vendredi 29 janvier 2016

Contes modernes - 206

CHUTE
Être célèbre comportait un certain nombre d'avantages et à peu près autant d'inconvénients. Par exemple, les portes de lieux très sélect vous étaient ouvertes, mais en contrepartie, se promener dans une rue lambda nécessitait un déguisement ou une escorte. L'autre possibilité, celle que préférait Mael était de sortir durant la nuit. Les rues étaient alors moins fréquentées et les probabilités de tomber sur quelqu'un qui le reconnaîtrait faibles.
C'était lors d'une de ses sorties nocturnes qu'il avait remarqué pour la première fois cette drôle de corde qui descendait le long de la façade d'un immeuble. Intrigué, il était resté longtemps à la regarder, pestant contre l'éclairage plus que modeste que fournissaient les lampadaires de la ville.
Il avait fini par réaliser qu'aussi incroyable que cela puisse paraître, c'était une formidablement longue tresse de cheveux.
Se déguisant du mieux qu'il pouvait, il était revenu en journée et l'avait revue. L'immense tresse tombait du septième au quatrième étage, ce qui impliquait qu'elle faisait un paquet de mètres. Était-ce une vraie ou une synthétique ? C'était dur d'imaginer que cela puisse appartenir à quelqu'un, et pourtant...
Au final, la curiosité l'emporta sur la raison. Mael attendit que quelqu'un ayant le code de l'immeuble entre et s'engouffra derrière. Sachant que la personne possédant les longs cheveux tressés qui l'intriguait tant était au septième, il prit l'ascenseur. Il découvrit que ce dernier n'allait qu'au sixième, ce qui ne fit que l'intriguer davantage. Comment accédait-on au septième ? Il était certain d'avoir bien compté le nombre d'étages de l'immeuble.
Il emprunta l'escalier recouvert d'un beau tapis en velours, montant les marches quatre à quatre, mais là encore, il ne parvint qu'au sixième. C'était à ne rien y comprendre, il redescendit, perplexe et demanda finalement à la concierge comment se rendre au septième, prétendant visiter un ami.
La femme le regarda suspicieusement – il faut dire qu'avec ses grosses lunettes, son chapeau enfoncé sur les oreilles et son menton caché dans son foulard, il n'inspirait guère confiance – mais elle lui indiqua finalement une porte sur le côté qui donnait sur un petit escalier tout poussiéreux et peu engageant.
Mael l'emprunta néanmoins avec empressement, désireux d'arriver en haut au plus vite. C'est essoufflé qu'il atteint l'ultime palier. Il resta interdit, constatant qu'il n'y avait pas qu'une seule porte. Il fit le tour de l'étage, cherchant à déterminer par rapport à la position de la fenêtre qu'il regardait d'en bas, de l'extérieur, derrière laquelle se cachait la tresse.

jeudi 28 janvier 2016

Contes modernes - 205

Ce n'était pas demain la veille qu'il arriverait à  le tutoyer.
— Ne t'en fais pas... J'ai réfléchi qu'il était normal que tu ne veuilles pas de moi dans ta vie et je ne veux pas m'imposer, promis,  mais je ne peux pas non plus arrêter de me soucier de toi et de ton bien-être. Avec ta sortie prochaine de l'hôpital, nous n'aurons plus que l'occasion de nous croiser à l'auberge. Mais je pourrais bien sûr renoncer à y aller si le seul fait de me voir te pose...
— Non ! s'écria Albin.
Il n'y avait aucune raison que Valérian se prive d'un lieu qu'il appréciait de fréquenter juste pour lui. Cela aurait été plus qu'ingrat de sa part que d'exiger une chose pareille.
— Tu veux bien que je bavarde avec toi chaque fois que je m'y rendrai ?
Albin hésita. Échanger quelques mots, c'était anodin et en même temps, c'était la porte ouverte à un dangereux inconnu. N'était-ce pas naïf de sa part de croire que Valérian s'en tiendrait là ?
— Oui, murmura-t-il malgré tout du bout des lèvres, espérant qu'il n'aurait pas à le regretter.
Comme s'il devinait ses inquiétudes, Valérian déclara :
— Tu n'as pas à te tracasser. Je ne te toucherai jamais sans que tu m'y autorises explicitement. A moins que ta vie ne soit en jeu, bien sûr.
Albin comprit avec embarras que le médecin faisait allusion au bouche à bouche dont il l'avait gratifié après l'empoisonnement sont il avait été victime.
Il acquiesça. Cet homme était dangereux parce qu'il était amoureux de lui, mais il était honnête et sincère.
— Bon, je me contenterai de cela.
Il lui tendit ensuite une carte.
— Je te donne mes coordonnées. Tu peux me contacter quand tu veux, à tout moment du jour ou de la nuit.
— Je n'en ai pas besoin, protesta Albin sans faire un geste pour s'en emparer.
— Tu me feras plaisir en les prenant.
Se disant que cela ne l'engageait après tout à rien, et remarquant que le docteur la tenait du bout des doigts de sorte qu'aucun contact entre eux ne soit nécessaire, l'adolescent s'exécuta.
Valérian eut un sourire si rayonnant que le cœur d'Albin rata un battement.
— A la prochaine fois, dit le docteur en sortant.
Albin prononça les mêmes mots en retour. Il ne savait pas ce que l'avenir lui réservait ni la place qu'occuperait Valérian dedans, mais après des années à errer dans le noir, sans jamais voir le bout du tunnel, le futur lui semblait enfin plein de promesses et de possibilités.

                                                     FIN
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Rendez-vous demain pour l'ultime conte moderne, Chute.
 

mercredi 27 janvier 2016

Contes modernes - 204

Devant le silence de l'adolescent, Valérian prit à nouveau la parole :
— Tu sais, je comprends bien que pour toi, dans la conjecture actuelle, ce soit impossible d'envisager autre chose que de l'amitié entre nous.
— Vous... Je... bredouilla Albin, cherchant à lui expliquer sans y parvenir qu'il trouvait cela dangereux d'avoir un ami qui était attiré par lui.
— Tu peux me tutoyer. Je te l'ai déjà dit, me semble-t-il.
— Ah, pardon.
— Ce n'est pas grave. Il est après tout naturel de vouvoyer ses aînés. Mais je préfèrerais que tu sois à l'aise avec moi.
C'était impossible à cause de son beau-père. L'amour comme le sexe étaient encore pour lui des choses effrayantes même si la thérapie qu'Albin suivait l'aidait à se dire que ce n'était pas forcément le cas.
Il secoua la tête lentement.
— Bon, je te laisse pour le moment, déclara Valérian. Mais je ne renonce pas pour autant à gagner ton amitié, ajouta-t-il en sortant.

Pas plus tard que le lendemain, il entra à nouveau dans la chambre d'Albin.
— Alors, comment te sens-tu aujourd'hui ?
— Ça va.
— Dommage que ce soit un mensonge.
Albin baissa les yeux. Valérian était trop perspicace pour lui.
— Mon collègue pense que tu vas pouvoir sortir, même s'il recommande vivement que tu continues à fréquenter un psy.
— Ah...
La nouvelle de sa liberté prochaine ne réjouissait pas plus que cela Albin. A l'hôpital, il en était venu à se sentir en sécurité, comme dans un cocon où rien ni personne ne pouvait l'atteindre. Ce n'était pas rationnel puisque Valérian qui évoluait dans son enceinte représentait un potentiel danger. Seulement, à l'extérieur, rien ne l'attendait, si ce n'est une maison remplie de souvenirs terribles où il ne voulait pas remettre les pieds. Il était décidé à la vendre, même s'il ne savait pas comment procéder. Bien sûr, Roy ne pouvait plus l'atteindre puisqu'il était désormais en prison pour abus sexuel sur mineur et tentative de meurtre. Albin serait seul avec lui-même.
— C'est bien, murmura-t-il enfin, comme Valérian était toujours là à attendre une réaction de sa part.
— Là encore, tu ne le penses pas. Je t'avoue que cela me tranquillise de savoir que tu vas retourner à l'auberge des Sept nains.
Albin cligna des yeux.
— Comment ça ?
— Ils souhaitent t'embaucher dans les règles comme aide à l'auberge. Ils le voulaient depuis le début d'ailleurs, mais comme ils avaient compris que ta situation était compliquée, ils ne t'en avaient pas parlé.
Albin se redressa. Cela changeait tout. A l'auberge, il se sentait chez lui en dépit des deux épisodes difficiles qui s'y étaient déroulés avec son beau-père.
— Vraiment ?
— Oui, je pensais qu'ils te l'avaient déjà annoncé. Mince ! Peut-être qu'ils voulaient te faire la surprise... Désolé.
— Non, ne le soyez pas. Je suis très content de savoir ça.
— « Ne le sois pas », le reprit gentiment Valérian.
— Pardon.

mardi 26 janvier 2016

Contes modernes - 203

Deux jours plus tard, les nains débarquèrent sans prévenir. René, Violette et le benjamin, les premiers, puis Pierre et Carole et enfin à nouveau Violette avec les deux autres petits.
Ils lui racontèrent à leur façon ce qui s'était passé. Aucun ne lui reprocha quoi que ce soit. Tous étaient contents qu'il soit sain et sauf et que son affreux beau-père fou ne sort désormais plus en état de lui nuire. Albin ne parvenait pas à se réjouir.

Sa thérapie commença. C'était un homme âgé et débonnaire. Sans trop savoir comment, alors que cela lui coûtait, l'adolescent se retrouva à se confier à lui.

Les nains choisirent de se relayer pour le visiter. René venait lui raconter des blagues, Violette lui faire la lecture, Pierre râler sur différents sujets et Carole parler de tout et rien. De temps à autre, l'un ou l'autre amenait avec lui un des petits.
Cependant, le visiteur le plus assidu de Albin n'était autre que Valérian. On aurait dit que s'il avait pu, il aurait toujours été fourré là.
Embarrassé, Albin finit par trouver le courage de lui demander pourquoi.
— Je crois que tu connais déjà la réponse à cette question, commença Valérian.
Il fit une pause, puis reprit :
— Je pourrais prétendre que c'est parce que je désire devenir ton ami, et rien d'autre, mais ce ne serait pas vrai. Je veux plus depuis le premier instant où je t'ai vu faire le service à l'auberge. Une peau blanche comme un nuage, des lèvres rouge cerise et deux grands yeux noirs encre comme tes cheveux... J'ai eu cette envie de tout mettre en œuvre pour te séduire. Évidemment, je me suis morigéné. Un coup de foudre, moi ? Pour quelqu'un de visiblement plus jeune que moi... ? Et encore, je ne savais même pas à quel point.
Albin s'était effectivement douté que Valérian le désirait, s'entendre dire qu'il était aimé, c'était autre chose. Dans tous les cas, c'était gênant et en même temps, cela avait un côté réconfortant : Valérian avait beau savoir ce qu'il avait subi entre les mains de son beau-père, cela n'avait pas changé ses sentiments à son égard, ce qui laissait espérer à Albin de pouvoir avoir un jour une relation normale avec quelqu'un. Fille ou garçon, ça, il ne savait pas. Ni l'un ni l'autre ne lui semblait pour le moment vraiment possible. Il se sentait toujours sale. Il aurait aimé pouvoir tout oublier de ce que lui avait fait Roy, être guéri de tout ça, mais c'était gravé en lui. Il avait peur de ses propres désirs. Il entendait encore Roy lui susurrer qu'il adorait ça.
Il ne savait quoi lui dire. Il ne voulait ni le vexer, ni le blesser. Après tout, Valérian avait contribué à son sauvetage et depuis le début, il n'avait fait preuve que de gentillesse à son égard.

lundi 25 janvier 2016

Contes modernes - 202

— On peut dire que tu l'as échappé belle. Tu as dû subir un lavage d'estomac par intubation trachéale comme tu étais inconscient.
Roy l'avait effectivement empoisonné, mais Albin avait été sauvé. Qu'était devenu son beau-père ?
— Comment...
Parler lui faisait mal.
— C'est une longue histoire. Si j'étais là, c'est que je m'étais trompé dans mes dates de réservations à l'auberge. C'était la panique quand je suis arrivé. Les nains avaient appelé la police et les pompiers, mais ils se voyaient déjà t'enterrer comme tu ne respirais plus. J'ai vérifié ton pouls et t'ai fait un bouche à bouche. Bref, tu as été amené à temps l'hôpital. Sinon, René Joyeux m'a téléphoné pour me dire que ton beau-père était passé aux aveux. Il a reconnu avoir tenté de t'empoisonner et aussi t'avoir violé. Enfin, indirectement, parce qu'il a assuré que tu étais consentant, mais il s'est pris les pieds dans le tapis en révélant à quel âge les choses avaient commencé entre vous. Il va en prendre pour un paquet d'années.
Albin gémit. Tout le monde savait ce que lui avait fait Roy. Il aurait voulu se cacher dans un trou.
Valérian continua :
— Tu vas avoir le droit à un suivi psychologique avant de sortir d'ici.
Albin comprit qu'il n'avait pas son mot à dire. Une part de lui regrettait de ne pas être mort. Il avait trop honte.
Et pourtant, le regard de Valérian sur lui ne semblait pas avoir du tout changé. Il lisait dans ses yeux toujours le même intérêt et la même admiration. Ne réalisait-il donc pas à quel point l'adolescent était laid et sale ?
— Dès que tu seras plus en forme, je t'enverrai les nains. Pas tous à la fois bien sûr.
— Non. Personne, réussit à articuler Albin avec difficulté.
— Pourquoi ? Tu sais, ils tiennent à toi et c'était traumatisant pour eux que tu sois étendu comme ça, comme mort.
Seulement, maintenant ils savaient combien il était vil.
Valérian, comme s'il comprenait, reprit :
— Enfin, toi aussi tu as été secoué. C'est normal qu'il te faille du temps. Je vais te laisser te reposer et m'occuper de mes autres patients.
Il quitta la chambre, laissant Albin seul avec ses pensées.
Il avait peine à croire que le cauchemar soit terminé. Derrière les barreaux, Roy ne pourrait plus l'atteindre. En contrepartie, tout le monde savait que Roy l'avait touché, caressé et embrassé, nuit après nuit. C'était le prix à payer. Il avait devoir vivre avec le fait que tout le monde sache.

vendredi 22 janvier 2016

Contes modernes - 201

— Cela ne sert à rien. Je ne viendrai avec toi que si tu m'y obliges.
— Je vois...
Roy, tout en le déshabillant du regard, se lança dans un grand discours sur la beauté incomparable d'Albin, comme s'il n'était qu'un corps, instrument qu'il pouvait faire gémir à sa guise.
Même s'il ne le touchait pas, Albin se sentait sali. Ses nerfs lâchèrent. Il prit une part du gâteau et mordit dedans. S'il était drogué, s'il s'évanouissait, comme la dernière fois, au moins, il ne l'entendrait plus. Si Roy l'emmenait de force, au moins les nains ne feraient pas sa connaissance et il n'aurait pas le carreau cassé à expliquer...
Il ne ressentit aucune sensation de faiblesse et sa tête ne lui tourna pas.
Roy continua à le couvrir de compliments, répétant qu'Albin était sien.
Au bout d'un moment, une violente douleur brûla l'estomac d'Albin. Roy avait bien trafiqué le gâteau, mais plutôt que de l'avoir drogué, il semblait l'avoir empoisonné, songea l'adolescent plié en deux tellement il avait mal. Sans trop savoir comment, il se retrouva par terre, en se tenant le ventre. C'était comme si un feu rongeait ses entrailles.
Roy le regardait, impassible.
— Si tu n'es pas à moi, tu seras à personne d'autre. Personne, tu m'entends ? Mais ne t'inquiète pas, mon tout beau, j'ai prévu de t'accompagner dans la mort.
Albin n'était plus en mesure de répondre. Il était toujours conscient, mais à peine. Et Roy continuait à parler, débitant des propos insensés.
Combien de temps s'écoula ainsi ? Soudain, la cavalerie fut là, les sept nains au grand complet. Pierre maîtrisa Roy qui voulait prendre la fuite. Violette s'empressa d'emmener les trois enfants dehors. René et Carole se penchèrent quant à eux sur l'adolescent.
Albin battit des paupières et tout devint noir. Il eut un sursaut de conscience quand quelqu'un lui insuffla de l'air dans la bouche.
C'était Valérian. Comment cela se faisait-il qu'il soit là ? Albin repartit très loin.

Quand il émergea à nouveau, il était allongé dans une pièce toute blanche dans un lit recouvert d'une couette multicolore. Il était branché à un goutte à goutte. Il comprit qu'il était à l'hôpital en voyant une infirmière.
— Réveillé ? Magnifique, je vais prévenir le docteur Dinère, dit-elle, et elle s'en fut.

jeudi 21 janvier 2016

Contes modernes - 200

— Que tu le veuilles ou non, tu es mien.
Albin se mit à trembler. Cela allait recommencer. Roy était plus fort que lui. Le plus simple était de se soumettre, de lui abandonner son corps tandis que son esprit s'envolait très loin, là où rien ne pouvait l'atteindre. Toutefois, s'il le prenait ici et que les nains rentraient, l'adolescent ne le supporterait pas.
Il prononça un non faible, mais distinct.
Roy haussa les épaules comme indifférent. Il avait passé outre ses refus jusqu'ici. Il n'avait aucune raison qu'il prête davantage attention à celui-ci.
— Très bien, mais le moins que tu puisses faire, c'est de me laisser fêter ton anniversaire avec toi. J'ai amené là un délicieux gâteau aux pommes en cadeau ainsi qu'un cadeau.
Albin resta interloqué. Il était vraiment fou de s'être introduit par effraction dans l'auberge des nains pour cela.
Non, la méfiance était de rigueur, sûrement Roy avait une idée derrière la tête. A tout les coups, le gâteau était drogué comme l'avait été le jus de pomme, lui permettant de l'emmener loin d'ici sans effort.
— Je n'ai pas faim.
— Alors, commence par ouvrir ton cadeau suggéra Roy tout sucre tout miel, en le libérant.
C'était étrange de le voir si accommodant. Cependant, comme Albin ne voyait pas ce qu'il risquait à le faire, il déballa la boîte rectangulaire recouverte de papier rouge brillant et en sortit un miroir qui lui renvoya son reflet : sa peau albâtre, ses yeux noirs et ses lèvres rouges.
Il le lâcha. Le miroir se brisa aussitôt sur le sol. Sept ans de malheur.
— Je t'en rachèterai un, annonça tranquillement Roy.
— C'est inutile, répondit Albin mal à l'aise.
Son beau-père allait-il repartir ? L'adolescent allait-il vraiment s'en tirer à si bon compte ?
— C'est vrai que c'est l'intention qui compte... On se mange un bout de gâteau ?
Albin déclina à nouveau.
— Eh bien, je vais en prendre une, moi.
Sans façon Roy s'installa à une des tables de l'auberge et sortit d'un carton d'une pâtisserie un superbe gâteau où était écrit en lettres chocolatées « joyeux anniversaire Albin, 18 ans. »
Il se coupa une part qu'il dégusta lentement. Quand il l'eut fini, il revint à la charge.
— Il est délicieux. Goûte en juste un morceau.
Albin hésita. Roy en avait mangé. Ce n'était à priori pas un gâteau maison. Peut-être n'y avait-il pas de risques...
— Et après, tu t'en iras ?
— Pas sans essayer de te convaincre que nous sommes fait l'un pour l'autre.
Albin grimaça. La situation était bloquée. Il n'avait aucun moyen de mettre Roy dehors. Physiquement, il ne faisait pas le poids. Il n'avait aucun moyen de négocier non plus, à moins de compter cette fichue part de gâteau. C'était peut-être un piège, mais pas forcément, puisque cela ne semblait pas gêner outre mesure Roy qu'il n'en mange pas. Albin n'avait d'autre choix que de l'écouter jusqu'à ce qu'il ne s'impose à lui...

mercredi 20 janvier 2016

Contes modernes - 199

Il s'était à moitié assoupi, le contenu prêchi-prêcha du livre l'ennuyant quand un grand bruit l'éveilla.
Les sens en alerte, il se munit d'un balai et partit enquêter sur l'origine du fracas. Il descendit doucement et arriva dans la salle de restauration en bas. Roy était là, un sac sur le dos, barbu et échevelé, mais c'était indéniablement lui. Il était entré en brisant le carreau d'une fenêtre.
Albin se raidit, ses doigts se crispèrent sur le manche de son balai.
— Va-t-en, voulut-il crier, mais seul un murmure s'échappa de sa gorge étranglée.
— Je suis venu fêter ton anniversaire. Dix-huit ans, ce n'est pas rien. Je suis désolé d'avoir raté le jour J, mais j'attendais un moment propice. C'est un peu trop animé par ici à mon goût...
— Ce n'était pas la peine.
— Je sais bien, j'ai compris que tu ne voulais plus me voir. C'est pour cela que je me suis déguisé la dernière fois. Hélas, ces maudits nains sont revenus et m'ont empêché de t'emmener avec moi.
Albin déglutit. L'affreux livreur et lui ne faisait bien qu'un. Deux visages pour un même cauchemar.
Roy s'approcha. L'adolescent le regarda faire, comme un lapin apeuré dans la lumière des phares d'une voiture, il était paralysé.
Quand Roy fut tout près, Albin eut la présence d'esprit de se servir de son balai pour le repousser, mais il manqua d'adresse et son beau-père qui était déterminé le délesta sans trop de peine de son arme improvisée.
Roy l'embrassa tandis que le balai tombait bruyamment sur le sol. Albin se débattit, en vain, son beau-père le maintenant contre lui les mains plaquées sur ses fesses.
— Allons mon tout beau, cesse de lutter. Tu aimes ça. Cela t'excite. Rentre à la maison avec moi. Ta place est à mes côtés.
— Non, gémit Albin.
Son pénis avait durci et il se dégoûtait pour ça : c'était le mari de sa défunte mère et chacune de ses caresses une trahison. Il le détestait.
Il reprit, la voix tremblante :
— Je ne partirai pas d'ici, je suis majeur désormais, tu ne peux plus me dicter ma conduite.
— Certes, mais ose prétendre que cela ne te manque pas que je te prenne par derrière.
Albin frissonna. Il secoua la tête énergiquement, se refusant à lui donner raison. Une petite voix en lui souffla : « Pas avec lui de toute façon. Jamais plus avec lui. »
— Tu es à moi, tu m'entends ? clama Roy.
Les mots de protestations restèrent coincés dans la gorge d'Albin qui fit vigoureusement non de la tête.

mardi 19 janvier 2016

Contes modernes - 198

— Je n'ai pas besoin d'amis et pas de confidences à faire, affirma-t-il avec une assurance qu'il était loin de ressentir.
— Quelque chose me dit que non, mais je ne peux te forcer.
Albin, tout en étant soulagé, éprouva un pincement au cœur devant ce renoncement si rapide.
Valérian puisque c'était son nom s'avança vers l'escalier, mais moment de s'engager dedans, il se retourna et ajouta :
— Sache que mon offre d'amitié n'a pas de date d'expiration et que je viens une fois par semaine ou presque pour me ressourcer au vert et au calme. Il y a quelque chose de magique dans cette auberge perdue dans la forêt à l'atmosphère si chaleureuse, tu ne trouves pas ?
Albin acquiesça. Il partageait ce sentiment. Le seul problème, c'était l'ombre de Roy qui planait, l'empêchant d'en profiter. L'épisode avec le livreur avait mis sens dessus dessous la nouvelle vie de l'adolescent, ravivant ses peurs. Valérian descendit.
 
Dans les semaines qui suivirent, Albin finit par s'apaiser et ses nuits redevinrent supportables. Les nains le laissaient tranquille sans plus chercher à creuser son passé. Ni Roy ni le livreur ne vinrent à l'auberge, si ce n'est en rêve.
Quant à Valérian, le client médecin, s'il prenait en effet toujours la chambre adjacente à la sienne et le saluait systématiquement aimablement, il ne s'imposait pas à lui. Il lui avait juste suggéré une fois de plus de consulter pour ses cauchemars, mais n'avait pas insisté pour en connaître l'origine.
La méfiance de départ qu'avait ressenti Albin à son égard avait diminué grandement sans disparaître totalement.
Peut-être Valérian était bien intéressé par lui de « cette façon », mais il ne semblait pas du genre à lui sauter dessus sans prévenir. Cela restait tout de même inconfortable qu'il le considère ainsi.

Finalement, le jour tant attendu de sa majorité arriva. Il n'avait rien dit aux nains de son anniversaire, aussi, il n'y eut ni gâteau, ni cadeaux, ni même un banal souhait, mais Albin passa malgré tout une bonne journée. Le quotidien routinier était pour lui quelque chose de précieux et non d'ennuyeux. L'exceptionnel était autrement plus dangereux.
Peu après, les nains fermèrent l'auberge pour une nouvelle visite en ville. Albin resta derrière. Comme s'il était un petit enfant, les nains lui firent promettre de n'ouvrir à personne.
Albin se barricada à l'intérieur, vérifiant avec soin que chaque porte et fenêtre étaient bien fermées, puis il s'allongea dans sa chambre avec un livre prêté par Violette. Il faisait beau et il aurait préféré se promener dehors pour écouter le bruissement des animaux de la forêt, mais y aller seul l'angoissait trop.

lundi 18 janvier 2016

Contes modernes - 197

Ce ne pouvait être une coïncidence que l'homme ait toujours la chambre adjacente à la sienne. Il devait la demander spécifiquement, ce qui pouvait vouloir dire qu'il l'aimait beaucoup, mais Albin craignait qu'autre chose le motive, car qui payerait pour dormir dans un endroit où les cris de la personne d'à côté étaient susceptibles de le réveiller ?
Le client parla encore, doux et réconfortant. Albin cependant ne savait que trop bien que derrière les mots enjôleurs se cachaient parfois de noirs desseins. Roy aussi avait été gentil en son temps.
— Je suis médecin. Je ne suis certes pas spécialiste dans ce domaine, mais tu devrais consulter. Des cauchemars qui te mettent dans un état pareil sont synonymes de traumatismes.
S'épancher ? Tous le lui demandait. Pourquoi ne voulaient-ils pas comprendre que cela lui était impossible ?
— Laissez-moi tranquille, gémit-il.
— Il est parfois paradoxalement plus facile de se confier à un étranger ou un inconnu plutôt qu'à un proche.
Albin secoua la tête.
— Partez, répéta-t-il en désespoir de cause.
— Très bien, mais si tu changes d'avis, je suis tout près, n'hésite pas à toquer, peu importe l'heure.
Albin respira mieux en l'entendant s'éloigner. Il regagna lentement son lit et se blottit sous sa couette, sans parvenir à se réchauffer.

Quand il sortit de sa chambre le lendemain matin, les yeux battus de fatigue, le client aux yeux et cheveux marrons était adossé nonchalamment sur le côté du mur, un livre à la main. Pas de doute, il l'attendait et pas moyen de l'éviter.
Albin se figea.
— Bonjour, je ne te demanderai pas si tu as bien dormi...
L'adolescent grimaça. Qu'est-ce qu'il lui voulait à la fin ?
— Tu te rappelles de ce que j'ai dit hier soir sur le fait qu'il était parfois moins dur de vider son sac à un inconnu ?
Albin acquiesça.
L'homme continua :
— Si tu n'es pas de cet avis, que tu penses qu'à un ami, ce serait aussi bien, nous pourrions le devenir. Je m'appelle Valérian Dinère, et toi ?
— Albin, répondit machinalement l'adolescent.
Cette proposition d'amitié était curieuse, suspecte, et en même temps tentante. Cela faisait longtemps qu'il n'avait plus eu d'amis. Depuis la mort de sa mère, il avait dû y renoncer. Avec Roy qui buvait, inviter quiconque avait été impossible et par la suite, il lui avait interdit de se rendre chez les autres ou même de traîner après les cours, ce qui avait mis fin à sa vie sociale.
Il avait de l'affection pour les nains, cependant, c'était d'ordre filial. Ils étaient comme des parents pour lui et il ne voulait les décevoir d'aucune façon. Une relation amicale impliquait une réciprocité et une égalité dans les échanges. Le problème, c'est que l'homme qui lui faisait face était plus proche de l'âge de son beau-père que du sien.
— C'est un joli prénom, déclara Valérian. Cela colle bien avec ta peau albâtre.
Albin se crispa. Cela lui rappelait trop les compliments de Roy. Il devait se refuser l'offre de Valérian.

samedi 2 janvier 2016

Pause

L'année 2016 commence avec une pause, car le bébé va très bientôt arriver, le prochain épisode de Contes modernes sera donc mis en ligne le 18 janvier, le temps que je trouve le rythme avec ma petite famille...!

vendredi 1 janvier 2016

Contes modernes - 196

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BONNE ANNÉE 2016 ! TOUT UN TAS DE BONNES CHOSES POUR VOUS !
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Cette nuit-là, après avoir lutté contre le sommeil, Albin finit par s'endormir et une fois de plus cauchemarda.
Son beau-père et lui se tenaient devant un grand miroir dans lequel les nains se reflétaient au grand complet du petit dernier jusqu'au plus âgé.
— Tu es le plus beau... Viens-là, déclara Roy avant de capturer Albin et de presser son corps contre le sien.
Il l'embrassa, insinuant la langue dans sa bouche, une main sous sweat-shirt, l'autre dans son pantalon, ses doigts s'enroulant autour de son pénis à moitié érigé. Albin hurla.

Il se réveilla en sursaut et tout en sueur, le cri mourant sur ses lèvres.
Le déclic d'un interrupteur se fit entendre et la lumière se répandit dans la pièce. Qui ?L'adolescent cligna des paupières, ébloui, le cœur au bord des lèvres.
L'homme qui se tenait dans l'encadrement n'était pas Roy, mais le client aux yeux et cheveux marron clair.
— Ça va ? demanda-t-il plein de sollicitude.
— Oui, mentit Albin. Que faîtes-vous dans ma chambre ? ajouta-t-il, les mains crispées sur la couette du lit.
— Je t'ai entendu crier. Ce n'est pas la première fois, mais là, c'était différent.
— J'avais verrouillé, balbutia Albin, affolé.
— Tu as dû oublier. A moins que le système ne soit cassé.
L'homme tourna la poignée de la porte pour refermer sans doute dans le but de vérifier.
Paniqué à l'idée qu'il ne s'enferme à clef avec lui, Albin se leva en hâte et perdit l'équilibre. Ce fut l'homme qui le rattrapa et l'empêcha de tomber.
L'adolescent s'arracha à lui aussitôt et se retrouva assis sur le lit.
— Sortez, supplia-t-il, ses dents s'entrechoquant tellement il tremblait.
Il se sentait glacé. Le client avait beau n'avoir rien en commun avec Roy, il avait peur. C'était plus fort que lui.
— Je ne peux pas te laisser dans cet état.
— S'il-vous-plaît, gémit Albin. Ce n'était qu'un mauvais rêve.
L'homme obtempéra avec réticence. Dès qu'il fut dans le couloir, Albin referma la porte derrière lui, mais dut s'y prendre à deux reprises avant de réussir à tourner la clef dans la serrure. Cela fonctionnait. Avec le manque de sommeil, il avait effectivement dû rater cet étape cruciale à sa sécurité. Il se laissa glisser au sol contre le battant et fondit en sanglots comme un petit enfant.
Il n'en pouvait plus de ses affreux rêves. L'ombre de Roy l'y poursuivait inlassablement. Ses compliments sur sa beauté physique le hantait, sa laideur intérieure ne lui semblant que plus apparente.
A travers la porte, la voix du client retentit soudain.
— Tu ne veux pas que j'aille chercher quelqu'un ? Tu es proche des propriétaires des lieux, je crois...
— Nnnon... c'est bbbon, bégaya Albin, surpris et effrayé que l'homme soit encore là.