vendredi 30 juin 2017

Le Beau et la Bête - 6

A travers la grille, la Bête lui tendit le pain.
— Merci, dit Beau, en prenant la miche de la main aux ongles griffus.
— Aujourd'hui, non plus, vous n'allez pas réclamer votre liberté ?
Il avait décidément l'air d'y tenir, mais Beau était sûr qu'il la lui refuserait.
— Me l'accorderez-vous ?
— Non ! cracha la Bête.
Beau sourit.
— En gros, vous voulez que je dépense ma salive pour rien.
— Pourquoi me tiens-tu ainsi tête ? grogna la Bête, le toisant de toute sa hauteur.
— Parce que je n'ai pas l'impression que ramper  devant vous m'apportera quoique ce soit.
— Je pourrais te briser en deux comme un simple fétu de paille, répliqua la Bête, en mimant le geste.
Beau ne trembla pas. Il avait déjà pu constater que la Bête était plus prompt à grogner qu'à griffer.
— Je n'en doute pas.
La Bête repartit, mais revint dans la matinée l'interroger sur son livre en cours, puis réapparut le midi avec un copieux déjeuner. Apparemment, l'affamer n'était pas au programme.
Quand il débarqua à nouveau dans l'après-midi, à en croire le rayon de soleil qui venait éclairer son cachot, Beau arriva à la conclusion que pour une raison mystérieuse la Bête appréciait sa compagnie.
— Vos roses sont très belles, dit-t-il en caressant les pétales flétrissant de la sienne.
La Bête partit dans une longue tirade sur les soins qu'il accordait à ses rosiers et Beau comprit enfin pourquoi l'étrange homme qui lui faisait face avait pu s'énerver autant qu'une soit cueillie sans son autorisation. Il chérissait ses fleurs comme le marchand ses enfants. Le prix exigé en contrepartie de ce vol demeurait dément, mais s'expliquait, à défaut de se justifier vraiment.
— Je dois vous ennuyer avec mes histoires de taille et de pucerons, conclut finalement la Bête.
Beau qui avait en effet décroché sur la fin, s'en voulut.
— Mais non, assura-t-il. Je lisais de temps en temps des ouvrages de botanique, autrefois, quand mon père avait les moyens.
— Vous adorez vraiment les livres, constata la Bête.
Ouvrant la porte de la cellule de Beau, il lui intima de le suivre. Le jeune homme, plein de curiosité, ne se fit pas prier. Mais s'il n'y avait passé qu'une journée, il n'était que trop content de quitter le sinistre endroit pour découvrir le reste du château.

jeudi 29 juin 2017

Le Beau et la Bête - 5

Beau, plutôt que de se laisser aller au découragement d'être enfermé dans un endroit aussi lugubre pour toujours peut-être, se rappela qu'il avait encore sa besace dont il avait passé la lanière sur son cou. Il l'ouvrit et en sortit ses maigres possessions. La rose malgré ses pétales froissés égayait le gris des lieux. Ses habits roulés en boule faisaient un coussin confortable et surtout, il avait ses livres préférés. Il allait pouvoir les relire tranquillement.
Il avait donc le nez dans les pages quand il entendit le pas lourd de la Bête.
Il s'interrompit pour le regarder, le trouvant moins effrayant et moins bestial que la première fois. Sans mot dire, il soutint son regard doré,
— Alors, vous ne plaidez pas pour votre libération ? gronda la Bête.
— Cela servirait-il à quelque chose ?
La Bête grommela. Étant au beau milieu d'un passage passionnant, Beau préféra reprendre sa lecture.
Son geôlier, à priori furieux du peu de cas qu'il faisait de lui, entra dans sa cellule et lui arracha le livre des mains.
Beau en fut fâché. Il serra les poings. Cela ne suffisait à ce type de le garder prisonnier, il fallait en plus qu'il lui pique ses affaires. Ah, il voulait qu'il le supplie, eh bien, il pouvait toujours rêver. Beau s'empara du second bouquin qu'il avait emmené avec lui. La Bête en allait être pour ses frais ! Même si la mettre en rage n'était peut-être pas une très bonne idée...
Les dents de la Bête claquèrent bruyamment.
— Lisez donc si cela vous chante, quand la nuit sera tombée, dans le noir, vous ne pourrez plus et il s'en fut, en gardant le roman qu'il avait confisqué.
Beau constata que la luminosité avait en effet baissé et mangea son casse-croûte avant de s'allonger pour dormir. Le sol était dur, froid et humide. Il éprouva quelques regrets à s'être montré aussi cavalier vis-à-vis de la Bête qui allait peut-être le laisser mourir de faim.

    Après une mauvaise nuit perturbée par la visite de gros rats, il vit son geôlier approcher avec un plateau sur lequel reposait un gobelet et une miche de pain. Il y avait un côté incongru à ce qu'il lui apporte lui-même son repas. Était-il possible qu'il soit seul dans ce vaste château ? Le jardin devait nécessiter beaucoup d'entretien pourtant, sans compter toutes les pièces et couloirs à nettoyer. Non, s'il n'avait pas confié la tâche à un de ses serviteurs,  c'est qu'il devait éprouver un malin plaisir à le narguer. Il n'y avait pas d'autres explications.

mercredi 28 juin 2017

Le Beau et la Bête - 4

Et, puis, il apparut, immense, dépassant largement Beau. Il était vêtu d'habits riches, mais trop petits et déchirés par endroits. Son poitrail était large. Ses pieds, ses bras et jambes étaient énormes et ses mains étaient comme deux battoirs. Quant à son visage, il était mangé par d'épais cheveux bruns, une barbe drue et deux sourcils broussailleux qui n'en formait qu'un. C'est à peine si on voyait son nez épaté. Ses yeux dorés et menaçants étaient dardés sur lui et Beau rentra la tête dans les épaules, comme s'il avait besoin d'être encore plus petit de l'homme monstrueux qui lui faisait face.
— Qui es-tu ? tonna la Bête.
Le jeune homme sursauta et lâcha la bride de sa monture.
— Beau. Je viens prendre la place de mon père pour la rose, parvint-il à articuler.
— J'attendais une de ses tes sœurs, gronda la Bête.
— Désolé, mais elles avaient peur.
Lui aussi, ajouta Beau en son for intérieur. Rester debout immobile devant le maître des lieux lui demandait tout son courage, car son instinct lui commandait de tourner les talons et détaler comme un lapin.
La Bête s'approcha et empoigna le col de la chemise du jeune homme.
— N'importe laquelle des trois aurait eu le droit à la plus belle chambre de mon château et dîné à ma table, mais pour toi, ce sera le cachot.
— Pas la peine de m'y mettre de force, je suis prêt à vous suivre.
La Bête grogna, le souleva de terre et le maintint au-dessus du sol en le fixant d'un air féroce.
Beau s'agita, mal à l'aise. Il aurait voulu s'enfuir, mais était assez intelligent pour comprendre qu'il ne faisait pas le poids face à l'homme immense et velu qui le tenait.
La Bête le jeta sur son épaule, et l'y maintenant d'une main posée sur ses fesses, il s'engouffra dans le château.
Être transporté ainsi, tête vers le bas, aurait dû être inconfortable, mais Beau trouvait qu'il y avait quelque chose d'agréable à être tenu par un être aussi puissant.
Beau vit des sols recouverts de tapis, des marches et des marches, et puis des pierres nues et enfin, la Bête le projeta dans une cellule vide et poussiéreuse dont il claqua la grille rouillée avec violence avant de tourner la clef dans la serrure.
Après quoi, il s'en fut à grandes enjambées. Beau se redressa et en deux pas, eut fait le tour de sa prison. Les murs étaient gris percés par une fenêtre à barreaux, trop haute pour qu'il puisse regarder dehors, mais qui laissait passer la lumière du jour. Il n'y avait même pas un banc pour s'asseoir, pas même une paillasse, juste un pot de chambre.

mardi 27 juin 2017

Le Beau et la Bête - 3

Le marchand secoua la tête.
— Non. Que deviendrons-nous sans toi ? Tu es peut-être à l'origine de cette demande, mais je n'avais pas à m'emparer du bien d'autrui. Je suis vieux. Je suis juste venu vous revoir une dernière fois. Je ne voulais pas que vous restiez dans l'ignorance de mon sort.
— Rien ne t'oblige à retourner te constituer prisonnier, fit remarquer l'aîné.
— J'ai donné ma parole et je crains des représailles, si je la trahissais, soupira le marchand.
Beau, lui, était décidé. N'en déplaise à son père, il était coupable. S'il avait exigé quelque chose de matériel, comme ses frères et sœurs, son père ne se serait pas retrouvé dans cette situation.
— J'irai, répéta-t-il.
— Que tu es sot, tu n'es pas une fille ! s'écria la cadette. Tu aurais l'air fin en robe, ajouta-t-elle.
Beau n'avait pas pensé à se travestir, juste à prendre la place de son père et tenter de raisonner cet homme, tout monstrueux qu'il soit, lui faire valoir que c'était bien cher payé un instant d'égarement.
Il contempla l'idée sérieusement, puis renonça. S'il cherchait à tromper la Bête, il ne risquait que de l'énerver davantage, quand elle se rendrait compte de la supercherie, car il était inévitable qu'elle réalise le véritable sexe de Beau.
Le marchand tenta d'argumenter. Ses frères qui n'avaient guère envie de se retrouver avec toutes les corvées essayèrent de le raisonner. Ses sœurs s'efforcèrent également de le dissuader, mais mollement.
Beau ne fléchit pas et prépara un maigre bagage : quelques vêtements, ses trois livres favoris, un casse-croûte et la magnifique rose. Il leur donna à tous l'accolade en guise d'adieux, enfourcha le vieux cheval de son père, leur recommanda de bien veiller les uns sur les autres et s'en fut pour le château de la Bête dissimulé dans la forêt qu'ils devaient traverser avant d'arriver à leur modeste maison.
En dépit de la description sinistre qu'en avait fait son père, Beau demeura un instant interloqué en arrivant devant les tours noires tarabiscotées et les hauts remparts.
Déglutissant, il franchit la grand porte qui était étonnamment ouverte.
Il déboucha dans un splendide jardin où des roses de toutes les couleurs poussaient en abondance. Au milieu, des statues de pierres blanches de nymphes et de centaures se dressaient.
Beau descendit de sa monture et appela :
— Il y a quelqu'un ?
Il dressa l'oreille dans l'attente d'une réponse, mais n'entendit que le bourdonnements des abeilles qui butinaient.

lundi 26 juin 2017

Le Beau et la Bête - 2

Ils vivaient à la campagne depuis un an, quand le marchand reçut une lettre lui annonçant qu'un de ses bateaux était finalement rentré à bon port. Les aînés se réjouirent, se voyant de retour en ville à mener la grande vie et chacun réclama à son père un cadeau : pipe, tabatière, mouchoirs brodés, robes et perles...
Voyant la liste s'allongeait, songeant que ce que récupèrerait son père ne suffirait jamais à payer tout cela, Beau s'abstint de réclamer quoique ce soit, pas même un livre.
— Ne voudrais-tu pas que je te ramène quelque chose ? demanda son père.
— Reviens juste en bonne santé, répondit-il.
Le marchand insista.
— Allons, il y a bien quelque chose qui te ferait plaisir.
Il voulait récompenser le benjamin pour les nombreuses les tâches qu'il accomplissait. Il aimait tous ses enfants tendrement, mais était conscient que son dernier était plus méritant.
Beau réfléchit alors à quelque chose qui ne coûterait rien.
— Une rose, lâcha-t-il finalement.
Ses frères et sœurs se gaussèrent pour ce choix manquant de virilité. Comme si cela ne lui suffisait pas d'être un rat de bibliothèque !
Beau qui savait que sa famille ne parvenait pas à s'adapter à leur nouvelle vie, se garda de réagir. Pourtant, contrairement à autrefois, il lui  aurait été facile de donner une correction à ses frères.

    Le marchand ne revint que longues semaines plus tard, les cheveux  blanchis, tout tremblant et l'air sinistre, avec dans ses bagages, une rose  aux pétales veloutés qui embaumait.
Non seulement il avait écopé d'un procès pour ses quelques marchandises et rien gagné, mais en plus, il s'était égaré sur le chemin du retour à cause d'une tempête et était tombé sur un étrange château dont le maître était un homme monstrueux ou plutôt une Bête.
Il avait voulu cueillir une rose pour Beau, pour ne pas revenir les mains tout à fait vides, et la Bête était devenue enragée, jugeant là que son hôte abusait de son hospitalité. Il est vrai qu'il lui avait offert gite et couvert, à lui et son cheval, mais pareille colère pour une fleur...
— Tout ça, c'est à cause de Beau, remarqua l'aîné.
Le père, sans soucier de l'interruption, continua son récit, expliquant que la Bête avait exigé qu'il lui ramène une de ses filles à marier sous peine de passer le restant de ses jours enfermé au cachot.
— Tu n'as pu accepter pareil marché ! s'insurgea la plus âgée des sœurs.
— Il a l'air riche, n'est-ce pas intéressant ? lança le cadet.
— Ce n'est pas le problème ! Il faut être fou pour réclamer l'emprisonnement à perpétuité pour quelque chose d'aussi éphémère qu'une rose. Avec de telles exigences, rien ne dit qu'il veuille nous épouser. Il va plutôt nous torturer et nous tuer.
— J'irai, intervint Beau.

vendredi 23 juin 2017

Le Beau et la Bête - 1

Il était une fois un marchand qui possédait une fortune immense et avait six enfants, trois filles et trois garçons qui étaient fort agréables à regarder, surtout le benjamin que tout le monde ne cessait de complimenter, si bien qu'il avait été surnommé Beau. Ses frères et sœurs en avaient conçu une jalousie certaine et se moquaient volontiers de lui. Beau, pourtant, avait excellent caractère et ne tirait aucune fierté ni de son apparence ni des richesses de son père. Il passait le plus clair de son temps le nez fourré dans un livre, sans se soucier des habits qu'il portait et c'est tout juste s'il donnait un coup de peigne à ses cheveux auburn.
A l'opposé ses deux frères et trois sœurs traînaient devant les miroirs, changeant sans cesse de tenue, se rendant de bals en festivités, ne recherchant que la compagnie de la bonne société. Ils voulaient épouser des gens de la noblesse et méprisaient les filles et fils de marchands moins riches qu'eux.

Un jour, cependant, la roue de la fortune tourna et le marchand, suite à de mauvais placements et la perte de plusieurs navires à marchandises, se retrouva forcé de quitter la ville pour une modeste maison à la campagne.
A l'idée de mener une vie de paysan, les aînés pâlirent et blâmèrent leur père. Ils tentèrent bien de se marier en urgence, mais désormais sans le sou, ils n'étaient plus de bons partis et toutes les portes leur furent fermées.
Beau, lui, accepta plus facilement la situation, même si sa bibliothèque se réduisit à une poignée de livres. A la différence de ses frères, il ne rechigna pas à labourer la terre et comme ses sœurs ne faisaient que pleurer et se lamenter, il se chargea même du ménage et de la préparation des repas.
Au début, ses tâches physiques l'épuisèrent, lui qui n'était pas habitué à s'activer autant, puis il s'endurcit, son corps mince se musclant et sa peau pâle dorant au soleil.
Il devint encore plus beau, agaçant encore davantage ses frères et sœurs qui se mirent à le railler plus cruellement encore.
De nature généreuse, Beau leur pardonnait. Il abattait plus d'ouvrage qu'eux tous réunis, mais pouvait encore se poser parfois pour lire un peu, là où ses sœurs et frères étaient définitivement privés de leur plaisir : se vêtir élégamment et sortir.

jeudi 22 juin 2017

A travers les millénaires - 65 (fin)

— Merci, fut le premier mot que Joan prononça.
Zark regretta de ne pas être en mesure de lui sourire. Ce n'était pas quelque chose que les saturniens pouvaient faire.
— Je n'aurais pas réussi sans aide, déclara-t-il modestement.
Il avait envie de l'enlacer, même s'il avait plein de monde autour d'eux, mais avait trop peur que Joan ne le prenne mal et ne le repousse.
Ce fut Joan qui l'attira à lui et posa ses lèvres sur les siennes.
— Est-ce que cet humain vous dérange ? intervint un végalien.
— Pas du tout, assura Zark, sa peau scintillant de plaisir.
Il espérait que Joan ne l'avait pas embrassé que pour le remercier.
— C'est même plutôt le contraire. Nous étions amants dans une autre vie, enchérit Joan.
— Vous faites partie du groupe des réincarnés, dit le végalien, agitant sa trompe en signe de compréhension.
— Éloignons d'ici, suggéra Zark.
Joan le suivit, mais évidemment, ils attiraient les regards. Un humain et un saturnien foulant ensemble le sol de Végalie, voilà une chose qui ne s'était pas produit depuis des siècles.
D'autres végaliens les abordèrent. Zark finit par suggérer qu'ils se rendent à sa chambre d'hôtel.
— Toujours pressé de me mettre dans ton lit, hein...
Zark protesta faiblement, puis s'immobilisa. Il n'avait pas eu l'occasion de lui raconter tout ce qu'ils avaient vécu et partagé depuis la préhistoire. Cette conversation, il l'avait eu avec Hoshi, pas avec Joan.
— Tu te souviens à présent ?
Sa voix était tremblante en posant la question.
— Oui, tout m'est revenu et j'en suis heureux. J'avais tort de croire que je n'étais pas le bon quand je m'appelais Manfred. Même aveugle, tu ne t'étais pas trompé.
— Mon cœur... murmura Zark en l'enlaçant, puis l'embrassant en profondeur.
— Allons à ton hôtel. J'ai envie d'admirer les étoiles, sans attendre la nuit.
Il n'eut pas besoin de le répéter.
Sur le chemin, ils parlèrent à bâtons rompus, leurs doigts entelacés.
Puis, à l'abri des regards, ils caressèrent leurs peaux brûlantes, la blanche de Joan contre la sombre et brillante de Zark. Leurs différences physiques n'avaient pas d'importance. Ils s'étaient une fois de plus retrouvés, deux moitiés qui formaient un tout.
Entre deux baisers, Joan lui souffla :
— Je suis content que tu aies affirmé que cela ne te dérangeait pas devoir me reconquérir.
— Tu en doutais ?
— Pas vraiment, parce que tu as été d'une constance admirable des millénaires durant, mais tu pourrais te lasser à la longue, à force.
— Jamais.
Que les circonstances leur soient ou non favorables, qu'ils oublient ou se souviennent, tant qu'il y aurait une étincelle de vie dans l'univers, quelles que soient leurs identités, ils s'aimeraient pour l'éternité.

FIN

mercredi 21 juin 2017

A travers les millénaires - 64

Joan lui adressa un sourire qui illumina ses traits.
— Nous pourrons être en couple à ma sortie.
Zark avait trop vécu pour se faire avoir. Joan n'avait pas vraiment envie qu'ils se mettent ensemble, pas à ce stade de leur relation, il voulait juste être certain que Zark allait continuer à œuvrer pour la libération des humains. Zark ne pouvait l'en blâmer.
— Je n'ai pas besoin de promesse de ta part pour poursuivre dans cette voie.
— Je ne...
— Une fois que tu seras hors de ses murs, nous en reparlerons. Je dois à présent converser avec d'autres prisonniers. A bientôt, mon cœur.
Le mot doux lui avait échappé.
Joan sursauta.
Zark se demanda si cela avait eu un écho chez lui, mais il s'en alla. Il avait eu son compte d'espoirs déçus.
Il fit la connaissance de plusieurs hommes et femmes. Certains avaient de véritables souvenirs de leurs vies antérieures, d'autres non. Les interroger un peu suffisait à les confondre.
Zark ne réussit pas cependant à obtenir la permission de revenir discuter avec les quelques humains ayant la mémoire de leurs vies passées.
En dépit de son envie de reparler à Joan, il repartit sur Sarturne où il continua à mener avec une ardeur renouvelée son combat pour la fermeture des prisons pleines d'humains.
Il lui fallut plus d'un an pour enfin aboutir. Le jour de la libération des humains, il se débrouilla pour être sur Végalie pour attendre Joan à la sortie, laissant ses alliés assister à la libération des humains sur Saturne.
Il n'était pas sûr que son âme sœur apprécie sa présence, mais il ne pouvait risquer que ce dernier aille où bon lui semblait, compromettant ses chances de le revoir. Au minimum, il fallait qu'il sache où il allait résider afin de pouvoir communiquer avec lui.
Il n'avait pas ménagé ses efforts, taraudé par l'envie de le voir et c'était sa récompense que de le revoir enfin, ne serait-ce qu'un instant pour s'enquérir de ce qu'il comptait faire.
Il le repéra immédiatement au milieu de la foule d'humains qui avait reçu chacun une espèce de robe marron. Il n'était pas le seul à patienter. Plein de curieux étaient venus assister à la libération des humains. Il y avait aussi un groupe de protestataires que les forces de l'ordre tenait à distance.
Il l'appela.
Joan se détacha des autres humains pour venir le voir, le rejoignant à grandes enjambées.

mardi 20 juin 2017

A travers les millénaires - 63

Quand il revint le surlendemain, il eut la bonne surprise de retrouver Joan dans la liste qui lui fut communiquée. Est-ce que leur rencontre avait par miracle  réveillé sa mémoire ?
Il demanda à voir Joan en premier. Hélas, ce dernier lui avoua immédiatement qu'il avait menti et pensait d'ailleurs ne pas être le seul à l'avoir fait, juste pour le plaisir d'apporter un peu de nouveauté à un quotidien très morne.
— Je suis déçu et triste, déclara Zark sachant que Joan ne pouvait lire ses émotions sur son visage puisqu'en tant que saturnien, il ne possédait pas d'expressivité faciale.
— Désolé, mais je voulais vraiment te revoir.
Cette affirmation consola un peu Zark.
— Pourquoi ?
— J'aimerai comprendre...
— Reconnaître mon âme sœur au premier coup d'œil est une capacité qui m'est propre et non pas le fait de tous les réincarnés.
— Âme sœur... Dans le sens d'amoureux ?
Zark confirma. Il ne voyait pas l'intérêt de mentir, surtout que Joan avait l'air de prendre tout ça plutôt bien.
— Est-ce que tu as un moyen qui permet aux gens de se souvenir de leurs anciennes vies, via l'hypnotisme ou autre ? Non, parce que ce serait la solution. Le monde entier serait obligé de vous croire.
— Tu as envie de te souvenir ?
— Tout ce que je veux, c'est sortir d'ici. Et j'ai bien peur que votre groupe de réincarné soit notre meilleure chance.
Joan, sans le vouloir, ne cessait de jouer avec les espoirs de Zark.
— Il n'existe pas de méthode pour rendre aux gens leur mémoire d'autrefois, pas encore en tout cas. Le docteur Kazan fait des recherches à ce sujet, mais pour le moment, il n'est arrivé à rien de concret. Mais qui sait peut-être un jour une machine, un médicament ou un parfum susceptible d'aider sera créée, auquel cas, je n'aurais plus à te séduire vie après vie.
— Ce serait une bonne ou une mauvaise chose ? demanda Joan.
Zark se rappela de l'unique fois où croyant à la réincarnation, il lui était tombé dans les bras. Cela avait été agréable, mais au bout du compte, cela ne changeait rien, être à ses côtés était l'essentiel.
— Ce n'est pas devoir te rappeler ce que nous étions l'un pour l'autre qui me pose problème, mais quand nous ne pouvons être ensemble pour des raisons qui nous échappent telles la guerre ou les mentalités.

lundi 19 juin 2017

A travers les millénaires - 62

— J'ai été un homme comme vous dans une autre vie.
— Ah ! J'ai entendu parler de vous au réfectoire, des gardes se moquaient... Le groupe des réincarnés !
— Et toi, trouves-tu cela risible ?
L'homme au crâne rasé pencha la tête sur le côté et réfléchit.
— Je ne sais pas. Je ne me souviens pas d'autre chose que des trente-quatre années que j'ai vécu depuis ma naissance, et encore il ne me reste presque rien de ma petite enfance, alors avant cela... Mais peut-être est-ce possible. En fait, tout ce qui m'intéresse c'est que votre groupe parvienne à nous faire sortir de ces quatre murs. Je n'aimais pas être soldat, mais être prisonnier n'est pas beaucoup mieux. Quand nous nous sommes rendus, je ne m'imaginais pas cela.
Zark buvait chacune de ses paroles, appréciant qu'en dépit de son agressivité initiale, il se montre bavard.
Il mourrait d'envie de lui révéler ce qu'il représentait pour lui, mais n'était pas sûr que ce soit judicieux.
— Cette façon que tu as de me regarder devient gênante.
— Désolé, déclara Zark. Toi et moi, nous avons un passé commun et peut-être un futur.
— Hein ?
— Dis-moi ton nom, s'il-te-plaît.
— Joan. Et maintenant, tu peux m'expliquer d'où tu me connais ? Tu as l'air trop jeune pour avoir combattu et hormis sur le champ de bataille,  je ne vois pas... Oh... Tu veux dire... dans d'autres vies... Mais je ne dois pas avoir la même tête... C'est fou !
— Tu dis toujours ça, s'amusa Zark.
Il avait l'impression de nager dans le bonheur tellement il était heureux de passer un moment avec son âme sœur. L'intervention de son guide végalien le fit retomber sur terre.
— Nous n'allons pas passer toute la journée là quand même.
— Je reviendrai, promit Zark à Joan, juste avant que le végalien ne coupe la canal de communication.
Zark eut du mal à s'intéresser au reste du tour de la prison, mais une fois face au directeur de la prison dont la fille avait des réminiscences, il morigéna et se força de se concentrer.
Même s'il voulait revoir Joan et vite, il ne devait pas perdre de vue son objectif premier : faire libérer les humains, tous sans exception.
A la fin de son plaidoyer pour un univers où  ils vivraient à nouveau tous en paix et en harmonie comme ils avaient déjà réussi par le passé, il ne put toutefois se retenir de négocier une nouvelle visite afin de s'enquérir si certains des prisonniers possédaient des souvenirs de leurs vies antérieures.
Le directeur lui accorda la permission, lui proposant même aimablement de passer une annonce permettant aux réincarnés de se manifester d'eux-mêmes. Zark pourrait ainsi discuter avec eux en priorité.

vendredi 16 juin 2017

A travers les millénaires - 61

Zark finit par obtenir le droit de visiter les prisons pleines d'humains et put ainsi dénoncer les conditions dans lesquels ils étaient détenus. Certains étaient plus mal lotis que d'autres. Ainsi, sur Uranus, ils étaient maintenus couchés dans ce qui s'apparentait fort à des cercueils.
C'est en visitant l'une des prisons de Végalie qu'il le vit, debout dans une étroite cellule pas plus large qu'un placard à balai derrière une paroi transparente. Il s'arrêta devant l'homme d'une trentaine d'années au crâne rasé vêtu d'un simple slip.
Le garde chargé de la visite revint sur ses pas.
— Il y a un problème ?
— Non, mais je voudrais parler à ce prisonnier. Est-ce possible ?
— Pourquoi lui ?
— Est-ce que par hasard vous auriez lu mon article sur les liens existant entre les âmes ?
Le garde secoua sa trompe, tout en remuant sa grosse queues reptilienne.
— Oui. Mais comment pouvez-vous savoir que vous avez connu ce type dans une autre vie ?
Zark, sans quitter des yeux l'homme qui abritait l'âme de son cher cœur, tâcha de trouver les bons arguments face au palpable scepticisme du végalien.
Ce n'était pas facile de le convaincre alors qu'il brûlait de parler à celui qui se tenait debout dans sa cellule et les regardait.
Le végalien finit heureusement par lui montrer l'interphone qui permettait d'entrer en communication avec le prisonnier et leur laissa même un semblant d'intimité en s'éloignant de quelques pas.
Zark appuya sur le bouton, le cœur battant à tout rompre, la gorge sèche.
— Bonjour. Je m'appelle Zark et toi ?
— Qu'est-ce qu'un saturnien vient faire sur Végalie ? Ici, c'est une prison, pas un zoo, que je sache !
Son agressivité peina Zark. Conquérir son cœur s'annonçait compliqué, mais au moins, il l'avait retrouvé et il œuvrait pour sa libération.
Il était convaincu depuis le début du bien fondé de son entreprise, mais était à présent encore plus content d'avoir osé se lancer dedans. Sans lui répondre, car il ne savait par où commencer, il posa les mains contre la paroi transparente qui les séparait, désireux d'être plus proche de lui.
— Que me voulez-vous ? Est-ce que je vais être transféré dans une prison saturnienne ?
Sentant son inquiétude sous ses airs bravaches, Zark recouvra l'usage de la parole :
— Je souhaite le meilleur pour les humains. 
Vous seriez bien le premier saturnien dans ce cas.

jeudi 15 juin 2017

A travers les millénaires - 60

Toutes les batailles qu'ils avaient menées étaient ridicules puisqu'au fond, ils étaient tous semblables, tous des âmes susceptibles de se réincarner.
Zark n'avait jamais vraiment utilisé pour la bonne cause sa connaissance intime des millénaires passés, mais il était temps qu'il le fasse, car il n'était plus un cas isolé. Enfin, peut-être y en avait-il plus qu'il ne le croyait autrefois, c'est juste qu'il n'avait jamais vraiment cherché auparavant des gens qui, comme lui, se rappelaient avoir eu d'autres identités parce qu'il avait été trop traité de fou des siècles durant et aussi parce qu'il avait toujours été plus intéressé par retrouver Kuma, ou plus exactement ceux et celles qu'il avait été ensuite.
— Te voilà bien pensif, commenta la femme du docteur alias Svein.
Zark évoqua le projet qui venait de germer dans son esprit. Ses deux camarades, bien que trouvant son idée ambitieuse, l'approuvèrent.
 
 Au grand dam de sa mère, Zark abandonna complètement ses études pour se consacrer à son projet. Il rencontra plusieurs patients du docteur Kazan qu'il avait tous croisés au moins fois dans une de ses vies antérieures et se servit de leur témoignage pour lancer un appel sur le Réseau.
Il multiplia les messages et les réunions entre gens qui se souvenaient. Si les débuts furent timides, les choses prirent vite de l'ampleur.
A chaque message reçu, il espérait malgré lui que ce soit son âme sœur qui lui écrive, et à chaque rencontre il se demandait s'il n'allait pas se retrouver en sa présence, quand bien même les précédents échanges ne le laissaient pas penser.
Il essuya aussi des critiques de saturniens incrédules qui se refusaient à envisager que certains d'entre eux aient pu être humains, pour lesquels la réincarnation était impossible.
Zark les ignorait et continua à rassembler de monde autour de lui.
Quand il jugea qu'ils étaient assez nombreux, il mit en branle la deuxième partie de son projet : faire libérer les humains.
Même parmi ceux qui se souvenaient ne pas avoir toujours été des saturniens, il rencontra de l'opposition. Il obtint cependant le soutien de la majorité. Ils furent plusieurs centaines à manifester, puis des milliers, une fois que les saturniens qui ne possédaient pas de souvenirs, mais étaient d'accord avec eux concernant l'enfermement humains, les eurent rejoints. Ils ne croyaient pas tous à la réincarnation, mais considéraient que cela n'avait pas de sens de garder les humains en prison alors qu'ils n'étaient pas des criminels : soit la guerre était finie, soit elle ne l'était pas.

mercredi 14 juin 2017

A travers les millénaires - 59

Ils discutaient à bâtons rompus quand l'autre saturnien arriva. Il était tout jeune, son anneau encore petit. Il s'étonna de leur complicité, qu'ils tâchèrent de lui expliquer.
— Mais donne-nous donc les noms que tu as porté, peut-être que toi aussi, nous t'avons connu autrefois, suggéra Zark.
Le jeune saturnien s'exécuta. Dans la longue liste, rien n'éveilla quoi que ce soit, si ce n'est  Ghao.
Zark le coupa.
— Nous avons partagé une cage.
Le jeune saturnien tapota son front du doigt.
— Wen ?
— Oui, c'était moi.
— C'est toi qui m'a aidé à accepter que ces rêves qui me tourmentait tant étaient des souvenirs, comme me l'affirmait le docteur Kazan.
— Tant mieux. Tu ne me prends plus pour un fou maintenant...
— Non, évidemment pas. Comment cela s'est fini avec Hoshi, après que je me sois échappé grâce à lui ?
Zark lui raconta sa vie d'humain de compagnie.
— Heureusement que cette mode n'a pas duré, conclut-il.
— On dirait bien que je n'étais pas là pour vous aider dans cette vie, intervint la femme de Kazan.
— Apparemment, vous avez plus de souvenirs communs.
— Oui. Mais tout de même qu'on se soit connu, ne serait-ce qu'une fois et qu'on se retrouve, cela prouve bien que les âmes sont liées, dit Zark.
C'était quelque chose de fort, mais ce qui l'était davantage, c'était la manière dont ils avaient changé de camp, anciens humains renaissant saturniens.
Mais c'était logique : le nombre d'hommes s'étant réduit à une peau de chagrin, il avait bien fallu que leurs âmes se réfugient quelque part.
Cela signifiait que les humains n'avaient pas leur place en prison. Ils avaient été assez punis en perdant leur planète, suite à un emploi combiné d'armes aussi différentes que dangereuses...
Zark se souvint alors des paroles de Manfred sur la manière dont la mémoire des vies antérieures auraient pu rendre les gens plus sages vis à vis de la guerre et ce qu'il devait faire lui apparut avec clarté.
Il fallait qu'il rassemble tous ceux qui se souvenaient, faire libérer les humains et mettre ainsi véritablement au conflit qui les avait opposés de façon définitive.

mardi 13 juin 2017

A travers les millénaires - 58

— Je respecterai les décisions de tous ceux qui ont des réminiscences, libres à eux de discuter ou pas avec moi.
— Vous escomptez retrouver votre âme sœur parmi eux ?
Zark avait bien cet espoir, mais ce n'était pas sa seule motivation. Il voulait échanger avec d'autres ayant la même expérience que lui, qui se souvenaient avoir été humain et s'être battu contre sa propre espèces, d'avoir connu des morts atroces et d'avoir eu tant d'identités différentes qu'ils en avaient le tournis.
Le docteur Kazan avait beau lui prêter une oreille attentive, il ne pouvait vraiment comprendre ce que c'était. Par ailleurs, par le passé, il n'avait eu que trop rarement l'occasion de partager cela avec d'autres, n'ayant rencontré personne possédant la mémoire de ses vies antérieures.
— J'en serais ravi...
— Peut-être n'est-ce pas un saturnien. Cela pourrait être très bien un végalien, un uranien ou... un humain.
Zark n'avait pas envisagé cela. Il aurait dû pourtant. Les urnaniens n'étaient que de grosses boules et les végaliens étaient massifs avec des trompes en guise de nez et de grandes queues. Mais au fond, cela n'avait pas d'importance. Il lui avait assuré, il y a longtemps et il était sincère... « que tu sois homme, femme, hermaphrodite ou que sais-je encore, je te séduirai autant de fois qu'il faudra, pour l'éternité. » C'était tout de même plus simple d'être de la même espèce.
 
Il se passa de longs jours avant qu'un des patients de Kazan ne prenne contact avec lui par le réseau. Dans la foulée, il reçut un message de la femme du docteur. Il offrit qu'ils se rencontrent tous les trois autour d'une tasse de sirop de santhe et reçut des réponses positives.
C'est avec impatience qu'il attendit le jour du rendez-vous et il s'y rendit à l'avance. Il eut la bonne surprise d'être rejoint plus tôt que prévu par la femme de Kazan.
Il avait eu l'intention de se présenter en donnant tous les noms qu'il avait eu du premier jusqu'au dernier, mais elle l'interrompit assez tôt dans son énumération.
Il crut qu'il l'avait lassée jusqu'à ce qu'elle lui annonce d'une voix émue qu'elle s'était appelée Svein. Son frère viking. Celui avec qui il avait déjà partagé des souvenirs, quelques siècles plutôt, à l'hôpital, à l'époque où il était Jem et lui Salomon. Spontanément, ils se donnèrent une accolade très humaine.

lundi 12 juin 2017

A travers les millénaires - 57

Dès qu'il eut admis que ses rêves n'en étaient pas vraiment, les images se mirent à affluer à sa mémoire, plus vives et précises. Des pans entiers de conversations lui revenaient même. 
Il cessa de se rendre en cours. Cela faisait de toute façon déjà un moment qu'il avait du mal à suivre en raison de ses nuits tronqués et plongea dans ses souvenirs.
Au milieu des horreurs de la guerre qu'il avait apparemment menée durant des siècles du mauvais côté de la barrière, tranchant des anneaux, il y avait cet amour pur et éblouissant.
Autant il aurait aimé oublier tous ceux qu'ils avaient dû tuer et toutes les souffrances qu'il avait causées et subies, autant il voulait préserver la mémoire de cet âme qui avait traversé les millénaires à ses côtés. En lui, naissait l'espoir de retrouver une fois encore Kuma.

    Quand il retourna chez le médecin, il lui demanda s'il pouvait le mettre en relation avec ses autres patients qui étaient comme lui. D'abord, le docteur Kazan refusa, question de secret professionnel, puis il dit qu'il parlerait aux personnes concernées et communiquerait ses coordonnées. Ainsi, s'ils souhaitaient contacter Zark, ils le feraient.
Zark dut se contenter de cela. Après quoi, il se confia sur certaines morts épouvantables qu'il avait vécues. En fin de séance, il mentionna son âme sœur. Kazan fut très intéressé, car aucun de ses autres patients se rappelant de leurs réincarnations n'avaient abordé le sujet. Sa femme, par contre, avait affirmé qu'il était son âme sœur. Elle l'avait reconnu avec son cœur cependant, et pas au premier regard. C'était d'ailleurs pour cela qu'elle avait longtemps rechigné à s'unir à lui.
— Est-ce que votre femme accepterait de me rencontrer ?
— Je ne sais pas si mélanger ainsi ma vie privée et professionnelle... commença Kazan.
— Ce n'est pas vous que je veux voir en dehors des murs de votre cabinet, argua Zark. Vous n'avez pas à craindre que je la séduise puisque vous êtes le bon.
— Je n'ai pas de crainte de ce genre. Je suppose que c'est à elle de décider si elle veut ou pas faire votre connaissance.  Mais je vous prierai de ne plus insister si elle refuse, ou alors vous vous passerez de mes services.

vendredi 9 juin 2017

A travers les millénaires - 56

Le premier docteur que consulta Zark ne lui fut d'aucune aide, le second non plus, les somnifères ne résolvant en rien son problème. Le troisième se contenta de le renvoyer à un de ses confrères qui, apparemment, avait déjà eu affaire à ce genre de cas.
C'est un peu désabusé que Zark prit la navette pour rencontrer le docteur Kazan. Ce dernier l'écouta attentivement parler de ses rêves bizarres qui empiétaient sur ses temps d'éveil et l'empêchaient de se reposer.
— Vous n'êtes pas le premier à venir me consulter pour cela. Beaucoup de saturniens sont troublés. Ses rêves n'en sont pas, ce sont des souvenirs de vos vies passées.
Zark ne s'insurgea pas. Il ne pouvait nier chaque fois s'être identifié à l'un des humains, comme s'il était l'un d'eux.
— Mais je suis un saturnien.
— Je ne dis pas le contraire, mais vous avez été humain. Même si la réincarnation n'est en effet pas une croyance saturnienne, nous partageons le concept d'âme avec les humains.
Zark avait quand même du mal à accepter qu'il ait pu être humain autant de fois et qu'il était lié à un autre qu'il reconnaissait toujours quels que soient les traits de son visage.
— Comment faire pour que ses images arrêtent de tourner dans ma tête?
— Il n'existe pas de véritable médicament pour oublier, pas encore en tout cas. Peut-être dans quelques siècles.
Zark déglutit. Il se sentait si fatigué.
— Il n'y avait vraiment aucun moyen ?
— Certains souvenirs sont-ils traumatiques ?
— Oui. Et puis, c'est une question d'identité. Je suis un saturnien. Les humains sont nos ennemis.
— Il fut pourtant un temps où nous avions réussi à vivre en bons termes avec eux. Racontez donc moi ce qui vous perturbe...
— Je crois que je vais devoir d'abord digérer que mes cauchemars n'en sont pas, mais une réalité passée.
— Très bien, mais reprenons rendez-vous, voulez-vous ?
Zark accepta.
Sur le pas de la porte, avant de partir, il demanda :
— Est-ce que vous avez mémoire de vos vies antérieures, vous aussi ?
— Non, pas moi, mais ma femme, oui.
Zark aurait aimé que le médecin soit fou, mais ce qu'il avait affirmé collait avec son propre ressenti, même si jusque là, il s'était refusé à croire qu'il soit possible qu'autrefois, il ait été humain.

jeudi 8 juin 2017

A travers les millénaires - 55


3700. Zark se réveilla dans sa couchette pas reposé du tout. Il avait passé une mauvaise nuit, encore une. C'était comme ça depuis sont dix-huitième anniversaire et il en avait assez de ses drôles de rêves qui perturbaient son sommeil.
Il n'avait pas envie de consulter un docteur à cause de cela, mais si cela continuait, il serait obligé de le faire. Il en venait à craindre le moment de dormir, repoussant au maximum le moment de se coucher. Sa mère n'était évidemment pas d'accord avec ça et le houspillait.
— Ton anneau va s'abîmer à force, si tu ne prends pas soin de ta santé.
Zark ne répliquait rien. Il était trop âgé pour croire à ce genre de menace. Par contre, il est vrai qu'à force de rogner sur ses nuits, sa peau devenait terne au lieu de scintiller de mille feux comme celle de ses camarades.
Il n'avait osé pour le moment se confier à personne. Comment expliquer à quiconque qu'il ne cessait de rêver d'êtres humains, s'imaginant en être un ? Il n'en avait jamais vu en chair et en os pourtant. Ces derniers avaient admis leur défaite alors qu'il restait un peu moins d'un million d'entre eux, eux qui avaient été un jour des milliards.
Actuellement, ils étaient répartis dans de grandes prisons sur Saturne, Végalie et Unarus. Personne ne savait trop quoi faire d'eux.
La mode des humains de compagnie n'avait pas pris. Elle soulevait trop de problèmes éthiques et puis les humains étaient dangereux et il y en avait toujours pour se rebeller et résister. C'était aussi pourquoi ils n'avaient été relégués au rang d'esclave. Les humains ne se résignaient pas à être sous le joug de quiconque. Même dans les prisons, il fallait étouffer des soulèvements, mais jusque là, aucun humain n'était parvenu à s'échapper pour aller organiser quelque guérilla.
L'univers était à nouveau en paix, mais Zark lui n'était pas tranquille. Les êtres humains le hantaient. Pourtant, il n'en avait pas peur. Et d'ailleurs, il était sûr qu'il aurait fait un excellent soldat.
Zark commença à s'inquiéter vraiment, quand il se mit à rêver, même éveillé. Il voyait des scènes avec des tas d'humains costumés de façon différente. Certains ressemblaient à peine à des hommes d'ailleurs. Ils étaient vêtus de peaux de bêtes. D'autres étaient drapés dans de grands tissus. D'autres encore portaient d'étranges trucs poudrés sur la tête.
Ils chassaient, se baignaient, se parlaient et s'embrassaient. Et puis il y avait aussi ce saturnien qui faisait l'amour à un homme. C'était si excitant que c'en était perturbant.
Certains rêves qu'il les fasse les yeux ouverts ou pas, étaient plutôt plaisants, mais d'autres étaient beaucoup moins agréables et même franchement horribles avec des combats et des morts toutes plus épouvantables que les précédentes.