, la mère suggéra qu'ils aillent dîner. Le jeune homme invisible pouvait rester manger et dormir ce soir. Il était évident qu'ils ne pouvaient pas prendre une décision, comme ça, à l'emporte-pièce, pour un séjour de plus longue durée. C'est ainsi que pour la première fois, Al se retrouva à table avec la famille de Beckett au grand complet. Malheureusement pour lui, tous les regards étaient braqués sur lui, y compris celui de Scott qui espérait bien obtenir un bout de son steak haché ! Cela rendait le repas difficile à avaler. Toute gênante qu'elle soit, leur curiosité était naturelle. Pour un œil extérieur non habitué, le couteau et la fourchette coupaient et piquait dans l'assiette, pour ainsi dire tous seuls, et la nourriture disparaissait dans les airs comme par magie, englouti par le néant. Résultat, malgré les efforts de la mère de Beckett, la conversation était contrainte. Al était après tout un étranger et pour le moins bizarre, il fallait bien le dire.
Quand le dîner s'acheva enfin, l'adolescent entraîna Al dans sa chambre, sans écouter son père qui voulait que le jeune homme invisible dorme sur le canapé.
– Et puis quoi encore ?! grommela Beckett, en refermant la porte de son domaine. Cela n'a pas de sens, tu dors depuis presque deux semaines avec moi dans mon lit.
– Oui, mais il ne le savait pas. De toute façon, nous y sommes à l'étroit. M'installer sur le canapé ne me dérange pas.
– Hum... En tout cas, je suis soulagé que mes parents soient au courant. Cela ne s'est pas trop mal passé, l'un dans l'autre.
– Cela s'est même déroulé remarquablement bien. Ta mère est une véritable crème. Et le reste de ta famille n'est pas mal non plus. Ils ont plutôt mieux réagi que la moyenne des gens à mon état.
– Je leur avais beaucoup parlé de toi, même si je ne leur avais pas précisé que tu étais invisible à cause d'une maladie. Je suppose que cela les a aidés.
– Je n'en doute pas, répondit Al avant d'embrasser Beckett.
Il se sentait plus léger maintenant que sa présence sous le toit de l'adolescent n'était plus un secret. Il n'avait plus à craindre d'être découvert, plus à s'inquiéter des réactions. Bien sûr, tous ses problèmes étaient loin d'être réglés, mais l'avenir ne lui paraissait plus aussi sombre et bouché qu'avant.

lundi 17 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 72

– Tu ne suggères quand même pas qu'il reste chez nous, maman ? glapit Zoé.
– Tu veux qu'il aille où, sinon ? riposta Beckett, les doigts toujours serrés sur ceux du jeune homme invisible.
– Dans un laboratoire ou au cirque... J'en sais rien, moi ! Mais ce n'est pas mon problème !  rétorqua Zoé.
– Zoé ! Comment oses-tu te montrer aussi peu charitable ! s'indigna la mère, les poings sur les hanches.
– Tu ne dirais pas ça si tu avais vu à quoi il ressemble pour de vrai, quand il est visible, glissa Cole à sa petite sœur, avec un sourire.
– C'est vrai que vous avez raté ça, enchérit Natacha.
– C'est quoi cette histoire, encore !? grommela le père, dépassé par les évènements.
Al qui avait jusque là essentiellement laissé Beckett parler pour lui, se décida enfin à intervenir et à défendre sa cause :
– Je suis normal quelques minutes par jour. Je regrette vraiment de m'être imposé chez vous, alors que j'aurais pu essayer d'hanter d'autres lieux, en commençant par la maison de mes parents, mais je tiens énormément à Beckett et j'aimerai passer le plus de temps possible avec lui, aussi si vous m'y autorisez, j'aimerai demeurer ici. Je suis prêt à faire le ménage. Et la cuisine aussi, même si ce n'est pas mon fort... Ce n'est pas grand chose, bien sûr, mais...
Le père échangea un regard avec sa femme et son fils aîné, avant d'interrompre le jeune homme invisible :
– Attends un peu ! Tu as vingt ans, si je me souviens bien. Tu ne comptes quand même pas être nourri et logé chez nous en faisant le ménage jusqu'à la fin de tes jours... enfin  jusqu'à ce que Beckett quitte le nid familial ? C'est complètement fou. C'est mieux que de se faire entretenir sans lever le petit doigt, mais quand même, tu n'as pas envie d'autre chose ?
Pour le coup, toute la famille de Beckett sembla d'accord, l'adolescent compris, et Al se sentit mal. Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre qu'avec sa maladie, il n'était bon à rien ?  Il le leur jeta à la figure. Mais au lieu d'entendre raison, ils cherchèrent à lui démontrer que c'était lui qui se trompait avec force d'arguments. Tous n'étaient pas valables, mais certains l'étaient, et ce fut comme une révélation pour le jeune homme invisible. Bien sûr, sa maladie l'empêchait d'avoir un travail normal, mais cela ne signifiait pas pour autant qu'il ne pouvait rien faire, comme ses parents le lui avaient toujours répété. Il lui suffisait de trouver un job où il n'était pas nécessaire de mettre le nez dehors, ainsi personne ne le regarderait comme une bête curieuse. A l'ère d'internet, travailler à distance n'était plus si rare que cela. Non, vraiment, il aurait pu s'en rendre compte plus tôt, s'il avait pris la peine de réfléchir. Et en même temps, il était logique qu'il n'y ait pas pensé de lui-même, car depuis qu'il était enfant, ses parents lui avaient affirmé qu'il serait incapable de faire quoique ce soit.

vendredi 14 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 71

Plus personne ne bougea ou ne parla jusqu'à ce que Al redevienne invisible. Natacha cria une fois de plus et prit appui sur le mur, ses jambes se dérobant sous elle. Beckett s'empressa de chercher à la rassurer, l'informant en détails sur la maladie de Al. Cole se remit à blâmer son frère, mais avec moins de force.
Une fois qu'elle eut comprit qui était Al et en quoi constituait son invisibilité, Natacha reprit la maîtrise d'elle-même. Elle fit taire Beckett comme Cole, suggéra à Al d'enfiler des vêtements, affirma qu'une discussion familiale s'imposait et proposa qu'en attendant le retour du reste de la maisonnée, ils bavardent tous les quatre dans le salon.
Le jeune homme invisible se rhabilla donc avec le t-shirt bleu roi et le jeans assorti avant de prendre place dans le canapé, juste à côté de Beckett. L'adolescent, après avoir tâtonné un peu, s'empara de sa main et la lui serra, sans doute autant pour le réconforter que pour se donner du courage. Natacha et Cole qui s'étaient assis dans les fauteuils, ne les quittaient pas des yeux. Un silence inconfortable s'installa. Natacha, finalement, se racla la gorge pour demander de plus amples détails sur la présence de Al dans la maison et sur sa maladie.
Le jeune homme invisible s'exécuta, non sans que Beckett ne fournisse des informations supplémentaires et que Cole n'émette quelques commentaires bien sentis. L'arrivée de Zoé entraîna une nouvelle vague d'explications. La petite sœur de Beckett, prévenue par la grande avant d'entrer dans le salon, ne paniqua pas, mais garda une distance prudente vis à vis du canapé et de ceux qui l'occupaient.
Le père et la mère rentrèrent en même temps, ce qui leur simplifia un peu la tâche. Toutefois, leur retour marqua le début d'une véritable pagaille, tout le monde ayant quelque chose à dire. Zoé était très fâchée que son frère, non content de découvrir qu'il était homosexuel, ait ramené un fantôme à la maison ! Le père et le grand frère critiquaient le jeune homme invisible et disputaient Beckett. L'adolescent se justifiait du mieux qu'il pouvait et défendait Al avec la dernière énergie. La mère et la grande sœur essayaient de ramener l'ordre. Et, au bout de ce qui sembla être une éternité au jeune homme invisible, elles y parvinrent. Dans un calme relatif, la mère annonça :
– Ce qui est fait est fait. Beckett a accueilli Al à notre insu, profitant de son état d'invisibilité pour le moins particulier. Maintenant, il faut décider de ce que nous allons faire.
Des protestations fusèrent et le brouhaha régna à nouveau. Al se surprit malgré tout à espérer que les choses allaient bien tourner. Même s'il était regardé avec un mélange de crainte et de curiosité, nul dans la famille de Beckett n'avait songé à nier son existence, et nul n'avait cherché à le chasser de la maison.

jeudi 13 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 70

– C'est pour une caméra cachée ou quelque chose dans ce goût-là ? demanda Cole.
Al déclina à nouveau son identité, résistant à l'envie de partir, sans plus chercher à expliquer qui il était.
– J'ai déjà vu le copain de mon frère et il ne vous ressemble pas.
– Je m'étais maquillé afin de paraître normal.
Cole qui soutenait toujours sa sœur, l'installa dans le canapé, l'air pensif avant de fixer à nouveau son regard sur la seule chose qu'il pouvait voir du jeune homme invisible, à savoir le slip qui recouvrait les parties génitales de ce dernier.
– En admettant que vous... tu dises la vérité, pourquoi tu te promènes dans notre salon à moitié à poil ?
Al se sentait idiot et mal à l'aise. C'était de la torture de rester là aussi peu vêtu. Être nu aurait été préférable dans son cas.
– J'étais en train de  déshabiller afin de me fondre à nouveau dans le décor, avoua-t-il, en tirant légèrement sur l'élastique du slip.
Devait-il l'enlever ?
Cole fit un pas dans la direction du jeune homme invisible. Al recula d'autant.
– Attends une minute... Cela fait plusieurs jours que tu es dans la maison, n'est-ce pas ? C'était toi qui avait laissé la fenêtre ouverte, toi la raison pour laquelle la porte de la salle de bains était bloquée alors que personne n'était à l'intérieur...
Al reconnut qu'il « hantait » les lieux depuis près de deux semaines, avant de raconter comment ses parents l'avaient mis à la porte et comment Beckett l'avait invité à venir habiter avec sa famille.
Cole l'écouta sans l'interrompre, le visage de plus en plus fermé.
– Je ne vois rien là-dedans qui t'oblige à vivre en parasite chez nous sans rien faire de tes dix doigts, déclara-t-il avec une franchise brutale, quand le jeune homme invisible eut fini.
Al ne se donne pas la peine de lui faire valoir qu'avec sa maladie d'invisibilité, il n'était pas bon à grand chose.
– C'est vrai, soupira-t-il avant de franchir le seuil du salon, décidé à quitter la maison.
Il allait se débarrasser de ce stupide slip qu'il n'aurait jamais dû mettre, attendre le retour de Beckett devant la grille, le prévenir qu'il s'était fait prendre...
Cole le suivit.
– Hé ! Où vas-tu ?
– Je m'en vais.
La porte d'entrée s'ouvrit alors sur Beckett qui comprit en un clin d'œil la situation.
– Mince ! s'exclama-t-il.
Cole reporta son attention sur l'adolescent.
– A quoi tu songeais au juste quand tu as proposé d'héberger ton copain spectre aux frais de la princesse ?
– Ce n'est pas fantôme, il est comme toi et moi, excepté qu'il est invisible, rectifia Beckett.
Impuissant, Al assistait à la discussion houleuse entre les deux frères, quand son corps cessa d'être transparent. Son apparition coupa Cole dans les reproches qu'il faisait à l'adolescent. Natacha, d'une démarche chancelante, choisit ce moment pour rejoindre le groupe dans l'entrée. Cette fois, au lieu de perdre connaissance, elle se contenta d'écarquiller les yeux et de déglutir bruyamment.

mercredi 12 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 69

Ce furent des voix qui provenaient de l'entrée qui le firent émerger. Sa sieste inopinée avait duré deux bonnes heures et il était 17 heures passés. Encore tout englué de sommeil, Al se redressa sur le canapé. Essayer de quitter le salon avec des habits sur le dos sans être remarqué tenait de l'impossible vu la configuration de la maison. L'unique porte de la pièce débouchait sur l'entrée. Al éteignit la télévision dont le volume était,  Dieu merci, bas et se dépêcha de retirer le t-shirt. Il déboutonnait le haut du jeans quand il entendit que le frère et la sœur entraient dans la pièce. Ils ne pouvaient pas le voir, pas encore, il était à l'abri derrière le canapé, mais il suffisait de quelques pas... Al acheva d'ôter le jeans, maudissant son imprudence et sa stupidité. Il ne restait plus que le slip, mais c'était trop tard, Natacha et Cole étaient là, discutant de leurs projets respectifs pour le week-end.
– Que font là ses habits ? s'étonna la grande sœur de Beckett, avant de se pencher pour ramasser le pantalon et le t-shirt.
– C'est à Beckett. Tu crois qu'il se ballade à poil ? plaisanta Cole.
– Il se comporte bizarrement en ce moment, mais quand même... Et de toute façon, il ne devrait pas être encore rentré à cette heure-ci.
Sur cette affirmation, Natacha tendit la main vers le slip, les sourcils froncés parce quelqu'un semblait porter le vêtement, ce qui était bien sûr impossible.
Al n'y tint plus et bougea. Il n'allait pas laisser la sœur de Beckett le déshabiller quand même ! Les yeux de la jeune femme s'arrondirent de surprise, elle poussa un cri et s'évanouit dans les bras de Cole qui lui, garda son sang-froid face au vêtement mouvant.
– Qui êtes-vous ?
Le jeune homme invisible qui était en train de s'enfuir vers la porte, se figea, hésitant à répondre. Cole répéta la question et Al se jeta à l'eau, puisqu'il avait été découvert, cela ne servait à rien de continuer à prétendre ne pas exister.
– Je suis le petit ami de Beckett. Je suis atteint d'une maladie de peau rare qui me rend invisible, déclara-t-il en pivotant pour faire face à Cole.
Natacha reprenant ses esprits, Cole concentra son attention sur elle sans réagir à ce que le « slip » lui avait dit.
– Ça va ?
– Oui. Mes yeux ont dû me jouer un tour. J'ai cru voir le vêtement bouger tout seul, souffla la jeune femme.
– Non, tu n'as pas rêvé.
Natacha cligna des paupières, vit le slip qui flottait dans le vide devant l'embrasure de la porte du salon, cria une fois encore, et retomba dans les pommes.

mardi 11 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 68

Cole était fâché contre Beckett, ce qui aggrava encore un peu plus l'ambiance de la maison. L'adolescent reconnut que cela l'affectait, tout en affirmant que c'était ni la première ni la dernière fois que son grand frère était en froid avec lui et qu'il finirait bien par revenir à de meilleurs sentiments.
Durant le reste du week-end, ils planchèrent sur le dossier de biologie. C'était une expérience nouvelle pour eux que de travailler ensemble, mais elle se révéla agréable. Al ménageait d'autant moins ses efforts qu'il se sentait responsable de la désertion de Julius et Garance. Il considérait toutefois que les deux amis étaient gonflés de laisser quasiment tout le boulot à Beckett pour un devoir pour lequel ils obtiendraient tout les trois une note.
Lundi matin, l'appréhension de Beckett était palpable. Il craignait aussi bien d'affronter Julius que de faire face à Garance qui serait peut-être accompagné de l'invisible Maud Quentin. Al serait bien venu avec lui, mais l'adolescent ne le souhaitait pas selon son bon vieux principe qu'ainsi, il saurait par élimination qu'il s'agissait de Maud et non lui,  s'il se passait quelque chose d'inhabituel. Le jeune homme invisible passa par conséquent la journée à se faire du soucis pour être à moitié rassuré par les nouvelles que lui rapporta Beckett le soir : Julius avait transmis (un peu tard) ce qu'il avait préparé pour le dossier de biologie, exigeant juste une fois de plus que les sujets d'invisibilité et d'homosexualité ne soient plus jamais abordés tandis que Garance s'était excusé d'être parti sans faire sa part du travail avant de raconter avec enthousiasme que Maud Quentin avait répondu à toutes ses questions !
Mardi, mercredi, puis jeudi s'écoulèrent avec lenteur, et sans événements notables. Al s'ennuyait sans ses affaires pendant que Beckett était en cours ou occupé avec ses devoirs ou sa famille. Par ailleurs, il était las de vivre en permanence nu comme un vers afin de ne pas risquer de se faire repérer. Il faisait bon dans la maison, mais ce n'était quand même pas formidable, sans compter que jouer à cache-cache avec les membres de la famille de l'adolescent était usant. Heureusement, Scott se montrait désormais câlin à son égard.
Vendredi, Al n'y tint plus, sûr et certain qu'il serait tranquille jusqu'à 17 heures du soir environ, personne ne rentrant à la maison avant, même pour le repas de midi, il se lava et emprunta des vêtements Beckett, choisissant un t-shirt bleu roi et un jeans assorti. Il bouquina jusqu'à 13 heures avant de manger un copieux repas dans la cuisine pour compenser celui du soir qui serait nécessairement plus léger. Il alla ensuite se mettre devant la télévision, s'installant dans le moelleux canapé chocolat du salon pour la regarder. D'abord, assis, il finit par s'allonger. Les émissions se suivaient et se ressemblaient, et Al n'oubliait pas de jeter de temps en temps un coup d'œil sur la pendule à sa gauche. Mais, à un moment, pendant une publicité, fatigué par les mauvaises nuits qu'il passait dans l'étroit lit où il s'efforçait de laisser le plus de place possible à Beckett, il s'assoupit.

lundi 10 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 67

– Désolé de te déranger alors que tu es avec tes amis, mais voir le film John Carter m'a donné envie de relire ses aventures. Seulement, je ne le retrouve pas dans ma chambre... Tu ne me l'aurais pas emprunté par hasard ?
Al bâillonna Beckett, mais trop tard. Il avait déjà répondu « non. »
– C'est moi qui l'ai pris, chuchota-t-il le plus doucement qu'il put avant de retirer sa main de la bouche de l'adolescent.
– Attends, je vais regarder quand même, bafouilla Beckett.
Dans les faits, c'est Al qui attrapa l'épais roman qu'il avait bêtement mis dans l'étagère avec les autres livres de Beckett tandis que l'adolescent s'habillait en quatrième vitesse.
Cole tourna encore la poignée, mais en vain.
– Qu'est-ce que t'a fichu avec ta porte ? grommela-t-il.
Beckett ignora la question et déplaça les chaises, tout en vérifiant que rien ne trahissait la présence de Al dans la chambre et ce qu'ils venaient d'y faire. Dès que la boîte de préservatifs et le lubrifiant eurent terminé de disparaître sous le lit, Beckett ouvrit en grand, le livre à la main.
– Tiens !
Cole rentra en possession de son bien, non sans s'étonner que Beckett soit seul.
– Tes potes sont déjà partis ?
– Oui. Tu ne les as pas entendus ?
– Non, je devais être trop absorbé par le film. Mais vous avez déjà fini ?
– Non. Julius a pris la mouche comme un idiot et Garance s'est trouvé quelque chose de plus urgent à faire.
L'air soupçonneux de Cole alarma Al, mais il ne pouvait rien faire d'autre que de retenir son souffle.
– Tu es vraiment bizarre en ce moment. Tu es constamment sur tes gardes, c'est soulant. De quoi tu as peur, au juste ? C'est pas comme si on t'asticotait sans cesse à propos de ton petit ami, chez qui, soit dit en passant, tu ne mets plus les pieds alors que tu y étais tout le temps fourré. Et si on te pose une question qui ne te plaît pas, hop, il y a plus personne. Qu'est-ce qui se passe à la fin, bordel ?
– Je ne viens pas mettre le nez dans tes affaires, moi. Laisse-moi tranquille, répondit Beckett en commençant à refermer sa porte.
– Maman se fait beaucoup de soucis pour toi, répliqua Cole, et il tourna les talons avant même que l'adolescent n'ait achevé de clore sa chambre.
Beckett poussa un long soupir auquel le jeune homme invisible fit écho. Ils ne pouvaient pas continuer comme ça, et en même temps, quel autre choix avaient-ils, dans la mesure où Al se sentait incapable de quitter Beckett et où avouer sa présence ne pouvait aboutir à rien de bon ?

vendredi 7 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 66

C'était un baiser désespéré et passionné qui les enflamma l'un comme l'autre. Quand il s'acheva, un gémissement s'échappa des lèvres de l'adolescent et ses bras autour du jeune homme invisible se desserrèrent. Al fut traversé par l'envie de le prendre, là, comme ça, sans se soucier de rien, mais il ne voulait ni lui faire du mal ni le mettre dans l'embarras vis à vis de sa famille, aussi se contenta-t-il de l'embrasser encore, comme un assoiffé au milieu du désert. Loin de les apaiser, cela ne fit que les embraser davantage. Al était entièrement nu, comme l'y contraignait sa position de fantôme, mais il avait terriblement chaud. Beckett, sans lâcher le jeune homme invisible, commença à tirer sur son sweat-shirt jaune citron comme pour l'enlever.
– Beckett, ce n'est pas...
– Raisonnable. Mais en fait, si, ça va. Mes parents sont partis faire les courses, Zoé est chez une amie, Natacha chez son petit ami, et Cole venait tout juste de se lancer dans un film quand Garance et Julius ont sonné. Et au cas où, nous avons là deux chaises pour bloquer le passage et peut-être-même coincer la poignée.
Al était trop tenté pour protester plus avant. Il lui proposa juste de fermer les volets et de tirer les rideaux de la fenêtre afin de plonger la pièce dans l'obscurité.
Mais l'adolescent secoua la tête :
– Ce n'est pas la peine. Il n'y a personne en face pour nous voir.
Al comprit non sans étonnement que l'adolescent acceptait enfin de faire l'amour en pleine lumière. Il se remit cependant vite de sa surprise et aida Beckett à déplacer les chaises avant de lui retirer ses vêtements. Après le sweat-shirt, le t-shirt vert tomba, dévoilant son torse presque imberbe. Le jeans et les chaussettes suivirent, et enfin, le slip blanc glissa, libérant le membre durci. Al vint frotter le sien contre ce dernier,  ses yeux plongés dans ceux de Beckett qui brûlaient de désir, puis, il le conduisit jusqu'au lit et l'allongea dessus, sans cesser de le dévorer du regard. Le grain de sa peau, le pli de sa bouche, tout était beau et doux. Le caresser, le voir frémir de plaisir, c'était un rêve devenu réalité. Comment avait-il pu envisager ne serait-ce qu'une minute de le laisser, de renoncer à sa chaleur ? Il lui était devenu indispensable, comme l'air qu'il respirait. Il glissa les mains sous les fesses de Beckett, savourant leur fermeté, regrettant de ne pas pouvoir se fondre en lui.
– Al...
– Hum ?
– Tout au fond de mon sac de cours, dans un emballage plastique, il y a un tube de lubrifiant et des préservatifs. Je les ai achetés hier durant la pause de midi.
Al se pétrifia un instant à la nouvelle. L'adolescent ne manquerait jamais de le surprendre. Il avait osé passer à la caisse avec de tels achats. Durant le temps qu'il fallut au jeune homme invisible pour digérer l'information, Beckett alla récupérer le fameux sac plastique et son contenu.
– Cela te manquait ?
Al avait posé la question pour le taquiner, car il avait surtout le sentiment que l'adolescent avait cherché à adoucir sa pénible situation de fantôme. Cependant, Beckett inclina la tête, dans un discret signe d'assentiment avant de murmurer :
– Je te jure, un jour, tu vas me faire mourir d'embarras.
Al espérait bien que non.
– De plaisir, ce serait mieux.
Ce furent les derniers mots qu'ils échangèrent avant de reprendre le fil interrompu de leurs caresses. Ils étaient tout les deux très excités, et une fois unis, il ne leur fallut guère de temps pour qu'ils jouissent.
Ils venaient tout juste de reprendre leur souffle, et Al était toujours à l'intérieur de Beckett, quand la poignée claqua suivi d'un juron comme la porte ne s'ouvrait pas. C'était Cole. Al se retira en hâte. Beckett déglutit, lorgnant sur ses habits en tas au pied du tabouret de son bureau.
– Qu'est-ce que tu veux, Cole ? demanda-t-il d'une voix rendue aiguë par la panique.

jeudi 6 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 65

Beckett répondit du bout des lèvres, précisant qu'il tenait Garance pour partiellement responsable de l'apparition de l'invisible Maud Quentin dans sa vie.
Loin de monter sur ses grands chevaux, Garance posa de nouvelles questions avant de prendre congé, non pas parce qu'il était fâché, mais parce qu'il avait hâte d'envoyer un mail à la jeune femme invisible pour en apprendre plus sur elle. A la différence de Julius, il abandonna en revanche derrière lui ce qu'il avait rédigé pour leur devoir commun.
– C'est la catastrophe... soupira Beckett qui laissa tomber sa tête sur  le bureau.
Al était bien d'accord. Tout avait été si vite qu'il n'avait pas su quoi dire avant que tout soit fini. Il vint se placer derrière l'adolescent et lui ébouriffa les cheveux.
– Je dois pouvoir t'aider à terminer votre devoir de biologie.
Beckett se redressa :
– C'est le moindre de mes soucis. Sans compter que tu ne connais même pas le sujet !
– Si j'ai redoublé autant, c'est que je ne vais quasi jamais en cours, mais j'ai lu tous les manuels de A à Z et nous possédons les mêmes. Et oui, je sais bien que ce n'est pas ce qui te tracasse le plus.
Ce que le jeune homme invisible craignait, pour sa part, c'était que Maud Quentin revienne les enquiquiner après que Garance l'ait  questionnée.
– Je n'aurais pas dû leur dire que tu vivais à la maison et garder pour moi l'existence de Maud Quentin. Mais au fond, ce qui me gêne, c'est que Julius comme Garance réagissent comme ça. Je croyais qu'on était amis, mais l'un te considère comme un monstre et pense que ça m'amuse me donner en spectacle en plein cours tandis que le second voit votre maladie d'invisibilité comme un sujet d'article, tout en occultant que c'est sa faute si Maud Quentin a débarqué et m'a... enfin, tu sais.
Un terrible sentiment d'impuissance s'abattit sur Al. Quelque part, il était à la source de tous les problèmes de Beckett. Sans lui, pas de mésentente avec ses amis, pas de femme invisible aux mains baladeuses, pas d'obligation de cacher quoi que ce soit. Qu'apportait-il à Beckett ? Rien de bon, juste des ennuis. Il devait partir, le laisser, pour son bien. Mais où aller, et surtout que faire loin de lui ? Sans compter qu'il avait promis de ne pas partir sans rien dire.
– J'ai l'impression que tu serais plus heureux si tu ne m'avais pas rencontré, murmura Al, presque pour lui-même.
Une lueur affolée apparut dans les yeux anthracites de Beckett, il se leva, brassa le vide avant de finalement capturer Al.
– C'est faux. Alors, surtout, ne t'en va pas. Je ne peux pas dire que tu me simplifies la vie, mais je m'en fous.
L'adolescent serrait le jeune homme invisible avec une telle force qu'il lui faisait mal, mais loin de s'en plaindre, celui-ci l'étreignit en retour et s'empara de sa bouche.

mercredi 5 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 64


En début d'après-midi, quand l'adolescent descendit accueillir ses deux amis, Al s'assit par terre, s'adossant comme convenu sur le côté droit de l'armoire. Il était résigné à ne rien faire d'autre que regarder Beckett, Julius et Garance faire un sort à leur devoir de biologie.
Quand le trio débarqua muni de deux chaises provenant de la cuisine, le jeune homme invisible constata que Beckett était tendu.
Le rouquin et le binoclard extirpèrent de leurs sacs à dos des pochettes plastiques qui devaient contenir le fruit de leurs premiers efforts tandis que Beckett récupérait dans son classeur de biologie ce qu'il avait préparé. Ils s'installèrent autour du bureau et chacun se mit à lire ce que les autres avaient écrit. Cependant, l'ambiance studieuse eut tôt fait de voler en éclats.
– Pas trop malheureux d'être coincé avec nous au lieu d'être avec ton invisible chéri ? demanda soudain Garance.
Julius s'offusqua :
– J'avais dit que je ne voulais plus entendre un mot sur ce monstre !
– Il est comme nous, ne dis pas ça ! protesta Beckett.
– Et pourquoi pas, puisque je le pense ?
Peut-être parce que le secret lui pesait, peut-être parce qu'il était énervé contre son ami, l'adolescent avoua alors que Al était avec eux dans la pièce.
Julius regarda à droite et à gauche, en panique.
– Mais qu'est-ce qu'il fiche là ?
– Il a été mis dehors de chez lui.
– Bien fait pour lui ! En attendant, compte pas sur moi pour rester. J'ai pas envie d'assister à vos petits jeux pervers, clama Julius.
Al se mit lentement debout, son dos nu frottant la paroi de l'armoire.
– De quoi tu parles ? intervint Garance, d'un ton intéressé, en remontant ses lunettes sur son nez.
– Je n'avais rien dit, mais je les ai vus en cours de bio ! Beckett se faisait astiquer l'engin par sa créature invisible, l'air de rien, alors que j'étais juste à côté !
Beckett pâlit et répliqua d'une voix blanche :
– Ce n'était pas lui ! Il n'est pas comme ça ! C'était une femme invisible, elle...
Le rouquin l'interrompit :
– C'est ça, à d'autre ! Je ne suis pas comme toi, con au point croire qu'il existe deux horreurs pareilles qui se baladent en toute tranquillité dans notre lycée !
D'un geste vif, Julius récupéra ses affaires et quitta la chambre, en claquant la porte. Garance, lui, avait les yeux brillants d'enthousiasme.
– Al vit ici depuis quand ? C'est quoi cette histoire de femme invisible ? Cela s'est produit pendant quel cours de biologie ?


mardi 4 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 63

Après un dimanche passé à attendre Beckett dans sa chambre et à écouter de la musique pour camoufler leurs voix quand il s'y trouvait, la semaine commença. Dès que la maison se fut vidée de ses occupants, Al put se doucher et petit déjeuner dans la cuisine, sacrifiant deux tranches de pain afin que Scott se montre aimable. Il visita ensuite le bas de la maison qu'il n'avait pas encore eu l'occasion d'explorer. Il découvrit la chambre crème des parents, le salon tout en or et chocolat avec un canapé et des fauteuils en velours, des toilettes marbrés et une cave pavée aux murs jaunes. Après quoi, il regagna la chambre de Beckett et prit le livre qu'il avait commencé à veille. L'attente du retour de l'adolescent commençait. S'il avait été chez lui, cela aurait été pareil. Excepté qu'il avait la compagnie d'un labrador et que Zoé rentrerait vers 16 heures du collège, l'obligeant à se montrer prudent pour se déplacer dans la maison. L'autre souci était que la bibliothèque de Beckett n'était pas très fournie, même s'il y avait de beaux livres photos de paysages et d'animaux. Ses bouquins et ses DVDs allaient lui manquer.
Très vite, Al se rendit compte qu'être un fantôme de chair et de sang était pénible. Même en ayant les emplois du temps de la famille de Beckett, ne jamais trahir sa présence était difficile. Mardi, Zoé s'était ainsi plaint que quelqu'un ait mangé le dernier paquet de mini-brownies sans prévenir. Au-delà de l'inconfort de sa position de spectre vivant, Al ne pouvait chasser un sentiment de culpabilité grandissant à l'égard de la famille de l'adolescent. Il abusait de leur hospitalité à leur insu, surprenait des conversations qu'il n'aurait pas dû entendre, des scènes qu'il n'aurait pas dû voir, telle Natacha prenant des poses sexys devant le miroir du couloir. Le jeune homme invisible était également ennuyé pour Beckett qui se trouvait dans l'impossibilité d'expliquer pourquoi lui qui était habituellement toujours fourré chez son petit ami, n'y mettait plus les pieds, rentrant directement après le lycée.
Bon an mal an, une semaine s'écoula non sans que se multiplient de petits incidents : une odeur de brûlé dans la cuisine l'après-midi sans que personne n'ait rien fait cramé le matin, une fenêtre ouverte que Cole, le dernier à être parti de la maison, était sûr d'avoir fermée... Ces mystères inexpliqués et l'attitude évasive de Beckett faisaient flotter une atmosphère bizarre dans la maison. Cependant, samedi revint sans que Al ait été découvert, et sans que Beckett n'eut à s'abaisser à mentir. Sa raison de rester à la maison était toute trouvée pour le samedi : il était prévu de longue date que Julius et Garance viennent pour qu'ils finissent le dossier de biologie qu'ils faisaient ensemble. Al n'était pas enchanté par cette perspective qui l'obligerait à se faire encore plus discret que jamais, mais Beckett n'avait pas réussi à déplacer le lieu de réunion : Julius et Garance vivaient en appartement et  ils savaient qu'ils auraient droit à un copieux goûter en travaillant chez Beckett.

lundi 3 septembre 2012

Rendez-vous manqué - 62

Comme rester de marbre ainsi collés ? Ils s'embrassèrent à perdre haleine, se caressant partout, se frottant l'un contre contre l'autre. Brûlants de désir, ils écartèrent la couette qui tomba sur le plancher sans qu'ils s'en soucient. Leurs bouches impatientes goûtaient au sel de leurs peaux et leurs mains enfiévrées glissaient sur leurs corps, s'attardant sur leurs sexes durs et gonflés. Dans un même frisson, ils jouirent. Comme ils reprenaient leurs souffles, il apparut à Al qu'ils ne pourraient que faire l'amour sans pénétration jusqu'à nouvel ordre, le lubrifiant et les préservatifs étant restés chez lui, avec l'ensemble de ses affaires. Le jeune homme invisible garda pour lui cette ultime contrariété de la journée.
Al se réveilla en sursaut dans la nuit, acculé au bord de l'étroit lit où ils s'étaient pelotonnés et endormis, quelques heures plus tôt. Il ne souhaitait pas perturber le sommeil de Beckett en le poussant pour avoir de nouveau une place, aussi il se leva. Après un moment d'indécision passé à écouter le souffle régulier de l'adolescent, il quitta la chambre tout doucement, sans faire de bruit avec l'intention d'aller dans la cuisine pour manger un bout.
Un rai de lumière sous la porte faisant face à la cuisine, interpella Al. Il crut deviner le prénom de Beckett, et plein de curiosité, s'approcha. En collant l'oreille au battant, il reconnut la voix des parents de l'adolescent qui, malgré l'heure tardive, étaient encore éveillés. Ils discutaient de leurs fils, la mère était soucieuse, et le père aussi, même s'il se voulait rassurant.
– Je suis certaine qu'il cache quelque chose. D'habitude, il vide son sac sans faire de mystères.
– C'est peut-être trop personnel. Ou bien il ne veut pas t'attrister. Peut-être que la famille de son copain se sont montrés désagréables.
– Tu crois ?
– Oui. Il n'y a pas de quoi être ravi de rencontrer le petit ami de son fils.
– J'aimerais bien faire sa connaissance, moi. Même s'il est aussi bizarre que Zoé l'affirme et qu'il porte une perruque selon Natacha.
Al préféra ne pas écouter plus longtemps. La sollicitude dont il faisait preuve à l'égard de leurs fils était touchante, mais aussi blessante quand il pensait à ses propres parents, et si la mère de Beckett avait su à quel point il était étrange, elle n'aurait pas été aussi pressée de le « voir. » L'appétit coupé, Al remonta auprès de Beckett, se débrouillant pour récupérer en douceur une place dans l'étroit lit. Malgré le réconfort que lui procurait la chaleur de l'adolescent, longtemps le sommeil le déserta. Il aurait voulu ne pas être différent, que ses parents l'aiment, alors, il aurait eu une scolarité normale et une vie délicieusement banale.