vendredi 30 septembre 2016

Orcéant - 32

Korel leur indiqua qu'ils touchaient au but aux alentours de midi. Pierrick écouta attentivement le licornéen expliquer que l'individu susceptible de les aider était le maître des terres qu'ils traversaient.
— Comment allons-nous procéder ? demanda  Élissande.
Pierrick manqua de soupirer. Il regrettait le temps où il était juste avec Korel où il pouvait improviser sans être questionné.
— Nous allons demander une audience au seigneur des lieux et nous l'interrogerons sur ce qu'il pense de l'esclavage.
— Et s'il refuse de nous recevoir ? Sans compter que cela manque de subtilité, contra aussitôt la jeune fille.
Pierrick l'aurait volontiers étranglé.
— Tu as une meilleure idée peut-être ?
— Nous pourrions nous faire passer pour des saltimbanques puisque Rouge sait cracher du feu. Pour ma part, je pourrais me métamorphoser en mouche, Korel chanter...
— Trop compliqué, trancha Pierrick.
Élissande s'empressa de vouloir s'en référer aux autres, en commençant par Korel.
Le licornéen se rangea du côté de Pierrick. Byll resta silencieux. Mais Rouge avait son opinion bien à lui :
— La façon de Pierrick comme celle de Élissande ont leurs avantages et leurs inconvénients. Toujours est-il que dans un cas comme dans l'autre, nous risquons de mettre dans l'embarras notre allié potentiel. Grâce à Korel, nous savons qu'il est partisan des dragons, mais ce n'est pas sûrement pas le cas de tout son entourage, ce qui exclu de l'interroger en public...
— Que proposes-tu donc ? le coupa Pierrick, fatigué des précautions oratoires du dragon.
— J'y venais... soupira Rouge. Nous allons le faire venir à nous. Je vais le contacter par télépathie.
— Mais sous cette forme, cela n'est pas supposer fonctionner, et sûrement pas à pareille distance, intervint Élissande avant que Pierrick n'ait eu le temps de le dire.
— J'ai communiqué de cette façon avec Byll à plusieurs reprises ces jours derniers. En revanche, il est vrai que la distance peut être un problème, de même le fait que je ne l'ai jamais vu.
— Donc il faut s'infiltrer, conclut Élissande.
— Ou attendre qu'il ne sorte de sa demeure. Il ne doit pas resterer cloîtrer chez lui, répliqua Rouge.
La jeune fille acquiesça, bien que visiblement déçue qu'ils n'aient pas à se déguiser pour amuser la galerie.
Pierrick, lui, en était soulagé et il était forcé d'admettre que la méthode du dragon était la meilleure que la sienne.

jeudi 29 septembre 2016

Orcéant - 31

— Les orcéants ne sont peut-être pas attractifs à tes yeux, mais ce n'est pas le cas pour moi et l'essentiel est de toute façon ailleurs. Byll est gentil et sensible.
Pierrick ne sut que répliquer à cela. Il restait gêné que Rouge qui lui ressemble autant puisse avoir une relation avec un orcéant. La teinture qui avait rendu noir ses cheveux du roux ne changeait rien : il avait le même visage que lui. Regarder Rouge s'était comme contempler un miroir grossissant et c'était fort désagréable.
— En tout le cas, je refuse que toi et l'orcéant vous vous fassiez des mamours tant que tu seras mon portrait craché, cela me file des boutons, finit-il par déclarer.
— Cela ne te concerne pas. Mais si cela peut te rassurer, ce n'est pas à l'ordre du jour.
— Parfait ! s'exclama Pierrick et il planta là Rouge.
Une pensée le taraudait à présent : si le dragon avait remarqué son amour pour le licornéen, Korel lui-même ne s'en était-il pas rendu compte ? Et si jamais c'était le cas, est-ce que cela le dégoûtait ? Il ne lui en avait pas parlé, mais ce n'était pas comme s'il était du genre bavard.
Pierrick se maudit d'être aussi lâche et de ne pas confronter Korel. S'il en avait été capable, il n'aurait pas été sur les routes dans cette quête folle pour transformer le monde d'Erret.
Il s'était embarqué dans une tâche qui le dépassait et quand il voyait ses camarades si motivés, il éprouvait un malaise diffus. Il était certes logique que Byll veuille que les siens ne soient plus des esclaves et Pierrick était obligé de reconnaître que sous leurs dehors frustres, les orcéants étaient plutôt intelligents. Il était également normal que Korel souhaite que la servitude des licornéens prenne fin et naturel que Rouge espère pouvoir se promener au grand jour sans emprunter une apparence qui n'était pas la sienne et sans pour autant être bombardé de projectiles mortels, mais Élissande, elle, n'avait aucun intérêt à ce que le règne des humains se termine et pourtant, elle brûlait d'enthousiasme. D'après elle, il était injuste que tant d'espèces soient aussi mal considérées. D'ailleurs, toujours selon elle, tout cela, c'était à cause des hommes. Si les femmes avaient eu le pouvoir, affirmait-elle, les choses auraient été différentes. Pierrick en doutait et de toute façon s'en moquait.

mercredi 28 septembre 2016

Orcéant - 30

CHAPITRE 7


C'était la quatrième nuit où ils campaient à cinq. Élissande était dans la tente. Pierrick n'en avait pas acheté d'autre. L'été n'était pas loin. Par contre, maintenant qu'ils avaient assez de couvertures, Pierrick pouvait garder ses distances avec Korel et c'était tant mieux, car c'était une torture de humer la fragrance vanillée de ses cheveux et de ne pouvoir l'embrasser.
Son double géant, lui, se collait toujours à l'orcéant. Qu'il puisse vouloir se mettre tout contre une créature si vilaine qui empestait la sueur échappait totalement à Pierrick.
Il n'appréciait guère que Rouge fasse cela alors qu'il avait ses traits, mais il n'avait pas trouvé de bonne raison de l'empêcher d'agir ainsi.
Comme cela le chiffonnait, au lieu de dormir, il ne pouvait s'empêcher de les regarder blottis l'un contre contre l'autre.
C'est ainsi qu'il avait remarqué que chaque nuit, Rouge se relevait, s'éloignait du camp, puis revenait.
Au début, il avait cru qu'il allait soulager sa vessie, mais le systématisme de la manœuvre avait fini par l'intriguer. C'est pourquoi il décida de le suivre subrepticement, usant même d'un sort pour être sûr que le dragon d'apparence humaine ne le repère pas.
A l'abri derrière des buissons, dans la lueur de la lune, il vit Rouge ouvrit ses braies et libérer son pénis qui était en érection.
Son membre était à l'image du sien, excepté qu'il était énorme. Déjà que ce n'était pas drôle de se sentir petit à côté de lui ! Mais pourquoi donc se masturbait-il ainsi chaque nuit ? Trouvait-il cela amusant de jouer avec un corps qui n'était pas vraiment le sien ?
Sans réfléchir, parce qu'il était furieux, Pierrick sortit de sa cachette.
— Qu'est-ce que tu fabriques ?
Rouge s'immobilisa, la main serrée sur son pénis.
Une lueur dorée passa dans ses yeux verts.
— Tu le sais parfaitement.
— Tu devrais avoir honte ! s'écria Pierrick, encore plus fâché devant le calme du dragon.
— Pourquoi ? Je suis certain que tu dois t'offrir ce genre de plaisir solitaire toi aussi, à défaut de  faire l'amour avec celui que tu aimes.
Pierrick ne pouvait le nier et cela l'énerva davantage.
— Tu n'as pas l'excuse d'être amoureux de quelqu'un ! Ce n'est pas ton corps, tu n'as pas le droit !
Rouge dont l'érection était retombée avait rajusté ses braies.
— Mon physique est certes modelé sur le tien, mais mon enveloppe m'appartient malgré tout. Et Byll n'est pas prêt à ce que nous soyons intimes.
Pierrick ne comprit pas de suite ce que l'orcéant venait faire dans leur conversation, puis il les revit discuter l'un avec l'autre avec une complicité écœurante.
— Mais c'est un orcéant ! s'indigna-t-il.
— Et ?
Le grondement menaçant dans sa voix rappela à Pierrick que Rouge était un dragon avant tout, visage humain ou pas. Il ne put malgré tout retenir d'exprimer le fond de sa pensée :
— Mais ils sont laids : de grandes perches bleues sans un poil sur le caillou avec de vilaines dents qui dépassent de leurs grosses lèvres.

mardi 27 septembre 2016

A travers les millénaires - 4

Waldo n'arrivait pas à savoir si c'était une malédiction ou au contraire une chance que de se souvenir de toutes ses vies passées, ce qui était certain, c'est que c'était perturbant.
Sans le vouloir, il avait mis en colère successivement tous ses amis.
« Arrête de me prendre de haut, comme si tu en savais plus que moi ! »
« Non, mais on croirait entendre mon père ! Tu es chiant comme la pluie! »
« T'es puceau, comment tu peux savoir si je l'ai emballé ou pas, cette nana?! »
Waldo avait renoncé à se réconcilier avec eux. Il ne pouvait plus les laisser exprimer toute la fougue de leur adolescence sans chercher à les raisonner. C'était plus fort que lui. Il avait été parent lui aussi et ne comprenait que trop bien le point de vue des adultes.
Au cours de ses vies précédentes, il avait été assez solitaire, perdant bien souvent ses amis qu'il leur parle ou non de ses réincarnations, jusqu'à ce qu'il rencontre son âme-sœur.
Personne à part lui ne semblait se souvenir. Il était pour ainsi dire le seul de son espèce. Et la différence est source de conflits. C'était d'ailleurs pour cela qu'entre les humains, les saturniens, les uraniens et les végaliens, c'était tendu.
Quand il songeait à ce qu'une guerre à l'échelle planétaire donnerait, il en avait des frissons dans le dos, les mondiales avaient été assez horribles comme cela, la première, comme la deuxième et la troisième. Tous ses morts, toutes ses vies fauchées comme les blés... Il y avait participé, hélas. Le bruit des obus résonnait encore dans ses oreilles. Et dire que l'armement avait encore fait des progrès depuis...
Waldo mit le problème de côté. Pour l'heure, il allait rencontrer les parents de la petite fille qu'il avait toutes les chances de garder.
Pour le coup, il avait l'avantage d'avoir déjà des tas d'entretiens d'embauche derrière lui, ce qui faisait qu'il n'était pas stressé. De surcroît, il avait l'habitude des enfants. Il en avait même mis au monde. Il s'était aussi occupé de Thomas, le fils de Gui. Ceci, cela remontait au Moyen-Âge. Il n'avait pas vraiment réussi à le conquérir dans cette vie. Une poignée de baisers et de caresses.
Waldo chassa ses pensées inappropriées qui l'excitait malgré lui. Le présent, c'était là-dessus qu'il fallait qu'il se concentre. Le passé ne reviendrait plus.
Il composa le numéro de téléphone permettant de déclencher l'ouverture de la porte de l'immeuble et emprunta la plate-forme montante qui avait remplacé les ascenseurs aux alentours de 2500. Il l'arrêta au cent vingt-sixième étage. Dans l'encadrement de la porte, un homme l'attendait vêtu d'une tenue décontractée – pantalon ample, chemise de lin au col délacé et sandales.

lundi 26 septembre 2016

Orcéant - 29

Le renseignement obtenu, ils ne mirent pas longtemps à arriver à une grande place où tenaient des dizaines d'étals aux bâches colorées au milieu desquels une foule bigarrée se promenait. Les marchands hélaient les badauds, vantant les mérites de leurs produits. Toutes sortes de choses étaient vendues : des fruits, des légumes, des poissons, de la viande, des tissus, des armes, des meubles, des chats, des chevaux, mais aussi des orcéants, des trolls et gobelins, les trois espèces qui avaient été réduites en esclavage total par les humains. Leur œil éteint était pire que tout. C'était comme si toute intelligence les avaient déserté, qu'ils n'étaient plus que du bétail. Mais c'était faux, ils souffraient de cette situation.
Rouge aurait bien serré la main de Byll, pour le réconforter, mais cela aurait généré trop de problèmes.
Alors, à la place, il tenta de lui transmettre une pensée encourageante.
Les courses furent longues et ennuyeuses. Seule Élissande s'amusait, s'ingéniant à négocier les prix afin de payer le moins possible. Contre toute attente, ils dénichèrent des habits à la taille de Rouge sur le stand d'un marchand ayant affirmé, à raison, que chez lui, du nain au géant,  tous trouvaient leur content.
Byll était chargé de leurs différents achats. Le dragon avait voulu l'aider, mais Pierrick l'en avait empêché.
Quand ils eurent enfin fini, c'était déjà le soir. Pierrick se prononça cependant contre l'auberge, jugeant avoir assez dépensé pour la journée.
Rouge se moquait de ses considérations matérielles. L'or n'avait que la valeur que les humains lui donnait. En revanche, il se doutait qu'une fois de plus, Byll aurait le droit à un traitement différent et ne bénéficierait pas de chambre, il approuva donc le rouquin.
Élissande émit quelques réserves, car elle n'aurait rien eu contre un bain chaud, mais elle n'avait pas détesté camper, aussi accepta-t-elle.
Byll et Korel ne pipèrent mot. Ils devaient avoir un avis sur la question et puisqu'ils étaient leurs compagnons de voyage, il eût été naturel qu'ils le donnent, mais ils étaient enfermés dans le rôle de l'esclave pour le premier et du serviteur pour le second.
Heureusement qu'ils s'étaient lancés dans une quête pour que cet état des choses changent et que la domination humaine ne soit plus qu'un souvenir au même titre que l'ère des dragons.
Rouge se sentit soulagé quand ils eurent laissés derrière eux la ville bruyante. L'air était plus pur et les chuchotis de la nature étaient infiniment plus jolis que le brouhaha de la foule.
Et surtout, il allait pouvoir retrouver son Byll.

vendredi 23 septembre 2016

Orcéant - 28

Sur la route, ils croisèrent plusieurs voyageurs humains, certains en carrioles, d'autres à cheval ou sur des ânes.
A un carrefour, un homme à la tête d'un convoi de plusieurs chariots remplis de marchandises de toutes sortes les aborda.
— Hé, toi, l'immense gaillard roux ?
— Oui ? dit Rouge, interrogateur, devinant qu'il s'adressait à lui.
— Est-ce que par hasard tu loues tes services ? J'aurais bien besoin d'un garde de plus pour protéger mes biens des voleurs.
Pierrick qui venait de les rejoindre répondit à sa place :
— Non. Il ne cherche pas de travail. Pourquoi ne pas plutôt utiliser des esclaves orcéants pour vous protéger ?
— Ces chiffes molles n'ont pas une once de résistance à la magie.
Byll, aux côtés de Rouge, se crispa.
Le marchand continua :
— Dis-donc, hormis pour la taille, tu es le portrait craché de ce gaillard !
— C'est mon grand frère, mentit Pierrick avec aplomb.
— Ah, ça, pour être grand, il l'est ! Face à lui, souvent, tu ne dois pas te sentir de taille.
Le marchand éclata de rire à sa propre plaisanterie.
Pierrick mit la main à son épée, furieux qu'on se moque aussi ouvertement de lui.
— Il y a beaucoup d'avantage à avoir un aîné géant, prêt à protéger son frère de tout, déclara Rouge.
Y compris de sa propre bêtise, compléta-t-il dans son for intérieur.
A son ton volontairement doucereux, le rire de l'homme s'étrangla. Il les salua et se dépêcha de poursuivre son chemin.
— Ne peux-tu pas au moins modifier la couleur de ses cheveux, qu'il ne me ressemble pas autant ? demanda Pierrick à Élissande.
— Le changement de forme ne marche pas comme ça, répondit-elle.
— Nous pourrons lui teindre avec du brou de noix, suggéra Korel.
— La liste des choses à acheter augmente, maugréa Pierrick.

    Ils arrivèrent en vue d'une ville en fin d'après-midi. Devant les remparts et tourelles de villes qui se découpaient à l'horizon,  Élissande poussa des cris de joie.
A l'intérieur, cela grouillait de monde et Rouge se sentit étourdi devant toutes ses couleurs, sons et odeurs. Les bonnes se mêlaient aux mauvaises dans un affreux mélange. Les lieux dits civilisés n'avaient rien de très plaisant entre fumées et excréments.
Après le calme de sa grotte, c'était trop.
— Ça va ? murmura Byll.
— Une telle agitation, c'est impressionnant, répondit-il.
— Vous êtes fous de bavarder ensemble ou quoi ! Les orcéants sont des esclaves  ! jeta Pierrick sans même se retourner.
Rouge aurait aimé dire que personne ne faisait attention à eux, mais c'était hélas faux. Il sentait des regards posés sur eux. Pour un humain, il était grand. En même temps, il n'en était pas vraiment un. Les risques d'être entendus dans la cacophonie ambiante étaient toutefois minimes.
Pierrick, sa réprimande effectuée, interrogea un passant pour savoir dans quelle rue était la place du marché où il escomptait trouver tout ce dont ils avaient besoin.

jeudi 22 septembre 2016

Orcéant - 27

Byll n'éprouvait pas de désir à son endroit alors que le corps humain de Rouge, lui, manifestait son envie de l'enlacer plus étroitement. Pierrick serré contre Korel devait ressentir les mêmes affres puisqu'il aimait le licornéen de tout son âme – sa façon de le couver du regard le prouvait. Il n'avait en revanche pas conscience que Korel était intéressé par lui. Le licornéen cachait mieux son jeu, sans doute parce qu'il n'avait pas réalisé lui-même ce qu'il ressentait pour le rouquin. Heureusement que Élissande n'était pas à la recherche d'un prince charmant, car avec ses compagnons de voyage, elle n'avait aucune chance.
Rouge se releva avec précaution. Il ne parvenait pas à se calmer. Être humain n'était pas facile. Une fois suffisamment à l'écart de ses compagnons, il souleva son pagne de fortune et empoigna son membre dur comme de la pierre. D'instinct, son esprit empli de l'orcéant, il monta et descendit sa main sur son sexe jusqu'à un épais jet blanc en jaillisse, le laissant pantelant.
Dès que sa respiration eut repris son rythme normal, il regagna discrètement le lit de feuilles.

    Le lendemain matin, aux aurores, Pierrick voulut qu'ils lèvent le camp. Seule  Élissande protesta. Elle était fatiguée, sale et vermoulue et commençait à regretter d'être partie sur un coup de tête sans rien d'autre qu'une combinaison sur le dos. Le rouquin sut la motiver en lui promettant qu'à la première ville venue, elle pourrait procurer ce qu'elle jugeait nécessaire à son confort, dans les limites du raisonnable bien sûr, autrement son pécule fondrait comme neige au soleil, surtout qu'il comptait aussi payer de vrais habits à Rouge, même s'il y avait des chances qu'il doive en faire confectionner des sur-mesures.
Byll, en déduisit Rouge, devrait lui se satisfaire de son pagne en lambeaux. Cela le contraria, même s'il se doutait que derrière cette injustice se cachait aussi une affaire de bon sens : sur Erret, à cause des humains, les licornéens n'étaient plus supposés posséder de cornes et les orcéants porter autre chose qu'un bout de tissu usé ; Byll, vêtu autrement aurait trop suscité l'attention.
Élissande, plutôt que de trotter à l'avant avec Korel et Pierrick, choisit de chevaucher aux côtés de Byll et Rouge.
Le dragon trouvait intéressant de converser avec elle, car cela lui permettait d'en apprendre davantage sur les humains et leur façon de penser, mais il regrettait tout de même de ne pas être juste avec l'orcéant. Le pauvre Byll était mal à l'aise avec la jeune fille. Il ne parlait que s'ils s'adressaient spécifiquement à lui et avec brièveté comme s'il craignait que ce qu'il dirait pourrait se retourner contre lui. C'était logique puisque jusque là sa relation avec les humains s'était borné à leur obéir ou souffrir. L'amabilité de Élissande n'y pouvait rien, quand bien même elle semblait dépourvue de préjugés à l'égard des orcéants, à la différence de Pierrick. C'est d'ailleurs son indignation sur la façon dont ils étaient traités qui l'avait amenée à se joindre à eux.

mercredi 21 septembre 2016

Orcéant - 26

CHAPITRE 6
Rouge écouta longuement la respiration de ceux qui l'entouraient. Il était trop excité au sens propre comme au figuré pour dormir. Il avait quitté sa demeure souterraine, rencontré de nouvelles personnes, lui qui n'avait jamais connu que Byll avant ce jour, et même parlé avec eux par télépathie ainsi que de vive-voix. Il avait également une nouvelle apparence.
Les étoiles au-dessus de lui brillaient d'un éclat incomparable. L'orcéant n'avait pas exagéré leur beauté dans ses descriptions. Ces points lumineux dans l'immensité du ciel n'avaient rien à voir avec son plafond de roches, de terre et de racines.
S'il avait pu, il aurait volé jusqu'à la lune et poussé un rugissement de victoire. C'était comme une nouvelle naissance. Il lui semblait que sa vie commençait enfin. Il ne regrettait cependant pas d'avoir dû attendre aussi longtemps avant de découvrir la surface. Le temps passé dans la grotte, entrecoupé des visites trop brèves de Byll, lui avait permis de grandir. Par ailleurs, tout ce que lui avait rapporté l'orcéant lui avait permis de réfléchir au monde.
Maintenant, il s'agissait de le changer pour que les dragons puissent à nouveau voler sans crainte de servir de cible aux humains. Il ne croyait toutefois pas possible un retour à l'ère des dragons telle qu'elle avait été.
Le monde devait aller de l'avant. Il n'était pas nécessaire qu'une espèce domine les autres, pas même la sienne. Mais cela ne se ferait pas en un jour.
Pierrick dont il avait désormais le visage était beaucoup trop impatient, Korel le licornéen était par trop taciturne, Élissande trop primesautière, Byll trop tendre et lui encore trop ignorant. Mais quels que soient leurs défauts, ils n'étaient pas égoïstes : Pierrick aurait pu se contenter de conquérir le cœur de Korel, ce dernier de garder sa corne,  Élissande de s'éloigner de sa famille et lui de voler au-dessus de la mer avec Byll si haut dans les nuages que nul n'aurait pu les voir.
Rouge caressa la joue de Byll légèrement pour ne pas le réveiller.
Il ne lui avait pas échappé que l'orcéant le considérait différemment depuis que l'humain roux avait parlé d'amour fou entre eux et il en était content, car cela signifiait que Byll partageait ses sentiments, mais il ne voulait pas brusquer les choses pour autant.
Il n'avait jamais pensé pouvoir concrétiser les choses avec l'orcéant. Son amour pour lui avait toujours été pur, excepté dans certains de ses rêves où Byll se métamorphosait en un splendide dragon bleu aux écailles chatoyantes.
Leur situation était différente à présent et une relation physique était possible. Ils étaient eux, indépendamment de leurs espèces qui malgré tout les définissaient. L'essentiel demeurait toutefois dans leur lien spirituel.  L'acte charnel pouvait le renforcer ou au contraire l'endommager.

mardi 20 septembre 2016

A travers les millénaires - 3

La vie de Waldo continua semblable et pourtant radicalement différente. Le monde autour de lui était le même, mais lui était changé par ses souvenirs.
L'avantage de l'école d'aujourd'hui par rapport à quelques siècles plus tôt, c'est que chacun pouvait progresser à son rythme, visionnant les cours et passant les tests quand il se jugeait prêt. Pour ceux qui avaient besoin de contact, il y avait des classes virtuelles avec espaces de discussions où l'on pouvait interroger des professeurs ou bien d'autres élèves.
Waldo aurait pu désormais achever ses études en l'espace d'à peine quelques mois, mais c'eût été de la triche. Il n'était pas un génie. Il avait juste accumulé des siècles de connaissances. Ceci dit certains talents qu'il avait acquis les siècles précédents tel la maîtrise de l'épée ne lui était d'aucune utilité.
Par ailleurs, il ne voulait pas alarmer ses parents, aussi se contenta-t-il d'accélérer la cadence et passa davantage de temps à réfléchir à ce qu'il voulait faire de sa vie.
Plein de métiers en rapport avec le passé lui étaient aisément accessibles : brocanteur, archéologue... Mais il souhaitait regarder vers l'avenir.
Les relations entre les humains et les différentes races extraterrestres avec lesquelles ils étaient entré en contact quatre siècles auparavant n'étaient pas au beau fixe et une carrière dans la diplomatie semblait une piste des plus intéressantes.
Mais à quinze ans à peine, avant de s'orienter là-dedans, il allait être obligé de passer par l'étape « acquérir différentes expériences. » Il les avait déjà, en fait, et plutôt deux fois qu'une, mais personne ne le savait et personne ne le prendrait au sérieux s'il brûlait les étapes.
Et de toute façon, rien ne valait de vivre pour lui-même, en tant que Waldo et pas seulement à travers ses souvenirs. Il avait gâché une de ses vies comme cela et c'était bien suffisant.
Il était lui et pas uniquement le maillon d'une immense chaîne qui avait débuté avec Iol le néanderthalien.
Quand il s'ouvrit à ses parents de son désir de découvrir le monde du travail, ceux-ci commencèrent par le juger trop jeune, puis ils lui suggèrent un petit boulot qui ne s'était pas perdu, en dépit de l'existence des robots nounous : baby-sitter.
Cela n'emballait pas du tout Waldo. Mais trop tard, ses parents étaient lancés. Sa mère avait justement une collègue qui cherchaient quelqu'un pour garder sa petite fille de sept ans et elle se faisait fort d'obtenir la place pour l'adolescent.

lundi 19 septembre 2016

Orcéant - 25

La jeune fille, après avoir palpé Rouge de partout, y compris sous la cape reconvertie en tunique, fit la moue et avoua :
— Je n'y comprends rien.
— Il faut croire que changer de forme ne modifie pas tout mon être, déclara Rouge.
Byll se demanda si la salive du dragon à l'apparence humaine avait toujours des propriétés guérisseuses, mais garda cette réflexion pour lui. Il ne voulait pas que Rouge lèche quiconque.
— Du moment que mon cher sosie ne s'amuse pas à faire ce genre de tour en public, tout va bien, affirma Pierrick avant d'annoncer qu'il allait chasser leur repas.
Rouge offrit de l'accompagner, mais Pierrick refusa net, l'aide de Korel lui suffirait. Le dragon n'insista pas, pas certain de ne pas se montrer maladroit dans son corps humain.
Élissande se mit à marmonner dans son coin. Elle était très contrariée que son sort ne fonctionne pas aussi bien qu'il aurait dû.
Rouge prit Byll par la main et l'entraîna à part, là où la jeune fille ne pourrait les entendre.
— Plutôt que de m'habituer à être un homme, je crois que je regagne mes sens de dragon.
— Comment cela ?
— Mon odorat, par exemple. Je flaire à nouveau l'odeur des animaux qui m'environnent.
— Oh...
— Ne serait-ce pas mieux que les autres le sachent ? Notamment Élissande ? demanda Byll, même s'il était au fond ravi de partager un secret avec Rouge.
— Elle juge déjà avoir loupé ma métamorphose, je ne tiens pas à l'attrister davantage en lui révélant que sa magie ne tient pas.
— Mais ne risques-tu pas de te retransformer complètement en dragon ?
— Peut-être, mais pas d'un coup. Cela semble progressif. Si ma peau se recouvre d'écailles, il serait toujours temps d'informer Élissande.
Pierrick revint avec des lapins. Korel les fit rôtir et ils les mangèrent autour du feu. Byll en savoura toute la chair juteuse.
Le repas achevé, Pierrick invita courtoisement  Élissande à utiliser la tente, la jeune fille assura qu'elle pouvait dormir à la belle étoile comme eux et ils se chamaillèrent. Cette fois, cependant, ce fut Pierrick qui eut le dernier mot.
Il n'y avait hélas pas assez de couvertures pour tous. Pierrick assura qu'il en achèterait dès que possible. En attendant, pour pallier au manque, ils tentèrent différentes combinaisons dont une où Byll était inconfortablement plié, sans réussir à être couvert tous les quatre, deux d'entre eux étant trop grands.
— Les orcéants sont résistants au froid de toute façon, non ? s'agaça Pierrick après plusieurs essais infructueux.
La température corporelle des orcéants étaient en effet supérieure à celles des humains sans les rendre pour autant insensibles au froid, mais Byll ne protesta pas.
Au final, Pierrick s'allongea contre Korel, Rouge s'installa à côté du licornéen et Byll se colla au dragon qui dégageait une douce chaleur. L'orcéant était épuisé et le sommeil l'emporta de suite.

vendredi 16 septembre 2016

Orcéant - 24

Le soleil commençait à baisser dans le ciel quand l'orcéant se rendit compte qu'il ne reconnaissait plus le paysage qui l'entourait. Il avait quitté les terres où il avait été forcé de trimer depuis son enfance.
Il glissa l'information à l'oreille du Rouge qui se réjouit à l'idée qu'ils découvrent ensemble le monde à partir de maintenant.
Devant eux, ils virent les cavaliers mettre pieds à terre et en se rapprochant, ils les entendirent se disputer :  Élissande qui n'était pas habituée à chevaucher de longues heures en avait plus qu'assez, elle s'en était plaint à plusieurs reprises sans que Pierrick daigne s'arrêter, le rouquin arguait que la nuit était encore loin et qu'ils n'allaient pas camper au beau milieu du chemin.
Korel se gardait d'émettre une quelconque opinion. Byll décida que c'était la meilleure attitude à adopter.
Rouge émit, lui, son avis :
— Pierrick est le chef de notre groupe. C'est à lui de décider. Malgré tout, par la suite, ménager des pauses pourrait être bénéfique pour tous.
Byll admira sa diplomatie. N'en déplaise au rouquin, la réputation de sagesse et d'intelligence des dragons n'était pas usurpée.
— Nous avançons à petite allure et d'après Korel, il y a du chemin à faire, dit Pierrick.
— Et tu voulais quitter au plus vite les terres des de Tucs pour éviter que Élissande soit repérée et obligée de rentrer chez elle, ajouta Rouge.
— Oui, reconnut Pierrick. Mais comment l'as-tu deviné ? demanda-t-il, sourcils froncés.
— J'ai remarqué que tu avais été sensible à la soif de liberté de notre amie, répondit Rouge.
La jeune fille sauta au cou de Pierrick. Korel détourna les yeux de la scène, la main crispée sur les rennes du cheval.
— Il suffisait de m'expliquer ! s'exclama  Élissande.
— Oh, ça va. Repartons, d'accord ? Et promis, dès que nous trouverons un bon endroit pour camper ou bien une auberge, nous nous arrêterons.

C'est finalement peu avant la nuit, à l'abri d'un bosquet d'arbres non loin de la route qu'ils s'établirent.
Pierrick voulut attribuer des tâches à chacun, mais il en fut pour ses frais, car seul lui et le licornéen savait établir un campement. Korel et lui durent donc leur montrer comment monter une tente et comment préparer des couchages de feuilles.
Byll se chargea lui-même du ramassage du bois, il était familier avec la corvée et était rapide à l'exécuter, car il avait appris à être efficace pour passer plus de temps auprès du dragon.
Korel allait allumer le feu quand Rouge le devança. Ouvrant la bouche, il cracha un mince jet de flammes à la surprise de tous.
— Tu n'aurais pas dû pouvoir faire cela sous cette forme, s'étonna Élissande. Ai-je raté quelque chose dans mon sort ?
— Hormis la taille, tu veux dire ? glissa Pierrick.
La jeune fille lui lança un regard noir et  s'adressant à Rouge, elle lui ordonna de s'asseoir pour qu'elle puisse l'examiner.
A peine se fut-il exécuté, qu'elle était sur lui, les doigts dans sa bouche pour regarder sa gorge.
Byll serra les poings, éprouvant une colère qu'il identifia comme de la jalousie. Même si le dragon était pour le moment humain, l'orcéant voulait être le seul à toucher Rouge aussi familièrement.

jeudi 15 septembre 2016

A travers les millénaires - 2

Digérer toutes ses vies antérieures n'avait rien d'évident. En attendant de croiser son âme sœur, Waldo aurait aimé se confier à ses amis ou même à ses parents, mais pour l'avoir tenté des siècles plus tôt, et à plus d'une reprise, il savait déjà que cela ne se passait jamais bien. Alors, à quoi bon ? Il n'avait aucune envie d'être pris pour un fou et de perdre du temps chez le médecin.
    Quand il se retrouva face à ses parents au dîner, ce soir-là, il eut du mal à faire comme si de rien n'était. Il se sentait comme un imposteur. Ils n'étaient les seuls pères et mères qu'il avait eu. Il n'avait pas toujours été enfant unique. Son premier frère s'appelait Svein. Ce dernier avait d'ailleurs essayé de l'éloigner du moine Théodebert. Il faut dire que comme un imbécile, il s'était marié dans cette vie en sachant que ce n'était pas l'élue de son cœur. Il n'avait jamais recommencé cette monumentale erreur par la suite.
C'était bizarre d'avoir toutes ses expériences.  Du haut de ses quinze ans, il était en quelque sorte plus vieux que ses parents.
— Ça va, Waldo ? s'inquiéta sa mère.
— Tu nous fixes bizarrement depuis tout à l'heure, enchérit son père.
— Je me porte comme un charme, assura-t-il, mais sa propre voix sonna faux à ses oreilles.
Il regretta brusquement que l'époque des assiettes et fourchettes soit terminée et qu'au lieu de cela, tout se mange en paille ou en gourde, ne donnant aucune excuse pour ne regarder ses interlocuteurs. En même temps, leurs dents n'avaient plus rien de la dangerosité des siècles précédents.
C'était bizarre toutes ses pensées nouvelles qui lui venaient, toutes ses comparaisons qu'il aurait été incapable de faire avant que ses vies antérieures se rappellent à son bon souvenir. S'il était honnête avec lui-même, il avait parfois déjà eu l'impression d'en savoir plus sur certains sujets, sauf que maintenant, tout était clair.
— Un problème avec tes cours ? s'enquit sa mère qui n'avait pas abandonné la partie.
Quelle était la probabilité que les âmes de ses parents soient identiques à travers les millénaires ? Elle était faible, mais cela rasséréna Waldo.
— Non, aucun, répondit-il, tout en réalisant qu'il risquait de ne plus jamais en avoir vu le nombre de bancs d'écoles qu'il avait essuyé.
Au XXIème siècle, il avait même été professeur ! Et vécu une histoire d'amour avec un de ses élèves, Dake, celui qui s'était souvenu. Son frère Tim l'avait soutenu quand il avait son coming-out. Heureusement, désormais il n'y avait plus de souci avec l'homosexualité. Plus aucun pays au monde ne la sanctionnait. Elle avait cessé d'être considérée comme une maladie ou une perversion. C'était tant mieux, car franchement, quelle nécessité y-avait-il à condamner des pratiques sexuelles du moment que les deux parties étaient consentantes ?
— Tu as rencontré quelqu'un ? demanda son père.
Waldo sursauta. Ce n'était pas si éloigné de la vérité, quand bien même il n'avait fait que se souvenir de son âme sœur.
— A son air, il semblerait que oui, trancha sa mère.
— Qui ne dit mot consent, approuva son père.
Ce proverbe avait traversé les siècles, comme lui. Waldo ne les détrompa pas. C'était aussi simple. Il était bel et bien amoureux même s'il ne savait quand il retrouverait la personne chère à son cœur. Grand ou petite, blonde ou brun, il l'aimerait.

mercredi 14 septembre 2016

Orcéant - 23

C'était merveilleux de pouvoir parler au dragon, mais encore plus qu'il lui réponde de façon verbale.
— Merci... Tu as toujours prêté une oreille attentive à mes confidences.
— Et même deux ! D'ailleurs, raconte-moi donc, pourquoi étais-tu si mal en point quand tu es arrivé dans ma tanière ?
Byll évoqua succinctement l'obligation à s'accoupler et son refus de s'y plier.
Rouge lui attrapa en silence la main et la serra dans la sienne. Elle était ferme et chaude.
Les mots étaient certes importants, mais dans le contact, beaucoup aussi était transmis, songea Byll. On pouvait y puiser un réconfort sans pareil quand c'était quelqu'un qu'on aimait.
Rouge le considérait-il uniquement comme un ami ? De peur de briser leur amitié, Byll n'osait poser la question.
— Qu'aurais-tu fait à ma place ? demanda-t-il.
— La même chose, j'aurais résisté.
Si cela signifiait la fin de son espèce, Rouge aurait peut-être un avis différent. D'ailleurs, s'il rencontrait une dragonne, peut-être tomberait-il amoureux d'elle...
— Espères-tu que nous croisions le chemin  d'autres dragons ?
— Ce serait formidable, mais l'essentiel est que chacun soit à nouveau libre d'agir comme il le souhaite. Les miens n'auraient peut-être d'ailleurs pas dû empêcher les humains de guerroyer, du moins entre eux. Enfin, inutile de ressasser le passé.
Sur ses bonnes paroles, le ventre de Rouge gargouilla bruyamment.
— Tu as faim ?
— Très et hélas, sous cette forme, je ne sais comment procéder pour chasser et me nourrir.
Byll héla Pierrick pour l'informer de l'appétit de Rouge. Il n'était pas à l'aise pour s'adresser aux humains, encore moins quand c'était pour réclamer quelque chose, mais pour le dragon, il était capable de tout.
Pierrick tira sur les rennes de la monture qui les portait lui et le licornéen.
— Korel, je crois qu'il nous reste quelques provisions de bouche, tu veux bien lui donner ?
Le licornéen glissa à bas du cheval et récupéra dans les sacs accrochés à la selle une miche de pain et un gros jambon.
Rouge s'empressa de le rejoindre et voulut enfourner les deux en même temps dans sa bouche. Cela ne passait évidemment pas.
Le rire cristallin de Élissande retentit.
Rouge, loin de se vexer, eut un éclatant sourire et il mordit à belles dents dans le jambon.
Une fois qu'ils se furent remis en route, Rouge s'interrompit dans son mastiquage :
— Sous cette forme, je parie que je ne dois pas manger autant qu'avant. Et toi, tu es mal nourri. Partageons, Byll.
L'orcéant refusa d'abord, ne voulant pas priver le dragon, mais comme Rouge insistait, il prit un quart du jambon et la moitié de la miche de pain. Il fut frappé par le goût délicatement parfumé du premier et le moelleux du second. C'était un régal sans commun de mesure avec son régime habituel.
Pas de doute, sa vie était en train de changer,  pour le meilleur.

mardi 13 septembre 2016

Orcéant - 22

Quelques instants plus tard, ils étaient tous dehors. Le visage émerveillé de Rouge en voyant le ciel pour la première fois remua Byll.
— C'est comme tu l'avais décrit, déclara le dragon.
— C'est pas le moment de jouer les touristes ! s'écria Pierrick avec humeur. Byll, reconduis-nous à l'endroit où nous avons laissé les chevaux.
L'orcéant resta aux côtés de Rouge sans se soucier de lui. Le ton employé lui avait déplu et il lui semblait que le dragon avait bien le droit de prendre le temps de s'accoutumer au monde extérieur.
Pierrick s'énerva, pestant entre ses dents.
— Ce que tu peux être soupe-au-lait, c'est bien un tempérament de roux, ça... commenta Élissande.
Le rouquin devint tout rouge et explosa :
— Tu ne serais peut-être pas aussi tranquille si c'était ton sosie version géante qui se promenait sans rien sur le dos !
— Ah, c'est donc cela qui te dérange, s'amusa la jeune fille.
Byll pouvait comprendre la gêne de Pierrick, car lui-même avait souffert de ne jamais bénéficier d'aucune intimité au dortoir, le sommet ayant été d'avoir failli être obligé de s'unir avec une orcéant en public, mais il avait du mal à plaindre l'humain.
— L'air est frais. Je n'aurais rien contre me couvrir, alors allons-y, dit Rouge.
Byll prit la tête du groupe, tout en jetant de fréquent scoups d'œil en arrière pour s'assurer que cela allait pour Rouge qui avait une curieuse démarche chaloupée.
Dès qu'ils furent arrivés aux chevaux attachés à un tronc d'arbre, Korel, sans que Pierrick lui ait demandé quoi que ce soit, se chargea de fouiller leurs paquetages afin d'habiller Rouge. Aucun des vêtements du rouquin n'avait évidemment la bonne taille, aussi bricolèrent-ils une tenue à l'aide d'une cape et d'une couverture.
Après une nouvelle discussion mouvementée, Pierrick et Korel montèrent sur un cheval,  Élissande sur l'autre et ils s'éloignèrent au petit trot, Byll et Rouge à pieds derrière eux, ce qui convenait à merveille à l'orcéant qui avait ainsi le loisir de bavarder avec son ami sans être entendu des autres.
— La lumière du soleil est éblouissante, murmura Rouge.
— Et encore nous sommes sous la frondaison des arbres.
— Je n'en connaissais que les racines, mais leurs feuillages sont d'un vert magnifique.
— Je suis content que tu puisses enfin être dehors.
— Moi aussi, mais elles ont beau ne plus être là, j'aspire à déployer mes ailes.
— Un jour, tu pourras, si notre quête aboutit, assura Byll.
— Et tu viendras avec moi, sur mon dos, comme tu en as toujours rêvé, compléta Rouge avec un sourire humain.

lundi 12 septembre 2016

Orcéant - 21

CHAPITRE 5

Byll était perturbé par la nouvelle apparence de Rouge. Il faut dire qu'il ne portait pas les humains dans son cœur. Cependant, qu'elle que soit son enveloppe, le dragon demeurait lui-même, son confident de toujours.
— Comment te sens-tu ? demanda-t-il.
Rouge cessa de remuer et d'une voix grave semblable à celle de Pierrick, mais comme enrouée, il répondit :
— Ça va, mais c'est très bizarre. Tout est différent. Les odeurs, les couleurs...
— Tu vas t'habituer, déclara Byll, songeant que lui aussi s'y ferait.
— Oui, avec le temps. Je t'avouerai que j'aurais tout de même préféré qu'elle me transforme en orcéant.
Byll ne parvint pas à se représenter ce que donnerait Rouge en orcéant.
— Pourquoi ? Nous sommes plutôt disgracieux.
— Je ne trouve pas. Tes oreilles à doubles pointes sont très mignonnes.
Le compliment troubla Byll. C'était le premier qu'il avait reçu de sa vie.
Rouge caressa son avant-bras humain qui était recouvert d'un duvet de poils roux.
— C'est fou ce que cette peau est douce et fragile. Mes écailles protègent mieux.
C'était comme une invite à le toucher pour comparer, mais Byll eut un accès de timidité. Il était familier avec Rouge le dragon, mais pas encore avec l'homme.
Pierrick qui en avait apparemment terminé avec  Élissande mit fin à leur conversation en déclarant à tue-tête :
— Nous allons pouvoir nous remettre en route. Korel, si tu veux bien nous indiquer le partisan le plus proche d'ici d'un retour à l'ère au dragon.
La jeune fille s'emmêla aussitôt :
— Ne mieux vaudrait pas plus tôt chercher une personne ayant déjà mis en place une organisation susceptible de renverser l'ordre établi ? Ce serait plus rapide que de réunir un par un les gens ayant la même opinion que nous.
— Cela ne te concerne pas, répliqua Pierrick.
— Bien sûr que si, puisque je viens avec vous ! s'exclama-t-elle, poings sur les hanches.
— La place d'une jeune fille de bonne famille n'est pas sur les routes, riposta le rouquin.
Les yeux violets de Élissande lancèrent des éclairs :
— Non, mais tu t'entends un peu avec tes idées de vieux croûtons !
— Je n'ai pas envie qu'on m'accuse de kidnapping.
— Je suis majeure et libre d'aller où je veux, n'en déplaise à mon père et mes frères ou toi ! Je n'ai pas l'intention de me morfondre dans ma tour en attendant qu'on me déniche un parti convenable.
— Je veux pouvoir reprendre ma forme originelle à tout moment. Elle doit nous accompagner, intervint Rouge.
— Mais j'y compte bien ! s'exclama jeune fille.
Pierrick céda, de toute évidence à contre-cœur.

vendredi 9 septembre 2016

Orcéant - 20

Pierrick pivota sur lui-même, lui présentant ses fesses musclées.
— Je suppose que tu dois m'examiner sous tous les angles, se justifia-t-il.
— Exact, répondit Élissande en le détaillant avec un intérêt qui donna envie à Korel de recouvrir le corps nu de son maître d'une cape.
Rouge, lui, observait la scène comme si elle ne le concernait pas tandis que Byll était perdu dans la contemplation du plafond de la grotte.
Au bout d'un long moment la jeune fille, se détourna de Pierrick pour se concentrer sur le dragon.
— Attends encore peu avant de te revêtir, précisa-t-elle comme Pierrick faisait mine de récupérer ses habits des bras de Korel.
Prudente, elle demanda ensuite au dragon l'autorisation de poser les mains sur ses écailles. Il la lui accorda.
La masse corporelle du dragon se brouilla devenant une masse floue rougeâtre. Korel sentit Byll se tendre comme un arc. Mais l'instant d'après, tout était déjà fini et à la place de Rouge se tenait un homme qui ressemblait trait pour trait à Pierrick, excepté qu'il faisait plus de deux mètres.
Élissande vacilla sur ses pieds. Le nouveau Rouge esquissa un geste maladroit vers elle, Pierrick fit un pas dans sa direction, mais c'est Byll qui se montra le plus rapide et qui la soutint.
— Cela m'a coûté plus d'énergie que j'aurais cru, souffla-t-elle.
Pendant que Byll l'aidait à s'asseoir sur une roche plate, Pierrick se rhabilla vite fait.
Après quoi, il vint se planter devant la jeune fille d'un air qui n'augurait rien de bon.
— C'est quoi ce sosie géant ?!
— Cela n'a rien d'évident de réduire la taille d'une créature aussi grande et large qu'un dragon, répondit Élissande. Il est tout de même moitié plus petit qu'un orcéant, ajouta-t-elle.
— Fallait-il vraiment qu'il soit comme mon jumeau ?!
— N'as-tu rien écouté tout à l'heure ?
— Je n'avais pas compris quel résultat tu visais...
Ils se renvoyèrent la balle pendant si longtemps que Korel cessa de prêter attention à leurs paroles. Le spectacle de Rouge qui bougeait en douceur chacun de ses nouveaux membres était autrement plus fascinant, surtout qu'il était plus imposant que son modèle et toujours nu.
Il n'y avait pas à dire, les humains étaient autrement plus forts que les licornéens. Aucun entraînement au monde ne pouvait hélas leur donner des bras et des jambes athlétiques, ce n'était pas ainsi qu'ils étaient fait.
Korel se consola en songeant que pour la magie, c'était sûrement une autre histoire, autrement, les humains ne les auraient pas privé de leurs cornes. Lui avait la sienne et comptait bien s'en servir pour libérer ceux de son espèce.

jeudi 8 septembre 2016

Orcéant - 19

— Si tu as tout suivi depuis le début,  peux-tu transformer Rouge, oui ou non ? demanda aussitôt Pierrick.
— Il n'y a aucune raison que je n'y parvienne pas. Si l'orcéant veut bien me libérer...
— Cela ne lui fera pas mal ? interrogea Byll qui retenait toujours la jeune fille.
— Je n'ai pas peur de la douleur, glissa Rouge.
— Probablement pas, mais je n'ai jamais utilisé ma magie de métamorphose sur personne d'autre que moi-même. 
Byll parut hésiter, puis finalement la lâcha.
— Déshabille-toi, ordonna la jeune fille avec autorité, le doigt pointé vers Pierrick.
— Hein ? Pourquoi ?
— Tu es un de ces gars prudes ? J'ai des frères, tu ne seras pas le premier homme nu que je verrai. Je me moque de la taille de ton machin.
Korel retint un rire. Pierrick n'était pas habitué à ne pas mener la danse.
— Cela ne me pose aucun problème de me dévêtir, mais je ne tiens pas à le faire devant une parfaite inconnue.
Elle soupira bruyamment avant de déclarer :
— Je m'appelle Élissande de Tucs et j'ai fêté mon vingt-deuxième anniversaire. C'est bon, maintenant ?
— J'aimerai quand même bien savoir pourquoi moi ! s'indigna Pierrick, les joues empourprées de colère, à moins que cela ne soit de gêne.
Korel ne l'avait pas vu dans le plus simple appareil depuis longtemps : bien que cela fasse partie de ses tâches d'aider Pierrick à s'habiller et à se laver, cela faisait des années que ce dernier s'en chargeait seul. C'était tout juste s'il acceptait que le licornéen lui prête main forte pour enlever ses bottes.
— Sachez que changer de forme nécessite de connaître à la perfection l'être que vous souhaitez devenir et qu'en aucun cas vous ne pouvez avoir un autre sexe que le vôtre. Même la magie à ses limites. J'ai étudié des mouches de nombreux jours avant de me lancer. J'ai beau maîtriser du bout des doigts la morphologie et la biologie des humains, ce sera plus facile si j'ai un modèle masculin devant moi.
Ses explications achevées, Élissande croisa les bras dans l'attente que sa demande soit enfin exécutée.
Pierrick retira ses gants, son ceinturon, sa tunique brodée d'arabesques, sa chemise blanche aux manches bouffantes, les tendant au fur et à mesure au licornéen. Il ôta ensuite ses bottes, ses chaussettes et son pantalon en coton. Il marqua un temps d'arrêt. Korel cessa de respirer. Élissande déglutit.
Et enfin, Pierrick fit glisser sur ses hanches son caleçon long écru, dévoilant son pénis au repos qui pendait dans un écrin de boucles flamboyantes.
— Pas de doute, tu es un vrai roux, lâcha  Élissande, les yeux rivés sur son sexe.

mercredi 7 septembre 2016

Orcéant - 18

Pierrick protesta. Il ne voyait pas le mal qu'il y avait à être du genre rapide. Le dragon ne se donna pas la peine de lui répondre. Il avait apparemment vite compris comment il fallait se comporter avec Pierrick : le mieux était en effet de l'ignorer quand il tenait des propos aberrants. Cela lui permettait en général de se rendre compte de lui-même qu'il avait proféré une stupidité.
Il y eut un silence durant lequel Korel s'efforça de transformer le dragon, supposant que ce dernier devait essayer de faire de même de son côté.
Byll les regardait dans l'expectative tandis que Pierrick effritait un morceau de paroi rocheuse du bout de ses doigts gantés.
Korel ne put s'empêcher de se demander quel effet cela lui ferait si Pierrick le touchait. Il chassa cependant bien vite cette distrayante pensée. Il désirait garder ses pouvoirs magiques et que tous les licornéens d'Erret obtiennent ce droit.
— Il y a aussi la possibilité que quelqu'un qu'on ne voit pas soit avec nous dans la grotte, suggéra Byll.
— Mais oui, bien sûr ! s'exclama Pierrick en se frappant les mains l'une contre l'autre.
Dans la foulée, il dégaina son épée et prononça une incantation.
— Oh, c'est bon, pas la peine de sortir le grand jeu, je vais me montrer.
La voix féminine semblait provenir de nulle part. Mais soudain, ce qui n'était qu'une minuscule tache sur le pagne de Byll se mit à grossir et grandir.
L'orcéant l'empoigna sans hésitation.
— Hé ! se plaignit l'inconnue. Pose-moi à terre !
Byll n'obéit pas à son injonction, même quand la petite bête noire devint une belle jeune fille blonde au teint porcelaine et aux magnifiques yeux violets qui portait une combinaison assortie qui épousait les courbes de son corps comme une seconde peau. Sa beauté était comparable à celle des licornéens.
— Je suis de votre côté, assura-t-elle.
— Alors pourquoi nous avoir espionné ? objecta Byll.
Elle se lança d'une explication extravagante comme quoi elle avait voulu savoir si les orcéants étaient vraiment des bêtes comme sa préceptrice se plaisait à le répéter quand elle s'indignait de les voir trimer du matin au jour en ayant à se mettre sous la dent que des restes dont un chien n'aurait pas voulu.
C'était une fille humaine du même genre que Pierrick, le type qu'il aurait dû épouser s'il était resté sagement dans la propriété familiale au lieu de partir à l'aventure. Tout deux étaient jeunes, séduisants, riches, prétentieux, mais généreux malgré tout. Elle n'aurait en effet pas été là si le sort des orcéants ne lui avait pas paru injuste. Ils formaient un couple parfait et Korel en ressentit un inexplicable pincement de cœur. 

mardi 6 septembre 2016

Orcéant - 17

Il se concentra, mais rien ne se produisit.
— Alors ? s'enquit Pierrick.
— Il a peut-être besoin de temps, dit Byll.
Korel faillit embrasser l'orcéant, autant pour le remercier de son intervention que pour punir Pierrick de son impatience - un trait de caractère qui était pénible à supporter chez lui.
Le licornéen tenta encore, sans plus de succès.
— Cela ne fonctionne pas, je n'ai aucune idée de la direction que nous devons prendre, murmura-t-il, peiné d'avoir échoué.
Pierrick ne l'enfonça pas. Il vola au contraire à son secours :
— C'est peut-être parce que la personne susceptible de réaliser cette magie est dans cette grotte. Ce n'est à priori pas moi, sûrement pas l'orcéant et sans doute pas le dragon sinon cela ferait longtemps qu'il se promènerait à l'air libre, mais  peut-être que toi, tu as cette capacité en toi.
Pierrick croyait en lui, toujours. C'était réconfortant. Le souci, c'est que Korel n'avait pas la moindre idée de comment procéder. Il ne suffisait pas de vouloir, cela eût été trop facile.
— Peut-être que Rouge ne sait juste pas qu'il peut le faire. Il était dans l'œuf quand je l'ai trouvé. Il a grandi tout seul, déclara Byll.
L'orcéant était tout aussi prompt à défendre le dragon que Pierrick avec lui. Il était évident qu'il avait des sentiments pour lui.
— Théorie intéressante ! Et il est peut-être également en mesure de s'exprimer intelligiblement ! s'écria Pierrick, légèrement moqueur.
Rouge qui était demeuré silencieux dans son coin, gronda.
Et puis, soudain, une voix caverneuse retentit à l'intérieur de la tête de Korel :
— Vous m'entendez ?
Le licornéen acquiesça, Byll aussi.
— Oui, confirma Pierrick, ses yeux verts écarquillés.
— Je peux donc communiquer par télépathie. Je regrette de ne pas l'avoir découvert plus tôt, Byll.
— Qu'en est-il du changement de forme ? demanda Pierrick, déjà remis de sa stupéfaction.
— Tu es trop pressé, l'humain !
Korel eut un sourire. Il avait voulu dire cela un nombre incalculable de fois à Pierrick, mais jamais les mots n'avaient pu franchir ses lèvres.  Il n'arrivait rien de bon aux licornéens qui désobéissaient à leur maître ou avaient le malheur de lui déplaire. Les humains n'hésitaient pas à briser les membres des licornéens ou à les défigurer. Il avait également surpris une conversation du père de Korel avec un de ses amis où il était question de bordels et de centres d'accouplements où les licornéens n'avaient d'autres choix que de se reproduire. Au moins, en tant que serviteur, il n'y avait qu'un maître ou une maîtresse à satisfaire.

lundi 5 septembre 2016

Orcéant - 16

CHAPITRE 4

Le licornéen savait parfaitement que Pierrick ne s'était lancé dans cette quête de libération des espèces par amour pour lui. Ses propres motifs n'étaient pas plus purs : il avait voulu garder sa corne.
En général, les humains n'avaient pas besoin de la couper plus de deux fois avant que les licornéens atteignent leur maturité sexuelle, la première à la naissance, la seconde à l'adolescence, mais malheureusement pour Korel, la sienne repoussait vite, alors il avait vécu cette torture à quatre reprises. Il se souvenait des terribles maux de têtes qui chaque fois avaient suivi.
Il souhaitait que les siens n'aient plus jamais à subir cela, plus jamais à devoir coucher avec les humains qui ne voyaient en eux que des poupées qu'ils se moquaient de briser.
Il était d'ailleurs reconnaissant à Pierrick de ne pas l'avoir contraint à partager sa couche. Malgré cette retenue de sa part, il doutait de son amour, pas tant parce qu'il ne s'était pas déclaré que parce qu'il lui semblait que s'il avait été physiquement repoussant, Pierrick ne l'aurait pas aimé. Le manque de considération qu'il avait envers les orcéants était la preuve de sa superficialité. Il avait été éduqué dans l'idée que les humains étaient supérieurs aux autres espèces d'Erret et la plupart du temps, il y croyait.
Il était cependant aussi très protecteur à son égard. Ainsi, quand Korel avait eu le malheur de renverser accidentellement un verre de vin sur les genoux d'un des invités de son père, il était intervenu pour lui éviter une punition et présenté de plates excuses pour la maladresse de son serviteur. Il était impossible de détester Pierrick, l'aimer était une autre histoire.
Korel frotta pensivement sa corne. Il ne savait pas du tout ce dont il était capable grâce à elle, mais assurément, ils auraient besoin de toute l'aide possible, magique ou autre pour réussir à libérer Erret du joug humain.
Il appréciait grandement qu'ils aient un allié en Byll l'orcéant, et peut-être bien aussi en Rouge le dragon. Ils étaient tous deux impressionnants par leurs tailles et leurs dents, surtout le second.
Pour que le dragon vienne avec eux, il aurait fallu pouvoir le rendre invisible ou qu'il se métamorphose en une autre créature.
Pierrick avait dû arriver à la même conclusion, car il lança :
— Mon précepteur a mentionné l'existence de sorts permettant de changer de forme. Cependant, pour les réaliser, il faut posséder une grande puissance magique. Les apprendre sans cela est inutile. Puisqu'il ne me les a pas enseigné, je suppose qu'il jugeait que je n'avais pas le niveau, à moins que cela ne soit lui qui ne l'avait pas. Korel, peut-être ta corne pourrait nous indiquer un ou une amie des dragons les maîtrisant ?
— Je peux essayer, répondit Korel.
Ils avaient réussi à trouver un dragon par ce biais, même s'ils avaient dû en passer par Byll, aussi le licornéen était-il plus confiant que lors de ses premières tentatives pour user de ses pouvoirs. 

vendredi 2 septembre 2016

Orcéant - 15

— Nous allons pouvoir passer à l'étape suivante, déclara Korel. Son  affirmation sonnait comme une question. 
— Oui, bien sûr, confirma Pierrick. Mais je suis ennuyé car je comptais demander conseil au dragon. Ils sont supposément intelligents. Enfin, ils ne doivent pas l'être  tant que cela, autrement, ils ne seraient pas au bord de l'extinction.
Arya avait évoqué comment les humains avaient piégé les dragons les uns après les autres, sans pitié. Ils avaient usé de flèches pour transpercer leurs ailes, de filets pour les immobiliser et de sorts pour les affaiblir, s'attaquant à eux à cent contre un. 
— C'est parce que vous autres, humains êtes retors ! s'indigna Byll tandis que Rouge crachait un filet de flammes qui passa juste au-dessus du crâne de Pierrick. Ce dernier rentra la tête dans les épaules. 
— Très bien, j'admets, j'ai eu tort. Bref, deux possibilités s'offrent à nous, soit nous laissons le dragon à l'abri, soit nous l'emmenons avec nous. 
Cela sautait aux yeux qu'il n'avait aucun plan précis. Il inventait au fur et à mesure, au petit bonheur la chance. C'était déplorable et en même temps, Byll était obligé de reconnaître que Pierrick avait au moins le mérite d'agir. Lui jusque là s'était contenté de subir et d'attendre que les choses s'améliorent d'elles-mêmes. 
— Si Rouge met ne serait-ce qu'une aile dehors, il sera aussitôt repéré et tué, souligna-t-il. 
— L'avoir avec nous serait pourtant la meilleure façon de rallier ceux qui veulent que les choses changent, il s'agit juste de procéder avec discrétion, répliqua Pierrick. 
Un dragon était visible comme un nez au milieu de la figure, surtout dans un monde où ils avaient été chassés et éliminés. Si Rouge n'était peut-être pas le dernier de son espèce, les autres  devaient êtres, comme lui, bien cachés. En tout les cas, Byll était désormais convaincu de la sincérité de Pierrick. Cet humain s'exprimait avec trop de maladresse pour élaborer des ruses compliquées. 
— Je vous accompagnerai, je vous aiderai à convaincre les gens. 
— Je suis content que tu nous crois finalement, annonça Korel, ses cheveux dorés étincelants. 
— Ma parole, un vrai héros, se moqua Pierrick, apparemment pas ravi d'avoir un allié orcéant. 
Byll ne s'en soucia pas, préoccupé par Rouge qu'il allait devoir laisser derrière lui, seul une fois de plus, alors même qu'il était libre de ses mouvements. 
Le dragon s'était recouché. Quelque chose dans sa posture trahissait un profond mécontentement. 
Byll aurait adoré rester à ses côtés, c'eût été simple et il aurait été heureux, même s'il n'avait jamais dû revoir le plus petit rayon de soleil ou la moindre étoile, mais il voulait que le dragon ne soit plus prisonnier de sa maison souterraine, qu'il puisse voler sans danger dans le ciel et cela impliquait de partir avec Pierrick et Korel.

jeudi 1 septembre 2016

Orcéant - 14

Dans le tunnel où, vu sa taille, il devait désormais ramper pour accéder à la grotte, il leur offrit de retirer leurs bandeaux. Il n'eut pas besoin de le dire deux fois.
— Avec ou sans, c'est du pareil au même, on n'y voit que goutte ! râla Pierrick.
Une douce lueur provenant de la corne de Korel qui avait ôté son chapeau de paille, éclaira alors les parois terreuses.
Malgré la présence de Korel et Pierrick et même si sa peau le tirait douloureusement aux endroits où le fouet l'avait mordu, Byll, pressé de rejoindre le dragon, se dépêcha d'avancer.
Enfin, ils débouchèrent sur la vaste grotte où Rouge sommeillait, ramassé sur lui-même en une grosse boule écailleuse.
Les exclamations impressionnées de Pierrick et Korel le réveillèrent cependant et ses yeux dorés se fixèrent sur eux avec une surprise égale.
Byll fit les présentations.
Rouge émit un grondement amical.
— Il ne parle pas ? s'étonna Pierrick.
— A sa façon, si, objecta Byll.
— Discuter dans ses conditions ne va guère être pratique, grimaça Pierrick.
— Il comprend tout, rétorqua Byll avant d'informer lui-même le dragon des intentions de l'humain et du licornéen – réinstaurer une ère de liberté et de paix comme au temps des dragons.
Avec réticence, il dévoila aussi les projets de Pierrick de retrouver d'autres dragons afin qu'ils se reproduisent et soient un jour aussi nombreux qu'avant les massacres perpétrés par les humains.
Il précisa enfin qu'il n'était pas sûr que ce soient les vrais désirs de Pierrick et Korel et qu'il avait pris la précaution de leur bander les yeux avant de les amener ici.
— Hé ! Ne t'ai-je pas libéré ?! protesta le rouquin.
Rouge se redressa sur ses pattes griffues et poussa un grognement dubitatif, puis se penchant vers eux, il donna un coup de langue à Byll.
Il ne lui avait pas échappé que l'orcéant avait été battu et c'était une façon de montrer sa sollicitude. Et peut-être même plus, réalisa Byll en constatant que les marques violacées s'étaient estompées et qu'il n'avait plus mal.
Byll aurait aimé expliquer à Rouge ce qui s'était passé, mais pas en la présence de Pierrick et Korel, alors il se contenta de le remercier en caressant le bout de son museau.
— C'est le grand amour entre vous, dis donc ! s'écria Pierrick.
A son ton et à son sourire, il ne faisait aucun doute qu'il plaisantait, mais Byll se surprit à espérer que cela soit vrai, qu'entre Rouge et lui, cela soit plus qu'une forte amitié, qu'il occupe dans le cœur du dragon une place aussi grande qu'il avait dans le sien, quand bien même c'était un amour qui ne pouvait être que platonique, leurs deux espèces étant par trop différentes.