vendredi 28 février 2020

L'empreinte de l'orc - 71

Gulrik était en train de broyer du noir quand quelqu’un entra dans sa chambre. Il ne se retourna pas, sûr qu’il s’agissait juste d’une orc lui apportant un repas.
— Prince, vous avez des visiteurs, annonça une voix.
Voilà qui était nouveau et inattendu.
Gulrik pivota.
— Faîtes-les entrer, grommela-t-il.
Un orc trapu au teint d’orc passa l’embrasure, mais Gulrik le vit à peine, son champ de vision se réduisant à la personne qui le suivait. Les narines de Gulrik frémirent et les battement de son cœur s’accélèrent.
Son humain était là, en chair et en os.
En deux enjambées, Gulrik fut sur lui et l’enlaça.
L’instant d’après, il le soulevait de terre et capturait sa bouche sans se soucier ni de l’orc inconnu ni du serviteur qui les avait introduits. Il se moquait du pourquoi du comment. Cyan était présent.
Le désir brûlant de posséder tout entier l’envahit. Il voulait être en lui. Sur le champ. Et Cyan semblait être partant, souple et gémissant entre ses bras.
Gulrik se mit à tirer sur le pantalon de l’humain.
Il entendit vaguement la porte se refermer. Les deux gêneurs avaient préféré s’éclipser et c’était tant mieux, car spectateurs ou pas, Gulrik aurait été bien incapable de s’arrêter.
Il défit son pagne d’un seul geste – l’habillement des orcs était vraiment plus pratique que celui des humains, puis déposa Cyan sur le lit où il acheva de le dévêtir, déchirant la tunique dans sa hâte.
La frénésie qui l’habitait le quitta face à la marque qui ornait le torse de Cyan. Large et vert clair, semblable à une main même s’il manquait un doigt. La légende des empreintes dont sa cousine lui avait rebattu les oreilles autrefois lui revint aussitôt en mémoire.
Gulrik inspira à fond et plaça sa main par dessus.
Sous sa paume, le cœur de l’humain battait à tout rompre.
— Je… Je vous... bredouilla Cyan.
Il leva le bras et toucha en retour du bout des doigts le pectoral de Gulrik qui cessa de respirer.
Il détacha lentement son regard de celui de l’humain dont le bleu était plus brillant que jamais et examina brièvement son propre torse.
Lui aussi avait un début d’empreinte. Une bien plus petite et rosâtre. Ce n’était pas un hématome, n’en avait jamais été un.
— Je t’aime… souffla Cyan, ses joues s’empourprant de façon délicieuse.
— Mon cœur t’appartient, grogna Gulrik.
— Vraiment...?
Gulrik hocha la tête et s’empara des lèvres de l’humain avec douceur.
Il brûlait toujours de désir pour Cyan, mais tout sentiment d’urgence l’avait déserté. Il voulait prendre son temps pour lui faire l’amour.

jeudi 27 février 2020

L'empreinte de l'orc - 70

Gulrik tournait dans sa chambre comme un animal en cage. Il y était coincé depuis le départ des invités.
Cela le rendait fou, tous ses jours à tourner en rond, enfermé. Et dire que son père n’avait toujours pas levé la punition.
La vue de la fenêtre de sa chambre avait perdu  son charme dès la fin de la première semaine. La majestueuse nature était inaccessible à l’horizon. L’animation dans la cour de la forteresse avec tous ses gens autorisés à travailler et s’amuser était plus irritante qu’autre chose.
Gulrik n’avait rien à faire. Pas la plus petite distraction. Dans un accès de rage, las d’être entre quatre murs, quand bien même c’était son domaine, Gulrik avait détruit les meubles de sa chambre, n’épargnant que le lit. Il avait également brisé le miroir au-dessus de la commode. L’une des orcs chargée de lui apporter des plateaux repas avait été effarée. Tout avait été nettoyé, mais rien n’avait été remplacé et la pièce ressemblait désormais plus à une cellule qu’autre chose, ce qu’elle était devenue.
Son père ne décolérait pas. Tant que Gulrik n’aurait pas promis de se marier dans les plus brefs délais, il resterait prisonnier.
Gulrik ne comprenait pas l’urgence. Son père aurait mieux fait de s’inquiéter de l’archer humain qui courait toujours avec un poison mortel en sa possession. Gulrik n’avait aucune envie de céder au chantage de son père. C’eût été comme reconnaître qu’il avait raison sur d’autres plans tel le fait que Cyan était le complice de l’archer ou encore que Gulrik n’aurait jamais dû se battre avec un employé des cuisines. Or, Gulrik ne croyait pas au premier et ne regrettait nullement d’avoir puni le second. Malgré tout la situation n’était pas tenable.
La solitude ne lui pesait pas dans la mesure où la compagnie d’une seule personne l’intéressait – Cyan, mais Gulrik n’en pouvait plus d’être consigné dans sa chambre et contraint à l’oisiveté.
Il se maintenait en forme et remplissait ses journées en effectuant différents exercices de musculation qui ne nécessitaient ni partenaire ni matériel, mais cela ne suffisait pas. Pas alors que l’humain lui manquait férocement, son absence semblable à un trou béant dans sa poitrine.
Il avait bien tenté de s’échapper, d’abord en plaisant sa cause auprès de ceux qui le gardaient, puis en forçant le passage, mais sans succès, car les ordres du roi étaient suivis à la lettre et sa porte et sa fenêtre étroitement surveillées.
L’unique issue semblait de se résigner à son sort et remplir son devoir de prince, ce qui revenait à laisser gagner son père et étouffer les protestations de son cœur.

mercredi 26 février 2020

L'empreinte de l'orc - 69

— Je ne pouvais pas non plus l’envoyer promener, s’emporta Cyan. Il me racontait comment ses parents étaient liés, chacun marqué par l’empreinte de l’autre, précisa-t-il dans l’espoir d’obtenir des informations sur le sujet.
L’orc ne prit heureusement pas ombrage de son ton.
— Pft, ce n’est qu’une légende pour les petites orcs qui rêvent d’amour absolu et fusionnel. Rien ne vaut de bonnes parties de jambes en l’air, sans contrainte ! File-moi cette hache, l’humain et va plutôt refaire le lit de la chambre 5.
Cyan s’exécuta après avoir pris le temps de remettre sa chemise.
Les draps changés et la pièce aérée, Cyan réussit à interroger une des servantes au sujet de la légende.
Les yeux de l’orc se mirent aussitôt à briller et elle se lança dans une tirade passionnée avant de conclure :
— Si seulement, c’était vrai…
Cela avait beau lui plaire, elle n’y croyait pas non plus.
Cyan questionna les autres employés avec des résultats similaires avant se rendre compte qu’il n’avait pas vraiment besoin de plus d’informations et certainement pas de preuve. Il la portait sur sa peau. L’empreinte n’était certes pas encore complète, mais oui, cette forme qui se dessinait, c’était bien celle d’une grande main, celle du prince des orcs.
Gulrik avait-il de son côté la marque des doigts de Cyan sur son torse ? L’avait-il repéré ? Et si, oui, était-il dégoûté d’avoir pour partenaire un humain ?
Au fond, peu importait la légende et sa réalité, ce qui comptait, c’était Gulrik et la manière dont il vivait la chose.
Quitter Manchor en compagnie de Rurk pour s’infiltrer à Orcania était aussi tentant que dangereux. Il semblait plus raisonnable d’attendre ici. Si Rurk ne se trompait, Gulrik serait plus ou moins obligé de revenir chercher Cyan ou du moins d’envoyer quelqu’un pour le récupérer. Partir avec Rurk, c’était risqué à nouveau le cachot ou pire, même si, toujours selon les dires de l’orc trapu, nul ne pourrait ôter la vie de Cyan sans mettre en danger celle du prince.
Au final, il ne savait pas quoi faire. Il n’avait aucune garantie de revoir Gulrik dans un cas comme dans l’autre. Essayer semblait tout de même préférable à ne pas bouger.
Cyan se mit à guetter le retour de Rurk à l’auberge. Il avait peut-être tort de lui faire confiance et d’effectuer une fois de plus le voyage à Orcania, mais si Gulrik était au bout, cela en valait la peine.

mardi 25 février 2020

L'empreinte de l'orc - 68

Cyan hésita. Devait-il ou non révéler la vérité ? Il ne voulait pas causer de tort à Gulrik.
Rurk n’attendit toutefois pas que Cyan confirme ou infirme ses propos pour tirer ses propres conclusions.
— Cela colle avec la rumeur qui court… Je ne pensais pas qu’elle avait une once de vérité…
Cyan n’osa pas demander de précisions.
— Si tu es le partenaire de notre prince, raison de plus pour te ramener à lui, continua Rurk.
— Je ne… protesta Cyan sans finir.
Il brûlait de revoir Gulrik, mais il avait peur aussi, presque autant de la réaction de ce dernier que de celle du roi.
Retourner à Orcania était dangereux et il avait du mal à croire à cette histoire d’empreinte que la plupart des orcs considérait d’ailleurs comme une légende.
— Tu ne, quoi ?
— Les gardes de la frontière ne nous laisseront pas passer comme cela.
Cyan était désormais conscient qu’il avait pu la franchir en raison du statut de Gulrik.
— Il suffit de passer par dessus le mur à un autre endroit, un qui n’est pas aussi bien surveillé.
Ce devait être comme cela que le mystérieux archer barbu avait dû s’infiltrer à Orcania. Combien d’autres humains non autorisés se promenaient sur le territoire des orcs ?
— Ma vie est ici, objecta encore Cyan sans conviction.
— Non. Tu dois être aux côtés du prince. Je sais de quoi je parle. Les fois où mon père s’est retrouvé à partir en voyage sans ma mère, cela a failli bien mal se terminer. Pour les deux. Et quand ma mère est morte suite à une mauvaise chute, mon père l’a suivi dans la semaine.
En d’autres termes, à en croire Rurk, si Cyan restait à Manchor, Gulrik dépérirait.
— Avant de me décider, je voudrais en savoir plus sur la légende. Par d’autres orcs, précisa Cyan, comme Rurk ouvrait la bouche sans nul doute pour lui fournir des détails supplémentaires.
— Comme tu voudras. J’ai de toute façon des affaires à régler avant de pouvoir quitter Manchor.
Rurk s’éloigna.
Un des employés de l’auberge vint transmettre à Cyan une nouvelle tâche et l’accusa d’avoir paressé.
— Tu n’es pas supposé t’amuser à papoter avec les clients.
Les ignorer n’était pas non plus une option. D’habitude, Cyan acceptait sans rechigner les critiques, mais pas cette fois. Il était trop bouleversé pour cela.

lundi 24 février 2020

L'empreinte de l'orc - 67

— Je sens ton doute, l’humain. Si ton partenaire est loin et que tu n’en souffres pas plus que cela, c’est probablement parce que l’empreinte n’est pas encore complètement formée.
Cyan détestait les marques de naissance sur son visage, mais l’idée d’avoir celle de Gulrik sur son torse lui plaisait. C’était comme si le prince des orcs l’avait fait sien. Cela ne changeait hélas rien à la situation.
— Il est désormais à Orcania, souffla-t-il plus pour lui-même qu’à l’intention de l’orc trapu.
— C’est ennuyeux cela. Ce n’était donc qu’un orc de passage ?
— Oui.
— J’ai du mal à croire qu’il soit reparti en t’abandonnant derrière lui.
— Il m’avait emmené à l’origine, ne put s’empêcher de révéler Cyan.
— Et pourtant te voilà de retour à Manchor…
— Oui. Les humains ne sont pas les bienvenus à Orcania.
— Ton orc aurait dû emménager à Manchor.
Cela aurait été bien et sûrement possible si Gulrik avait été un orc ordinaire.
— Non, il ne pouvait pas. C’est compliqué.
— Il est vrai que beaucoup d’orcs préfèrent vivre en pleine nature, mais tout de même… Il reviendra te chercher, tu verras.
— Non. Son père ne l’y autorisera pas.
— A t’écouter, on dirait que tu as capturé un gros gibier. Il n’y a bien que les grandes familles orcs qui s’intéressent au partenaire de leurs enfants. Enfin, je suppose que ton humanité joue contre toi. Si tu veux, je pourrais te reconduire à Orcania et jouer les intermédiaires entre tes beaux-parents et toi.
Si cela n’avait pas été le roi des orcs… Non, c’était impossible. Cyan secoua la tête.
— Réfléchis-y. Toi et lui, vous allez finir par lentement dépérir.
L’orc trapu et au teint ocre devait exagérer, même si Gulrik lui manquait à en mourir… Oh.
— Comment vous appelez-vous ?
— Ah, c’est vrai, je ne suis même pas présenté. Rurk, pour te servir ! Et toi, l’humain ?
— Cyan.
— Et quel est le nom de l’orc dont l’empreinte est en train de se dessiner sur ton torse ?
— Gulrik.
— Tiens, comme notre prince…
La voix de Rurk s’éteignit sur la fin. Cyan avait  essayé de ne pas réagir, mais avait dû laisser transparaître quelque chose.
— Se pourrait-il… Non… Si… ?
Rurk, jusque là plein de certitudes et d’assurance, semblait presque perdu.

vendredi 21 février 2020

L'empreinte de l'orc - 66

— Cette empreinte… lâcha l’orc.
Cyan, embarrassé, attendit qu’il continue.
— Voilà donc pourquoi, même si tu es humain, tu travailles dans une auberge d’orcs, déclara l’orc trapu. Il n’empêche qu’un humain qui a un orc pour partenaire, ce n’est pas ordinaire.
Mais de quoi parlait-il ?
L’orc au teint ocre se rapprocha.
Cela démangeait Cyan de récupérer sa chemise et l’enfiler pour se dérober à son regard insistant.  Il frissonna, se rappelant de Vaknor.
— Avec qui es-tu lié ? L’une des servantes, sans doute, mais laquelle ?
Mentir était tentant, car cela pouvait être une forme de protection envers l’orc inconnu et l’intérêt un peu trop grand qu’il portait à Cyan.
Cela le mettait cependant mal à l’aise de prétendre être en couple avec une des orcs. Cela aurait été comme une trahison envers Gulrik.
— Je ne suis avec personne.
— Et comment expliques-tu cette marque sur ton torse ? se moqua l’orc.
Cyan en avait sur le visage et pas ailleurs aux dernières nouvelles. L’autre jour, un de ses collègues l’avait rudoyé. Il avait peut-être récolté des bleus dans l’affaire. Il ne s’amusait pas à s’examiner sous toutes les coutures. Il savait à quoi s’en tenir sur son apparence et n’avait de toute façon pas de miroir à sa disposition.
Il baissa les yeux.
Oui, il y avait en effet comme une tâche verdâtre sur l’un de ses pectoraux. Il passa les doigts dessus. Étonnamment, ce n’était pas douloureux. Cela aurait dû l’être si cela avait été le résultat d’un coup.
— Je ne sais pas quand ou comment elle est apparue, murmura Cyan.
— Après qu’un orc t’ait baisé. Ou l’inverse. Ou les deux, répliqua l’orc trapu avec un amusement palpable.
Cyan se sentit rougir jusqu’à la racine des cheveux.
— Enfin, ce n’est pas comme si cela entraînait toujours ce phénomène. C’est même rare. La plupart des orcs croient même qu’il ne s’agit que d’une légende, mais je sais qu’il n’en est rien. Mes parents avaient chacun l’empreinte de la main de l’autre au niveau du cœur. La tienne n’est pas encore complètement formée, mais je suis sûr que c’est cela.
— Qu’est-ce que cela signifie ? demanda Cyan en suivant le contour de la tâche qui ornait son torse et qu’il n’avait même pas remarqué avant que l’orc au teint ocre la porte à son attention.
— Que toi et l’orc en question, vous ne pouvez à présent vivre l’un sans l’autre.
Cyan aurait mieux fait de se remettre à débiter des bûches plutôt que d’écouter ses bêtises. Gulrik et lui étaient séparés depuis des jours et des jours, et même si Cyan était triste et déprimé, il survivait fort bien.
L’orc trapu était sûrement bien intentionné et convaincu de ce qu’il disait, Cyan ne devait pas y attacher trop d’importance.

jeudi 20 février 2020

L'empreinte de l'orc - 65

Travailler à l’auberge du Caribouc n’était pas sans présenter de nombreux inconvénients. Les orcs employés par l’auberge n’étaient pas ravis d’avoir un collègue humain et lui faisaient sentir de bien des manières. Certains clients étaient également mécontents tandis que d’autres le traitaient comme un monstre de foire.  Rare étaient les indifférents. Sa présence  attirait toutefois à priori plus d’orcs qu’elle n’en dérangeait.
Cyan aurait bien sûr pu quitter cet emploi où il était seulement nourri et logé avec un occasionnel pourboire, mais il savait bien que ses chances de trouver autre chose était maigre. Ses chaussures spéciales corrigeaient son boitement, elles n’effaçaient pas les marques brun-rouges de son visage, et puis demeurer à l’auberge du Caribouc, c’était encore être un peu avec Gulrik qui lui manquait au plus profond de son être.
Un mois entier s’était écoulé depuis la dernière fois qu’il l’avait vu, mais il souffrait toujours autant de la séparation. Il se sentait seul et vide. Chaque soir, dans la petite pièce sous l’escalier qui lui avait été attribuée, il revivait leurs moments ensemble. Leur rencontre, la façon dont ils avaient arpenté les rues de Manchor, la gentillesse dont Gulrik avait fait preuve à son égard en partageant ses repas avec lui, en lui faisant confectionner des chaussures spéciales, en insistant pour lui acheter des vêtements…
En journée, Cyan s’efforçait de chasser Gulrik de ses pensées pour se consacrer sur les nombreuses tâches qu’il avait à accomplir - changer les draps de lit, balayer les planchers des chambres, chauffer l’eau pour les bains, couper du bois… - mais ce n’était pas évident. Il avait été accusé, à raison, par une des servantes orcs de l’auberge d’être toujours dans la lune.
Hormis le propriétaire des lieux, il étaient tous prompts à faire des reproches à Cyan. Il mettait trop de temps à tout, en comparaison aux orcs.
Cet après-midi-là, Cyan qui avait trop chaud en fendant des bûches de bois, ôta sa tunique avant de reprendre la lourde hache.
Il était concentré sur sa tâche quand une exclamation surprise lui fit lever les yeux. Un orc trapu au teint ocre qu’il avait accueilli à l’auberge la veille le regardait, ébahi.
Cyan ne comprit pas. Il ne faisait rien de particulier et cet orc savait qu’il était employé à l’auberge.

mercredi 19 février 2020

L'empreinte de l'orc - 64

Il s’adressa d’abord au vieux Polnuk.
— Je voudrais t’emprunter l’un des tes travailleurs.
— Lequel ?
— Vaknor.
— Quelque chose me dit que tu ne vas pas me le rendre en un seul morceau, marmonna le vieux, mais il lui indiqua néanmoins où trouver l’orc en question.
Vaknor était un orc plutôt jeune aux yeux d’or et aux oreilles percées de multiples anneaux de bronze.
Gulrik contint avec peine la rage qui l’envahissait à la vue de cet orc qui avait osé abuser de Cyan. Il n’avait que trop tardé à le punir. Il marcha droit sur lui.
— Je viens te proposer un petit combat à mains nues.
Vaknor ne cacha pas sa surprise.
— Je doute d’un être un adversaire à la hauteur du prince...
Si ce lâche croyait s’en tirer avec cette piètre parade, il se fourrait le doigt dans l’œil.
— Je n’ai pu m’entraîner depuis que j’ai été alité, mieux vaut que je recommence doucement.
— C’est trop d’honneur que vous me faîtes…
— Point du tout. Viens avec moi.  C’est un ordre.
L’orc aux yeux d’or qui, jusque là été resté calme, trahit une certaine nervosité.
— On a besoin de moi aux cuisines. Polnuk…
— C’est bon, je me suis arrangé avec lui.
Vaknor qui n’avait plus d’excuses, fut obligé de suivre Gulrik dans la cour.
— Notre rapport de force est par trop inégale, argua encore ce pleutre d’orc alors qu’ils se mettaient en position, face à face dans le cercle d’entraînement.
— Je crois savoir que cela ne te dérange pas de t’en prendre à plus faible que toi, rétorqua Gulrik avant de se jeter sur Vaknor.
L’orc aux yeux d’or eut beau se défendre, Gulrik le frappa encore et encore, jusqu’à le réduire à l’état de pulpe.
Il l’aurait sûrement achevé sans l’intervention de gardes.
Pendant qu’une soigneuse se chargeait de Vaknor, Gulrik fut contraint de se rendre à nouveau à la salle du trône où son père lui reprocha son comportement.
— Ne me dis pas que c’était pour venger l’humain que cet orc avait prétendument forcé !
Gulrik garda le silence.
— C’est au cachot que je devrais te faire séjourner ! cria son père avant de le renvoyer d’un geste furieux.

mardi 18 février 2020

L'empreinte de l'orc - 63

— Tu as jusqu’à demain pour te décider sur ta fiancée.
— Non, je n’en veux pas.
— C’est ton devoir de prince. Te dérober est indigne de toi.
Gulrik serra les dents et les poings. Ce n’était pas la première fois que son père lui jetait ça à la figure.
Avec le pouvoir, venaient les responsabilités et les sacrifices, Gulrik en était conscient depuis son plus jeune âge et bien souvent, il regrettait d’avoir le tatouage dans son cou marquant son appartenance à la famille royale, il aurait préféré être un orc comme un autre avec un métier aux contours bien définis qui n’aurait pas empiété sur sa vie personnelle.
— Je souhaite juste être libre de tout engagement pendant encore quelques mois. Ce n’est quand même pas trop demandé.
— Si. Il est plus que temps pour toi de te marier.
— Il n’y a pas le feu au lac.
Son père poussa un grognement exaspéré.
— Arrête de te comporter comme un enfant gâté.
— Sinon quoi ?
— Je devrais te traiter comme tel. Si tu t’entêtes, je déciderai moi-même de ton épouse.
Son père exagérait. C’était trop.
— Et quand je refuserai de prononcer mes vœux le jour de la cérémonie, que feras-tu ?
— Tu es impossible. Passer quelques jours confinés dans ta chambre devrait t’aider à réfléchir.
C’était une punition enfantine, mais réelle, surtout après tous ces jours où Gulrik avait été contraint à l’inactivité.
— Cela attendra le départ des invités, n’est-ce pas ?
— En effet, confirma son père avec une grimace.
C’était toujours cela de gagné.
Gulrik changea de sujet.
— As-tu eu des nouvelles des orcs que tu as envoyé enquêter sur l’archer qui m’a tiré dessus ?
— Non. Pour le moment, aucune trace de cette vermine n’a été trouvé.
C’était regrettable. Lui seul aurait pu totalement innocenter Cyan que son père croyait toujours complice de l’attaque, même s’il avait accepté de le ramener sain et sauf à Manchor.
— Dommage.
— Oui, exactement, comme ton irresponsabilité.
Gulrik prit congé. La conversation tournait en boucle.
Il aurait dû retourner divertir les demoiselles orcs, mais il ne le fit pas.
Avant que son père ne l’enferme dans sa chambre, il y avait quelque chose qu’il voulait absolument résoudre. Il prit la direction des cuisines.

lundi 17 février 2020

L'empreinte de l'orc - 62

Sans surprise, son père le convoqua avant la fin des festivités dans la salle du trône et attaqua aussi sec :
— As-tu choisi ta future épouse ?
— Non.
Et il n’en avait aucune envie. Ni maintenant ni plus tard, ce qui était gênant. En tant que prince, il était supposé se marier avec quelqu’un à même de lui donner des enfants dont un héritier qui règnerait à son tour sur Orcania.
— Tu avais promis.
— Juste de les rencontrer.
— Gulrik !
Le roi frappa l’accoudoir de son siège d’un violent coup de poing.
— Je suis encore jeune.
— Pour ce que tu en profites ! Soit disant que tu serais devenu impuissant !
— Ce n’est qu’une rumeur.
— Si c’est le cas, pourquoi ne baises-tu plus comme avant ?
Parce qu’il voulait Cyan et seulement lui, ce qui était absurde. Mais tous les autres partenaires potentiels avaient perdu leurs attraits. Et l’expliquer à son père n’entraînerait rien de bon.
— Depuis quand t’intéresses-tu à ma vie sexuelle ?
Ce n’était pas un sujet tabou entre orcs, mais entre parents et enfants, il n’était pas si fréquent d’en parler.
— Depuis qu’elle risque de compromettre ton mariage et notre lignée.
— Tu n’es pas encore trop vieux pour te remarier.
La mère de Gulrik était en effet morte bien des années plus tôt quand il était encore un bambin.
— Ne sois pas ridicule. C’est ton tour.
Et pourtant une épouse aurait pu contrebalancer le tempérament autoritaire et colérique de son père. Ce dernier n’avait pas toujours été aussi figé dans ses idées.
Alors que Gulrik cherchait une quelconque répartie ou pirouette pour se tirer d’affaire, son père se leva soudain et vint se planter devant Gulrik, l’examinant comme s’il était un insecte curieux.
Il pointa l’un des pectoraux de Gulrik :
— Tu ferais mieux de soigner cela.
Gulrik baissa les yeux sur son torse. Il y avait en effet un hématome. Il ne voyait pas comme il avait pu se le faire. Il n’avait pas eu l’opportunité de s’exercer avec quiconque, même si quelques demoiselles s’étaient montrées fort entreprenantes. Il avait en revanche tendance à frotter cet endroit ces derniers temps, comme si cela avait pu soulager sa peine de cœur.
Il savait pourtant qu’il devait oublier Cyan.
— Ce n’est rien.
— C’est laid. Cache-le avec un pansement ou un bandage.
Maintenant, qui était ridicule ?
Gulrik acquiesça malgré tout. Il pouvait au moins satisfaire son père sur ce point. Cela ne lui coûtait pas cher.

vendredi 14 février 2020

L'empreinte de l'orc - 61

— Que mon prince m’excuse, je dois aller faire mon rapport au roi.
Gulrik s’était encore laissé aller à rêvasser à Cyan. Cela ne lui arrivait que trop souvent ces derniers temps. Il ne retint pas Roknok. Il ne lui avait pas demandé si Cyan et lui avaient baisé, mais ce n’était pas vraiment nécessaire vu la réaction de Roknok à la simple suggestion qu’il ait pu se lier d’amitié avec un humain.
Gulrik soupira. Il n’avait rien à faire à présent. Il était supposé se reposer. Pas d’entraînement pour lui et pas d’orcs à recevoir en audience… Cela le démangeait de se rendre aux cuisines et de réduire en bouillie Vaknor, mais en tant que prince des orcs, il ne pouvait hélas laisser éclater sa colère sans y mettre les formes.
Gulrik regagna sa chambre. Il y était tranquille, même s’il s’y ennuyait comme un rat mort. Personne ne l’obligeait à y rester seul et il aurait pu prendre du bon temps. Sa libido était cependant au point mort, excepté quand  il se souvenait de ses ébats avec Cyan. Sa bouche douce comme du velours contre la sienne, autour de son pénis, ses yeux bleu cristallin brillant de désir posés sur lui… Oui, il suffisait de se rappeler la manière dont le corps chaud de l’humain l’avait accueilli et enserré pour que la verge de Gulrik devienne dure comme de la pierre.
Peut-être que Cyan lui avait en fin de compte vraiment jeté un sort...
    Évidemment, quand la soigneuse autorisa Gulrik à reprendre ses activités habituelles, deux longs jours plus tard, les premiers invités arrivèrent. Parmi eux, des orcs  toutes plus belles les unes que les autres qui laissèrent Gulrik remarquablement indifférent. Il dut les accueillir et passer du temps avec elles au lieu de pouvoir s’exercer, de seconder son père dans les affaires du royaume et de punir Vaknor.
Gulrik se retrouva à devoir repousser les avances de certaines qui avaient envie de tester leur compatibilité sexuelle. Cela n’aurait normalement rien eu d’une corvée à éviter.
Ces refus, doublés à son absence de prouesses sexuelles, entraînèrent une rumeur : la drogue avait eu des effets sur la virilité du prince. Gulrik ne chercha pas à la démentir, car la vérité était au moins autant embarrassante : il était sous le charme d’un humain.
Il avait dû se faire une raison. Ce n’était en effet pas que de l’affection ou un simplement attachement. Il était amoureux et à chaque jour qui passait sans le voir, loin de lui, son cœur devenait plus lourd.

jeudi 13 février 2020

L'empreinte de l'orc - 60

Gulrik était enfin rétabli ou presque. Il faisait les cent pas sur le chemin de ronde, guettant le retour de Roknok.
Il avait réussi à ce que le garde vienne lui rendre visite avant qu’il ne parte remplir la mission confiée par le roi, à savoir reconduire Cyan à Manchor et il avait pu lui donner ses propres instructions : Roknok devait s’assurer que Cyan retrouve un emploi et lui transmettre le bracelet de sa part. Il s’était retenu de justesse de lui interdire de coucher avec lui. Si Cyan offrait et que Roknok acceptait, il n’avait pas son mot à dire, même si cela l’irritait.
Gulrik s’arrêta pour scruter la plaine environnante. Rien à l’horizon. Il reprit sa marche.
Depuis qu’il n’était plus alité, il était plein d’une énergie nerveuse, car il n’avait pas encore été autorisé à reprendre ses activités habituelles. Ses devoirs de prince était en suspens jusqu’à nouvel ordre. Il n’avait en conséquence pas pu faire payer à Vaknor son crime.
Un banquet d’une semaine était en train d’être organisé pour fêter son rétablissement. Gulrik qui appréciait festoyer ne parvenait pas à s’en réjouir, car il savait que ce n’était là qu’un prétexte utilisé par son père pour faire venir plein de jolies orcs en âge d’être mariées.
Beaucoup croyait que c’était l’arrivée des invitées que Gulrik attendait avec impatience. L’alibi parfait.
Gulrik se figea. Une silhouette solitaire approchait de la forteresse. Il avait déjà eu quelques déceptions. Avec impatience, il suivit la progression de l’orc.
Oui, c’était bien Roknok.
La corde fut jetée et le grand orc grimpa. Dès qu’il fut en haut, Gulrik s’empressa de l’entraîner loin des oreilles indiscrètes des autres gardes.
— Alors ? demanda-t-il, impatience, une fois qu’ils furent dans un coin tranquille de la cour.
— Mission accomplie.
— C’est-à-dire ?
— Il est à Manchor, votre bracelet au poignet, avec normalement un emploi à l’auberge du Caribouc.
— Comment s’est passé le trajet ?
— Sans accroc.
Apparemment, Gulrik pouvait se brosser pour avoir des détails. Il faut dire que, comme lui, Roknok n’était pas un bavard.
— Tu as sympathisé avec lui ?
— C’est un humain.
Cela n’avait hélas pas empêché Gulrik de se prendre d’affection pour lui et maintenant, il lui manquait. Instinctivement, Gulrik frotta son pectoral gauche, au niveau de son cœur.

mercredi 12 février 2020

L'empreinte de l'orc - 59

Cyan se sentait plus confiant envers l’avenir. Il jeta un coup d’œil reconnaissant vers l’immense orc.
— Montons, grogna Roknok après s’être entendu avec l’aubergiste pour payer une chambre.
Cyan lui emboîta le pas.
Il reconnut la pièce. C’était la même que celle qu’il avait partagé avec Gulrik. Il se souvint de l’orc penché sur lui, sa large main posée sur son torse. La respiration de Cyan s’accéléra. Son pénis durcit sous l’afflux des souvenirs – le torse puissant et musclé de l’orc, Gulrik l’emplissant.
Cyan coula un regard gêné et inquiet à Roknok. Si jamais ce dernier s’en rendait compte et s’imaginait que c’était lui qui lui inspirait du désir...
Roknok était impassible. Il se moquait sûrement qu’un humain le trouve ou non à son goût. Il était d’ailleurs vraiment impressionnant, encore plus large et massif que le prince orc, sa peau d’un vert plus foncé, et il était gentil aussi, même si beaucoup plus brute et brusque que Gulrik.
— Demain, je repartirai.
— Bien, murmura Cyan. Vous voulez bien transmettre un message au prince pour moi ? Lui dire merci.
En vérité, il aurait voulu lui déclarer son amour et sans intermédiaire, mais il avait perdu toute chance de le faire.
Roknok accepta d’un hochement de tête. Il ouvrit ensuite sa besace, fouilla dedans et en tira un bracelet d’argent torsadé.
— De la part du prince.
Cyan écarquilla les yeux. C’était celui que Gulrik avait acheté dans la bijouterie de Manchor. 
Après le poignard, le bracelet… et c’était sans compter, les vêtements et les chaussures, les repas... C’était si inattendu que Cyan faillit pleurer en l’enfilant à son poignet. C’était un objet bien trop beau pour lui.
Le poignard lui avait été confisqué, mais Cyan se promit de prendre soin du bracelet. Plutôt mourir de faim et de froid que de le revendre parce que c’était un cadeau de Gulrik. Avait-il déjà eu l’intention de lui offrir quand il l’avait choisi dans la boutique ? Cyan ne le saurait jamais.
— Couchons-nous, déclara Roknok.
Il faisait encore plein jour dehors. Cyan ne discuta toutefois pas. Ils n’avaient guère dormi depuis leur départ nocturne de la forteresse.
Roknok s’allongea dans le lit, obligé de se mettre en biais, car il était trop grand.
Cyan s’installa sur la paillasse et admira les torsades du bracelet tout en pensant à Gulrik. Et, quand le sommeil l’emporta, ses doigts étaient enroulés autour du bijou.

mardi 11 février 2020

L'empreinte de l'orc - 58 (la bonne version)

Cyan s’attendait à ce que Roknok le laisse – l’orc avait daigné le poser sur le sol, une fois le poste de garde passé, mais Roknok l’accompagna jusqu’aux portes de Manchor, ce qui l’étonna.
— N’est-ce pas ici que nos routes se séparent ? s’enquit-il, rompant le silence qui les enveloppait.
Ils avaient à peine échangé trois mots durant le voyage.
— Non.
Il était étrange que l’immense orc reste aux côtés de Cyan à présent qu’ils étaient à destination, mais il ne fallait à priori pas compter sur Roknok pour des explications.
— Vous voulez visiter la ville ?
Offrir ses services de guide avait quelque chose de doux-amer. Cela rappelait à Cyan sa rencontre avec Gulrik. Il n’avait cependant pas besoin de ça pour penser au prince des orcs.
— Allons à l’auberge.
Cyan le conduisit au Caribouc, là où il avait dormi et même plus que cela avec Gulrik. Il rougit en repensant à l’orc dans sa splendide nudité.
L’orc au comptoir se souvenait de Cyan.
— Merci de m’amener des clients, l’humain.
— Vous ne seriez pas intéressé par l’embaucher ? demanda brusquement Roknok.
C’était plus qu’il n’avait dit ces derniers jours. Cyan ne savait pas ce qui était le plus surprenant : le nombre de mots prononcés d’affilée par Roknok ou la manière dont l’aubergiste paraissait réfléchir sérieusement à la question.
— Eh bien, je manque en effet de personnel. C’est envisageable ? Cela te tente, l’humain ?
— Oui, beaucoup.
Dans la poche de son pantalon qui avait souffert de son séjour en prison, il avait toujours les pièces que lui avaient données Gulrik, mais il avait besoin d’un emploi et même s’il n’aurait jamais osé en demander à un orc en partant du principe qu’il n’avait aucune chance d’être pris, il était prêt. Cela présentait bien sûr plus de risques que d’être employé par un humain. Il n’y avait cependant heureusement aucune raison pour que ce qui s’était passé avec Vaknor se reproduise. L’intérêt de l’orc pour Cyan était seulement né de celui que lui portait le prince. Et puis, grâce à Gulrik, il avait désormais une astuce pour se tirer d’affaire.
— Je te propose de commencer demain. A l’essai.
— D’accord, merci… A moins que vous n’avez encore besoin de mes services, ajouta Cyan à l’intention de Roknok qui secoua lentement la tête.

lundi 10 février 2020

L'empreinte de l'orc - 57

Cyan ne dit plus un mot, se contentant de marcher docilement à côté de l’immense orc. Il faisait nuit et les couloirs, hormis quelques gardes, étaient déserts.
Sur le chemin de ronde, Roknok montra un parchemin sur lequel Cyan aperçut un symbole et les gardes les firent descendre.
Une fois qu’ils furent arrivés au bas du mur, Roknok attrapa Cyan sans prévenir et le jeta sans façon sur son épaule comme un vulgaire paquet.
Cyan poussa un petit cri de surprise.
— Chut ! s’exclama Roknok.
Cyan, même épuisé, le corps douloureux et le ventre vide aurait préféré marcher. Il faut dire qu’avoir la tête en bas n’avait rien d’agréable. En discuter n’était hélas pas une option dans la mesure où cela aurait revenu à désobéir à l’injonction de l’orc et de toute façon, ce n’était pas comme s’il pouvait demander à être porté autrement.
Roknok ne s’arrêta pas de la nuit et continua une fois le jour levé. Il était infatigable. Cyan fut obligé de quémander une pause pour vider sa vessie. L’orc ne fit pas de difficulté. Il lui tint en revanche compagnie et se soulagea aussi, moment pour le moins inconfortable durant lequel Cyan fit bien attention à ne pas jeter un œil en direction de l’orc. C’eût été cherché les ennuis.
Roknok le balança à nouveau sur son épaule et le trajet se poursuivit.
Cyan regardait le sol défiler sous ses yeux, terriblement conscient de la distance grandissante entre le prince orc et lui. Il avait beau se répéter que c’était pour le mieux après l’épisode avec Vaknor, qu’il avait de toute façon eu l’intention de rentrer à Humania et plus précisément à Manchor, la ville dans laquelle il avait toujours vécue,  il ne parvenait pas à oublier le baiser de Gulrik.
Roknok daigna faire une pause pour manger un bout. Il donna à Cyan un morceau de viande séchée qu’il avait dans sa besace.
Cyan, trop content d’avoir quelque chose à se mettre sous la dent, même si c’était dur à mastiquer, eut tôt fait de l’engloutir.
Ils repartirent juste après. L’orc semblait pressé de s’acquitter de sa mission. Il finit par s’accorder un somme avant lequel il attacha poignets et chevilles de Cyan bien qu’il lui ait assuré qu’il ne bougerait pas.
Ils ne mirent pas longtemps à atteindre la frontière entre Orcania et Humania. La franchir ne posa pas de problème.

vendredi 7 février 2020

L'empreinte de l'orc - 56

Cyan était de retour au cachot. Il avait du mal à y croire. Il sentait encore la corde autour de son cou. Il était en train d’être soulevé de terre quand une orc s’était précipitée pour glisser un mot au roi qui avait demandé l’arrêt de l’exécution à la grande déception de la foule d’orcs amassée dans la cour pour y assister.
« Un nouvel élément dans l’enquête autour de l’agression du prince vient d’être porté à mon intention » avait expliqué le roi.
Son bourreau avait détaché la corde et Cyan avait été ramené en prison.
Cyan avait demandé si l’archer avait été retrouvé, mais nul n’avait daigné lui répondre. Il soupira. Il n’était pas fâché d’être toujours en vie, mais il n’en pouvait plus d’être dans le noir dans tous les sens du terme.
Il fut surpris quand Roknok débarqua. Une audience avec le roi était-elle prévue ? Il posa la question. Il ne servait à rien de se montrer timide et craintif dans la mesure où les orcs n’hésitaient pas à ignorer ses demandes.
Roknok secoua sa large tête.
— Suis-moi, dit-il ensuite.
Cyan se mit debout avec peine. Ses jambes le portaient difficilement. Il avait mal partout.
Il effectua quelques pas aux côtés de l’immense orc avant de laisser éclater sa curiosité et son angoisse :
— Où allons-nous ?
— Manchor.
Cyan était sauvé. Mais Gulrik ?
— Comment va le prince ?
— Mieux.
Un soulagement profond envahit Cyan et son cœur se gonfla de joie.
Roknok était à peu près aussi loquace que Gulrik, mais Cyan savait enfin. Son prince était en vie. Quelque chose lui disait que c’était d’ailleurs grâce à lui si sa pendaison avait été interrompue. Il était en revanche étrange que Gulrik le renvoie à Manchor. Avant l’attaque, il avait paru tenir à ce que Cyan revienne à la forteresse. Il avait même insisté et argumenté dans ce sens. Sûrement, le prince ne le croyait pas responsable…
— Pourrais-je lui dire au revoir ?
— Silence, intima Roknok.
Cyan se serait donné des claques. Évidemment que c’était impossible. Cela avait été plus fort que lui de demander. Il aurait voulu s’assurer par lui-même de l’état de santé de Gulrik et emporter une dernière image de lui.

jeudi 6 février 2020

L'empreinte de l'orc - 55

Gulrik n’avait pas l’énergie de débattre avec son père. La punition de Vaknor devrait hélas attendre. L’essentiel était de s’assurer que la pendaison de Cyan n’ait pas juste été repoussée.
— Ce n’est pas Cyan qui a planté des flèches dans mon dos.
— Tu as frôlé la mort, mon fils. Nous avons trouvé un remède au poison que de justesse. Un orc plus faible ne s’en serait pas remis.
— Raison de plus pour mettre la main sur le coupable.
— Sans l’humain, tu n’aurais pas été hors de la forteresse.
— Ce n’est comme si je sortais jamais sans escorte.
Il était même allé seul à Manchor, même si c’était un droit qu’il avait obtenu après moult discussions et négociations.
— Je ne laisserai l’humain en vie qu’à deux conditions : que tu ne revoies jamais et que tu épouses une damoiselle orc. Il est temps pour toi de fonder une famille, d’assurer notre lignée.
Son père oubliait la fille de sa sœur, tout à fait à même d’accomplir la même chose, mais coincé qu’il était au fond de son lit, Gulrik n’était pas vraiment en position de refuser. Il pouvait juste jouer sur les mots pour orienter les choses de manière qu’il lui soit plus favorable.
— Je te promets de rencontrer toutes les orcs que tu souhaites et de ne pas chercher à revoir Cyan à Manchor où il va être reconduit.
L’idée d'être séparé de l’humain lui était douloureux, mais il le préférait vivant et libre, loin du joug et des caprices de son père.
Ce dernier grogna et flanqua un violent coup de pied dans le lit.
La secousse arracha une grimace de douleur à Gulrik.
— Votre majesté ! s’écria la soigneuse.
Son père balaya le reproche fait à demi-mot d’un revers de la main.
— D’accord, dit-il à l’intention de Gulrik. Je vais expulser l’humain de notre territoire et le faire ramener à Manchor où tu aurais mieux fait de le laisser.
— Par qui ? s’enquit aussitôt Gulrik.
— Tu ne devrais pas te soucier de ce genre de détail. Cela ne te concerne pas, rétorqua son père, les yeux étrécis.
— Si, dans la mesure où c’est moi qui l’ai amené ici. A tort, soupira Gulrik, excédé.
Il en voulait à son père. S’il n’avait pas repris conscience à temps, Cyan serait mort alors qu’il n’avait commis aucun crime. Et à présent, son père, au lieu de le laisser se reposer en paix profitait de sa faiblesse pour lui imposer des choses, notamment des rencontres arrangées en vue d’un mariage. Le pire était cependant de devoir renoncer à Cyan.
— Je pense confier la mission à Roknok, dit finalement son père avant de partir sans permettre à Gulrik de commenter son choix.
Roknok.
D’un côté, c’était rassurant, car Gulrik savait que le garde n’était pas du genre à abuser de sa force. D’un autre, cela l’ennuyait. Il se rappelait du qualificatif que lui avait attribué Cyan. « Impressionnant. »
L’humain trouvait probablement Roknok désirable. Il lui ferait peut-être des avances. Il était peu probable que l’orc y réponde, mais les imaginer ensemble donnait envie à Gulrik de tout casser.
Hélas, il n’avait aucun moyen d’empêcher cela. Cyan ne lui appartenait pas et était libre d’avoir tous les partenaires qui lui chantait.
Gulrik n’avait pas son mot à dire. Lui ne pourrait plus jamais goûter à l’humain. Un grondement pitoyable lui échappa et il enfonça sa tête dans l’oreiller.

mercredi 5 février 2020

L'empreinte de l'orc - 54

Qyand Gulrik revint à lui en sursaut, il était à nouveau étendu sur son ventre dans le lit, une autre orc à son chevet.
— Cyan ? demanda-t-il d’une voix enrouée.
Ce ne fut pas la seconde orc soigneuse qui lui répondit, mais son père que Gulrik n’avait pas vu avec sa tête à moitié dans l’oreiller.
— L’humain est vivant pour le moment.
Gulrik se retourna avec précaution sous l’œil attentif de la seconde soigneuse.
Son père était au pied du lit, l’air royal comme toujours.
— Comment ça, pour le moment ? Il est innocent.
— Je n’en suis pas aussi certain que toi. Il t’a comme ensorcelé.
— La magie n’existe pas, rétorqua Gulrik avec emportement.
Il grimaça. Sa tête lui faisait un mal de chien. Il n’était vraiment pas au mieux de sa forme et devoir discuter avec son père n’aidait pas.
— Il n’est pas normal que le sort de cet humain te tienne tant à cœur.
— C’est une question de justice.
— Vraiment ? Et comment expliques-tu qu’il ait déserté les lieux au beau milieu de la nuit ? Il semblait savoir que tu te précipiterai à sa poursuite et celui a permis de te tendre une embuscade avec un complice.
C’était peut-être parce qu’il était roi que son père voyait des machinations et des complots dans tout. Peut-être qu’un jour, Gulrik serait comme ça aussi. C’était certes une curieuse coïncidence qu’il ait été attaqué alors qu’il se trouvait avec Cyan, mais cela ne changeait rien au fait que l’humain était parti en raison de l’agression de Vaknor qui était encore hélas impunie.
— Cyan est parti parce que Vaknor, un orc qui travaille aux cuisines, a abusé de lui.
— Et étrangement, il ne s’en plaint ni à Polnuk ni à toi qui te considère comme son protecteur.
Le ton méprisant employé par son père pour prononcé le dernier mot révélait tout le mal qu’il en pensait. Et évidemment, il fallait qu’il sous-entende que Cyan ait menti et joué la comédie. Une fois encore.
— Il craignait ne pas être cru.
Et à raison, car sûrement Cyan avait dû cherché à expliquer la manière dont quelqu’un avait soudainement fait pleuvoir des flèches sur Gulrik.
— C’est un humain, répliqua son père comme si cela justifiait tout.
Il était vrai que les humains avaient le mensonge facile, mais en même temps, ils étaient rare ceux qui ne se trahissaient pas. La peur et la nervosité avaient des odeurs qui ne trompaient pas. Il y avait aussi les expression du visage, mais ça, ce n’était pas quelque chose qu’un orc pouvait facilement saisir chez un humain. Gulrik commençait cependant à s’améliorer sur ce point.

mardi 4 février 2020

L'empreinte de l'orc - 53

Gulrik ouvrit les yeux avec difficulté. Tout son corps était lourd et pesant. Il grogna. Il avait mal à la tête et il avait chaud. Il repoussa la couverture avec ses pieds, mais une orc assisse à son chevet la réinstalla sur lui.
Gulrik qui était couché sur le ventre, ce qui n’était pas sa position habituelle, tenta de pivoter, l’oc qui veillait sur lui l’en empêcha.
Gulril se rappela alors de l’attaque et de sa perte de conscience.
A présent, il était de retour au château, aux bons soins d’une soigneuse, mais sans avoir aucune idée de comment il était arrivé là.
— Où est Cyan ?
— Qui, mon prince ?
— L’humain.
Gulrik avait la bouche pâteuse et les membres engourdis.
— En prison.
— Pourquoi ?
— Pour vous avoir blessé, bien sûr.
— Il n’est coupable de rien, grommela Gulrik, en cherchant à se lever.
— Ne vous agitez pas. Si vous avez faim, je vais appelez une servante.
— Ce n’est pas le problème. Je veux que l’humain soit libéré, répliqua Gulrik en se redressant avec peine.
Assis, la tête lui tournait.
— Calmez-vous.
Des clameurs retentirent. Elles provenaient de la cour de la forteresse.
Gulrik en tendant l’oreille, reconnut les paroles.
« A mort, a mort l’humain ! »
Le sang de Gulrik se glaça dans ses veines. Cyan n’était pas au cachot comme l’avait affirmé la soigneuse. Il allait être exécuté.
Gulrik se leva. La pièce tourna autour de lui.
La soigneuse le soutint avant qu’il ne s’étale de tout son long.
— Cyan est innocent. Il faut que j’aille arrêter cela, déclara Gulrik.
— Vous devriez surtout retourner vous coucher.
— Alors, tu ferais mieux de prévenir mon père ou n’importe qui ayant pouvoir de mettre fin à cette exécution. Et dépêche-toi ! C’est un ordre.
L’orc soigneuse soupira, hocha la tête et partit en courant.
Gulrik malgré tout ne pouvait rester sans rien faire, pas tant que Cyan était en danger. Il entreprit donc de se diriger dans les escaliers.
Si la soigneuse ne menait pas sa mission à bien, Gulrik, même s’il était aussi faible qu’un orc venant de naître, arriverait à temps.
Il présumait toutefois de ses forces. Après avoir descendu un étage en s’appuyant aux murs, il s’écroula.

lundi 3 février 2020

L'empreinte de l'orc - 52

Cyan n’eut plus qu’à continuer à trembler et se tourmenter dans l’obscurité.
Il dormit d’un sommeil agité et entrecoupé, se réveillant au moindre bruit, au plus petit couinement. La prison était apparemment infestée de rats.
Le temps s’écoulait avec une lenteur affreuse et sinistre. Les pensées de Cyan s’éparpillaient dans mille directions, certaines revenant en boucle. Un remède au poison avait-il été trouvé ? Gulrik était-il tiré d’affaire ? Il en doutait d’autant plus qu’il lui semblait autrement que ce dernier serait venu le sortir du cachot. Le prince orc savait bien que ce n’était pas Cyan qui l’avait attaqué. En même temps, Cyan ne voulait pas croire que Gulrik soit mort. Pas lui. Tout ça parce qu’ils s’étaient embrassés en oubliant que pour le reste du monde un humain prenant un orc pour amant était inconcevable. Les orcs étaient pourtant bien plus que des brutes à la peau verte, aux membres épais et aux grosses dents. Et en même temps, que faisait cet archer humain à Orcania avec ses flèches empoisonnées ? Cyan regrettait de ne pas avoir réussi à convaincre les orcs de son existence. Si Gulrik et lui n’avaient pas été surpris par un humain, mais par d’autres orcs, le résultat aurait été différent. Cela ne servait à rien hélas de se perdre dans des possibilités qui ne s’étaient pas produites.
Il semblait tout de même à Cyan que les orcs auraient dû se rendre compte que les blessures de Gulrik avaient été causées par des flèches et non son poignard dont la lame n’avait été enduite d’aucune substance empoisonnée. Cyan aurait certes pu nettoyer le sang et le poison, mais des flèches et un poignard n’entraînaient pas les mêmes dommages. Peut-être que les orcs se moquaient de la vérité. Cyan était humain et cela suffisait pour le juger coupable. En un sens, les orcs n’avaient pas tort. C’était bien un humain qui avait blessé Gulrik et sans Cyan, le mystérieux archer barbu n’aurait pas pris l’orc pour cible.
Cyan n’était pas catastrophé de savoir que sa misérable existence arrivée à son terme, seulement il aurait voulu être certain que Gulrik se remettait. Sans compter qu’il était tracassé à l’idée que l’archer aux flèches empoisonnées se promenait en toute liberté et impunité à Orcania.
Par ailleurs, attendre la mort n’avait rien de plaisant, c’était une forme de torture, une punition voulue par les orcs que Cyan était obligé de subir.
Il avait froid et faim. Le pain qui lui avait été donné était si dur qu’il était immangeable. Un orc aurait peut-être pu le casser avec ses dents, mais pas lui. Essayer de le mouiller avec un peu d’eau n’avait pas aidé. Du coup, c’était les souris et les rats de la prison qui avaient fait bombance pendant que Cyan ne pouvait rien faire d’autre que broyer du noir.
Une éternité plus tard, l’orc à l’oreille déchiquetée débarqua.
— C’est l’heure de ta pendaison, déclara-t-il.
Cyan se leva et fit une ultime tentative pour s’enquérir du devenir du prince orc, en vain.
L’orc l’empoigna par le bras et Cyan s’efforça de rester digne. Une part de lui avait envie de lutter et vivre, mais une autre était résignée.