lundi 15 octobre 2012

A travers les âges - 6

Kuma serra son pieu et de sa main libre, effleura son tout nouvel habit en peau d'ours, le fruit de sa chasse initiatique. Elle lui avait porté chance. C'est lui qui avait donné le coup de fatal à l'auroch, en lui perçant l'oeil avec son arme.
Ils étaient en vue des tentes à présent, mais personne ne vint les accueillir. Ce n'était pas normal et aussitôt, Kuma fut en alerte, de même que les chasseurs expérimentés du groupe. Les autres jeunes, eux, ne s'étaient rendus compte de rien et continuaient à parler fort.
Golo, le chef de leur groupe de chasseurs, les fit taire. Ils pénètrent dans le camp avec prudence et entendirent enfin les femmes, les enfants et les anciens. Leurs voix n'étaient ni alarmées ni inquiètes. Les battements du cœur de Kuma décrurent. Quoiqu'il se soit passé, il n'y avait désormais plus de danger. Au centre des tentes, l'ensemble du clan était réuni et formait un cercle autour de quelque chose... Non, de quelqu'un. Des bribes de bavardages, Kuma comprit qu'un étranger avait sauvé des griffes d'un tigre aux dents de sabre deux femmes du clan qui s'étaient aventurées trop loin durant la cueillette. Golo, avec autorité, se fraya un passage dans le cercle. A sa suite, le reste des chasseurs s'engouffra dans la brèche, curieux de voir l'étranger.
C'était un homme au visage de brute au front bas, aux cheveux épais, doté d'énormes sourcils et de membres massifs. A ses pieds, était étalé le cadavre du tigre aux dents de sabre.
L'histoire du sauvetage fut racontée en détails pour les nouveaux arrivants, mais Kuma n'écouta pas, il ne pouvait détacher ses yeux de l'étranger. Il était fasciné de voir à quel point il leur ressemblait et à quel point il était différent d'eux. Plus trapu, plus sauvage. Leurs regards se croisèrent. Kuma déglutit et s'intéressa au cadavre du tigre.
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Désolée pour ce court épisode. J'ai trop de soucis de santé ces derniers temps. L'histoire est donc mis en pause jusqu'au 2 novembre, j'espère que j'aurais retrouvé la forme d'ici là.

vendredi 12 octobre 2012

A travers les âges - 5

– A l'origine, je pensais que nous pourrions bavarder dehors, mais le temps ne s'y prête pas et c'est un euphémisme.
Dake jeta un coup d'oeil par la fenêtre. Les nuages noirs qui s'étaient accumulés dans le ciel depuis le début de l'après-midi avaient fini par crever et une pluie fine tombait.
– C'est sûr, approuva-t-il.
– J'ai envisagé que nous nous rendions chez moi, mais à la réflexion, cela ne m'a pas semblé souhaitable. Et comme dans un café nous risquerions d'être remarqués, surtout avec ton uniforme, j'ai opté pour que nous restions au lycée. J'ai consulté tous les emplois du temps et j'ai trouvé une salle de classe qui était libre à cette heure-là  et où nous serons tranquilles.
– En quoi, est-ce que mieux que chez vous ? Et entre la rue et le café, qu'est-ce que cela change au fond ?
Dake avait bien une petite idée des réponses, mais il était curieux de voir comment le professeur d'histoire allait se justifier.
– Une salle de classe n'a rien de très intime en comparaison avec un appartement et discuter dans la rue où nous avons pu nous croiser par hasard n'a rien de trop étonnant. Un élève et un prof au café ensemble, cela l'est déjà plus.
M.Toukka termina dans un murmure. Ils s'approchaient d'un groupe d'élèves. Tant qu'ils y eurent du monde, ils gardèrent le silence, puis comme M.Toukka semblait un peu perdu, Dake lui suggéra de lui communiquer le numéro de la salle.
– Il s'agit de la 303.
– Nous allons carrément dans la direction opposée, soupira Dake.
Prenant la tête, il les amena à bon port. Le professeur sortit alors un lourd trousseau de clef de la poche de sa veste de costume, et en essaya plusieurs avant de parvenir à ouvrir enfin la salle. Il invita d'un geste galant l'adolescent à entrer, ce que ce dernier fit non sans avoir une bizarre impression de déjà-vu. Et pourtant, en tant que garçon, c'était plus que rare qu'on lui tienne la porte.
Dake haussa les épaules et alla s'installer au premier rang, juste en face du bureau du professeur. C'était en général une place que tous les élèves, mêmes les bons, évitaient, car il était désagréable d'être pile sous le nez du prof. Cependant, Dake, lui, s'en moquait, et ce n'était pas seulement parce que cela n'était pas un véritable cours. M.Toukka lança un regard déçu au sac à dos que l'adolescent avait posé sur la chaise à côté de la sienne et grimpa sur l'estrade. Il appuya sa sacoche contre le bureau, puis s'empara d'une craie et écrivit quelques mots sur le tableau noir, tout en parlant.
– Nous nous sommes rencontrés pour la première fois, il y a environ 40 000 ans, j'étais un néanderthalien appelé Iol et toi un homo sapiens autrement dit homme de Cromagnon, répondant au nom de Kuma, appartenant au clan des Trois Silex.
Ayant noté la date et les noms, M.Toukka se tourna vers l'adolescent, l'enveloppa d'un regard pénétrant et commença son récit.
En quelques mots, Dake oublia la pluie qui battait aux carreaux, la salle de classe à la peinture fatiguée, le professeur et jusqu'à son nom...
Il s'appelait Kuma. Il revenait de la chasse, les bras et les jambes fatigués, mais fier de la viande que lui et ses compagnons rapportait au clan.

jeudi 11 octobre 2012

A travers les âges - 4

Dake étouffa un bâillement. Il avait eu un sommeil agité, peuplé de rêves étranges où le nouveau professeur d'histoire agitait une peau d'ours devant son nez, en lui donnant du « mon cœur » à tout bout de champ. Il en voulait à M.Toukka et à ses histoires à dormir debout. Et en même temps, il n'avait qu'une hâte que les cours de la journée se terminent afin de le revoir et de l'écouter le baratiner sur ses vies antérieures. L'ennui, c'est qu'ils n'avaient fixé aucun lieu pour se retrouver, ni même heure, si bien que Dake se demandait bien s'il aurait vraiment l'occasion d'entendre les fabulations de M.Toukka aujourd'hui.
Cela le contrariait, ce qui était idiot puisque de toute façon, il avait cours d'histoire le lendemain et qu'au pire, il le verrait à ce moment-là, ce qui leur donnerait la possibilité de fixer un rendez-vous en bonne et due forme, à moins qu'entre-temps, M.Toukka soit redevenu saint d'esprit.
Quand, enfin la cloche marquant la fin du dernier cours de la journée, retentit, Dake eut la bonne surprise de retrouver le nouveau professeur d'histoire dans le couloir. Ce dernier avait dû consulter l'emploi du temps de leur classe.
M.Toukka marcha droit sur lui et déclara d'une voix forte, en agitant le bouquin qu'il tenait à la main :
– M. Tomahé, j'ai apporté le livre sur la préhistoire dont nous avions discuté hier. Comme convenu, je vous le prête.
– Mais... protesta Dake avant de s'interrompre de lui-même, comprenant que c'était en quelque sorte "l'alibi" de M.Toukka. Cela justifiait qu'il soit là, à l'attendre à la porte. Merci monsieur, reprit Dake, en prenant le livre qui lui était tendu.
Il lut machinalement le titre « Regards sur la préhistoire des hommes », mais ce fut le nom de l'auteur qui le frappa : « Noah Toukka. » Maintenant, il savait le prénom de son professeur.
– J'aurais encore quelques questions à vous poser, monsieur, continua l'adolescent.
– Juste une alors, mais venez, nous bloquons le passage et empêchons vos camarades de sortir.
Dake suivit aussitôt M.Toukka, indifférent aux commentaires que cela succitait chez les autres élèves.
– Tu savais, toi qu'il était passionné par l'histoire ?
– Non, il n'a jamais l'air intéressé par rien d'habitude...
M.Toukka accéléra le pas et ils furent bientôt hors de portée de voix.
– Où va-t-on ? demanda Dake.

mercredi 10 octobre 2012

Le Beau au bois dormant - 5

L'enchanteresse transformée  hurla de douleur et de colère. Elle voulut ensuite arracher la tête d'Aaron, mais c'était sans compter sur le fidèle Eclipse qui se lança à son tour à l'assaut, en envoyant un coup de sabot dans le ventre du dragon. Les mâchoires du reptile claquèrent dans le vide. Aaron et Crépuscule portèrent un d'autres coups. Ces nouvelles blessures firent perdre à l'enchanteresse sa forme monstrueuse. Emportés dans leur élan, les deux princes l'achevèrent. La vieille enchanteresse s'écroula sur le sol, chercha à prononcer une dernière malédiction et expira dans un râle.
Les deux princes tombèrent dans les bras l'un de l'autre, soulagés d'avoir triomphé du monstre, même si ce dernier s'était révélé une personne. Avoir vu la mort de près les avait rapprochés. Aaron captura impulsivement les lèvres de Crépuscule, transformant l'étreinte virile en un baiser fougueux qui exprimait tout son amour. Crépuscule, loin de résister, y répondit.
La fée plus si jeune que ça qui était montée en haut de la plus haute tour du château pour guetter le retour de son protégé et qui avait vu le dragon, arriva à tire d'ailes juste à ce moment-là. Elle identifia la vieille enchanteresse, puis avec un raclement de gorge embarrassé, elle signala sa présence et rappela à Crépuscule que chez lui, tout le monde attendait son retour.
Les deux princes se détachèrent l'un de l'autre, à regret.
Aaron avait bien envie de sauter sur son fidèle destrier, d'attraper Crépuscule par la taille et de l'emmener très loin, afin qu'ils puissent s'aimer en paix. Hélas, il avait le devoir d'annoncer à sa sœur Amandine que le Beau au bois dormant s'était réveillé et aurait son mot à dire sur un éventuel mariage. Quant à Crépuscule, même s'il semblait partager son amour, ce qui le ravissait, sa place était auprès de sa famille et non pas à ses côtés.
– Nous allons chacun rentrer chez nous, annonça-t-il.
– Ta sœur risque de ne pas te pardonner, objecta Crépuscule. Viens plutôt moi.
– Je doute que tes parents m'accueillent à bras ouverts. Je suis en quelque sorte ton ravisseur,  en jetant un coup d'œil gêné à la fée qui les observait en silence, les bras croisés.
– Tu n'as fait qu'obéir à des ordres et tu me ramenais ! Et puis, de toute façon, sans toi, cette femme dragon m'aurait tué.
– Nous nous sommes mutuellement sauvés la vie.
– Peu importe, dans mon sommeil, je t'entendais. J'ai envie d'apprendre à te connaître... et à t'aimer.
A ces mots, la résolution d'Aaron se fissura. Sa soeur Amandine ne méritait pas vraiment d'être informée...
La fée se décida enfin à intervenir dans la discussion des deux princes :
– Je me charge de tout. J'annoncerai à ta soeur que le Beau au bois dormant n'est plus, puisqu'il est désormais éveillé et je me chargerai d'expliquer aux parents de Crépuscule qu'ils auront un gendre au lieu d'une bru.
Aaron, même s'il doutait que la famille de Crépuscule prenne bien la nouvelle, accompagna ce dernier et la fée jusqu'au château autour duquel les ronces avaient désormais disparu, remplacées par des fleurs multicolores.
Ils furent accueillis avec joie et émotion. Le roi et la reine serrèrent contre leur cœur leur fils chéri qu'ils avaient craint ne jamais revoir et adressèrent de chaleureux remerciements à la fée qui en profita pour introduire Aaron auprès d'eux, racontant la bravoure dont il avait fait preuve et comment lui et Crépuscule avaient pourfendu la vile enchanteresse métamorphosée en dragon. Pour finir, elle révéla leur amour. Le roi et la reine qui n'avaient pas dormi durant un siècle pour empêcher leur fils chéri d'être heureux, approuvèrent leur union.
Et c'est ainsi qu'Aaron et Crépuscule se marièrent et furent heureux à tout jamais.

FIN


mardi 9 octobre 2012

Le Beau au bois dormant - 4

– Quoi... comment... ? souffla Crépuscule.
Aaron expliqua alors la légende et comment sa sœur lui avait demandé d'aller le chercher, ce qu'il avait fait avant de réaliser que c'était mal de ne pas tenir compte de ce que voulait le prince endormi.
En l'écoutant, Crépuscule dont le dernier souvenir avait été de décrocher une magnifique épée, se rappela des rêves étranges qu'il avait fait durant son long sommeil. La voix de Aaron ne lui était pas inconnue. Cet homme lui avait déjà parlé. Il l'avait complimenté sur sa beauté, porté, soutenu... et même rhabillé après qu'une femme, une certaine Amandine, l'ait dévêtu, pincé et touché sans vergogne. Crépuscule avait détesté être manipulé comme une poupée, mais endormi, il avait subi sans pouvoir rien faire, croyant cauchemarder alors que c'était la réalité. Le corps de Crépuscule fut parcouru de frissons.
– Cela ne va pas ? s'enquit Aaron avec sollicitude.
Crépuscule ne répondit pas. Il ne savait pas s'il devait être furieux contre Aaron de l'avoir arraché à son château ou au contraire le remercier d'avoir finalement décidé de l'y ramener. Une chose était certaine, il ne s'était permis aucune privauté, alors même qu'il semblait être sous le charme  de sa personne.
Pendant ce temps, les habitants du château du Beau au bois dormant sortaient à leur tour du sommeil. Le roi et la reine découvrirent vite que leur fils n'était plus couché dans sa chambre. Ils s'affolèrent et appelèrent à cors et à cris la fée responsable de leurs cent années passées à dormir.
Cette dernière qui était désormais une fée expérimentée, arriva promptement et agitant sa baguette magique, elle put leur apprendre que leur fils était en vie et qu'il n'allait pas tarder à revenir, en compagnie d'un autre prince.
Au même moment, au château de la princesse Amandine, la disparition du Beau au bois dormant et d'Aaron était découverte. Amandine, furieuse, supplia son père d'envoyer une armée de chevaliers pour les ramener et punir son frère. Le roi était sur le point de céder quand la vieille enchanteresse qui guettait le réveil du prince pour se venger qu'on ait détourné son mauvais sort, apparut dans un nuage de fumée noir pour offrir ses services. Amandine, enchantée d'avoir une puissante alliée, s'empressa d'accepter et le roi n'eut plus qu'à s'incliner.
La très vieille enchanteresse se métamorphosa en un gigantesque dragon rouge et en quelques coups d'ailes, elle rejoignit Aaron et Crépuscule qui venaient de se remettre en route.
Crépuscule avait fini par remercier Aaron et se tenait derrière lui sur la croupe d'Eclipse.  Ce fut lui qui vit en premier l'affreux reptile volant et qui prévint son compagnon de route. Aaron enserra les flancs de son cheval pour qu'il accélère l'allure, mais le dragon se posa devant eux, leur barrant la route.
Aaron dégaina son épée et chargea la bête. Cependant, les flammes du reptile l'obligèrent à reculer. Crépuscule qui n'avait pas d'armes ne put qu'admirer la bravoure de son compagnon.
– Je veux récupérer le Beau au bois dormant, écarte-toi ou meurs calciné, cracha le dragon dans un souffle brûlant.
– Jamais ! s'écria Aaron, en brandissant haut son épée. Je le défendrai au péril de ma vie.
– Je peux me battre moi-aussi, glissa Crépuscule à mi-voix.
Aaron lui confia un poignard et son bouclier. Le dragon se gaussa d'eux, ouvrit grand la gueule et expulsa une grande flamme orangée. Seul la promptitude d'Eclipse évita aux deux princes d'être brûlés vifs.
Les deux jeunes hommes établirent un plan en hâte et le mirent aussitôt à exécution. Aaron talonna sa monture et fonça droit vers le dragon. L'enchanteresse métamorphosée rit de leur témérité. Les deux princes sautèrent alors ensemble du dos d'Eclipse et se précipitèrent chacun sur un flanc du dragon.  L'enchanteresse hésita un instant : lequel devait-elle mettre hors d'état de nuire en premier ? Son indécision permit aux deux princes d'enfoncer leurs lames dans son corps reptilien.  

lundi 8 octobre 2012

Le Beau au bois dormant - 3

Amandine visitait également assez souvent celui qu'elle avait arraché à son château de ronces pour en faire son époux et essayait de le réveiller. Elle l'embrassa à plusieurs reprises, sans succès, le pinça un peu partout, en vain.
Une nuit, elle le déshabilla entièrement et se mit à le palper. Elle espérait qu'elle finirait par le toucher à un endroit qui le réveillerait. D'abord, énervée de n'obtenir aucune réaction, elle devint excitée. La peau du prince était douce comme de la soie. Elle osa alors caresser la virilité du Beau au Bois dormant et celle-ci se dressa. La princesse la regarda, fascinée. Elle savait pour avoir surpris des conversations entre des chambrières à quoi cela correspondait et quel plaisir pouvait en découler, si elle le chevauchait. Soudain, avoir un mari endormi lui parut fort intéressant. Il serait dans l'incapacité de l'empêcher de faire quoique ce soit la journée et la nuit, il serait sa chose. Elle était en train de rhabiller son futur époux, car elle préférait attendre d'être mariée avec le  Beau au Bois dormant avant de perdre sa virginité quand Aaron débarqua. Victime d'insomnie, il avait décidé d'aller voir le prince. Il vit le torse nu et les mains de sa sœur sur le pantalon de ce dernier.
– Que fais-tu ici au beau milieu de la nuit ? attaqua Amandine, ennuyée d'avoir été surprise dans une situation pour le moins curieuse.
– Et toi ? répliqua Aaron, sans se démonter.
Ils se défièrent du regard, puis Amandine déclara, comme si cela résolvait tout :
– Je me suis décidée à l'épouser, je l'annoncerai à père demain.
En entendant ça, Aaron pâlit. Il avait espéré que sa sœur renoncerait au Beau au Bois dormant et qu'il pourrait continuer à venir l'admirer.
– Félicitations, dit-il d'une voix étranglée.
– Termine de le revêtir au lieu de bayer aux corneilles, ordonna Amandine. Moi, je suis fatiguée et je vais me coucher, ajouta-t-elle, et elle quitta la pièce.
Aaron souleva le prince endormi avec précaution et lui enfila sa chemise. Au passage, il remarqua la douceur de sa peau et cela éveilla son désir. Ignorant sa coupable érection, il rallongea le Beau au Bois dormant. Il était anéanti en pensant que sa sœur allait l'épouser, gagnant le droit de le déshabiller sans que le pauvre prince ait son mot à dire, puisque toujours il dormait d'un sommeil semblable à la mort. Cette idée fut intolérable à Aaron qui prit la décision de ramener le prince dans son château de ronces où il pourrait dormir en paix, à l'abri de la concupiscence des gens, celle de sa sœur comme de la sienne.
Fort de cette résolution, il prit le  Beau au Bois dormant dans ses bras, le porta jusqu'aux écuries où se trouvait son fidèle destrier et quitta le château en ayant pris soin de dissimuler le corps du prince dans une couverture. Amandine serait furieuse en constatant sa disparition et celle du prince endormi, mais il était prêt à affronter son courroux ainsi que celui du roi, leur père.
Il chevaucha pendant près d'un jour entier sans presque s'arrêter, puis, son destrier se fatiguant, il fit la pause dans une clairière, au bord d'une rivière. Il étendit une couverture sur le sol et y allongea  le  Beau au Bois dormant. Son cheval se mit à brouter l'herbe, heureux de ne plus avoir de fardeau sur le dos. Aaron croqua dans une pomme qu'il avait dans sa besace en contemplant le visage du bel endormi. Cela faisait cent ans que le prince était plongé dans le sommeil et soudain, il ouvrit les yeux. De surprise, Aaron laissa tomber la pomme qu'il tenait.
Le  Beau au Bois dormant se redressa :
– Qui êtes-vous ? Où suis-je ?
Aaron était dans l'incapacité de répondre. Éveillé, son interlocuteur était plus beau que jamais. Ses yeux, d'un violet profond, étaient envoûtants.
Aaron se présenta en bonne due et forme, avant d'expliquer qu'ils étaient à quelques lieux du château du Beau au bois dormant.

vendredi 5 octobre 2012

Le Beau au bois dormant - 2

Le temps passa et les ronces poussèrent autour du château, et la légende du château du Beau au Bois dormant se répandit dans les contrées environnantes jusqu'au jour, où près de cent ans plus tard, elle parvint aux oreilles de la princesse Amandine qui décida qu'elle prendrait comme époux le Beau au Bois dormant. Cependant, comme il n'était pas question qu'elle quitte le confort du palais, elle exigea que son frère Aaron aille chercher celui qui deviendrait son époux.
Le roi, faible devant les caprices de sa fille, appuya sa demande et  Aaron n'eut d'autre choix que d'enfiler son armure, ceindre à sa taille son épée et enfourcher Éclipse, son fidèle destrier pour partir à la recherche du  château du Beau au Bois dormant.
Après plusieurs semaines de vagabondage passé à interroger des voyageurs et des aubergistes, il aperçut enfin la plus haute tour du château qui dépassait de la forêt de ronces. Tout en se frayant un chemin à l'épée à travers l'épaisse végétation, le prince Aaron maudit silencieusement sa sœur qui l'avait forcé à se lancer dans cette aventure. Non, il n'aurait jamais dû aller vérifier pour elle s'il y avait bien, comme le voulait la légende, un prince endormi dans ce château entouré de plantes épineuses. C'était elle qui aurait dû faire le déplacement. Enfin, c'était trop tard pour regretter maintenant. Il était trop engagé pour reculer, et ce, d'autant plus, qu'à peine s'était-il frayé un passage que les ronces repoussaient encore plus vivaces qu'avant. Bénissant sa côte de maille qui le protégeait des épines, Aaron poursuivit sa lente progression et atteignit finalement le château.
Dans les cuisines, les marmitons étaient couchés sur une paillasse. Dans les couloirs, les gardes dormaient debout, appuyés sur leurs lances. Longtemps, Aaron erra avant de découvrir enfin la chambre où était étendu le prince depuis presque cent ans.
Il fut de suite frappé par la beauté du jeune homme. Les cheveux sombres aux reflets violets, les longs cils ourlés, la peau claire, le nez mutin, la bouche semblable à deux pétales de rose, le corps mince et élancé comme un jeune arbre, les mains aux doigts fins posées l'une sur l'autre au-dessus d'une couverture de velours. Une fée avait dû lui octroyer le don de beauté. Aaron essayer de l'éveiller en lui tapotant les joues, puis en lui aspergeant le visage avec un peu d'eau de sa gourde, mais cela ne fonctionna pas. A court d'idée, il souleva le Beau au bois dormant comme s'il avait été une princesse et le porta jusqu'à son destrier où il le déposa comme un vulgaire sac de pommes de terre à l'avant de sa selle. Si sa sœur voulait pour mari un endormi, elle l'aurait !
Contrairement à ce que Aaron craignait, il lui fut plus facile de franchir la barrière de ronces avec son fardeau que sans. Les plantes épineuses s'écartaient cette fois sur leur passage.
Rentrer chez lui, après ça, fut un jeu d'enfant. Dès son retour, sa sœur lui reprocha d'avoir mis autant de temps à accomplir sa mission avant de se plaindre de son manque d'égards envers son futur époux. Le roi approuva sa fille et Aaron fut obligé de présenter des excuses alors qu'il avait pourtant fait de son mieux. Amandine geignit ensuite que le Beau au bois dormant ne bougeait pas d'un cil. Elle réclama un temps de réflexion à son père, n'étant plus si sûre que ça de le vouloir pour époux. Le prince endormi fut donc installé dans une des nombreuses chambres du château qui était destinée aux invités.
Aaron qui aurait dû cesser de s'intéresser à celui qu'il avait ramené pour sa sœur, ne put s'empêcher de lui rendre régulièrement visite. Chaque fois qu'il le voyait son cœur ratait un battement devant sa beauté. Longtemps, il restait à le regarder, évoquant le temps qu'il faisait et les petits riens de sa journée.

jeudi 4 octobre 2012

Le Beau au bois dormant - 1

Il était une fois un roi et une reine qui se désespéraient de ne pas avoir d'enfant. Cependant, un jour, leur souhait finit par être exaucé et la reine mit au monde un beau garçon aux cheveux et aux yeux couleur crépuscule. Pour fêter l'arrivée de l'enfant tant attendu, le roi organisa un grand banquet. Tout le monde y fut convié, du mendiant à la plus petite fée. Hélas, une vieille enchanteresse fut oubliée.
Alors que la fête s'achevait et que les fées pour remercier le roi venaient d'offrir des dons au nouveau-né, elle débarqua, le cœur empli d'amertume de ne pas avoir été invitée. Fonçant sur le berceau, elle déclara :
– Au cours de sa dix-neuvième année, le prince se blessera à une épée et mourra.
Sur cette sinistre prédiction, elle replia sa cape noire sur ses épaules et disparut dans un nuage de fumée pestilentielle.
Tout le monde se regardait, atterré, quand une jeune fée qui ne s'était pas encore penchée sur le berceau où reposait le petit prince, s'approcha. Elle était trop inexpérimentée pour annuler la malédiction de la vieille enchanteresse, mais elle avait assez de pouvoir pour la transformer :
– Quand le prince se blessera, il tombera dans un profond sommeil de cent ans, semblable à la mort.
Le roi qui voulait éviter à son fils un tel sort décréta que le prince ne devrait toucher à aucune épée, qu'elle soit de bois ou d'acier.
Crépuscule, le fils du roi, apprit donc à manier lances, massues, poignards et arcs, mais pas à se servir d'une épée. Cependant, peu après son dix-huitième anniversaire, alors qu'il explorait le château, il découvrit en haut d'une tour une petite salle d'armes ronde où était accrochée au mur une splendide épée à la longue lame étincelante dont la poignée était sertie de saphirs et de diamants. A côté d'elle, les autres armes suspendues dans la pièce étaient ternes. Le prince avait déjà vu des épées et déjà été tenté d'y toucher malgré le fait qu'on lui ait expressément interdit, sans jamais vraiment lui expliquer pourquoi. Cependant, cette épée était si magnifique qu'il ne parvint pas à la quitter des yeux. Il mourait d'envie de la prendre pour la soupeser, mais l'ordre parental le retenait. Alors qu'il détournait le regard, prêt à tourner les talons, malgré la tentation, une vieille dame dont les habits la faisaient ressembler à un corbeau, entra par une petite porte dérobée que Crépuscule n'avait pas remarqué jusqu'alors.
– Un chevalier m'a demandé de lui apporter cette arme, déclara-t-elle en pointant un doigt décharné sur l'épée resplendissante.
Cela parut curieux au prince, mais il ne commenta pas. Il s'écarta galamment pour laisser passer la vieille dame. Elle s'avança à pas lents vers le tabouret qui se trouvait près de la cheminée, le traîna sous le mur où l'épée était suspendue, monta dessus et tendit les mains. Elle était trop petite. La voyant se mettre sur la pointe des pieds en grimaçant, Crépuscule qui était gentil - une fée l'avait doté de cette qualité - décida d'intervenir.
– Permettez-moi de vous aider, lui proposa-t-il.
– Comme c'est aimable de votre part, jeune homme, répondit la vieille, en descendant du tabouret avec une promptitude surprenante.
Le prince grimpa à son tour et attrapa l'épée étincelante. Il ne voyait pas le mal qu'il y avait à la prendre pour la transmettre.
Mais la vieille enchanteresse, car c'était bien évidemment elle, avait tout prévu, et, quand le prince referma les mains sur l'épée, il se coupa sur la lame aiguisée par la magie. Crépuscule se sentit soudain épuisé. Il tendit l'arme à la vieille, retenant un bâillement, descendit du tabouret en clignant des yeux et s'écroula sur le sol pavé de la tour. La vieille ricana, glissa l'épée sous ses jupes, et s'en fut.
Plusieurs heures s'écoulèrent avant que le prince ne fut découvert. Tout fut essayé pour le ramener à lui, après quoi, il fallut se rendre à l'évidence, le contre-sort de la jeune fée avait agi. Elle fut appelée et tout ce qu'elle put proposer, ce fut d'endormir tout le château jusqu'au réveil du prince. Le roi et la reine acceptèrent : ils ne voulaient pas que leur fils se retrouve seul, cent ans plus tard. La nuit venue, la fée avec sa baguette répandit un peu de poudre du marchand de sable sur tous les habitants du château qui plongèrent à leur tour dans un profond sommeil.

mercredi 3 octobre 2012

Et après ?

J'ai établi une liste des histoires et suites d'histoires boy's love que j'espérais écrire un jour, liste qui risque de s'allonger, évidemment. Cependant, tant que je n'ai pas rédigé de résumés, cela n'est pas très intéressant à montrer...

 
Pour information, le livre Rendez-vous manqué devrait sortir en même temps que celui de Lykandré d'ici la fin de l'année (sauf soucis indépendants de ma volonté)
La version papier de Rendez-vous manqué contiendra comme bonus un épilogue se déroulant dix ans plus tard.

Demain, vous pourrez lire Le Beau au bois dormant, mais pas dans son intégralité (comme prévu initialement) pour cause de nécessité d'importante réécriture du texte que j'avais écrit au brouillon, il y a voilà un an.

Ensuite, vous aurez le droit à quelques nouveaux épisodes d'A travers les âges, la nouvelle pilote qui avait récolté le plus de voix, après l'histoire de l'homme invisible.

Et après ces quelques épisodes (qui ne marqueront pas la fin d'A travers les âges), je pense me lancer dans une de mes nouvelles idées. Entre les zombies, les fées et les anges, mon coeur balance...

Rendez-vous manqué - 84 (fin)

Al détestait se maquiller, car cela le démangeait pendant et après. Quant aux bandelettes, il s'y refusait : cela lui rappelait trop l'homme invisible de H.G.Wells auquel il n'avait pas la moindre envie de ressembler. Le personnage était trop tordu. La solution proposée par Beckett n'en restait pas moins séduisante et tout à fait réalisable. Le transfert dans un autre lycée ne devrait pas poser de problème majeur. Quant au choix de la classe, la carte des soucis de santé avait des chances de marcher. Il était même exceptionnellement prêt à s'emmailloter avec des bandelettes pour convaincre le proviseur du lycée Odyssée. Et puis, peut-être il n'y avait qu'à choisir la bonne option... Il félicita Beckett pour sa bonne idée et le gratifia d'un doux baiser. Il n'était plus seul désormais.
Ils étaient toujours occupés à s'embrasser quand derrière la porte, la mère de Beckett les informa que le dîner était prêt.
– On arrive ! lança Beckett.
– Je ne vais quand même pas m'imposer, une fois de plus... glissa Al.
– Ce n'est pas le cas. Tout le monde s'est fait du soucis quand tu n'es pas revenu hier soir.
C'était un peu dur à croire, mais Al se dit qu'il devait toute façon une explication à la famille de Beckett.
Au début du repas, il annonça donc qu'il avait récupéré son appartement après avoir discuté avec ses parents jusqu'à tard dans la nuit. Les questions qui s'ensuivirent l'embarrassèrent, car  il n'avait guère envie de donner des détails sur la manière dont il était parvenu à ce résultat. Beckett orienta la conversation sur un autre sujet, ce que Al apprécia fortement. Durant le dîner, il constata que la famille de l'adolescent avait cessé de l'observer en permanence, rendant l'ambiance autrement plus sympathique. Ils commençaient à s'habituer à lui.
Au moment de débarrasser la table, Beckett demanda s'il pouvait aller dormir chez Al, mais son père comme sa mère s'y opposèrent, car il avait cours le lendemain. L'adolescent protesta, mais obtint une fin de non-recevoir, et il renonça.
– D'accord, mais je le raccompagne à l'arrêt de bus. J'en profiterai pour promener Scott, déclara-t-il.
Il n'y avait rien à redire là-dessus. Al remercia les parents de l'adolescent pour le repas et pour tout ce qu'ils avaient fait pour lui, puis il se prépara pendant que l'adolescent mettait le labrador en laisse, et ils partirent, non sans que les parents de Beckett aient invité Al à revenir manger à la maison.
L'arrêt de bus n'était pas très loin, mais Beckett suggéra avec un sourire qu'ils marchent jusqu'au suivant afin qu'ils restent plus longtemps ensemble.
– Ma famille est gentille et tout, mais j'ai moi aussi hâte de voler de mes propres ailes. Comme ça, nous pourrions louer un bel appartement avec une salle de bain lumineuse et avoir un grand lit. Tu imagines  ?
Et Al s'y vit avec Beckett.

FIN

mardi 2 octobre 2012

Rendez-vous manqué - 83

A la fin de l'après-midi, le jeune homme invisible, fatigué d'avoir manipulé toutes ses affaires - ou du moins ce qu'il en restait, se prépara à partir. Son pied blessé ne lui faisait plus mal, mais il ne se risqua pas à enlever le pansement. Il n'avait de toute façon pas l'intention de se déshabiller pour sortir sans crainte d'être regardé comme une bête de foire. Il trouvait préférable d'être vêtu en arrivant chez l'adolescent, sachant que le père de ce dernier n'appréciait guère qu'il se ballade nu dans les rues ; et surtout, il fallait qu'il s'habitue à être à nouveau au centre de l'attention puisqu'il était décidé à retourner au lycée. Il se déguisa tout de même partiellement : il enfonça une perruque sur son crâne, mit une paire de lunettes opaques devant ses yeux et enfila une paire de gants.
Une fois dehors, il s'efforça d'ignorer les gens qui le dévisageaient. Il ne put toutefois s'empêcher de se sentir coupable quand une dame perdit connaissance dans le bus après avoir vu qu'il y avait du vide là où aurait dû se trouver le bas de son visage. Il descendit dès l'arrêt suivant et termina le trajet à pied.
Quand il arriva devant le pavillon de briques rouges, il sonna, espérant que Beckett serait bien revenu du lycée. Il avait hâte de tout lui raconter.
Par chance, ce fut l'adolescent qui apparut dans l'embrasure de la porte de la maison.
– Al ! J'étais super inquiet ! s'écria-t-il.
Il débloqua le portail à distance, et courut jusqu'à Al pour le prendre dans ses bras.
Le jeune homme invisible put enfin épancher son cœur et Beckett le réconforta, le serrant amoureusement contre lui sans se soucier qu'ils soient au beau milieu du trottoir.
Un raclement de gorge leur rappela à la réalité. C'était Cole qui rentrait, un sac de courses à la main.
Beckett marmonna des excuses et suggéra à Al d'aller à l'intérieur. Après avoir levé les yeux au ciel, Cole les suivit.
Beckett et Al ne s'attardèrent pas dans l'entrée et montèrent vite à l'étage, dans la chambre de l'adolescent afin de pouvoir discuter et s'enlacer à leur aise.
Cela faisait déjà un moment qu'ils parlaient, dans les bras l'un de l'autre quand Al avoua  le point qui le tracassait le plus :
– Je voudrais pouvoir revenir en arrière et avoir déjà terminé mes études au lieu d'être resté caché chez moi, car, je ne sais pas comment je vais trouver le courage de m'exposer aux regards des autres, jour après jour, en me rendant au lycée.
– Tu devrais changer de lycée et venir dans le mien, plus spécifiquement dans ma classe. Comme ça, je pourrais te transmettre les cours et te prévenir quand il y a des devoirs sur table et tu n'auras qu'à être présent ces jours-là, maquillé, même si ça t'irrite la peau ou entouré de bandelettes, je ne sais... Dans tous les cas, tu risques d'attirer les regards, mais les gens auront autre chose à faire que s'occuper de toi avec une copie à remplir devant leur nez.

lundi 1 octobre 2012

Rendez-vous manqué - 82

En chemin, comme il allait vite, il se blessa le pied droit et, c'est à bout de souffle, en frissonnant et claudiquant qu'il parvint à l'immeuble où il habitait. Aussi vite que sa blessure, le lui permettait, il fit le tour de l'appartement. Il eut tôt fait de remarquer que le canapé avait disparu et que la moitié des étagères du salon était vide. Son père avait commencé à vendre ses livres et ses dvds.  Le lit double en revanche était encore là.  Al prit ensuite une douche brûlante pour se réchauffer et soigna son pied écorché. Enfin, il se pelotonna sous la couette dans sa chambre.
Se retrouver là, comme s'il n'avait jamais été expulsé, c'était bizarre. C'était une sorte de retour à la situation antérieure et pourtant, tout était différent. Les derniers espoirs qu'il avait gardés de se rapprocher de ses parents s'étaient envolés et son appartement qui lui était toujours apparu comme un refuge, lui était devenu étranger. Il l'avait récupéré à un tel prix qu'il s'y sentait mal à l'aise. Son objectif était désormais de le quitter le plus rapidement possible et de consommer la rupture avec ses parents. Il fallait qu'il se dépêche de devenir indépendant... Il sombra dans un sommeil agité dont il émergea avec difficulté.
Il regarda au plafond, mais l'heure n'y était pas affichée. Il n'y avait pas prêté garde la veille, mais son réveil n'était plus là. Derrière les rideaux, le jour filtrait. Il se leva en hâte pour consulter la pendule de la cuisine. Il espérait qu'il n'était pas trop tard et qu'il avait encore le temps de se rendre chez Beckett pour le voir avant qu'il n'aille au lycée. Hélas, il était neuf heures passé. Il aurait bien sûr pu se rendre au lycée Odyssée, mais le faire à l'insu de tous avec son pansement au pied n'était guère possible et de toute façon, l'adolescent tenait à être prévenu avant.
Al se résigna à devoir attendre le soir. Afin de se rapproprier son appartement, il commença à dresser un inventaire de ce qui restait et de ce qui manquait. Il découvrit ainsi que sa garde-robe avait été amputée d'un bon tiers et que la majeure partie de ses livres de cours répondaient aux abonnés absents. Cette découverte l'ennuya. Il n'avait pas besoin de beaucoup de vêtements et il pouvait se passer des films dont son père s'était débarrassé, mais pas de ses bouquins scolaires, surtout pas maintenant qu'il avait décidé d'achever ses études. Il serait obligé de les racheter. Cependant, avec ou sans livres, reprendre le chemin des classes lui faisait peur. Ce n'était pas par flemme qu'il avait cessé de s'y rendre, mais bien parce qu'il ne supportait pas la curiosité et l'effroi qu'il suscitait auprès de ses camarades. Hélas, il n'avait guère le choix.