mercredi 24 octobre 2018

Fin, pause et nouvelle histoire

Nous voilà arrivés à la fin de Bienvenue à Versélia, un peu plus court que prévu initialement.
J'ai enfin réussi à raconter mon histoire d'amour entre un homme et un arbre - oui, c'est moi, la spécialiste des romans bizarres !
J'ai plusieurs couples prévus entre différents verséliens, notamment le centaure et le dragon, mais je dois vous avouer que ce n'est pas toujours facile de mettre en scène des amours qui transcendent les genres et les espèces, alors pour le moment, je vais laisser Versélia de côté pour me consacrer à l'écriture d'une autre histoire avec des êtres 100% humains, sans doute celle de Taj et Malek, dans le monde des 4 points cardinaux.
Cependant, avant cela, pause jusqu'au 7 novembre !

Bienvenue à Versélia - 77

Leurs lèvres se joignirent et ce n’est que longtemps après qu’ils sortirent de la chaumière, le Gardien s’appuyant sur Grégoire.
Une fois à sa place, il se métamorphosa,  son feuillage encore maigre.
Grégoire s’adossa à tronc et ils parlèrent. Il y avait beaucoup de choses à raconter entre le retour forcé de Grégoire dans son monde, ses doutes sur l’existence de Versélia, ses difficultés à revenir, sa découverte de l’état catastrophique du Gardien, ses tentatives pour le soigner et son travail de médiateur. Le grand arbre commentait de temps en temps. Il était enchanté que Grégoire exerce un métier qui lui plaise en profondeur et surtout qu’il le fasse à Versélia.
— Au moins, je n’ai aucune concurrence, plaisanta Grégoire.
Puis redevenant sérieux, il dit :
— Tu sais, je ne regrette pas de m’installer auprès de toi, mais je suis triste pour mes parents.
— Passer de Versélia à ton monde n’est pas exactement facile, tu as pu le constater par toi-même, mais cela n’a rien d’impossible ou d’interdit.
— Vraiment ? Non, parce que je ne pouvais initialement quitter les lieux qu’à condition de me trouver… Ensuite, j’ai été éjecté comme un mal propre et après, j’ai tourné en rond dans la forêt pendant des heures.
— Oui, il n’y a pas de passage. Dans un sens comme l’autre, il faut une raison. Vouloir garder le contact avec ta famille en est une excellente et souhaiter revenir à mes côtés pour résoudre des conflits entre verséliens aussi. Sans compter l’équilibre que tu apportes en y vivant. Vu que Versélia s’est ouvert pour toi, non pas une, mais deux fois, le phénomène se reproduira.
Grégoire sourit. Son bonheur était complet. Se perdre avait du bon. Se retrouver aussi.
Le Gardien reprit :
— Il faudrait qu’on organise une petite fête.
— Pour célébrer ton rétablissement ?
Grégoire voyait déjà la scène : la table dressée chargée de pains de Vulkain, Sergeï papotant avec Saphir, Crystal perchée sur l’épaule de Zarn, Rufus parlant chiffons avec Galway qui n’aurait d’yeux que pour son dragon. Et, à un moment, ils descendraient au bord de la rivière pour bavarder avec Neegr...
La voix profonde du Gardien le ramena au présent :
— Non, pour te souhaiter la bienvenue à Versélia.

FIN

mardi 23 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 76

Grégoire se précipita vers lui, et s’arrêta juste à côté de lui, n’osant troubler son repos, puis finalement craqua et posa sa paume à plat sur le torse du Gardien au niveau du cœur.
L’homme-arbre recouvrit sa main de la sienne et murmura son prénom avant de dévoiler ses prunelles vertes.
Grégoire l’embrassa, des larmes de joie et de soulagement coulant librement sur ses joues.
— J’ai cru que je ne te reverrai jamais.
— Moi aussi, répondit le Gardien.
— Je suis désolé… Je n’ai pas choisi de te laisser. J’ai été enlevé alors même que j’avais décidé de rester pour être avec toi.
— Quand tu as disparu, j’ai imaginé mille possibilités et j’ai essayé de te contacter par le biais des rêves… Mais au bout du compte, je ne savais pas, peut-être t’étais-tu trouvé et avais-tu préféré partir.
— Sans un au revoir, après que nous ayons fait l’amour ? Jamais je n’aurais fait cela !
— Oui, cela ne te ressemblait pas. Mais je n’étais certain de rien. Pas même de tes sentiments à mon égard.
Grégoire faillit s’indigner avant d’être obligé de reconnaître qu’il ne les avait jamais formulés clairement. N’en déplaise à Zarn, montrer ne suffisait pas toujours, s’exprimer verbalement était parfois nécessaire.
— Je t’aime, déclara-t-il.
Le Gardien l’attira à lui pour un doux baiser. Il caressa ensuite d’un doigt l’une des joues mouillées de Grégoire.
— Ce sont les larmes que tu as versé qui m’ont ramené…
— Quoi ?
— Oui. J’étais mourant, j’avais sombré dans l’inconscience, mais la terre les a bues et je m’en suis nourri…
Grégoire regretta de les avoir retenues aussi longtemps, tout ça pour respecter cette règle idiote qui voulait que les hommes ne pleurent pas. C’était une preuve de plus qu’il fallait ne pas tout respecter à la lettre et faire la part des choses.
— Alors, tu n’exagérais vraiment pas quand tu affirmais que je t’étais devenu indispensable ?
— En effet, répondit le Gardien. Je vais devoir retourner pour terminer de me rétablir, ajouta-t-il dans un soupir.
— Oui, bien sûr. Tu n’aurais même pas dû te transformer, si ?
— Je pensais que c’était mieux pour nos retrouvailles.
— Un mot de toi aurait suffit à me combler.
— Je voulais pouvoir t’enlacer, répliqua le Gardien.
Et c’est ce qu’il fit.

lundi 22 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 75

Grégoire grimpa d’abord avec précaution, prenant bien garde aux distances entre les branches, mais au moment d’atteindre enfin la feuille, dans son empressement, son pied dérapa, sa prise lui échappa et il tomba dans un cri, sans possibilité de se rattraper.
Il ferma les yeux, se préparant à l’inévitable impact. Cependant, au lieu de s’écraser sur le sol, il se retrouva dans des bras puissants.
Un instant, il espéra que c’était le Gardien, mais eut tôt fait de découvrir que c’était Zarn qui le fixait d’un air plein de reproche.
Grégoire pouvait presque l’entendre critiquer son manque de prudence.
— Merci. J’ai remarqué une feuille sur le Gardien…
Zarn écarquilla les yeux, puis leva la tête vers les branches. Enfin, il déposa en douceur Grégoire et monta voir par lui-même. Impossible de ne pas lui envier ne serait-ce qu’un peu son agilité.
Il redescendit en deux temps trois mouvements, un grand sourire aux lèvres.
— Je n’ai pas rêvé, hein ? demanda Grégoire.
Le géant tapota simultanément son dos et le tronc du Gardien, lui confirmant qu’il ne s’était pas trompé.
Grégoire courut annoncer la nouvelle à Neegr qui partagea sa joie.
Débordant d’énergie, il fit le tour de ses amis. Même Vulkain ne réussit pas à tempérer son enthousiasme en lui faisant remarquer que ce n’était pas encore gagné.
Les jours suivants, d’autres feuilles apparurent, chacune enthousiasmant Grégoire. L’arbre restait muet, mais Grégoire ne doutait pas qu’il reparlerait.
Une part de lui avait envie de rester coller au Gardien pour ne pas rater le moment oùcela se produirait, une autre savait que l’attente le rendrait fou, aussi continua-t-il à son travail de médiateur. Résoudre des conflits de manière amiable le satisfaisait en profondeur. C’était une façon de préserver l’ordre.
Il revenait donc, après avoir aidé deux lutins en bisbille à renouer le dialogue quand il constata que le grand arbre avait disparu. Son cœur s’emballa dans sa poitrine : si le Gardien avait disparu, c’est qu’il avait dû se transformer et qu’il ne devait pas être pas loin.
Grégoire regarda tout autour, appela, puis poussa finalement la porte de la chaumière que Zarn avait fini de lui construire.
L’homme-arbre était allongé sur son lit, les yeux clos, ses cheveux verts clairsemés.

vendredi 19 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 74

Saphir fut enchanté de son projet et ravi que Grégoire soit décidé à s’installer définitivement parmi eux.
Pas plus tard que le lendemain, le fée lui amena ses premiers clients, deux nains désireux de s’installer exactement au même endroit.
Grégoire mit aussitôt à profit ce qu’il avait appris du travail de médiateur dans son monde via internet.
Quand il revint auprès du Gardien après avoir résolu le conflit en ayant déniché un autre emplacement libre correspondant aux critères de ses clients, il trouva Zarn à l’ouvrage.
Le géant manipulait de grosses pierres taillées avec autant de facilité que s’il s’était agi de cailloux. Il les disposait là où il avait bâti la cabane de bois qui avait été incendiée.
— C’est pour qui ? demanda Grégoire, s’inquiétant que quelqu’un vienne s’installer aussi près.
Zarn, une fois qu’il eut les mains libres, pointa un doigt sur Grégoire.
— Pour moi ? Mais j’ai déjà un abri…
Le géant leva les yeux au ciel. Il ne devait pas juger cela suffisant.
— C’est parce que cela a brûlé la dernière fois que tu construis en pierre ?
Zarn secoua la tête et déclara, solennel :
— Parce que tu restes.
Avec le géant, il fallait deviner et interpréter, un peu comme avec l’homme-oiseau en fait. Le logis précédent avait donc été bâti en une matière moins durable parce que son séjour n’était supposé être que temporaire. Maintenant que Grégoire s’installait pour de bon, Zarn procédait différemment.
— Tu veux de l’aide ?
Zarn répondit par la négative.
— Il te faudra combien de jours ?
Le géant leva les deux mains.
Cela convenait à Grégoire. Il n’était pas pressé de quitter son abri dans les branches du Gardien. Au moins, il y était en contact avec l’arbre.
La nuit venue, il y grimpa et se laissa encore aller au chagrin. L’homme-arbre lui manquait. Le jour revint, et Zarn aussi, avec sa charrette chargée de pierres, réveillant Grégoire qui se frotta les yeux, s’étira, se leva et la vit, tâche verte brillante dans les branches nues du Gardien : une feuille. Il cligna des paupières, mais elle ne disparut pas.
Il se décida à jouer l’acrobate. Il fallait qu’il la touche pour être sûr qu’il ne rêvait pas.

jeudi 18 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 73

— Pardon, souffla Grégoire. Puis-je voir Corbin ?
La vieille ouvrit grands ses ailes, le forçant à se pousser de côté.
— Corbin, appela-t-elle. Un idiot a besoin de toi !
Ce n’était guère flatteur autant pour Grégoire que l’homme-oiseau, preuve que la vieille chouette était vexée, mais Grégoire ne parvint pas en éprouver du remords. C’était elle qui l’avait traité sans le moindre égard.
Un instant plus tard, Corbin descendit en vol plané et l’enjoignit à le suivre un peu plus loin tandis que la vieille s’occupait de la personne suivante.
Entre l’homme-oiseau et lui, il y eut un long silence.
Grégoire se passa la main dans les cheveux et se rappela qu’il devait donner une mèche pour la consultation, ce qu’il fit avant de finalement déverser pèle-mêle ce qu’il avait sur le cœur. Corbin l’écouta avec attention, sans le bousculer, puis l’enveloppa dans ses grandes ailes avant de poser son front contre le sien.
— Patience… Au fond de toi, tu sais.
Grégoire interpréta aussitôt ses mots comme une assurance que le Gardien allait revenir à lui et qu’il lui suffisait d’attendre.
Il se demanda ensuite si cela ne signifiait simplement pas que les choses allaient se dénouer d’elles-mêmes et qu’avec le temps, il saurait quoi faire de sa vie.
C’est en tout cas apaisé qu’il quitta l’homme-oiseau et s’en retourna vers le Gardien à pas lents – il avait trop mal pour marcher autrement.
Il réussit à réfléchir calmement. Repartir, c’était abandonner encore le Gardien et que ce dernier demeure ou non dans cet état, il ne pouvait pas. Il avait par ailleurs déjà tenté et échoué à reprendre le cours de sa vie d’avant. D’accord, les circonstances seraient différentes puisqu’il aurait la certitude que Versélia n’était pas un pur produit de son imagination, mais cela ne changeait presque rien. Sa place était ici. Même sans le Gardien, il avait un rôle à jouer. Du moins, c’est ce qu’avait affirmé Saphir avec son histoire d’équilibre entre la pureté supposée de Grégoire et le côté démoniaque de l’enfant dont les expériences toxiques avaient rendu malade un paquet de verséliens. Et surtout, l’absence de technologie était plus reposante qu’autre chose, de même que l’inexistence de l’argent et du concept de propriété.
Il n’avait plus qu’à s’établir en tant que médiateur et s’accrocher au mince espoir que le Gardien plutôt que de pourrir allait refleurir.

mercredi 17 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 72

Après une journée à se morfondre, Grégoire ne se retrouva pas plus avancé. En dépit de son chagrin, le retour de son sens du toucher éveilla son excitation. Sans l’aphrodisiaque, cela n’avait rien d’insupportable, mais impossible de ne pas se souvenir de la manière dont il s’était empalé sur une des branches du Gardien. Il la chercha des yeux avant de les clore. Il ne comptait pas renouveler la performance. C’eût été comme faire l’amour à un cadavre.
Il n’avait pas besoin que l’arbre se transforme et le caresse. Tout ce qu’il désirait, c’était entendre sa voix. Il était prêt à faire n’importe quoi pour qu’il revienne à la vie.
Il contempla l’idée de l’arroser de sa semence ou de son sang. Cela n’avait aucune chance de marcher. A la différence du Gardien et de sa sève, il n’avait rien de magique. Toutes ses pensées trahissaient son désespoir.
Il avait cru être mal quand il était plongé dans le doute quant à l’existence de Versélia, mais c’était bien pire maintenant. Le problème, ce n’était même pas que ses membres étaient lourds comme du plomb, ses courbatures plus vives. Le plus douloureux, c’était son cœur qui était comme pris dans un étau. Son esprit partait dans toutes les directions, incapable de se poser. Il était perdu. Il avait besoin d’aide.
Il quitta son abri tristement exposé dans les branches nues du Gardien et dans sa hâte à descendre, la corde lui brûla les paumes. Il allait consulter le sage Corbin. L’homme-oiseau était un professionnel, non ? Et si cela révélait improductif, il pouvait toujours compter sur ses amis verséliens… à moins qu’il ne rentre dans son monde, parce que sans le Gardien, Versélia avait beaucoup moins d’attraits… Grégoire pressa brièvement ses lèvres contre le tronc, s’ébroua et un manteau sur le bras, gagna la forêt d’automne.
Il dut s’arrêter et demander son chemin à plusieurs reprises, mais arriva finalement à bon port.
Contrairement à la dernière fois, il y avait une file d’attente. La vieille femme-oiseau était présente et attirait plus de monde que son disciple.
Quand ce fut enfin le tour de Grégoire, il ne sut par quoi commencer. Il se posait trop de questions : comment guérir Gardien, comment décider s’il devait rentrer ou rester…
— D’autres souhaitent me consulter, jeune homme, alors si c’est pour demeurer planté là sans rien dire, laissez votre place au suivant, râla la vieille.

mardi 16 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 71

Il ne savait plus quoi faire. S’il devait ou non faire son deuil, continuer à interroger des dryades ou peut-être des soigneurs… Devait-il  rester à Versélia même si le Gardien n’était plus ou rentrer chez lui ?
Le chagrin le submergea et il pleura encore. Maintenant que le barrage était rompu, il ne parvenait plus à endiguer les larmes.
Ce n’est que quand Saphir débarqua qu’il cessa, essuyant ses joues mouillées.
Le fée était tout agité.
— Sergeï a démasqué ceux qui t’ont emmené hors de Versélia ! s’exclama-t-il, sans même un bonjour.
Grégoire accueillit la nouvelle sans plaisir. Le mal était fait de toute façon.
— Ce sont des fées, une partie des mêmes qui t’avaient attaqué à coups de pierres, continua Saphir.
Grégoire se força à réagir.
— Vont-elles être punies d’une façon ou d’une autre ?
Il n’avait aucune idée de la manière dont la justice fonctionnait à Versélia. Il n’était même pas sûr qu’il y en ait une. Les enquêtes étaient à priori lancées à titres privés.
— Bien sûr ! Elles ne sont pas trop jeunes pour cela à la différence du gamin et ses potions toxiques. Elles vont être enfermées dans l’obscurité dans une grotte au milieu des marécages pendant autant de jours que tu as été forcé de rester hors de Versélia afin de réfléchir à leurs actes et leurs conséquences.
— Qui a décidé de cela ?
— L’un des plus vieux dragons de Versélia. Ce sont eux qui choisissent des sentences des criminels, souvent après consultation avec des sages.
— Je vois. Tu crois que le responsable derrière l’incendie qui a brûlé ma cabane sera un jour puni lui aussi ?
Saphir se frappa le front de la main.
— Ah ! J’avais oublié de te le dire ! Un suceur que tu ne connais pas a mené l’enquête et  l’a capturé. C’était une créature des marais et elle est toujours emprisonnée à l’heure actuelle. La pauvre n’a pas toute sa tête apparemment.
Forcément, en une demi-année, il s’était passé plein de choses. Le grand arbre avait eu le temps de dépérir.
Grégoire cligna des paupières. Les larmes menaçaient encore.
— Tu veux bien me laisser ?
Saphir hésita.
— S’il-te-plaît, ajouta Grégoire.
— Tu es sûr de vouloir rester seul ?
Grégoire acquiesça, se retenant de rétorquer qu’il serait avec le Gardien. Même s’il lui en coûtait de l’admettre, le grand arbre n’était plus vraiment présent.

lundi 15 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 70

La dryade pencha la tête sur le côté pensivement, sans répondre.
Saphir crut bon de lui expliquer la situation.
En l'écoutant décrire l'état déplorable du Gardien, l'air manqua à Grégoire.
— Entre les arbres et nous, cela fonctionne par symbiose. Il n'y a rien à faire, finit-elle par dire.
Grégoire insista.
La dryade voulut bien donner quelques trucs et astuces, mais selon elle, au stade où en était le grand arbre, c'était trop tard.
Grégoire ne se laissa pas abattre pour autant et enjoignit Saphir à le conduire auprès d'autres dryades.
Il reçut des réponses semblables encore et encore. La dernière feuille était tombée, il n’y avait plus rien à faire.
Quand Saphir ne sut plus où aller, Grégoire voulut qu’ils aillent consulter Neegr qui en connaissait plein.
Le naïade ne lui reprocha pas d’avoir tardé à le visiter et leur donna volontiers des indications pour trouver ses amies.
— Tu as raison de ne pas renoncer. L’amour peut faire des miracles.
Grégoire que le découragement gagnait face à l’accumulation d’avis négatifs des dryades reprit espoir.
Mais les amies de Neegr n’avaient pas non plus de solution à lui offrir et une seule d’entre elles affirma qu’il y avait encore une petite chance que le Gardien ne soit pas complètement mort. A la nuit tombée, c’est moralement et physiquement épuisé qu’il retourna auprès du grand arbre.
— Tu voudras continuer demain ? demanda Saphir qui volait à une allure d’escargot, preuve qu’il était également à bout de forces.
Grégoire secoua la tête. Il n’avait même plus l’énergie de parler.
Le fée monta lentement vers les nuages et disparut.
Grégoire colla son front contre le Gardien et les larmes qu’il avait réussi à retenir jusque là coulèrent finalement.
C’est roulé en boule entre les racines du grand arbre et en pleurs qu’il s’endormit.
Il se réveilla tard et tout courbaturé. C’était le prix pour avoir sillonné Versélia d’un bout à l’autre la veille.
Son absence de toucher lui pesa plus que la dernière fois. Ne plus pouvoir sentir la fermeté et la rugosité du Gardien, en plus d’être incapable de l’entendre, c’était trop.

vendredi 12 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 69

Grégoire n’avait pas le cœur à bavarder, aussi laissa-t-il Saphir faire la conversation. Le fée était intarissable sur Versélia et ses habitants. Il avait un côté commère.
Le lendemain matin, le monde avait retrouvé ses couleurs. Leur splendeur agressait Grégoire dont l’humeur était sombre. Aujourd’hui, rien n’aurait de goût, ce qui ne serait pas vraiment pire que les jours précédents. Il n’avait pas d’appétit depuis son retour. Grégoire se força à manger pour avoir l’énergie d’arpenter la forêt.
Le soleil était déjà levé depuis longtemps quand Saphir se montra enfin.
Avant qu’ils ne se mettent en route, Grégoire promit au Gardien de revenir vite. A son grand soulagement, le fée ne lui fit pas remarquer que cela ne servait à rien de prévenir le grand arbre. Il était à dire vrai curieux qu’il le soutienne de son entreprise de questionnement des dryades alors qu’il n’avait même pas voulu lui cueillir une feufleur.
Comme Saphir terminait une anecdote sur une bévue de Crystal, Grégoire l’interrogea sur son revirement.
Les ailes de Saphir cessèrent de battre un instant avant qu’il ne se reprenne.
— Eh bien… Sergeï mène l’enquête pour savoir qui t’a enlevé et porté hors de Versélia…
Grégoire fronça les sourcils, ne comprenant pas le rapport.
— D’après lui, j’ai ma part de responsabilité, parce que c’est moi qui ait raconté à plein de gens que tu t’étais trouvé, condition à ton éventuel départ… Je suis désolé. Je ne voulais pas te causer de tort.
Un autre que Grégoire aurait pu se fâcher et l’accuser d’être indirectement coupable de l’état dans lequel était le Gardien.
— Je m’en doute, soupira-t-il.
La situation actuelle était la faute de celui ou celle qui avait décidé de lui retirer sa liberté de choisir et l’avait poussé à douter de l’existence de Versélia en lui enfilant son costume.
A l’approche des marécages, Saphir râla sur la nécessité de visiter cette dryade en particulier, d’autres vivant dans des coins bien plus agréables. Grégoire le laissa faire, sachant que le fée était à cran à cause de leur environnement.
L’arbre qu’il avait vu malade éclatait de santé et la dryade était méconnaissable. Grégoire ne perdit pas de temps en amabilités et alla droit au but : il voulait savoir comment soigner un arbre.

jeudi 11 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 68

Ses amis aussi le visitèrent, du moins, ceux qui pouvaient se déplacer. Vulkain lui apporta des pains à domicile et Rufus, des habits, en mains propres. Zarn lui tapota le dos de façon réconfortante pendant un court moment. Crystal, peu bavarde pour une fois, l’embrassa sur la joue. Galway, sans rien sur la croupe, se montra aussi. Il ne s’attarda pas, mais Grégoire apprécia qu’il soit venu exprès. Sergeï lui offrit des condoléances que Grégoire refusa avec emportement : le Gardien n’était pas mort !
Ce fut Crayan avec un pince-nez qui ramena une feufleur. A la différence du fée, le lutin pensait qu’il y avait une chance que le Gardien ne se soit pas complètement éteint et jugeait le test pas inutile.
Grégoire la huma en inspirant à fond. Le faire en connaissance de cause était idiot, mais ne rien tenter était pire.
La perte d’odorat attendue se produisit. Et le lendemain, tout sentit plus fort, y compris l’odeur de pourriture qui émanait des feuilles roussies et craquantes qui s’étaient accumulées au pied du grand arbre.
Dans le silence, Grégoire parla au Gardien. Ne pas entendre sa propre voix était inconfortable, mais au moins, ne pas recevoir de réponse était normal.
Il ne fit que somnoler durant la nuit, impatient de se réveiller en pleine possession de son ouïe. Peu importerait le noir qui l’entourerait si la voix du Gardien lui parvenait.
Sa déception fut immense. Tous les sons et bruits étaient assourdissants, et l’obscurité angoissante et aucun mot du Gardien ne vint le rassurer.
Grégoire battit des paupières pour retenir les larmes qui menaçaient. Le tronc solide de l’arbre demeurait derrière sa tête.
Il regretta tout de même d’avoir demandé à ses amis de ne pas venir le voir pendant que la feufleur agissait.
Il s’ébroua, refusant de céder au désespoir. Demain, il quitterait temporairement le grand arbre pour aller s’enquérir auprès de dryades comment elles soignaient leurs arbres. Il commencerait par la fameuse patiente zéro et pourrait lui demander ainsi qu’à Neegr où trouver d’autres dryades.
— Alors ?
Grégoire sursauta. C’était la voix de Saphir. La fée, fidèle à lui-même, n’avait pas respecté sa demande de tranquillité. Et au final, c’était aussi bien, car il lui éviterait de ressasser de sinistres pensées.
— Rien, fut obligé de reconnaître Grégoire avant d’exposer son projet, même s’il s’attendait à ce le fée l’enjoigne à renoncer.
Saphir le surprit.
— Je t’accompagnerai, déclara-t-il.

mercredi 10 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 67

A l’affût d’une réaction, Grégoire raconta tout ce qui s’était passé depuis leur séparation, en vain.
Il ravala ses larmes – les hommes n’étaient pas supposés pleurer – et se détacha lentement du tronc.
Saphir voletait à quelques pas de là.
— Ramène-moi une fleufleur, demanda Grégoire.
— Cela ne servira à rien.
— Je veux quand même essayer.
S’infliger cette épreuve de pertes successives des sens valait la peine, s’il pouvait réentendre le Gardien.
— Il est encore debout, mais il n’est plus là, insista Saphir.
Grégoire ne pouvait s’empêcher d’espérer encore.
— Si tu ne m’aides pas, j’irai en cueillir une moi-même.
— Ce n’est plus qu’une coquille vide. Il va finir par pourrir et disparaître pour de bon.
— Il était en parfaite santé, quand je l’ai vu trois mois plus tôt.
— Sept, tu veux dire. En ton absence, il a peu à peu dépéri.
Grégoire secoua la tête. C’était vrai que le temps ne s’écoulait pas de la même façon entre les deux mondes. Les trois mois et quelques passés chez lui comptait pour le double, ici.
Le Gardien aurait pourtant dû savoir qu’il reviendrait. Il aurait dû l’attendre. Non, c’est Grégoire qui n’aurait pas dû tant douter et chercher à retrouver le chemin de Versélia de suite au lieu de tenter de reprendre le fil de sa vie d’avant. Las, les regrets ne servaient à rien. Le passé ne pouvait être changé.
Si Saphir ne se trompait, que le Gardien n’était vraiment plus, que ferait-il ? C’était surtout pour lui qu’il s’était acharné à regagner Versélia, mais à en croire le fée, sa présence était bénéfique et contribuait à l’équilibre des lieux...
Non, Grégoire ne devait pas penser en ses termes. Le Gardien hibernait, mais guérirait, se réveillerait. N’en déplaise à Saphir, Grégoire respirait le parfum d’une feufleur pour augmenter ses chances de l’entendre à nouveau et ne quitterait plus le grand arbre.
La nouvelle de son retour se répondit incroyablement vite et dans l’après-midi, des verséliens vinrent lui présenter des excuses pour s’être montrés désagréables avec lui. Il y eut même une fée qui avait participé à sa lapidation qui se présenta, prête à ce qu’il se venge, mais Grégoire n’en fit rien. Le repentir de la fée lui suffisait.

mardi 9 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 66

— Je ne sais pas exactement où je suis… Tu veux bien me conduire au Gardien ?
— Ah… souffla Saphir.
Une ombre passa sur son visage. Et après un silence, il s’écria :
— Seulement si tu m’embrasses !
Grégoire ne pouvait croire qu’ils en reviennent là. Il ne souhaitait pas perdre de temps avec les petits jeux du fée. Il voulait voir le Gardien sans plus tarder. Le plus simple était encore de céder.
Il lui planta un baiser rapide sur les lèvres.
— Et maintenant, tu veux bien ?
Sûrement, le fée n’oserait pas exiger qu’il l’embrasse dans les règles de l’art. Il savait bien qu'il était en couple avec le Gardien.
Les ailes du fée s’agitèrent frénétiquement. Il hocha finalement la tête et fila droit devant.
Il allait si vite que Grégoire eut du mal à le suivre.
Alors qu’il commençait à reconnaître où il se trouvait, Saphir s’arrêta net et se tourna vers lui.
— Il faut que tu saches. Je ne peux pas te laisser le découvrir par toi même. Le Gardien n’est plus.
C’était la première fois que Grégoire voyait le fée si grave et si sérieux.
— Comment ça ? Avant aussi, tu croyais cela parce que tu ne l’entendais pas…
— C’est différent. Il est vraiment mort. Toutes ses feuilles sont tombées jusqu’à la dernière.
— Cela ne veut rien dire, contra Grégoire, mais sa gorge était serrée.
— Il vit dans la forêt du printemps. Son feuillage demeure vert toute l’année. Il ne roussit qu’en cas de maladie et ne tombe complètement qu’en cas de décès.
Le grand arbre avait affirmé avoir besoin de soleil, de pluie et de Grégoire pour vivre, mais cela aurait du être une manière parler, une façon de signifier l’importance qu’il avait.
Grégoire secoua la tête, contourna Saphir et courut vers l’endroit où il pensait que le Gardien se dressait.
Même face aux branches nues dans lesquelles l’abri construit par Zarn était bien visible, il ne ralentit pas et se plaqua contre le tronc.
Sous ses pieds, les feuilles mortes crissèrent de façon sinistre.
— Je suis là, déclara-t-il, l’oreille collée contre l’écorce.
Mais la voix du Gardien ne lui parvint pas, pas même un murmure.

lundi 8 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 65

Grégoire passa la main dans ses cheveux. Il les avait laissé pousser. Il savait qu’à Versélia, ses mèches avaient de la valeur. Il soupira, rangea tout dans son sac à dos et repartit.
Trois pas plus tard, une forme ailée grandissante fonçait sur lui, manquant de le renverser.
— Hé ! Tu es revenu ! s’écria Saphir avant de s’écarter comme pour s’assurer qu’il ne s’était pas trompé de personne.
Grégoire eut un large sourire. Il avait réussi. Il n’avait rien inventé.
— C’est formidable que tu sois de retour parce que Sergeï a trouvé l’individu qui a répandu cette maudite maladie ! C’est un enfant maléfique. Et toi, avec ta pureté, tu équilibres les choses en étant parmi nous.
Grégoire digéra l’information et se rappela de la dryade racontant ses journées et mentionnant une mère à la recherche de son gamin en vadrouille.
— Tu aurais pu prévenir au lieu de disparaître comme ça, enchaîna Saphir.
— Ce n’est pas moi qui ait choisi. J’ai trébuché, perdu conscience et je me suis retrouvé dans mon monde avec mes vieux habits sur le dos.
— Oh ! Un nouveau mystère à résoudre pour Sergeï ! s’enthousiasma Saphir.
Grégoire aurait préféré que le fée sache comment cela se faisait au juste qu’il ait été arraché de Versélia contre son gré, car il ne voulait pas que cela se reproduise.
En dépit de son envie de courir auprès du Gardien, il prit le temps de demander des détails à Saphir sur le gosse à l’origine de la maladie.
Le fée lui expliqua volontiers comment l’enfant s’était amusé à faire des expériences avec des plantes dangereuses, créant des concoctions dont les émanations s’étaient révélées toxiques. Ayant constaté qu’il y avait des effets, le gamin avait jugé intéressant de continuer, reproduisant sa recette empoisonnée à différents endroits de Versélia. L’enfant n’avait guère que cinq ans et l’excuse de la jeunesse et il avait d’ailleurs assuré ne pas prétendre à mal, mais le suceur avait mis à jour sa noirceur en goûtant à son sang.
— Quelle histoire ! s’exclama Grégoire quand Saphir se tut. Tout le monde a pu être soigné ?
— Oui, aucun souci. Un premier médicament a été distribué peu après ton départ, puis un second, plus efficace a été mis au point, une fois le coupable attrapé et son mélange connu.
Grégoire se sentit soulagé et rassuré. Les verséliens n’avaient plus de raison de lui en vouloir, de s’en prendre à lui, de le souhaiter mort ou hors de chez eux – car c’était sûrement pour cela qu’il s’était retrouvé dans son monde.

vendredi 5 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 64

Grégoire ne s’arrêta qu’à la nuit tombée, moulu et découragé. Demain, il marcherait encore, mais s’il ne trouvait rien, alors, il lui faudrait renoncer, et dire adieu à Versélia pour toujours.  Reprendre le cours de sa vie normale ne le réjouissait pas, mais errer jusqu’à épuisement dans les bois n’avait pas de sens.
Le débat en lui faisait rage : dans son cœur était ancré la certitude que Versélia et ses habitants existaient, mais sa raison s’y refusait et lui reprochait de persister dans cette folie.
C’est sur ses pensées qu’il s’endormit, et c’est avec les mêmes qu’il se réveilla.
Il remballa ses affaires, hésitant à se servir de la boussole et rebrousser chemin au lieu de s’enfoncer davantage dans les bois.
Il se demanda encore si c’était elle ainsi que sa lampe de poche qui l’empêchait d’entrer à Versélia et songea à s’en débarrasser, mais ne le put. C’était son filet de secours pour ne pas rester perdu au milieu des arbres.
Il se colla des pansements sur les pieds et marcha au hasard. Dans sa frustration à ce qui s’apparentait fort à tourner en rond, il se mit à se parler à lui-même à haute-voix :
— Ce n’est pas juste ! Je ne voulais même pas quitter Versélia ! On m’y arraché, alors que j’avais décidé de rester !
Seul une bourrasque de vent répondit à sa tirade énervée.
Grégoire s’assit au pied d’un arbre et se prit la tête entre les mains. Il était fou. Son acharnement était vain et absurde et pourtant, impossible de laisser tomber.
Il inspira et expira à fond. Il en avait assez de se poser des questions, assez de douter. Il défit et ouvrit son sac à dos pour prendre la boussole, sans savoir encore s’il allait s’en servir pour regagner la civilisation, mais ne la trouva pas. Il étala toutes ses affaires par terre sans plus de résultat. La lampe de poche avait également disparu.
Son cœur se gonfla d’espoir. C’était une signe que peut-être, juste peut-être, il était à Versélia. Il regarda autour de lui. Les cailloux, les fougères et les arbres n’avaient rien de spécial, mais tout de même, la coïncidence de la perte de ses deux objets était trop grosse pour ne rien signifier.
Il se leva. L’arbre auprès duquel il s’était posé avait peut-être une conscience. Il posa la main sur le tronc.
— Bonjour ?
Un oiseau pépia dans les branchages et ce fut tout.

jeudi 4 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 63

Tout en marchant, Grégoire pensait à ses amis verséliens, à Crystal et Saphir prompt à jouer des tours, au silencieux Zarn, à Vulkain et ses pains, au fier Galway, au sage Corbin, au gentil Neegr et à l’aimable Rufus dans sa boutique de vêtements.
Il espérait de tout son cœur qu’ils avaient une vie propre en dehors de son esprit et qu’il allait pouvoir les revoir.
Il souhaitait au minimum retrouver le grand arbre majestueux et protecteur, même si ce dernier ne possédait pas de conscience. Il était sûr qu’il le reconnaîtrait au premier coup d’œil. Son large tronc, ses racines épaisses, ses branches tendues vers le ciel, tout était gravé dans son esprit.
Il avança sans relâche jusqu’à l’épuisement ait raison de lui.
Le ciel s’obscurcissait de plus en plus. Il n’avait pas prévu de tente, mais un sac de couchage. C’était l’été et dormir à la belle étoile, c’était presque déjà être de retour à Versélia.
Il aurait aimé s’y réveiller, mais à l’aube, il fut bien obligé de constater que la végétation autour de lui était on ne peut plus ordinaire. Il était ironique de songer que quelques mois plus tôt, c’était le contraire qui l’avait désespéré.
Il se remit en marche, changeant de direction à intervalle régulier. Se perdre était peut-être la clef pour se rendre à Versélia. A moins que ce ne soit l’absence de technologie. Il n’avait pas pris son téléphone, ayant jugé que cela l’encombrerait pour rien vu que le réseau ne passait pas dans les bois, mais il avait une lampe de poche et une boussole. Fallait-il qu’il s’en débarrasse pour atteindre son but ?
Grégoire rit de lui-même. Il en était réduit à des suppositions ridicules.
La fatigue le gagnant, il se demanda de plus en plus si cela valait la peine de continuer. Il n’allait nulle part. Il aurait mieux fait de se confier à des médecins, même pour s’entendre dire que Versélia était un monde qu’il avait crée pour remplacer des souvenirs traumatisants.
En même temps, quand il se remémorait tout ce qu’il avait vécu avec Versélia, il doutait avoir autant d’imagination. Et si tout était vrai, alors le Gardien l’attendait et quand il le verrait, il se métamorphoserait et ils s’embrasseraient. Cela suffisait à l’inciter à mettre un pied devant l’autre, même s’il commençait à avoir mal aux talons, signe que des ampoules étaient en cours de formation.

mercredi 3 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 62

Il donna son congé au propriétaire de l’appartement qu’il louait et mit de l’ordre dans ses affaires, vendant et se débarrassant de plein de choses. Il comptait juste louer un box pour stocker sa voiture et quelques objets personnels.
Une part de lui-même se jugeait ridicule, une autre songeait que même s’il ne retrouverait pas le chemin de Versélia, il continuerait à se demander toute sa vie ou pas s’il avait tout fabriqué de toutes pièces ou pas, mais ultimement, il espérait que son expédition aboutirait.
Avant de partir, il rendit visite à ses parents. Que ce soit temporaire ou définitif, il ne voulait pas qu’ils se quittent en mauvais terme.
— Je vais voyager quelques temps, déclara-t-il quelques minutes après qu’ils l’eurent accueilli.
— Quoi ? Mais tu devrais être en train de chercher un nouveau poste ! s’insurgea son père.
— Depuis que tu t’es perdu dans ce bois, tu n’es plus le même, murmura sa mère.
— C’est vrai et pour me retrouver, j’ai besoin de m’absenter.
— Ce n’est pas raisonnable, clama son père.
— Tu es sûr que c’est la solution ? demanda sa mère.
Grégoire opina.
— Je suis désolé de ne pas être en mesure de répondre à vos attentes, mais j’ai besoin de changer d’air.
Sa contrition évidente apaisa ses parents.
— Tu as toujours été un enfant si sage jusque là, presque parfait, dit sa mère avec tendresse.
— Ma foi, tu es bien assez âgé pour décider ce qui est le mieux pour toi, bougonna son père.
Grégoire sourit à ses parents et profita du reste de l’après-midi en leur compagnie, les écoutant avec attention, conscient qu’il n’était peut-être pas près de les revoir.
Il prit un taxi pour le déposer sur le bas-côté de la fameuse route serpentante où sa voiture avait calée.
Le chauffeur le regarda comme s’il doutait de sa sanité, car c’était basiquement au milieu de nulle part.
Honnêtement, Grégoire se posait lui-même des questions sur son état mental, mais il fallait qu’il essaye, car c’était la seule possibilité de confirmer l’existence de Versélia.
S’il échouait, il vivrait toujours dans le doute, mais au moins peut-être réussirait-il à aller de l’avant, à ne plus sans cesser rêver au Gardien, à s’interroger sur les ravages de la maladie… Un médicament avait-il été mis au point ? Sergeï avait-il capturé le coupable ?

mardi 2 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 61

A défaut d’un arbre parlant et se transformant en homme, peut-être y en avait-il un qui lui avait servi de refuge quand il s’était égaré. Grégoire caressait l’idée de retourner dans les bois pour le trouver, sans oser. Il ne voulait pas risquer de se perdre à nouveau et d’inquiéter encore ses proches. Hélas, il ne parvenait pas pour autant à vivre comme avant, et se sentait prisonnier des contingences matérielles.
Il en vint à la conclusion que vrai ou pas – ce qu’il n’avait aucun moyen de vérifier – Versélia l’avait changé. Il était toujours attaché aux règles, mais il se rendait compte désormais de leur relativité. 
Il posa sa démission dans le but de se reconvertir dans le métier de médiateur. Certaines personnes de son entreprise tentèrent de l’en dissuader, puis l’acceptèrent : c’était sa vie.
Ses parents furent très déçus quand il leur annonça, surtout en apprenant qu’il n’avait pas d’autre poste en vue.
Il eut beau leur faire valoir qu’il avait trois mois avant d’être sans emploi, ils n’approuvèrent pas. Ils critiquèrent également sa décision de changer de carrière. C’était son premier vrai conflit avec ses parents.
Grégoire préféra ne pas l’aggraver en partageant avec eux sa bisexualité, mais se mit à fréquenter quelques bars gays où il put confirmer son attirance pour les hommes sans pour autant agir dessus. Aucun ne lui plaisait au point de vouloir franchir le pas. Par rapport avec le Gardien, ils étaient tous terriblement banals.
Quelques types flirtèrent avec lui, mais rien à faire, impossible d’oublier sa connexion avec le grand arbre de Versélia. Même en se répétant qu’il avait sûrement tout inventé, dans un coin de sa tête, il y avait toujours ce fameux « et si ce n’était pas le cas. »
Il comprit à quel point il n’arrivait pas à aller de l’avant quand il se retrouva à aborder un jeune homme pour la seule raison qu’il avait les cheveux verts, ce qui n’était rien d’autre qu’une teinture et évidemment, le jeune n’avait rien d’autre en commun avec le Gardien.
Il cessa aussitôt de sortir le soir et peu après ses efforts pour devenir médiateur. Ses tentatives pour mettre Versélia derrière lui ne fonctionnant pas, il ne lui restait plus qu’à tenter d’y retourner.
S’il avait déliré, il serait bon pour une inutile marche dans la forêt, mais cette fois, il serait équipé : tenue et chaussures adaptées, sac à dos rempli de provisions, boussole et carte.

lundi 1 octobre 2018

Bienvenue à Versélia - 60

Certaines de ses relations se montraient pleine de sollicitude, d’autres faisaient au contraire preuve d’une curiosité malsaine. D’autres encore ne savaient plus trop sur quel pied danser avec lui. Grégoire était inconfortable avec tous, y compris ses propres parents.
Prétendre avoir oublié lui pesait, mais il ne voulait pas parler de Versélia. C’était son jardin secret. Soit il avait tout inventé et le mentionner ne ferait qu’entraîner d’inutiles consultations médicales, soit c’était vrai et dans ce cas, c’était trop délirant pour que quiconque y adhère.
Lui avait envie d’y croire, car il ne voyait pas pourquoi il aurait imaginé survivre à une lapidation et à un incendie pour effacer d’autres événements traumatisants. Mais en même temps, toutes les créatures qu’il avait rencontré semblaient toutes droit sorties de contes de fée. Par ailleurs, le temps de sa disparation et celui passé à Versélia était différent et son ultime souvenir – nu sous la couverture après avoir fait l’amour – ne collait pas avec son réveil en costume.
Il avait tourné et retourné dans sa tête le problème, cherchant sans fin à démêler le vrai du faux, le réel de l’imaginaire. La lapidation et le feu pouvaient très bien refléter une partie de ce qui lui était vraiment arrivé et peut-être que ce qu’il avait imaginé vivre à Versélia n’était qu’un message de son inconscient pour l’inciter à changer de travail et à assumer sa bisexualité. Il n’était pas forcément souhaitable de découvrir ce qu'il avait véritablement vécu.
Mais il y avait toujours la possibilité que sa mémoire ne le trompe pas.  Après tout, le temps pouvait très bien s’écouler différemment à Versélia et quelqu’un avait très bien pu récupérer son costume et ses chaussures et les lui enfiler. Il ne pouvait toutefois s’expliquer les motivations de l’individu en question.
C’était si étrange qu’il se soit réveillé dans son monde juste après que sa discussion avec Neegr lui ait permis de comprendre qu’il voulait rester avec le Gardien. C’était si douloureux de se dire que l’homme-arbre et le nymphe n’étaient peut-être que des produits de son imagination.
Chaque nuit, il rêvait du Gardien, de sa chevelure verte broussailleuse, sa peau craquelée, sa voix grave et profonde, ses bras solides autour de lui. Il lui semblait qu’il l’appelait. Il dormait mal. Il avait été obligé de déserter son lit et son trop moelleux matelas pour camper sur le sol, mais même ainsi, il n’était pas bien. Il lui manquait la protection du grand arbre.