jeudi 31 décembre 2015

Contes modernes - 195

Les trois nains quittèrent la chambre à la queue leu leu, le laissant seul. C'était un soulagement pour Albin qu'ils aient renoncé pour le moment, mais ce n'était hélas qu'un répit avant des explications qu'il ne se sentait pas de fournir. Il avait déjà bien assez de tracas avec ce qui s'était passé. Il ne pouvait s'empêcher de revivre en boucle les derniers évènements, ressassant les mêmes questions : Roy et le livreur ne faisaient-ils qu'un ?
Si c'était le cas, si son refuge avait été bel et bien découvert, il n'était plus en sécurité à l'auberge des sept nains, mais s'il partait, où irait-il ? Il ne pouvait escompter que la chance lui offrirait un nouveau aussi aisément et une compagnie aussi agréable. 

Dès le lendemain, Albin était sur pied, cependant les nains ne revinrent pas de suite à la charge. Cela arrangea bien l'adolescent qui se creusait vainement la tête pour trouver quoi leur dire.
Quelques jours et nuits peuplées d'affreux rêves s'écoulèrent. Violette fit plusieurs tentatives pour lui tirer les vers du nez, mais entre les enfants et les clients, le moment de l'interroger n'était jamais le bon et toujours ils étaient interrompus. Albin n'avait même pas d'effort à faire pour esquiver les questions.
Il se tourmentait en revanche jour et nuit avec Roy, le livreur et la curiosité des nains à satisfaire. Ses cauchemars étaient plus intenses que jamais si bien qu'il dormait à peine et sous ses yeux de larges cernes se dessinaient.
 
Un soir, après le dîner, Pierre le coinça dans le couloir et l'interrogea sans ménagement :
— Bon, alors, quel âge tu as ? D'où tu sors ? Sais-tu qui était ce type?  René persiste à dire qu'il n'y a pas d'urgence à savoir le pourquoi du comment, mais moi, j'ai l'impression que si on attend ton bon vouloir, on va rester dans le noir.
Les larmes montèrent aux yeux fatigués d'Albin sans qu'il puisse les retenir.
Pierre grommela entre ses dents et grimaça.
— Désolé, je vous jure que je n'ai rien fait de mal, murmura Albin.
— Nous avons eu le temps de nous rendre compte que tu étais un brave garçon. Ce n'est pas pour t'embêter qu'on veut savoir, mais pour pouvoir t'aider. Tu peux nous faire confiance.
— Je sais, mais...
Il s'interrompit, pleurant doucement. Pierre se mit sur la pointe des pieds et lui tapota l'épaule dans une tentative maladroite pour le réconforter, puis s'éloigna.
Albin l'entendit appeler Carole, mais c'est finalement Violette qui apparut au bout de quelques minutes avec un mouchoir en tissu blanc qu'elle utilisa pour sécher les yeux d'Albin.
— Je pense toujours que ce serait mieux que tu nous dises tout, mais il ne s'agit pas de te rendre malade non plus avec ça.
— Désolé, répéta Albin.
Si seulement il avait pu, mais s'il leur avouait tout, leurs regards changeraient : les nains seraient sûrement horrifiés et dégoutés de sa relation avec Roy.

mercredi 30 décembre 2015

Contes modernes - 194

Albin voulut protester, mais sa langue était pâteuse, engourdie, comme tout son corps. Il voulut s'éloigner de l'homme, mais manqua encore de tomber.
Les nains arrivèrent alors. Le livreur chercha à le pousser en hâte dans l'habitacle de sa camionnette, mais déjà les nains descendaient de leur véhicule tandis qu'Albin luttait faiblement. Il n'était pas dans son état normal depuis qu'il avait bu le jus de pomme de cet homme. Il ne voulait aller nulle part avec lui.
— Que se passe-t-il ? gronda Pierre.
Le livreur lâcha Albin qui s'effondra aussitôt au sol, se mit précipitamment au volant, claqua la portière et démarra en trombe.
Les nains vinrent l'entourer. A moitié dans les vapes, l'adolescent tenta de les rassurer, mais n'y parvint pas. Sans qu'il puisse en avoir la certitude entre la barbe et la casquette, il commençait à craindre que le livreur n'ait pas été un inconnu, mais Roy déguisé... Sa dernière pensée avant de perdre connaissance fut que plus que trois petites semaines les séparaient de ses dix-huit ans et d'une majorité salvatrice.

    Quand Albin revint à lui, René, Carole et Violette étaient à son chevet, dans sa chambre, l'air soucieux. Pierre devait être ailleurs avec les enfants. Albin exposa brièvement sa mésaventure, sans préciser qu'il avait une idée sur l'identité du livreur.
— C'est louche toute cette affaire, René n'a jamais commandé cela, affirma Violette.
— Et quand bien même, tu n'avais pas à faire le boulot du livreur à sa place, fit remarquer Carole.
— Tes parents ne t'ont donc jamais appris qu'il ne fallait rien boire ou manger offert par des inconnus ? demanda René d'un ton mi taquin, mi inquiet.
Albin eut un pincement au cœur en revoyant sa mère le mettre en garde à ce sujet. C'est vrai qu'il avait été imprudent, tout à son désir que le livreur qui le mettait mal à l'aise ne débarrasse le plancher. Seulement, au final, ce n'était peut-être pas un inconnu, mais Roy. Et c'était pire ou pas. Que n'importe qui puisse avoir envie de le kidnapper n'avait rien de rassurant.
— Je crois que tu ferais mieux de nous raconter pourquoi tu en es venu à te cacher dans la forêt. J'étais d'avis que t'offrir un refuge sans te poser de questions était le plus simple pour toi comme pour nous, mais à la lumière des derniers évènements, je ne le suis plus,  déclara Violette.
Albin frissonna. Il ne pouvait pas en parler. Il avait trop honte.
— Pierre pestait à ce sujet... Il est convaincu que tu vas nous apporter des ennuis... glissa Carole.
— Allons, pas la peine de dramatiser les choses. Après tout, tout est bien qui finit bien, coupa René.
— Chéri ! s'écria Violette.
— Oui, je souhaite moi aussi désormais savoir, mais le pauvre garçon a été probablement drogué et vient d'échapper de justesse à ce qui ressemblait fort à un enlèvement, alors on peut bien encore attendre un peu avant qu'il ne se confie, non ?
— C'est vrai, soupira Violette avant d'ajouter, sévère, à l'intention de l'adolescent que la discussion était loin d'être terminée.

mardi 29 décembre 2015

Contes modernes - 193

De temps à autre, les nains fermaient l'auberge et partaient en ville tous ensemble pour voir des amis. Albin ne les accompagnait évidemment jamais. Chaque fois, ils lui proposaient de l'emmener, mais systématiquement, il refusait, car même si sans les nains, c'était tristement vide, il ne voulait pas risquer de tomber sur Roy par extrême malchance ou quiconque de sa connaissance. Sans compter qu'il était peut-être recherché par la police si son beau-père avait signalé sa disparition.
Alors qu'Albin s'activait dans la cuisine préparant le souper pour les nains pour quand ils rentreraient, il entendit des bruits de moteur.
Il alla jeter un œil à la fenêtre, intrigué : il était bien trop tôt pour que les nains soient déjà de retour.
Une camionnette blanche ornée d'une corbeille de fruits était en train de se garer.
Un homme au visage mangé par une barbe drue, une casquette enfoncée sur la tête en sortit et alla toquer à la porte.
Albin n'avait aucune obligation d'ouvrir et n'y tenait pas. Cependant, comme l'homme insistait, l'adolescent se demanda s'il ne s'était pas perdu et cherchait son chemin. C'était arrivé à plus d'une reprises que quelqu'un ne s'égare dans la forêt. Il se rendit donc à la porte.
— Bonjour monsieur.
— Bonjour, je viens livrer des fruits et des légumes.
Les nains ne l'avaient prévenu d'aucune livraison et s'occupaient en généralement eux-mêmes de l'approvisionnement.
— Cela doit être une erreur.
— Ah non, pas de blague, c'est au nom de Monsieur Joyeux. Tout a été payé.
Se disant que c'était un oubli de la part des nains, Albin acquiesça.
— Tu veux bien m'aider ? Je me suis égaré en venant et je suis en retard dans ma livraison.
Albin accepta. Sans qu'il sut pourquoi, le livreur lui était antipathique et il avait hâte qu'il s'en aille. L'aider à décharger la camionnette engendrerait son départ et le malaise qu'Albin ressentait en sa présence se dissiperait.
Le nombre de cagettes à soulever n'était pas petit. Des pommes, des patates, des carottes, cela n'en finissait pas.
Albin ne distinguait pas les yeux du livreur dans l'ombre de sa casquette, mais il les sentait sur lui, désagréablement scrutateurs. En vain, il se répétait que ce n'était qu'une impression, qu'il se faisait des idées.
Enfin, la tâche fut accomplie. Albin qui n'avait jamais été de constitution solide était tout essoufflé. Le livreur lui proposa de se désaltérer. Il avait un délicieux jus de pomme. Albin déclina, un verre d'eau du robinet de la cuisine qui était à deux pas, lui irait très bien. L'homme insista :
— Tu as l'air bien pâle. Un peu de sucre te fera le plus grand rien. C'est une merveille.
Albin céda, pressé qu'il parte. Cependant, après avoir bu, loin d'aller mieux, la tête lui tourna. Il vacilla et c'est le livreur qui l'empêcha de tomber.
— Mon pauvre, souffla-t-il.
L'intonation de sa voix lui rappelait Roy. Albin déglutit.
— Asseyons-nous dans la camionnette, offrit l'homme.
Pourquoi ne le conduisait-il pas plus tôt à l'intérieur de l'auberge ?

lundi 28 décembre 2015

Contes modernes - 192

Les semaines s'étaient transformées en mois. Albin évitait soigneusement les clients, préférant être vu par le moins de monde possible : si jamais il était reconnu par quelqu'un, que cela parvenait aux oreilles de Roy, alors à nouveau, il serait à sa merci.
Hélas, ce jour-là, le petit dernier ayant une très forte fièvre accompagnée de convulsions, Violette dut le conduire en ville en urgence et René demanda à Albin de servir en salle parce qu'il y avait beaucoup de monde.
Albin qui était plein de reconnaissance à l'égard des nains qui l'avait recueilli prit sur lui.
Il détesta cela, mais cela créa un précédent, si bien qu'à chaque fois le benjamin eut besoin d'être amené chez le pédiatre – hélas trop souvent  – Albin se retrouva en salle.
Les regards sur lui l'incommodaient, surtout celui des hommes adultes. Il se morigénait, tous n'étaient pas gays et susceptibles de lui sauter dessus. Personne ne savait ce que Roy lui avait fait, comment son corps réagissait à sa grande honte, combien il était en réalité sale et laid. Personne ne devait jamais l'apprendre.
Ce devait être la troisième fois qu'il faisait le service quand un homme châtain dans la trentaine le retint.
— Vous êtes nouveau ?
— Je suis en cuisine d'habitude, répondit Albin, se demandant si sa façon de faire le service laissait à désirer.
— Je suis content que vous en soyez sorti pour une fois, répondit l'homme avec chaleur.
Son intérêt visible pour sa personne gêna Albin qui se dépêcha de s'éloigner de la table et se débrouilla au plat suivant pour laisser le client à René.
Il le revit cependant la semaine suivante. Par manque de chance, c'était la pièce à côté de la sienne qui avait été attribuée à l'homme.
Tombé nez à nez avec lui en venant se coucher, Albin sentit que l'homme allait engager la conversation et s'engouffra en hâte dans sa chambre dont il claqua la porte avant de s'adosser au battant, son cœur tambourinant à un rythme effréné dans sa poitrine. Sa peur était absurde, car l'homme, même s'il l'avait regardé avec intensité, ne lui avait rien fait.

Du temps encore passa et Albin se prit à croire qu'il allait pouvoir demeurer là jusqu'à son dix-huitième anniversaire, âge de la majorité, moment où Roy n'aurait plus de prise sur lui. Il se mit même à espérer qu'il pourrait rester plus longtemps que cela, car même si ses cauchemars persistaient nuit après nuit, il aimait l'auberge et s'était pris d'affection pour les sept nains.

jeudi 24 décembre 2015

Contes modernes - 191

Auprès des nains, les jours s'étaient écoulés paisiblement rythmés par les anniversaires et les mariages, le va-et-vient des clients qui parfois ne faisaient que manger, parfois dormaient également sur place.
C'était une chambre normalement destinée à la clientèle qui avait été laissée à Albin, un manque à gagner que Pierre, râleur de première catégorie n'avait pas manqué de souligner. René, bonhomme lui avait fait remarquer qu'Albin s'occupait des enfants sans être payé et se chargeait en plus d'une grosse partie de la vaisselle, leur permettant d'assurer un service plus fluide en salle.
Même si les trois petits n'étaient pas facile à gérer, l'aîné étant simplet sur les bords, le cadet très timide et le plus jeune souvent malade, et que du côté des adultes, chacun avait son caractère - Violette était du genre madame je sais tout, Carole avait tendance à se défiler pour certaines tâches, Pierre était prompt à s'emporter pour un rien et René à blaguer sur tout - Albin s'était peu à peu détendu comme s'il n'avait jamais vécu ailleurs que dans cette chaleureuse auberge perdue dans les bois au milieu des sept nains.
Ses nuits cependant étaient restées peuplées de sinistres cauchemars au sujet de Roy. Il était toujours sous le même toit que lui, à la merci de ses désirs. Ou bien son beau-père le retrouvait et possédait son corps brutalement, en lui glissant des compliments à l'oreille. Dans certains cas, il le prenait devant les nains qui devenaient témoins de la façon dont son corps s'excitait. Dans d'autres, il entendait miauler son petit chat tandis que Roy riait à gorge déployé, un verre à la main.

Quand après une nouvelle nuit cauchemardesque, Albin avait appris au petit déjeuner que le couple qui allait prochainement fêter son mariage dans l'auberge était formé par deux hommes, il n'avait pu cacher son dégoût. Imaginer que quelqu'un puisse consentir volontairement à se faire prendre par derrière le mettait mal à l'aise. Pour lui, c'était une violence.
Il s'était pour la première fois accroché avec les nains. Violette avait eu tôt fait de démonter les supposés préjugés qu'Albin pouvait avoir à l'égard des gays tandis que Pierre s'était dit déçu de son intolérance devant la différence : celui lui posait-il au bout du compte un problème de vivre avec des personnes de petites tailles ? Albin, face à leurs reproches, avait été désolé. Il avait tenté de se justifier, mais ses pauvres arguments avaient été balayés. Il avait fini par s'incliner et admettre qu'il était dans l'erreur au sujet des couples de même sexe. Dans son coin, il s'était interrogé sur Roy et sur lui-même, incapable de trancher. Il savait Roy hétérosexuel à la base, mais lui ?
C'était en apercevant à travers la fenêtre, les deux hommes descendre d'une voiture de sport rouge et s'embrasser qu'Albin avait réalisé que ce n'était en rien comparable avec sa relation tordue avec Roy, et ce, indépendamment de son orientation sexuelle.
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Je vous souhaite un joyeux Noël et, sauf imprévu, rendez-vous lundi 28 décembre pour la suite !

mercredi 23 décembre 2015

Contes modernes - 190

Il s'était finalement enfoncé dans la forêt aux abords de la ville, se disant que le retrouver au milieu des grands arbres serait compliqué.
La nuit venue, cependant, la fraîcheur printanière l'avait enveloppé et soudain, les arbres lui avaient paru plus menaçants que protecteurs. Épuisé, il avait fini par s'endormir recroquevillé dans un amas rocheux.
Quand le jour s'était levé, il avait repris sa marche, tout ankylosé, l'estomac gargouillant. C'était une bonne odeur de pain chaud qui l'avait conduit à une clairière dans laquelle se dressait un bâtiment où était suspendu une pancarte ornée de sept bonnets rouges.
Combien de temps était-il resté immobile à humer l'alléchante odeur comme s'il pouvait s'en nourrir tout en regardant la façade aux murs blanchis à la chaux avec des colombages sur le haut et le toit d'ardoise ? Une voix l'avait interpellé dans son dos, le tirant de sa rêverie.
Il avait fait volte-face et s'était retrouvé devant un homme atteint de nanisme vêtu d'un survêtement vert, violet et noir qui n'était pas sans rappeler le costume d'un bouffon.
Albin avait prétendu s'être égaré. Son estomac avait gargouillé et le nain l'avait invité à entrer se restaurer.
A l'intérieur, le chaos régnait. Une naine aux traits tirés se tenait debout un bébé dans les bras, un petit enfant accroché à sa jupe et un autre courant au milieu de tables et de débris de vaisselle.
Elle avait expliqué que le gamin avait voulu jouer au magicien et tiré sur la nappe d'une des tables dressés pour l'anniversaire qui allait être fêter tout à l'heure. Elle avait ensuite reproché au nain de l'avoir laissée seule avec les trois enfants, Pierre et Carole ayant dû partir en ville pour des courses complémentaires de dernières minutes. Le nain avait aussitôt affirmé ne pouvoir se passer de son jogging.
Albin avait spontanément offert son aide pour remettre de l'ordre dans la pièce. Sa proposition reçue avec une certaine incrédulité, avait été néanmoins acceptée.
Albin s'était chargé de rassembler les débris de vaisselle que le tour de magie raté du charmant petit monstre qui ne tenait pas en place, avait occasionné.
Après avoir goûté du pain de la naine, s'occuper du garçonnet avait été la seconde tâche d'Albin qui n'avait eu aucun mal à l'apprivoiser. L'innocence de l'enfant l'avait fasciné, cela ne faisait que trop longtemps qu'il avait perdu la sienne, ainsi que ses illusions.
A la fin de la journée, le nain au jogging qui s'était révélé s'appeler René Joyeux, lui avait proposer de le ramener en ville. Albin avait refusé, avouant qu'il n'avait nulle part où aller et ne comptait pas quitter la forêt, ce qui avait bien sûr suscité des questions des nains de l'auberge : ils était sept en tout, deux couples adultes et trois enfants. Si Pierre et Carole  voulaient savoir son âge, s'il avait fugué, René et Violette  étaient d'avis qu'il était inutile d'avoir des détails.
Au bout de longues délibérations, les quatre nains avaient eu pitié de sa détresse et il avait eu le droit de rester. Entre le petit magicien, les deux autres petits du même acabit et la gestion de l'auberge, il y avait de quoi faire et une paire de bras supplémentaires était loin d'être inutile.

mardi 22 décembre 2015

Contes modernes - 189

Et puis Roy avait pris l'habitude de lui passer la main dans les cheveux et de l'embrasser à son retour du bureau, comme s'ils avaient formé un couple. Albin en avait été déboussolé. Roy était son beau-père. Il le forçait à coucher avec lui, le tuant à petit feu, lui faisant détester son corps. Plus Roy le complimentait sur sa beauté, plus Albin se sentait laid et misérable.
Roy s'était mis à lui faire des scènes s'il tardait à rentrer après les cours. Il n'était pas question qu'Albin fréquente qui que ce soit. Il était sien, même s'il ne le voulait pas.
Albin s'était mis à espérer ne plus rien sentir, à ne plus rien entendre de Roy et de sa voix qui s'extasiait sur la blancheur de ses cuisses et la finesse de ses traits. Il s'était mis à vivre comme un automate, se levant chaque matin, suivant les cours et revenant.
Un soir, il n'avait pas trouvé à la maison le chat qu'il avait recueilli. Il avait voulu partir à sa recherche, mais Roy rentré exceptionnellement tôt, l'en avait empêché et avait fini par lui annoncer que l'animal était mort.
Albin n'avait pas compris, le chat se portait à merveille quand il avait laissé le matin. Il s'était mis à pleurer et Roy s'était énervé : ce détestable animal ne méritait ni ses larmes ni ses caresses, tout ce dont Albin aurait dû se soucier, c'était lui, c'était pour ça qu'il s'était débarrassé du félin.
Albin s'était emporté, ne pouvant croire que Roy avait tué son petit chat. Roy l'avait attiré dans ses bras et cajolé de force.
— Allons, mon tout beau, je suis là, moi...
Albin avait miraculeusement réussi à s'arracher à son étreinte, s'était précipité à la porte et enfui, Roy l'appelant sur ses talons. Dans le jardin, il était tombé et Roy l'avait ramené à l'intérieur. Nul n'avait assisté à la scène.
Cette nuit-là, Roy avait possédé Albin à plusieurs reprises jusqu'à ce que ce dernier perde connaissance. Il l'avait ensuite ramené à lui en lui passant un gant sur le visage, tout en lui susurrant des mots doux. Albin était resté muet.
L'amour de Roy était maladif. Il l'avait toujours su, mais au fond espéré que les choses s'arrangeraient. Elles ne faisaient qu'empirer, la jalousie et possessivité de Roy augmentant.
Quand son beau-père était parti travailler, Albin avait fourré dans son sac quelques affaires et avait quitté la maison, décidé à ne plus y remettre les pieds.
Au fur et à mesure qu'il s'était éloigné, son cœur était devenu plus léger. Ce qui l'avait retenu jusque là, c'était la peur d'où il dormirait, de comment il mangerait, de ce qui se passerait s'il était rattrapé. A présent, tout ce qui comptait, c'était de creuser la distance entre lui et Roy.

lundi 21 décembre 2015

Contes modernes - 188

Albin avait essayé de le raisonner, mais Roy avait continué à évoquer sa beauté. Albin était encore plus beau que sa mère. Roy ne l'avait pas remarqué jusque là, mais à présent qu'Albin grandissait, ce n'était plus pareil.
Albin avait voulu s'éloigner de lui, pressentant que quelque chose de terrible allait se produire, mais Roy l'avait retenu.
Il avait collé à nouveau ses lèvres contre les siennes et l'avait plaqué dans le lit, ses mains s'infiltrant sous son pyjama. Albin s'était débattu, ses cris étouffés par la bouche de Roy. Il était trop faible, trop choqué.
Il s'était retrouvé nu. Roy avait sorti son engin et l'avait planté dans son corps, le déchirant. Un poignard planté en plein cœur n'aurait pas été moins douloureux. Après quoi, Roy s'était endormi en ronflant comme l'ivrogne qu'il l'était.
Quelque chose était mort en Albin cette nuit-là. Il était resté longtemps immobile, écrasé sous le poids de Roy, ne comprenant pas comment son monde avait pu basculer dans ce cauchemar horrible. Lentement, il avait fini par se dégager et s'était réfugié dans la salle de bains d'un pas trébuchant. Là, il s'était lavé, frottant sa peau jusqu'à ce qu'elle rougisse.
Il avait pleuré jusqu'à l'épuisement ne l'entraîne dans un sommeil agité.
Quand il s'était réveillé, recroquevillé dans la baignoire, enveloppé dans une serviette humide, Roy se tenait debout devant lui. Il lui avait présenté des excuses. C'était l'alcool. Le chagrin.
Albin avait voulu le croire quand il lui avait affirmé que cela ne se reproduirait pas, malgré le dégoût que lui inspirait désormais Roy.
Les jours suivants, il avait gardé de prudentes distances avec lui. Roy s'était montré affreusement gentil, presque comme avant. Il avait même cessé de boire, mais cela n'avait pas duré longtemps. Le cauchemar s'était répété : les compliments, les baisers et ensuite la possession brutale de son corps.
Le lendemain, Roy s'était à nouveau répandu en excuses, mais cela n'avait rien changé. Chaque soir, après avoir bu, Roy avait étreint Albin qui avait peu à peu cesser de lutter.
Il avait perdu l'appétit et le sourire. Il ne voyait pas comment s'en sortir. Il était à la merci de Roy qui était devenu sa famille. Même s'il avait eu quelqu'un à qui confier ce qui se passait, il en aurait été incapable, trop dévoré de honte.
Le discours de Roy s'était peu à peu transformé. Il s'était mis à lui susurrer à l'oreille qu'Albin aimait ça, être pris et caressé, qu'autrement son pénis ne se serait pas érigé ainsi, qu'il n'aurait pas poussé tous ses petits gémissements.

vendredi 18 décembre 2015

Contes modernes - 187

L'AUBERGE DES 7 NAINS
Après la mort de son père, sa mère avait été dévorée de chagrin. Encore petit garçon à l'époque, Albin, lui-même triste, avait tout fait pour redonner le sourire à sa maman. Il avait été sage et studieux à l'école et gentil à la maison, câlinant et embrassant sa pauvre mère éplorée.
Il n'avait eu guère de succès. C'est en rencontrant un autre homme, Roy, qu'elle avait retrouvé le goût à la vie.
Roy était un homme séduisant, même si désagréablement sûr de son charme. Albin cependant s'en moquait, tout ce qui comptait pour lui, c'était le bonheur de sa mère.
Roy et elle s'étaient mariés, marquant le début d'une nouvelle vie de famille, mais quelques années plus tard, elle était tombée gravement malade et était morte. Albin avait été dévasté. Roy aussi. Il avait commencé à boire tous les soirs en revenant de son bureau, ainsi que durant le week-end.
Albin s'était mis à appréhender les samedi et les dimanche. Ses tentatives pour détourner Roy de la bouteille avaient toutes échouées. Ce dernier ne voulait plus jouer au ballon ou au jeu vidéo comme autrefois. Il se moquait que la maison soit sale, le réfrigérateur vide et les habits d'Albin trop petits. Le caddie de courses quand il les faisait, c'était essentiellement de bouteilles d'alcool qu'il le remplissait.
Assis dans un des fauteuils du salon, en face d'un grand miroir, il s'enfilait verre sur verre, adressant à son reflet des discours sans queue ni tête.
Au début, Albin était resté auprès de lui, cherchant à l'aider, mais il avait fini par se réfugier dans sa chambre pour ne plus assister au triste spectacle de Roy s'enivrant.
Durant cette noire période, il avait ramené un chaton abandonné, puisant du réconfort dans la présence du petit animal.
 

Un samedi soir, tard dans la nuit, Roy avait poussé sa porte. Sa silhouette s'était découpée nettement dans le rai de lumière en provenance du couloir. Il l'avait appelé.
Albin s'était redressé dans son lit encore ensommeillé. Roy était venu s'asseoir à côté de lui, puant l'alcool à plein nez.
— J'ai demandé au miroir et il m'a répondu que tu étais le plus beau, avait-il déclaré d'une voix pâteuse.
Là-dessus, il avait allumé la lampe de chevet d'Albin et l'avait regardé avec une intensité étrange avant de lui caresser les cheveux. Albin n'avait pas bougé. Roy ne lui avait jamais fait mal jusqu'alors.
— Noir comme le charbon...
La main de Roy était descendue sur la joue d'Albin.
— Peau blanche comme la neige...
Et puis, il l'avait embrassé sur la bouche. Albin l'avait mordu par réflexe.
Roy avait effleuré ses lèvres du pouce.
— Rouge comme le sang, avait-il achevé.

jeudi 17 décembre 2015

Contes modernes - 185

— Ils t'ont finalement dit que tu avais été adopté ?! s'écria Aurélien.
— Tu le savais ? souffla Dan en passant une main nerveuse dans ses cheveux blonds.
— Je l'ai appris par hasard, il y a des années de cela. Adopté ou pas, tu es mon frère et tu le resteras. C'est cruel de leur part de te l'avoir balancé à la figure comme ça.
— Ce n'était pas plus délicat de ma part de leur apprendre presque de but en blanc que j'étais sur le point de me marier avec un autre homme, argua Dan avec un sourire triste.
Clowis s'en mêla :
— Ne les défends pas. Ils nous ont traités comme d'épouvantables criminels alors qu'eux-mêmes ont eu le culot de te laisser payer des années durant pour leur « véritable, seul et unique fils. »
— Je ne regrette rien, répliqua Dan.
C'était comme s'il croyait avoir mérité d'être traité comme un étranger. Philippe était d'avis que sur ce coup, les parents d'Aurélien étaient impardonnables.
— Ma foi, on verra ce qu'ils me sortiront quand je leur annoncerai que Philippe et moi formons un couple, déclara Aurélien.
— Tu vas leur dire, même en sachant qu'ils le prendront mal ? s'étonna Dan.
Philippe était tout aussi surpris. Cela ne pouvait que conduire à une dispute. Peut-être le renieraient-ils également.
— Oui. Je ne veux pas qu'ils cherchent à me faire épouser une gentille fille à l'avenir, en me croyant célibataire.
— Leur faire perdre deux fils d'un coup... commença Dan.
— Si c'est le cas, ce sera leur choix, coupa Aurélien. S'ils ne peuvent pas se réjouir pour nous d'avoir trouvé des partenaires qui nous rendent heureux, indépendamment de leur sexe, ce n'est pas notre faute, ajouta-t-il.
Philippe résista difficilement à l'envie de l'embrasser. Il réalisait enfin à quel point Aurélien était sérieux à son égard : il leur voyait un avenir ensemble.
— Ton frère à raison, approuva Clowis avant de les inviter à rester manger.
Ils acceptèrent et ils passèrent un moment agréable sans plus trop toucher au sujet fâcheux des parents d'Aurélien et Dan. Ils seraient les bienvenus au mariage s'ils revenaient à de meilleurs sentiments. Les préparatifs avançaient bien. Une auberge répondant au doux nom des « Sept nains » avait été réservée. Un des amis de Clowis avait organisé sa fête de mariage là-bas et si elle était perdue dans la forêt, elle possédait un charme indéniable et le service y était parfait.

Quand ils furent rentrés dans leur nid, Philippe put enfin poser ses lèvres contre celles d'Aurélien.
En retour, ce dernier le prit dans ses bras.
— Je dois t'avouer que jusque là, j'avais l'impression que ce que je vivais avec toi n'était qu'un rêve dont je pouvais à tout moment me réveiller, déclara Philippe.
— Il était temps que tu te rendes compte que je n'ai pas l'intention de te lâcher avant cent ans au  moins ! s'exclama Aurélien, en le serrant avec davantage de force.
— Oui... souffla Philippe.
Le corps d'Aurélien pressé contre le sien, sa voix chaleureuse, ses yeux crépuscule posés sur lui, tout était bien réel. Ils étaient tout les deux bien éveillés, ensemble jusqu'à l'ultime sommeil.

                                                     FIN
                                      Rendez-vous demain pour L'Auberge des 7 nains.

mercredi 16 décembre 2015

Contes modernes - 185

Philippe protesta : cela avait beau lui faire plaisir, il appréhendait la réaction des parents d'Aurélien. Que leurs deux fils se soient mis en couple avec des hommes risquaient de leur faire un choc. A sa connaissance, Dan ne leur avait encore rien annoncé.
— S'ils le prennent mal, c'est leur problème. Moi je leur ai pardonné d'avoir voulu me débranché.
Philippe l'embrassa doucement. La magnanimité d'Aurélien l'impressionnait. C'est d'ailleurs entre autres pour cela qu'il avait autant craint qu'il ne retombe dans les bras de Léa. Il ne lui tenait pas rigueur d'avoir rompu durant son coma prolongé.
Aurélien lui rendit son baiser, mais de façon plus aventureuse et la conversation fut abandonnée pour un ébat des plus tendres.

Aurélien qui depuis son réveil n'était pas du genre à perdre son temps eut tôt fait d'inviter son frère et Clowis à déjeuner afin d'exposer sa relation avec Philippe. C'était en quelque sorte un galop d'essai puisque Dan s'en doutait.
Au dernier moment, cependant, Clowis téléphona pour annuler parce que Dan était malade.
Ce contretemps mit Aurélien de mauvaise humeur, si bien que quand quelques jours plus tard, Clowis refusa de fixer une autre date et de lui passer Dan, Aurélien entraîna Philippe avec lui pour une visite surprise.
Même la munificence du logis de Clowis ne l'intimida pas. Ce dernier, le visage impénétrable, voulut les renvoyer dans leurs pénates, mais Aurélien insista pour voir son frère.
Dan apparut alors que la situation semblait bloquée, Aurélien comme Clowis campant chacun sur leurs positions.
Il était pâle et se déplaçait d'un pas traînant, les épaules voûtées. Il n'était clairement pas dans son état normal.
— Tu es très malade ? s'inquiéta Aurélien.
— Non, ce n'est pas ça.
— Alors quoi ? demanda Aurélien avec brusquerie en s'approchant de lui.
— C'est compliqué, soupira Dan tandis que Clowis venait se poster près de lui comme pour le protéger.
Philippe eut une illumination : Dan avait parlé de sa relation avec Clowis à ses parents qui avaient dû mal le prendre et dû lui révéler qu'il n'était leur véritable enfant.
— Je veux bien que cela le soit, mais si tu es fâché contre moi, tu pourrais m'expliquer pourquoi !
Dan resta silencieux. Clowis aussi. Philippe, lui, décida de se fier à son intuition et intervint :
— Ton coming-out s'est mal passé, c'est ça ?
Dan opina.
— L'annonce de mon mariage prochain avec Clowis ne leur a en effet pas fait plaisir.
— Et ils ont déclaré que tu n'étais pas leur fils.
Dan jeta un coup d'œil anxieux dans la direction d'Aurélien. Le pauvre ne se doutait pas que même quand c'était la chair de leur chair, certains parents rejetaient tous liens avec leur enfant homosexuel. Parmi les hommes que sa mère avait réussi à présenter à Philippe, nombreux étaient dans ce cas.

mardi 15 décembre 2015

Contes modernes - 184

Aurélien finit cependant  par ne lui laisser aucune échappatoire :
— Ça suffit de continuer à prétendre que tu te portes comme un charme... Je t'ai laissé du temps, mais je ne suis ni aveugle ni idiot, je vois bien que quelque chose te ronge.
Philippe n'y tint plus :
— C'est à propos de Léa...
— Eh bien quoi ?
— Ta soirée avec elle.
— Elle a été pénible.
La soirée ou Léa ? S'était-il monté la tête tout seul dans son coin ?
— Pourquoi tu n'as pas abordé le sujet ?
— Toi non plus ! Je doutais que tu veuilles m'entendre parler de mon ancienne petite amie.
— Tu ne vas pas te remettre avec elle ?
Aurélien secoua la tête.
— Aux dernières nouvelles, nous sommes ensemble toi et moi.
— Oui, mais si tu veux reprendre ta liberté...
La voix de Philippe se brisa. Cela lui coûtait trop de déclarer qu'il était prêt à le laisser partir. Qui plus est, c'était faux.
— Je ne me sens pas prisonnier. Et si tu veux tout savoir, elle souhaitait en effet renouer avec moi parce que cela n'a marché avec aucun des types avec qui elle sortit après moi, mais j'ai refusé.
L'étau qui broyait la poitrine de Philippe depuis des jours se desserra. Sa concurrente la plus sérieuse était à priori hors jeu.
— Tu n'as pas de regrets ? ne put-il s'empêcher de demander.
— Pas l'ombre d'un. Elle a été désagréablement insistante et elle n'a pas voulu me croire quand je lui ai expliqué que c'est toi que j'aimais. Est-ce si inconcevable ?
Aurélien ne le lui avait jamais dit. Philippe sentit son cœur se gonfler de joie. Cela ne pouvait être un  prétexte pour se débarrasser de Léa, Aurélien avait l'air trop contrarié que son ex ne l'ait pas pris au sérieux. Philippe comprenait toutefois l'incrédulité de Léa.
— Tu es hétérosexuel. C'est les filles qui t'attirent.
— Et c'est pour ça que je n'adore rien tant que te faire gémir au lit en te faisant une fellation ! Même si c'est vrai que je ne me vois sucer aucun autre homme de cette façon, ça me blesse que tu t'imagines que je vais te lâcher pour le premier jupon venu !
Philippe ne pouvait nier l'avoir pensé et à plus d'une reprise.
— Désolé de douter. C'est parce que cela me semble trop beau pour être réel.
— Et pourtant ça l'est. Tu as été mon phare dans cette longue nuit qui a été la mienne. Personne d'autre ne peut prétendre la même chose. Nous devrions officialiser notre relation auprès de nos proches, en commençant par mon frère.
Philippe écarquilla les yeux. Aurélien ne cessait de le surprendre.
— Il n'y a pas d'obligation.
— Non, mais j'en ai envie. Pas toi ?
— Mes parents savent déjà que je suis gay et je serais ravi de pouvoir te présenter auprès d'eux comme mon amoureux et non plus comme un ami.
— C'est décidé, alors !

lundi 14 décembre 2015

Contes modernes - 183

Quand il revint le matin après une longue nuit de gardiennage, il était persuadé qu'Aurélien allait rompre avec lui. Une part de lui craignait même que son ami n'ait déjà déserté les lieux. Il le trouva cependant tranquillement assis dans la cuisine devant une tasse de thé, en train de dévorer un morceau de brioche recouvert de confiture.
Aurélien lui fit un geste de la main, achevant sa bouchée. Philippe vint s'installer en face de lui, le cœur lourd.
— Ça a été ? demanda Aurélien.
— Oui, la nuit a été tranquille, répondit Philippe, sans oser lui retourner la question.
Aurélien se mit à parler du cours auquel il allait assister et Philippe l'écouta, plein d'appréhension, attendant le moment où il en viendrait à sa soirée avec Léa, mais au bout du compte, Aurélien se prépara à partir pour l'université sans avoir dit un mot au sujet de son ancienne petite amie. Que signifiait ce silence ?
Aurélien l'embrassa au moment du départ, mais la douceur de ce baiser ne put dissiper ses angoisses.
En dépit de sa fatigue, Philippe ne put fermer l'œil de la journée tellement cela le rongeait.
Enfin, le soir venu, ses cours finis, Aurélien fut à nouveau là.
— Tu as une mine de déterré ! commenta-t-il. Tu couves un sale virus ? demanda-t-il en lui touchant le front de la main.
Philippe frissonna sous ses doigts pourtant chauds, ressentant un désir désespéré de plus. Il voulait oublier toutes ses craintes dans les bras d'Aurélien. Le prendre pour qu'il lui appartienne, être enlacé pour se sentir chéri. Il n'osait cependant pas plus faire le premier pas que de demander des explications au sujet de Léa.  Il avait peur de l'ennuyer en l'interrogeant et peur des réponses. Aurélien ne lui avait promis rien d'autre que d'essayer d'être avec lui sans lui jurer fidélité ni rien. Si jamais il s'était passé quelque chose avec Léa...
— Juste un peu de fatigue, assura-t-il.

Quelques jours passèrent sans que le malaise de Philippe ne disparaisse et sans qu'Aurélien ne mentionne Léa. En apparence, rien avait changé, mais plus rien n'était pareil.
Philippe était remué à chaque baiser et chaque caresse que lui octroyait Aurélien. Pendant l'amour, il s'accrochait à lui comme un naufragé à sa planche.
A plusieurs reprises, Aurélien lui demanda ce qui n'allait pas, mais chaque fois Philippe prétendit que tout baignait. Si la visite de Léa ne méritait pas d'être discutée, c'est sûrement parce qu'il n'avait rien à en dire. Bien sûr, cela le taraudait et il craignait qu'Aurélien ne la voit en cachette, mais il se morigénait : mieux valait le partager que ne pas l'avoir du tout.

vendredi 11 décembre 2015

Contes modernes - 182

Quand trois mois après l'installation d'Aurélien chez lui, Philippe alla ouvrir la porte pour découvrir Léa sur le seuil, il eut l'impression que l'un de ses cauchemars s'était matérialisé. Hélas, elle était bien là, en chair et en os, terriblement féminine et jolie dans un tailleur bleu pâle. C'était le soir, il était sur le point de partir travailler et ne pouvait rester, ce qui impliquait la laisser en tête à tête avec Aurélien, idée insupportable.
Impossible cependant de refermer le battant sur elle. Aurélien, curieux était venu voir qui avait sonné. Philippe la fit entrer. Il la sentait nerveuse et il voyait bien qu'Aurélien était troublé.
— Bonsoir. Je suis désolée de passer à l'improviste comme ça... Ce sont tes parents qui m'ont communiqué ton adresse. Je suis si contente de te revoir, debout et en forme...
— Moi aussi, entre donc, l'invita Aurélien.
Philippe réalisa alors qu'il bloquait le passage. Il se poussa, incapable de dire un mot, ce qui n'avait aucune importance, car il aurait tout aussi bien pu être transparent.
Enfin, pas tout à fait.
— Philippe, tu ne devrais pas traîner, tu vas être en retard.
Aurélien avait beau avoir raison, Philippe eut tout de même le sentiment qu'il le mettait dehors. Il acquiesça, s'excusant machinalement auprès de Léa alors qu'elle devait au contraire être secrètement ravie qu'il débarrasse le plancher.
Aurélien qui avait pourtant pris l'habitude de l'embrasser quand ils se séparaient et se retrouvaient, ne fit pas un geste dans sa direction. C'était normal puisqu'ils n'étaient pas seuls, mais cela n'empêcha pas Philippe d'en avoir de la peine.
Tout le long du trajet jusqu'à son lieu de travail, il se demanda si Aurélien voudrait encore de lui quand il rentrerait, si le baiser échangé lors du retour de son ami de l'université n'avait pas été leur dernier. Il regrettait de ne pas l'avoir savouré davantage. Il ne voulait pas que cela se termine entre lui et Aurélien, mais quelles chances avait-il si Léa était venue pour le reconquérir ? Quoiqu'en dise Aurélien, c'était sa première petite amie et avant son accident, il l'aimait de tout son cœur. Les dix ans qui s'étaient écoulés ensuite, il les avait vécus comme un espèce de rêve.
En un sens, c'était peut-être aussi bien que Philippe ait été obligé de les laisser plutôt que de devoir assister à leurs tendres retrouvailles.
Depuis le début, il savait qu'entre lui et Aurélien, cela ne pouvait pas durer. Il n'avait déjà que trop abusé du fait que son ami était perturbé à son réveil après son long coma.

jeudi 10 décembre 2015

Contes modernes - 181

Bientôt, Philippe sentit contre son orifice humide et palpitant, quelque chose de dur. Le pénis d'Aurélien était érigé. Il n'y avait aucun souci de ce côté non plus.
Quand il entra en lui, ce fut vaguement douloureux. Aurélien s'immobilisa.
— Ne te retire pas, gémit Philippe.
Il le voulait en lui et peu lui importait l'inconfort.
Aurélien s'enfonça davantage et se mit à bouger jusqu'à frapper ce qui devait être le fameux point P.  C'était soudain incroyablement bon. Aurélien, tout en lui donnant de divins coup de reins, caressait aussi son pénis.
Philippe se mordit la lèvre, retenant les plaintes de plaisir qui montaient à ses lèvres, incontrôlables.
— Laisse-moi t'entendre, haleta Aurélien.
Philippe obtempéra et cria sa jouissance. Aurélien se retira et éjacula à son tour sur les draps avant de s'écraser pantelant à ses côtés.
— Ce serait sans doute mieux d'acheter du lubrifiant et des préservatifs, déclara Aurélien au bout d'un moment. La prochaine fois, ce sera ton tour de me pénétrer, ajouta-t-il.
Philippe se redressa sur un coude.
— Tu veux bien ?
Il avait pensé qu'Aurélien étant à la base hétéro, c'était quelque chose qui resterait de l'ordre des fantasmes. Tout ce qu'il s'était autorisé à espérer jusque là, c'est qu'Aurélien ne serait pas rebuté par son corps masculin.
— Bien sûr. Tu es un homme, pas une femme. Si c'est bon pour toi, cela doit l'être pour moi. Et vice et versa.
Philippe posa la tête sur l'épaule d'Aurélien. Il n'y avait pas de mots assez fort pour exprimer à quel point il l'aimait.

Avant que son congé ne s'achève, Philippe trouva le courage de faire l'amour à Aurélien. Il prit mille précautions pour le préparer si bien qu'à la fin Aurélien s'agaça, mais l'expérience au bout du compte s'avéra positive.
Quand Philippe reprit le chemin du boulot, Aurélien lui se relança dans les études.

Le quotidien était doux. Quand Philippe rentrait tôt le matin, Aurélien était encore là à petit déjeuner. Le soir, ils mangeaient ensemble avant que Philippe ne parte. Ils faisaient l'amour régulièrement, le plus souvent lors des jours de repos de Philippe. C'était le plus souvent Aurélien qui menait la danse, ce qui convenait à Philippe.
Ils passaient le maximum de temps ensemble, allant se promener comme autrefois ou bien restant devant un film ou une émission pelotonnés l'un contre l'autre, chose nouvelle dont Philippe ne se lassait pas.
Il était extrêmement heureux, plus qu'il n'avait espéré l'être un jour. Sa vie avec Aurélien était un rêve dont il n'aurait jamais voulu émerger. Parfois, cependant, il cauchemardait : dans un cas, il était toujours au chevet d'Aurélien immobile à l'hôpital, dans l'autre, son ami lui annonçait que rien ne valait les filles et lui présentait sa future épouse.

mercredi 9 décembre 2015

Contes modernes - 180

— Tu veux savoir la chose qui me dérange vraiment ? C'est l'idée que tu as pu être intime avec d'autres gars ou filles pendant que je dormais ou même avant. Sexuellement, j'entends.
Philippe secoua la tête, même si c'était embarrassant d'admettre qu'il était toujours puceau, ce souci d'Aurélien lui donnait envie d'espérer que ce dernier éprouvait effectivement plus que de l'amitié à son endroit.
— Alors, je serais ton premier, déclara Aurélien, dessinant ses lèvres du bout du doigt.
Philippe ferma les yeux. Il le désirait et l'aimait trop. Il voulait rêver qu'avec Aurélien, c'était possible entre eux. Quand la réalité reprendrait ses droits, le réveil serait pénible, mais tant pis !

En dépit des protestations de ses parents et encouragé par son frère, Aurélien emménagea donc avec Philippe qui avait pris un bref congé pour être là pour son ami le temps qu'il s'ajuste à son nouvel environnement.
Aurélien, une fois ses affaires déballées et rangés, prit Philippe dans ses bras comme si c'était la chose la plus naturelle du monde.
Et bizarrement, ça l'était. Philippe frémit.
— Il n'y a pas d'urgence à... commença-t-il nerveux.
— J'ai déjà gâché dix ans de ma vie à dormir, je ne vais pas en perdre plus. Autant qu'on sache de suite si toi et moi nous sommes compatibles au lit.
Philippe craignait précisément que cela ne soit pas le cas. Et si Aurélien ne bandait pas ?
Son ami l'embrassa tout en se mettant à le déshabiller. Philippe se laissa faire sans oser bouger.
La bouche d'Aurélien descendit dans son cou, puis sur son torse. Il défit sa ceinture et fit glisser son pantalon et slip à ses chevilles, libérant le sexe en érection de Philippe qui d'instinct le cacha.
Aurélien, désormais à genoux devant lui, écarta ses mains et caressa avec vigueur son pénis, dessinant du pouce des arcs de cercle sur son gland.
— Je vais jouir... souffla Philippe.
C'était tellement meilleur que ses fantasmes.
— Pas si vite, répliqua Aurélien, cessant son manège. Je voudrais te pénétrer d'abord.
— Il faut un minimum de préparation pour cela, l'informa Philippe d'une voix voilée.
— Oui, j'imagine...
Aurélien le fit s'allonger et lui écarta grand les jambes. Du doigt, il suivit le pourtour de son anus avant de se baisser et de faire la même chose avec sa langue en salivant abondamment.
Rien ne semblait le dégoûter.

mardi 8 décembre 2015

Contes modernes - 179

— Ne parlons plus de ça, gémit Philippe, douloureusement à l'étroit dans son pantalon.
— D'accord, déclara Aurélien sans insister. Comme tu sais, je vais bientôt pouvoir quitter l'hôpital.
Philippe opina.
Aurélien poursuivit :
— Je n'ai pas plus envie de retourner vivre chez mes parents que de m'imposer chez l'amoureux de mon frère, même si d'après eux, ce n'est pas un problème et qu'il y a des tonnes de chambres d'amis, aussi je me demandais si tu voudrais bien m'accueillir chez toi.
Ce coup-ci, Aurélien ne plaisantait pas. Philippe resta bouche bée.
Vivre avec lui ? Comment se retiendrait-il de lui sauter dessus ? Son appartement n'avait qu'une chambre en plus... Et en même temps, c'était si tentant de le garder à ses côtés, surtout qu'avec son job de gardien de nuit, leurs heures de sommeil ne se chevaucheraient pas.
— C'est petit chez moi, argua-t-il néanmoins.
— Cela ne me dérange pas de partager ton lit et c'est d'ailleurs pourquoi j'aurais aimé clarifier avec toi cette histoire de sexe.
Philippe déglutit. Aurélien allait le rendre fou. Il semblait déterminé à s'engager dans une relation amoureuse avec lui. Cependant, ce n'était sûrement que parce qu'il avait du mal à se remettre de son coma. Il risquait de le regretter plus tard. Philippe devait garder la tête froide pour deux.
— Je ne serais pas dedans en même temps que toi vu mon travail, alors tu peux t'installer chez moi sans que cela implique que nous couchions ensemble.
— Excepté que j'en ai envie.
— Mais tu n'es pas gay ! s'écria Philippe exaspéré.
— Je veux essayer avec toi, répliqua Aurélien et se penchant, il l'embrassa.
Philippe s'arrêta de respirer. Tout disparut autour d'eux. Il n'y avait plus qu'Aurélien et sa bouche sur la sienne.
Le baiser s'acheva. Ils étaient toujours dans les jardins de l'hôpital dans l'ombre des deux grands arbres qui encadraient le banc.
— Tu ne préférerais pas plus tôt revoir ton ancienne petite amie ? Rencontrer d'autres filles ?
— Non, avec Léa, c'est fini. Elle a renoncé. Mais toi, tu es resté. Et tu as plus de valeur que toutes ses inconnues réunies.
— Mais...
Aurélien posa un index sur sa bouche, l'empêchant de continuer et même de penser à autre chose qu'à ce contact.

lundi 7 décembre 2015

Contes modernes - 178

— Je m'en doute, mais tu vois, je préfère expérimenter avec toi parce que tu es un ami cher à mon cœur.
Philippe hésita. C'était une chance qu'Aurélien lui offrait, mais cela pouvait tout détruire entre eux. Les probabilités que cela fonctionne étaient si faibles.
— Si tu n'es pas attiré un minimum par moi, cela ne peut pas marcher.
— Le truc, c'est que je le suis. Dans ce long cauchemar où j'étais incapable de remuer un cil, tu étais présent, tel un phare. Ta voix me réconfortait, de même que ta main qui pressait la mienne.
Aurélien n'avait pas encore digéré ses dix ans passés dans le coma. Philippe ne pouvait profiter ainsi de son désarroi.
— Si c'est par reconnaissance, ne te force pas.
— Je ne m'oblige à rien.
— Tu veux vraiment que je t'embrasse ?
— Oui, comme ça, je saurais que je suis vraiment réveillé.
Philippe fronça les sourcils. Il ne comprenait pas.
Aurélien reprit :
— Tu es admirable d'être resté à mon côté toutes ses années, sans cesser de m'aimer et sans même profiter de mon état pour me voler un baiser. Tu peux me le donner maintenant.
Philippe renonça à se soucier de ce qui se passerait après. Il avait résisté si longtemps... Il se pencha et effleura les lèvres de son ami. Elles étaient aussi douces, non encore plus, que ce qu'il s'était toujours imaginé.
Il s'attarda et insinua sa langue dans la bouche d'Aurélien qui s'ouvrit comme une fleur. Il goûtait à sa saveur, enfin.
A regret, Philippe s'écarta. Aurélien le regardait, lèvres gonflées et yeux brillants.
Philippe eut envie de recommencer, mais il se retint, attendant la réaction de son ami.
— C'était bien.
— Embrasser un homme ou une femme, ce n'est pas très différent, le sexe en revanche, c'est une autre histoire, crut bon de souligner Philippe avant de se maudire pour sa stupidité.
Pourquoi diable cherchait-il à le décourager ?  Sans doute parce qu'il avait peur que leur amitié se brise s'ils franchissaient certaines limites.
— Comment ça marche au juste ? Il y en a un qui fait la femme, c'est ça ? demanda Aurélien.
Philippe grimaça. C'était bien une idée d'hétéro.
— Pas vraiment, pas nécessairement. C'est plus complexe que cela.
— Oh. Ça se joue à pile ou face ?
Philippe allait monter sur ses grands chevaux quand il réalisa qu'Aurélien le taquinait. C'était exactement comme autrefois, comme chaque fois que son ami trouvait qu'il se montrait trop sérieux.
— Chaque couple fait sa cuisine.
— Et toi, qu'est-ce que tu veux ?
Philippe fut embarrassé. Cela faisait tellement d'années qu'il désirait Aurélien qu'il avait à peu près imaginé tous les cas de figures possibles. Il s'était vu frotter son pénis contre le sien, sucer la pointe rose de ses tétons, le prendre contre un mur, être pris par lui sur le sol... Il avait fantasmé des centaines de situations et positions... Dans ses rêves, il avait glissé sa langue dans l'orifice d'Aurélien et son ami avait léché son membre comme une gourmandise, tout en touchant le sien.

vendredi 4 décembre 2015

Contes modernes - 177

— Je te suis très reconnaissant d'être demeuré à mon chevet toutes ses années alors que tant d'autres ont abandonné, ce dont je ne les blâme pas d'ailleurs.
Philippe n'eut pas envie d'entendre la suite, le « mais » qui n'allait pas manquer de suivre, l'excluant à tout jamais de l'entourage d'Aurélien. Il se leva brusquement.
— Je dois y aller, déclara-t-il.
— Où ?
Philippe se précipita vers la porte sans aucune excuse plausible à donner pour expliquer sa quasi-fuite.
— Philippe ! s'écria Aurélien, se redressant difficilement contre ses oreillers.
Il s'arrêta. Être lâche ne lui serait d'aucun secours, seulement il était fatigué d'être courageux après avoir lutté des années durant contre la crainte qu'Aurélien ne se réveille jamais, contre sa jalousie envers sa petite amie...
— Tu reviens demain, n'est-ce pas ?
— Oui, bien sûr.
Philippe s'en fut, rasséréné. Aurélien n'avait pas l'intention de le chasser de sa vie. Cela ne changeait rien au fait que ses sentiments même connus ne seraient jamais réciproques, mais c'était un soulagement. Il lui faudrait cependant être fort quand un jour prochain, les dix années à l'hôpital ne seraient plus qu'un mauvais rêve  pour Aurélien qui rencontrerait une jolie jeune femme et l'épouserait.

Philippe poursuivit ses visites quotidiennes. Aurélien l'accueillait toujours avec un plaisir évident. Son humeur s'améliorait à mesure qu'il progressait dans sa rééducation. Il n'avait pas remis sur le tapis l'amour que lui portait Philippe qui en avait pris son parti. C'était aussi simple de faire comme si de rien n'était.

Aurélien finit par pouvoir quitter son lit et sa chambre, ayant besoin tout de même de s'appuyer sur Philippe pour marcher dans les jardins de l'hôpital.
Ils s'étaient assis sur un des bancs entouré de deux grands arbres, quand Aurélien lança soudainement la conversation sur son frère et son amoureux.
— Hier, Dan m'a officiellement présenté Clowis. J'étais plus ou moins au courant vu qu'il s'était confié avant... Mais je me suis demandé comment il avait pu changer de bord.
— Je n'en sais pas plus que toi.
— C'est délicat de le questionner.
Et aborder ce sujet avec lui qui était gay et amoureux de lui, ne l'était pas ? songea Philippe. Ce genre de contradiction, c'était typique d'Aurélien. Cela faisait parti de son charme.
— Tu peux toujours essayer, suggéra-t-il.
— Oui, bonne idée... Tu veux bien m'embrasser ?
Philippe écarquilla les yeux face à cette demande incongrue d'Aurélien.
— Je voulais dire d'interroger ton frère, pas que toi, tu testes, expliqua-t-il en bafouillant.

jeudi 3 décembre 2015

Contes modernes - 176

Philippe allait repartir sans demander son reste, mais Aurélien l'interpella
— Reste ! Ils s'en vont !
La mère comme le père protestèrent dans un bel ensemble.
— Chacun son tour, déclara Aurélien, impitoyable.
Philippe avait déjà eu le sien, mais à priori Aurélien avait envie de se débarrasser de ses parents.
Le père et la mère, sans plus se faire prier, quittèrent les lieux, peut-être avaient-ils du mal le nouvel Aurélien...
— Désolé de t'avoir utilisé comme prétexte pour les faire sortir.
— Pas de problème. J'aime te rendre service... D'ailleurs, si tu veux te reposer, je peux moi aussi m'en aller...
— Non, j'ai à te parler.
— Tout ce que tu voudras. Tu peux tout me demander. Je suis ton ami.
— Mais tu voudrais être plus.
Philippe se raidit sur la chaise où il s'était assis.
— Pourquoi dis-tu ça ?
Se pouvait-il qu'Aurélien ait vraiment tout entendu durant son coma ?
— Je sais que tu m'as rendu visite tous les jours sans faute pendant plus de dix ans.
Philippe ne savait pas trop s'il devait mentir ou au contraire tout avouer. Il avait peur d'être rejeté en dépit de la constance dont il avait fait preuve durant toutes ses années.
— C'est Dan qui t'a raconté ça ?
Aurélien, ses yeux crépuscules fixés sur Philippe, répondit :
— Oui, mais même sans cela, je le savais. J'avais beau être étendu sans bouger, je percevais des choses.
Philippe ouvrit la bouche, la referma.
Aurélien reprit :
— Tu m'aimes depuis quand ?
La question directe ne laissait pas d'échappatoire.
— Cela change quelque chose ? demanda Philippe, sachant que ce n'était que reculer pour mieux sauter.
— Sans doute que non, parce que tu m'aies caché un truc pareil, c'est une trahison.
Philippe eut mal en entendant ses mots. Aurélien allait lui annoncer qu'il ne voulait plus le voir. C'était horrible. C'était normal.
— Depuis toujours, souffla-t-il.
— Même à l'époque où nous nous disputions pour savoir quel robot transformable était le plus fort, du tien ou du mien ? Vraiment ?
— Oui, affirma Philippe. Et je persiste à penser que mon robot-épée était plus puissant que ton robot-dragon, ajouta-t-il dans un effort dérisoire d'alléger l'atmosphère alors que son cœur était lourd comme une pierre.
Aurélien eut un sourire. Philippe aussi. Il était content d'en revoir un sur les lèvres de son ami, cela lui ferait un doux souvenir de plus à emporter avec lui.

mercredi 2 décembre 2015

Contes modernes - 175

Les jours suivants, hélas, il ne put l'approcher. La famille d'Aurélien, informée, s'était déplacée en masse. Dan, le père, la mère, mais aussi oncles, tantes et cousins. Devant le nombre, en entrant dans la chambre où Aurélien avait été transférée suite à son réveil, Philippe était vite reparti.
De retour chez lui, il avait arpenté son appartement en remuant de sombres sentiments : c'était injuste ! Où étaient-ils tous ses gens quand Aurélien était plongé dans le coma ? Nulle part et maintenant ils grouillaient autour de son lit telle de la vermine. C'était dur de devoir le partager après l'avoir eu pour ainsi dire pour lui tout seul et douloureux de rester à distance.

Finalement, après quelques passages inutiles, le flot de visiteurs se tarit et Philippe put se retrouver en tête à tête avec Aurélien qui avait un air épuisé et perdu.
— Bonjour. Comment te sens-tu ?
— Comme quelqu'un qui a trop dormi.
L'amertume de la réponse d'Aurélien n'échappa pas à Philippe.
— Ce qui compte, c'est qu'à présent, tu sois réveillé.
— Oui, mais je suis encore cloué au lit. Je voudrais le quitter, mais mon corps est comme engourdi et je ne peux pas.
— Petit à petit, tu vas en reprendre le contrôle et d'ici peu, tu gambaderas comme un cabri.
— Ce n'est pas demain la veille.
Aurélien était changé. Il n'avait pas que vieilli, son cœur aussi s'était durci et l'optimiste qui avait été le sien dix ans plus tôt avant l'accident, s'était apparemment dissipé. Lui qui avait toujours été un garçon rayonnant affichait une mine fort sombre.
C'était compréhensible, même si cela attristait Philippe. Il avait lu assez de livre sur le coma pour savoir que ses victimes avaient des difficultés au réveil. Plus grand était le nombre d'années qui s'était écoulé et plus c'était dur, moralement comme physiquement. Dans le cas d'Aurélien, c'était un record.
Philippe tenta de lui remonter le moral :
— Tout le monde va t'aider et ta vie reprendra son cours normal plus vite que tu ne le crois.
Aurélien poussa un long soupir. Philippe regretta de ne pas avoir le droit de le serrer dans ses bras et de l'embrasser. Il aurait voulu pouvoir lui communiquer force et courage.
Une infirmière vint chercher Aurélien pour sa séance de rééducation, mettant fin à la conversation.
Philippe alla faire un tour dans les jardins de l'hôpital en attendant. Hélas, quand il revint, les parents qu'Aurélien encadraient leur fils.

mardi 1 décembre 2015

Contes modernes - 174

— Dan. J'aimerais que nous allions discuter avec le directeur de l'hôpital, déclara Clowis.
— Maintenant ? Mais nous n'avons pas rendez-vous.
— Je suis certain qu'il prendra le temps de nous recevoir. Le plus tôt cette affaire de médecin sera réglée, mieux cela sera.
— Ça va bientôt faire dix ans, tu sais, souligna Dan tandis que Clowis gagnait la porte.
Avec un soupir, Dan lui emboîta gracieusement le pas.
Avant de fermer la porte, il glissa toutefois la tête dans l'entrebâillement et lança à Philippe :
— Merci de lui tenir toujours compagnie. Je suis certain que cela lui fait plaisir.
Dan n'en savait rien, pas plus qu'il n'était au courant qu'Aurélien n'était pas son véritable frère, mais Philippe espéra qu'il avait raison car ce n'était pas facile tous les jours de monologuer avec son ami. Chaque anniversaire d'Aurélien qui passait était un crève-cœur. C'était la preuve indiscutable que le temps passait.

Ce fut Valérian Dinère, le médecin qui avait autrefois osé contredire son désagréable collègue sur le cas d'Aurélien qui fut assigné au jeune homme. Il était aimable et cordial.
— Vous allez voir, votre patience finira par être récompensée, assura-t-il.

Les dix ans d'hôpital d'Aurélien passèrent sans fanfare et trompette.
Dan visitait plus souvent accompagné de Clowis. Philippe lui demanda une fois comment ils s'étaient rencontrés, mais Dan esquiva la question. De son côté, Philippe dut déjouer une nouvelle tentative de sa mère de l'amener à s'intéresser à un autre homme.

Le quotidien ne semblait devoir jamais changer.  Philippe évoquait un jour où Aurélien et lui s'étaient égarés dans la forêt et retrouvés à marcher au milieu de ronces qui leur montaient jusqu'aux genoux, quand les paupières du bel endormi frémir et se soulevèrent. Philippe s'interrompit dans son récit, croyant rêver, mais non, les yeux couleurs crépuscule d'Aurélien étaient posés sur lui. Il déglutit et sonna.
— Oh, Aurélien...
Son ami murmura quelque chose en retour qui ressemblait fort au prénom de Philippe.
L'infirmière arriva et repartie presque aussitôt chercher un médecin.
Philippe resta immobile sur sa chaise, incapable de dire quoi que ce soit. Le miracle avait eu lieu et il était bouleversé.
Comment Aurélien allait-il réagir en apprenant les dix années qui s'étaient écoulées ? Que sa petite amie de l'époque l'avait quitté ?
Le médecin fit sortir Philippe pendait qu'il examinait Aurélien, mais prit ensuite le temps de s'entretenir avec lui dans le couloir. Il allait falloir procéder en douceur. Après un aussi long coma, Aurélien mettrait un moment à récupérer.
Philippe acquiesça à tout et même s'il brûlait de retourner auprès d'Aurélien, il choisit de rentrer chez lui. Encore sous le choc de son réveil tant attendu, il craignait de trop en dire, de trop lui en demander.

lundi 30 novembre 2015

Contes modernes - 173

Dan, à priori gêné, se dépêcha de présenter son frère à Clowis, le qualifiant à raison de « bel endormi. »
— Il semble bien installé, déclara Clowis.
— Oui, le seul souci, c'est le médecin qui est chargé de lui. Si on l'écoutait, cela ferait longtemps qu'Aurélien aurait été débranché.
— Un autre serait donc souhaitable, conclut Clowis en tapotant la poche de la veste de son élégant costume gris.
Dan qui s'était penché vers Aurélien se redressa d'un mouvement fluide.
— Tu ne vas pas... commença-t-il.
— Et pourquoi pas ? coupa Clowis. Un généreuse donation l'assurerait. Nous étions d'accord, me semble-t-il pour que je paye désormais tous les frais d'hospitalisation de sorte à ce que tu ne te tues plus à la tâche.
Philippe fronça les sourcils. Il s'était douté que garder Aurélien à l'hôpital coûtait cher, mais il avait toujours pensé que c'était les parents de ce dernier qui avaient à sa connaissance de confortables revenus qui payaient.
— Ce n'est pas ton frère, argua Dan.
— C'est le tien et cela me suffit, répliqua Clowis.
Philippe n'y tient plus et se mêla à la conversation.
— Je ne comprends pas. C'est toi qui règle les factures ?
Dan grimaça.
— Oui, le seul et l'unique.
— Mais... Et vos parents ?
Dan expliqua avec embarras qu'ils avaient voulu jeter l'éponge et qu'il s'était interposé, assurant qu'il prendrait tous les frais à sa charge. C'est parce qu'ils ne l'en avaient pas cru capable qu'ils avaient accepté le marché, mais Dan en bossant nuit et jour y était parvenu.
— Tu aurais dû me le dire. J'aurais pu t'aider.
— Je n'y ai pas pensé. Il n'y avait pas de raison...
Cela énerva Philippe. Il n'était pas un étranger pour Aurélien, pas moins que Dan, depuis le temps qu'il le connaissait...
— Bien sûr que si, puisque je l'aime ! laissa-t-il échapper.
Il y eut un blanc. Philippe faillit rattraper son éclat d'une formule du genre « c'est mon plus cher ami », mais il ne le fit pas. A la place, il regarda Aurélien qui était étendu tel un mannequin de cire dans le lit aux draps blancs, les paupières closes, branché à des machines qui assuraient sa survie et monitorait ses foncions vitales. Évidemment, il n'avait pas eu de réaction.
Clowis était tout aussi impassible. Quant à Dan, il ne paraissait pas vraiment étonné.
— Tu savais que je l'aimais ? demanda Philippe.
— Je n'étais pas sûr, mais je le supposais vu ta constance à son chevet.
Philippe ne répondit rien. Il s'était toujours imaginé que Dan serait horrifié s'il apprenait ses sentiments pour Aurélien. Il s'était trompé. Il faut dire qu'il n'était plus en position de le juger vu sa relation avec Clowis.

vendredi 27 novembre 2015

Contes modernes - 172

Quand il était fatigué de parler, il le contemplait en silence. L'Aurélien couché sur le lit était beau, mais nettement plus frêle que celui qu'il avait connu, actif et souriant, aux cheveux blond vénitien agités par le vent au lieu d'être plaqué sur l'oreiller.
Philippe revivait leurs souvenirs communs, leurs jeux d'enfants, leurs disputes et réconciliations, leurs sorties, leurs exposés en classe. Il songeait aux secrets qu'Aurélien lui avait confié, le plus grand d'entre eux étant que Dan n'était pas son véritable frère, mais un  garçonnet adopté par ses parents à l'époque où ils se désespéraient de ne pas réussir à avoir d'enfants. Comme Aurélien s'était refusé de révéler quoi ce soit à Dan et n'avait osé aborder le sujet avec ses parents, c'est à Philippe qu'il en avait parlé.
Rester assis jour après jour auprès d'Aurélien sans que la situation ne change d'un iota était parfois très dur, mais Philippe ne laissait jamais transparaître son désespoir dans ses propos.
Il y avait un autre point qu'il n'abordait jamais, même s'il y pensait beaucoup : son amour pour son ami.

Un jour semblable aux précédents, Dan  débarqua. Cela faisait quelques semaines qu'il n'était plus venu et Philippe avait craint que lui aussi n'y croit plus.
Comme il le faisait toujours, il lui proposa de les laisser seul et pour une fois, Dan accepta.
Philippe partit se chercher un café, puis s'adossa au mur du couloir en attendant. Plusieurs infirmières le saluèrent en passant. Il était bien connu dans le service. Le docteur Ecifélam qui s'occupait d'Aurélien ne se donna pas cette peine. Ils avaient échangés à plusieurs reprises des mots durs, Philippe refusant de croire qu'Aurélien ne se réveillerait jamais, chose dont était persuadée le docteur. Au début, Philippe avait cherché à discuter avec lui, puis il avait compris que c'était inutile que le docteur Ecifélam était un vieil aigri sans une once de compassion qui n'avait certainement pas choisi ce métier dans le désir d'aider son prochain et prenait même parfois un malin plaisir à décourager Philippe. Heureusement, un autre médecin, beaucoup plus jeune, s'était montré plus optimiste sur le cas d'Aurélien.

Quelques jours plus tard alors que Philippe était comme toujours assis près du lit d'Aurélien, Dan apparut accompagné d'un homme à la coupe militaire et à l'air froid.
Philippe se leva, prêt à libérer les lieux.
— Bonjour. Voilà, Philippe, le plus fidèle ami de mon frère. Et voici, Clowis... annonça Dan sans finir la présentation.
— Le compagnon de Dan, acheva le dénommé Clowis. Enchanté, ajouta-t-il sans que son visage ou sa voix ne laisse filtrer le plus petit contentement.
Philippe fut surpris. Jamais il n'avait soupçonné Dan d'être attiré par les hommes. Dans la chambre du frère d'Aurélien, il avait toujours vu scotchés aux murs des posters de filles en maillots de bains.
— De même, murmura-t-il avec un sourire machinal.

jeudi 26 novembre 2015

Contes modernes - 171

Léa, la petite amie d'Aurélien avait abandonné depuis longtemps déjà. Elle s'était accrochée près de trois ans durant, espaçant peu à peu ses visites, mais persistant jusqu'à ce qu'un jour, elle sorte en larmes de la chambre d'Aurélien pour ne plus revenir. Philippe se rappelait très bien l'avoir pris dans ses bras pour la consoler, l'approuvant de renoncer, pas seulement parce que cela le soulageait qu'Aurélien soit à nouveau célibataire, mais aussi parce que c'était effectivement mieux pour elle qu'elle aille de l'avant. Lui s'en sentait incapable, peut-être parce que de toute façon, il s'était préparé depuis longtemps à rester aux côtés d'Aurélien sans jamais rien avoir en retour que le plaisir de sa compagnie.
Peu à peu, tout le monde avait déserté, ne croyant plus qu'Aurélien sortirait un jour de son coma et plus personne n'était venu le visiter à part lui et Dan, le frère d'Aurélien qui ne passait qu'en coup de vent.  Parfois, mais très rarement, les parents d'Aurélien se rendaient également à son chevet, mais ils ne semblaient plus y croire. Philippe demeurait quant à lui toute la durée autorisée des visites. Il s'était choisi exprès un travail de gardien de nuit qui lui permettait d'être libre en journée. Si cela avait été possible, il ne l'aurait pas quitté du tout, mais il y avait les règles de l'hôpital et la nécessité de gagner sa vie. Assis sur une chaise tirée près du lit d'Aurélien, toutes sortes de pensées le traversaient.
Il se demandait comment Aurélien aurait réagi s'il lui avait déclaré son amour, quand il aurait la chance de revoir ses yeux couleur crépuscule...
A plusieurs reprises, il avait été tenté de l'embrasser, mais il s'était toujours retenu : cela aurait été ignoble de profiter de son immobilité, surtout que d'après ses nombreuses lectures sur les personnes plongées dans le coma, certaines percevaient ce qui se passait autour d'eux même s'ils n'étaient pas en mesure d'y réagir. Il était par conséquent hors de question d'infliger cela à son ami qui devait déjà subir les soins des infirmières et les auscultations de cet oiseau de mauvais augure qui lui servait de médecin.
De temps en temps, Philippe lui prenait toutefois la main et la pressait contre son cœur. Autrement, il ne le touchait pas, se contentant de le regarder dormir en lui racontait ce qui se passait dans le monde, ainsi que des anecdotes de son travail de gardien de nuit. Parfois, les interminables monologues qu'il tenait à son ami lui pesait, alors il lui lisait des histoires.

mercredi 25 novembre 2015

Contes modernes - 170

COMA

Philippe était prêt à attendre cent ans s'il le fallait. Il aimait Aurélien depuis toujours. Il avait fait sa connaissance à la maternelle et avec le recul, il était convaincu que c'était dès cette époque que son amour pour lui était né. Ce n'est cependant qu'au début collège qu'il avait compris que ce n'était pas une forte amitié qui le liait à Aurélien, mais un amour démesuré. Les filles ne l'intéressaient pas, c'étaient les garçons qui l'attiraient, Aurélien le premier. Il n'avait bien sûr pas osé lui avouer. Il avait eu trop peur de le perdre. Les garçons étaient supposés aimer les filles. C'était la règle et il était l'exception. Ce n'était pas le cas d'Aurélien qui de temps en temps lui avait donné du coude pour lui signaler que telle ou telle fille était mignonne. Philippe n'avait jamais abondé dans son sens et ne s'était jamais non plus forcé à lui suggérer de tenter sa chance. L'inévitable s'était cependant produit au lycée : Aurélien avait eu sa première petite amie et Philippe avait dû se mettre en retrait. Il avait dû supporter les voir s'embrasser de loin, brûlant de les séparer, regrettant de ne pouvoir être qu'un ami, souhaitant être à la place de la fille. Combien de fois dans sa chambre, derrière la porte fermée et les rideaux tirés, dans le secret de la nuit, s'était-il caressé en pensant à lui ? Il se sentait immanquablement coupable et honteux après avoir joui, mais c'était plus fort que lui. Se soulager ainsi lui permettait de lutter contre les impossibles désirs qui l'agitaient en sa présence.
C'était juste avant leur entrée à l'université que l'accident s'était produit. Philippe n'avait su que plus tard ce qui s'était passé. Aurélien avait rendez-vous avec sa petite amie au cinéma ce jour-là. En rentrant chez lui, il s'était fait renversé par une voiture qui avait grillé un feu et ne s'était pas arrêtée. Ce salaud de chauffard, Philippe aurait voulu le tuer de ses propres mains ! Il y avait eu un témoin de la scène qui avait appelé aussitôt les secours et Aurélien avait été sauvé, mais depuis il était plongé dans le coma, étendu dans un lit, immobile, le visage blanc comme les draps de son lit et les murs de sa chambre, le corps relié à des machines. Cela ferait dix ans dans une semaine, un bien triste anniversaire.
Philippe lui rendait visite chaque jour sans faille. C'était comme ça qu'il en était venu à faire son coming-out à ses parents qui l'avaient plutôt bien pris. D'ailleurs, depuis quelques années déjà, ils cherchaient même à lui faire rencontrer des hommes, tentant de lui faire oublier celui qu'il aimait et était couché à l'hôpital. Il déjouait toutes leurs tentatives. Aurélien était le seul pour lui. Il savait bien pourtant que quand il se réveillerait (et non si), il ne pourrait n'être rien d'autre qu'un ami pour lui, mais il voulait être là.

mardi 24 novembre 2015

Contes modernes - 169

— Merci de m'avoir laissé dormir ce matin.
— Tu en avais besoin, répliqua Clowis, tout en sortant de sa poche une petite boîte carrée qu'il posa devant Dan qui l'entrouvrit, se demandant si c'était ce qu'il pensait et en effet, c'était bien une bague, un magnifique anneau en or fin.
Il referma le couvercle.
— C'est en quel honneur ?
— Pour notre futur mariage.
C'était un changement de statut radical à leur relation initiale qui n'avait pris fin pas plus tard que la veille.
— Tu l'as achetée ce matin ?
Clowis confirma d'un bref hochement de tête.
— Tu n'as pas l'impression d'aller un peu vite en besogne ?
— Non.
— J'ai mon mot à dire, tu ne crois pas ?
— Bien sûr.
— Tu ne peux pas me faire marcher à la baguette. Et cela vaut pour tout. Je ne vais pas continuer à t'accompagner partout. Je dois gagner de l'argent pour mon frère.
— J'en ai à plus savoir qu'en faire...
— Mais c'est le tien. Je ne veux pas dépendre de toi.
— Qu'as-tu envie de faire, indépendamment de toute considération financière ?
Dan passa la main dans ses cheveux. S'il en avait eu les moyens, il aurait repris ses études de danse, mais ce n'était pas le cas. Fallait-il que toutes leurs conversations tournent autour de l'argent ? C'était cependant lui le fautif sur ce coup.
— Là n'est pas la question.
— Je suis assez riche pour deux. Je n'exigerai rien en contrepartie.
Clowis signifiait ainsi que ce serait différent d'avant, quand il le payait moyennant service, mais cela gênait tout de même Dan.
— Non, c'est impossible. Je ne veux pas abuser de ta générosité.
— Tu serais bête de ne pas en profiter.
— C'est ton argent.
— Épouse-moi et ce sera aussi le tien.
Dan soupira. Clowis avait réponse à tout.
Ce dernier reprit :
— Si le choix m'appartenait, j'aimerai que tu aies un métier en rapport avec la danse. Tu es fait pour ça. Chacun de tes mouvements est empli de grâce.
Dan reprit la boîte, prit la bague et l'enfila. Il n'avait pas envie de se battre plus longtemps avec Clowis, surtout pas pour des raisons monétaires. L'essentiel, c'était qu'ils s'aimaient.
Il posa sa main sur celle de Clowis et la caressa légèrement.
— Cela me plairait en effet de danser.
— Je vais demander l'addition.
— Quoi...? Mais on n'a même pas touché à l'apéritif.
— Je sais.
Dan ne comprenait pas et le visage de Clowis était indéchiffrable pour ne pas changer.
Avant, il l'aurait suivi sans discuter, mais il ne mangeait plus de ce pain là.
— Une explication serait bienvenue.
— J'ai faim d'autre chose, répondit Clowis à voix basse, son regard fixé sur leurs mains posées l'une sur l'autre.
— Juste pour ça ?
Clowis ne répondit pas. Le silence était sa seule arme quand il était trop embarrassé. Dan pouffa. Avoir un tel pouvoir sur lui n'était pas déplaisant.
— Rentrons vite, déclara-t-il avec un sourire.
Il avait hâte lui aussi qu'ils ne fassent plus qu'un.


FIN 
Rendez-vous demain pour Coma

lundi 23 novembre 2015

Contes modernes - 168

Dan se réveilla dans un lit vide, une brève note posée sur l'oreiller à côté du sien.
« Tu dormais si bien... Rendez-vous ce midi au restaurant Larrizé. Clowis. »
Dan soupira. En temps habituel, Clowis l'aurait incité à se lever pour qu'il l'accompagne à son bureau, c'était donc positif qu'il l'ait laissé tranquille. Il était en revanche déplaisant qu'il lui impose le lieu et l'heure du déjeuner. Il faudrait que Dan mette une bonne fois pour toute les choses au clair avec lui, ce qui impliquait bien sûr de le retrouver au restaurant.
En attendant, il allait profiter de cette matinée de liberté pour rendre visite à son frère à l'hôpital. Cela ne faisait que trop longtemps qu'il n'y avait pas été, trop occupé à suivre Clowis partout comme un bon toutou. Après cela, il se mettrait en  quête d'un emploi.
Finalement, hier soir, au bar, il n'avait pas eu l'occasion de discuter avec le patron, mais de toute façon, il ne tenait pas plus que cela à reprendre son job de gogo dancer, même si pour des raisons financières, il lui faudrait sûrement s'y résoudre. Il y avait aussi des chances que Clowis ait des objections à émettre, Dan allait donc plutôt chercher en priorité dans la restauration.
A l'hôpital, il trouva Philippe, fidèle au poste au chevet d'Aurélien qui lisait à haute voix un bouquin à propos d'un fantôme.
En le voyant, Philippe referma le livre, coinçant son index à la page où il s'était interrompu.
— Tu veux que je te laisse un moment seul avec lui ? offrit-il spontanément.
Dan accepta. Il n'était pas convaincu comme Philippe que son frère plongé dans le coma pouvait l'entendre, mais il avait besoin de se confier au sujet de sa relation avec Clowis et Aurélien n'avait d'autre choix que de lui prêter une oreille amicale.
Il s'attarda plus longtemps que prévu à l'hôpital, le docteur Ecifélam ayant cru bon de le retenir pour lui redire encore une fois que les chances de réveil de son frère étaient presque nulles. Comme il s'était à la base levé tard, il remit à plus tard sa recherche d'emploi pour se rendre au restaurant où Clowis lui avait donné rendez-vous.
Quand il entra dans le Larrizé, il fut frappé par la classe et le raffinement du lieu. Les lumières étaient tamisées, les couleurs sobres. Dans son costume de prix offert par Clowis, il ne détonnait pas, mais il ne se sentait pas à son aise. Il avait travaillé trop longtemps dans un fastfood pour ça. Il était habitué aux ambiances colorées et bruyantes.
Clowis se leva un instant quand Dan arriva à la table, guidé par un serveur à la mine compassée. Il avait commandé un apéritif pour eux deux. Il faudrait qu'il perde cette manie de tout choisir pour lui, songea Dan avec agacement, avant de se rasséréner : c'était une marque de prévenance. Au fond, cela l'arrangeait, car le nom des vins et des menus proposées à la carte étaient cryptiques pour lui. En plus, il fallait reconnaître qu'il avait été très rarement déçu par les choix de Clowis.

vendredi 20 novembre 2015

Contes modernes - 167

C'était une étreinte fusionnelle et Dan aurait voulu qu'elle ne cesse jamais... qu'il le prenne par terre, sans retenue, qu'ils soient consumés tout deux par ma même passion dévorante. Comme si leurs deux cœurs n'en avaient fait qu'un, Clowis ne s'arrêta pas.
Dan s'inquiéta tout de même que quelqu'un entre, mais il fut aussitôt rassuré. Clowis avait une fois de plus puisé dans son portefeuille pour s'assurer que personne ne vienne les déranger. Dan s'en amusa plutôt que de s'en agacer. Ce qui comptait, c'était qu'il ne soit plus  celui qui recevait l'argent.
Ensemble, ils glissèrent sur le sol. Clowis le déshabilla en partie, en le caressant. Le problème du préservatif et du lubrifiant fut réglé en fouillant dans les casiers des employés. Clowis laissa des billets à la place.
Dan bouillait d'impatience quand Clowis presque encore entièrement vêtu s'enfonça en lui.
Enfin, ils ne faisaient plus qu'un. La bouche et les mains de Clowis étaient partout sur lui, s'attardant sur ses tétons et  son pénis. Dan avait l'impression d'être en feu.
Un dernier coup de boutoir et ils jouirent ensemble.
Clowis ne se retira pas de suite du corps de Dan et même après, il ne se releva pas immédiatement.
Il finit toutefois par le faire, réajustant caleçon et pantalon. Son costume était tout froissé.  Du revers de la main, il tenta d'en lisser les plis, mais cela n'arrangea rien.
Dan, entretemps, s'était remis debout avec souplesse, à peine endolori par leur folle étreinte et s'était rhabillé en deux temps trois mouvements.
Il était heureux. Clowis, de marbre. Ou peut-être légèrement contrarié. C'était difficile à dire.
— Pardon de m'être laissé emporter. Un baiser et je perds tout contrôle, c'est lamentable.
Dan pouffa, puis réalisant que Clowis était sérieux, se reprit.
Il comprenait mieux à présent pourquoi Clowis se montrait si peu tactile en public.
— Tu es le feu sous la glace, un cœur généreux et brave sous un visage impénétrable, un peu comme un soldat.
— Je l'ai été brièvement. Avant de perdre ma jambe. Mon père l'était. Il m'avait éduqué dans cette optique et il a été terriblement déçu.
— Et ta mère ? N'aurait-elle pas préféré une autre carrière pour toi ?
— Elle est morte à ma naissance.
Cela expliquait bien des choses, songea Dan en effleurant les lèvres de Clowis d'un baiser. Il avait encore beaucoup à découvrir sur cet homme...
— Rentrons à présent, déclara Clowis.
Dan acquiesça. Il voulait bien danser pour lui, du moment que ce n'était pas sous ses ordres, mais à son rythme.

Interview dans le magazine de l'Annuaire Yaoi 2

Pour ceux et celles qui ne l'auraient pas encore vu/lu et qui seraient intéressés, sachez que j'ai été interviewé aux côtés d'autres auteurs dans le numéro 2 du magazine de l'annuaire Yaoi qui m'a proposé si gentiment de me référencer il y a quelques semaines de cela :

jeudi 19 novembre 2015

Contes modernes - 166

Il patientait depuis un moment, sans pouvoir s'empêcher de penser à Clowis quand la porte s'ouvrit sur lui.
Dan se leva brusquement, se sentant pris au piège.
— Après ton départ, j'ai contacté le bar pour demander à être prévenu au cas où tu venais ici. J'étais en chemin vers ton domicile quand mon téléphone a sonné.
Clowis était calme et posé, comme toujours, dans un costume sans un pli.
— Tu n'as pas le droit, je ne t'appartiens pas, déclara Dan d'un ton d'autant plus furieux qu'une part de lui avait envie que ce soit le cas. Il voulait toutefois que la réciproque soit vraie.
— Je le regrette.
— Si tu ne m'aimes pas, fiche-moi la paix ! s'écria-t-il, désespéré qu'il parte et qu'il reste toute à la fois.
Clowis le regarda fixement, sans dire mot, sans bouger.
Se pouvait-il que leurs sentiments soient réciproques et que Clowis soit juste incapable de les exprimer ? Rien n'était moins sûr, mais Dan essaya une fois encore de préciser les siens :
— Sans ton argent, je n'aurais jamais couché avec toi et je n'aurais jamais su à quel point c'était bon de se faire prendre...
Clowis l'interrompit :
— Alors pourquoi ne veux-tu pas continuer ?
— Parce que je t'aime désormais.
Clowis eut un merveilleux sourire avant de retrouver son visage de marbre.
— Raison de plus.
— Je ne crois pas qu'argent et sentiment fasse bon ménage. C'est toi qui a perdu une jambe, mais j'ai plutôt l'impression que c'est moi qui danse sur un pied depuis le début... Si j'en avais les moyens, je te rembourserai, mais tout ou presque est passé en frais d'hôpitaux.
— Comment cela ?
Dan parla alors de son frère dans le coma et du médecin décourageant qui avaient poussé ses parents à jeter l'éponge et de se propre obstination à vouloir garder son frère branché envers et contre tout.
Clowis l'écouta sans bien sûr laisser rien transparaître.
— Tu es vraiment semblable à une étoile.
— Hein ?
— Quand je t'ai vu danser sur le comptoir dans ce bar, ce sont tes mouvements gracieux qui m'ont attiré l'œil, mais c'est ton éclat qui m'a rendu captif. Tu me semblais inaccessible, mais j'ai quand même tenté de te décrocher, quitte à te traîner dans la boue.
C'était sûrement sa façon à lui d'exprimer son amour, mais pour Dan, ce n'était pas suffisant.
— Je ne me serais jamais douté... et même maintenant, j'ai peine à te croire.
— Tes sentiments m'apparaissent tout aussi irréels. Ce qui est logique puisqu'ils ne sont ni tangibles ni mesurables.
Dan inclina la tête, pensif. Clowis avait raison. Il aurait voulu malgré tout une preuve, autre chose en tout cas que cette froide rhétorique.
— Si je te déclarais que je brûle de passion pour toi, est-ce que cela changerait quelque chose ?
Certes pas sur ce ton. Les mots n'étaient pas dépourvu de valeur, loin de là, mais ils n'étaient pas suffisant.
— Cela aiderait. Mais tu devrais plutôt me le montrer, par exemple avec un baiser.
Clowis regarda autour de lui.
— Tu ne veux pas attendre que nous soyons rentrés ?
— Si tu m'aimes, tu ne devrais pas en avoir la patience.
Clowis, d'un pas raide, réduit à néant la distance entre eux, l'attrapa fermement par les bras et l'attira contre lui pour un baiser fondant qui enflamma si bien Dan qu'il eut l'impression se retrouver plongé dans un brasier.
Sa langue était accrochée à la sienne et il sentait la chaleur qui émanait de son corps collé au sien.

mercredi 18 novembre 2015

Contes modernes - 165

— Tu tiens à moi ? avança Dan, espérant ne pas prendre ses désirs pour des réalités.
— Je ne te payerai pas si cher autrement, répliqua Clowis.
Encore l'argent, toujours lui. Et pourtant...
— Tu pourrais m'avoir pour rien, révéla Dan, le cœur battant. Bien sûr, pas comme ça, pas tout le temps, car je vais devoir reprendre un boulot, ajouta-t-il.
— Tu t'ennuies avec moi ?
— Pas du tout. Mais je ne veux plus être ton jouet.
— Je ne te considère pas comme tel.
— Je suis quoi pour toi, alors ?
Clowis resta silencieux, ce qui était en soi une réponse éloquente.
— Au revoir, souffla Dan.
Au moins il aurait essayé. Il claqua la porte, sourd aux appels de Clowis.
Évidemment, à deux heures du matin, il n'y avait plus de transport en commun. Le placard à balai qui lui servait de logement était bien trop loin pour s'y rendre à pieds et bien sûr, il n'avait pas un sou en poche. Avec Clowis qui se baladait toujours avec son vieux portefeuille en cuir bien garni, c'était inutile. Dan se morigéna sur sa bêtise. Quel besoin avait-il eu de tout plaquer en plein milieu de la nuit ?  Et qu'avait-il cherché à faire dire à Clowis ? Qu'il était spécial à ses yeux ? Quelle blague ! Dan passa la main dans ses cheveux. Il allait lui manquer.
Il inspira à fond, réfléchit que le bar dans lequel il avait rencontré Clowis était nettement plus près que son studio et qu'y aller était l'occasion de voir s'il y avait toujours une place là-bas pour lui.
Grâce à Clowis, il avait pu mettre de l'argent de côté, mais avec les frais d'hôpitaux, tout aurait tôt fait de disparaître, il avait donc tout intérêt à retrouver rapidement un job.
Dan remonta le col de sa veste et se mit en route, regardant régulièrement les étoiles qui brillaient dans le ciel. Cela lui donnait le courage d'avancer. Qu'il ait fait le bon choix ne l'empêchait pas d'être triste.

Au bar, le patron était occupé derrière le comptoir, mais il lui proposa d'attendre à l'arrière, dans les vestiaires.
Avant de s'y rendre, Dan regarda un moment le gogo dancer sous la douche qui faisait des mouvements lascifs en étalant généreusement du savon blanc crémeux sur son corps musclé. Il bougeait bien et était bien bâti. Il n'éveillait cependant aucun désir chez Dan. Son engin de bonne taille moulé dans l'étroit slip le laissait indifférent. Celui de Clowis au repos comme au garde-à-vous, c'était en revanche une autre histoire... Le plus fatal étant son sourire, si rare, si précieux.
Dan, après avoir salué quelques connaissances s'installa sur une chaise dans les vestiaires, devant les casiers où les employés déposaient leurs affaires.