jeudi 31 janvier 2013

A travers les âges - 50

Theodebert ne comprit pas un mot de l'échange, mais dès que l'homme se fut éloigné, Ulf lui en donna la teneur :
– C'était mon frère, Svein. Il n'est pas ravi que je veuille t'embarquer. Selon lui, les religieux font de mauvais esclaves. Je pense qu'il a tort. N'êtes-vous pas des serviteurs de votre Dieu ? Il m'a conseillé de me débarrasser de toi ou à défaut, de te vendre le plus vite possible. Sauf que moi, je sais que tu feras un excellent esclave et j'ai bien l'intention de te garder.
Theodebert aurait dû être soulagé que le viking ne souhaite pas le tuer et il savait qu'il ne devait pas appeler la mort de ses vœux - c'était une épreuve que Dieu mettait sur son chemin et il devait l'accepter - seulement, il était terrifié des sentiments mélangés que lui inspirait le géant blond. Il le craignait, luttait pour s'échapper et en même temps, il avait l'impression que tant qu'il serait avec lui, rien de mal ne pourrait lui arriver. Ulf était le danger, mais paradoxalement, il le rassurait. C'était à en devenir fou.
Ils traversèrent le monastère, passant à côté de vikings qui saccagaient les lieux, l'air féroce, et se retrouvèrent dehors. Le potager avait été piétiné.
A force d'être ballotté comme un sac de patates, Theodebert avait la nausée. Son monde était littéralement sens dessus-dessous. Ulf continua à marcher à bonne allure dans la campagne où flottait une odeur de brûlé. Les vikings n'avaient pas usurpé leur réputation de monstres sans foi ni loi.
– Où m'emmenez-vous ?
– Au bateau. Je vais devoir te mettre avec les autres prisonniers et t'attacher.
Theodebert s'inquiéta pour ses frères, puis devina qu'il devait s'agir de pauvres paysans.
– Laissez-moi partir... supplia-t-il.
Ulf s'arrêta. Theodebert entrevit une lueur d'espoir. Le géant blond insista alors pour savoir sur nom. Le moine le lui révéla. Maintenant qu'ils étaient à l'arrêt, il était terriblement conscient de la main du viking posée sur ses fesses qui le maintenait. La chaleur qu'elle dégageait transperçait ses vêtements. Ulf répéta son nom, comme s'il le savourait avant de déclarer :
– Je parie que tu ne vas pas me croire, mais toi et moi, dans une autre vie, nous étions amants. Je te reconnais à chaque fois, toi, jamais. Je t'ai trouvé, je te garde, que tu le veuilles ou non.
La réincarnation était une hérésie. Ulf blasphémait, mais Theodebert aurait aimé que cela soit vrai, cela aurait rendu l'attirance qu'il ressentait pour le géant blond moins diabolique.
– C'est impossible, et quand bien même cela le serait, rien ne justifierait que nous péchions encore, affirma-t-il d'une voix mal assurée.

mercredi 30 janvier 2013

A travers les âges - 49

Il y eut des voix qui parlaient une langue étrangère, des bruits de meubles renversés, des pas qui se rapprochaient... Theodebert se recroquevilla encore plus, la main crispée sur la croix offerte par ses parents qu'il avait glissé dans la ceinture de sa robe de bure, et le nez dans ses genoux, il serra les yeux. Mais même comme ça, il ne put manquer le retour de la lumière, le signe qu'il avait été découvert. Il n'osa pas soulever les paupières. Son coeur battait si fort et si vite dans sa poitrine qu'il en avait mal. Il sentit de grandes mains l'empoigner, le tirant de force hors de son refuge et il fut jeté sans ménagement sur le sol. Instinctivement, il chercha à amortir le choc, mais sans succès. Le corps douloureux, il vit finalement son agresseur qui l'écrasait de toute sa taille : un géant blond, moustachu et barbu qui portait un casque orné de deux cornes.  Comme leurs regards se croisaient, l'air amusé du viking disparut soudain. Il s'agenouilla et se pencha sur Theodebert qui, tétanisé, ne bougea pas. Les yeux bleu-gris du géant blond plongèrent dans les siens, le transperçant.
– C'est toi, c'est bien toi, déclara le viking.
Theodebert fut surpris qu'un homme du Nord connaisse le latin, mais ce qui suivit le laissa encore plus interdit.
Le géant blond le releva, plaçant le visage de Theodebert au niveau du sien, et l'embrassa, insinuant sa langue dans sa bouche. Theodebert  dont les pieds ne touchaient pas le sol, les agita et frappa avec son agresseur dans les jambes. Le géant blond encaissa sans broncher et sans cesser détacher ses lèvres de celles de Theodebert qui s'agita de plus belle jusqu'à ce que finalement le viking le repose.
– Mon nom est Ulf. Et toi ?
Theodebert, les yeux écarquillés, ne réussit pas à formuler un seul son. Il avait chaud comme s'il s'était trouvé devant un feu de cheminée. Les mises en garde de l'abbé sur les pêchés de la chair se rappelèrent à lui.
Le géant blond lui sourit, et Theodebert déglutit. Au lieu de s'enfuir, il avait envie de se rapprocher de lui. Ces hommes du Nord étaient des envoyés du Diable, songea-t-il, et joignant les mains, il commença à prier en silence.
– On n'a pas le temps pour ça, grommela Ulf.
Là-dessus, il attrapa le moine par la taille, le jeta sans façon sur son épaule, et sortit du dortoir sans se soucier ni des poings de Theodebert qui martelaient son dos ni de ses demandes d'être relâché.
Ils croisèrent un autre géant blond, celui-là rasé de près qui arrêta Ulf.

mardi 29 janvier 2013

A travers les âges - 48

Ils venaient de terminer l'office de Laudes quand un paysan essoufflé, les habits déchirés et tâchés de sang, fit irruption dans l'oratoire. Un des doyens s'offusqua de cette entrée, mais l'affaire fut vite tirée au clair. Des vikings avaient débarqué et mettaient tout à feu et à sang, bientôt ils arriveraient au monastère. Un vent de panique souffla. On donna de l'eau au paysan qui avait échappé de justesse à ses monstres sanguinaires et qui était venu les prévenir en dépit de ses blessures, pendant que l'abbé ordonnait de prendre les reliques, les biens de valeur et de fuir. Le calme habituel qui régnait dans le monastère fut remplacée par un désordre sans nom. Même les anciens paniquaient. Des histoires affreuses couraient sur ses hommes venus du Nord. Ils s'adonnaient au pillage, violaient, tuaient, brûlaient et détruisaient tout sur leur passage et ils prenaient un malin plaisir à s'attaquer aux lieux de culte qu'ils profanaient, insultant et brutalisant ceux qui s'y trouvaient. Quelques frères se mirent à prier, d'autres remontèrent leur robe pour courir plus vite, mais la plupart obéirent à l'abbé. Theodebert était de ceux-là. Il récupéra deux candélabres en argent et quitta le monastère à grandes enjambées, la gorge serrée.
Ils fuyaient, mais pour aller où ? Dans quel état retrouveraient-ils les lieux quand le danger serait passé ? Comme cette question lui traversait l'esprit, il se rappela de la croix en bois cachée dans son lit, que son père avait sculpté pour lui et qu'il lui avait donné à l'insu de l'abbé. L'idée qu'un de ces pirates du Nord pourrait la trouver et la briser, ralentit ses pas. Il n'aurait pas dû la posséder, c'était contre la règle, mais pour lui, elle était aussi précieuse qu'une relique sacrée, c'était un souvenir de ses parents.

Il rattrapa un frère qui trottait devant lui, lui confia son fardeau malgré les protestations de ce dernier et repartit en sens inverse. Deux frères l'interpellèrent, mais Theodebert ne leur répondit pas. Il retournait vers le monastère à toute allure priant pour que les vikings ne soient pas déjà arrivés. Il entendit des clameurs au loin, mais il préféra les ignorer. Il prendrait son bien et s'enfuirait à nouveau. Le bâtiment déserté était plus silencieux que jamais. Theodebert remonta le couloir, entra dans le dortoir, alla jusqu'à son grabat et récupéra sa croix qu'il pressa contre son cœur.
Des cris tout près brisèrent le trop grand calme qui régnait entre les murs et il se figea. Il n'avait plus le temps de s'en aller désormais. Paniqué, il chercha des yeux un endroit pour se cacher. Il se décida pour l'armoire à linge. Comme elle était pleine de couvertures, il se dépêcha d'en sortir et d'en poser sur les lits pour se faire une place, puis il s'y casa avec peine et referma les portes sur lui. Il eut tôt fait d'apprendre que ce n'était pas une bonne cachette.

lundi 28 janvier 2013

A travers les âges - 47

C'était bientôt l'heure des Vigiles. Theodebert quitta la chaleur de son grabat et dans l'obscurité de la nuit qui finissait, se dépêcha d'enfiler ses souliers et rabattit le capuchon de sa robe de bure. Le printemps était là, mais il faisait encore froid et humide entre les murs du monastère. Theodebert ajusta sa ceinture autour de sa taille et réveilla doucement quelques endormis avant de quitter le dortoir. Une file de frères remontaient déjà le couloir d'un pas tranquille pour aller prier. En silence, il se joignit à eux.
Une fois, tous réunis dans l'oratoire, ils récitèrent des psaumes afin de sanctifier la nuit. Il y eut, comme d'habitude, des retardataires qui ne purent se joindre au choeur. Un temps de lecture de la Bible suivit et, quand l'aurore vint rosir le ciel, ils célébrèrent le jour qui se levait avec des psaumes de louanges. Theodebert participa à la lessive et au ménage avant de retrouver l'ensemble des frères pour l'office de Prime. Il lut ensuite dans la bibliothèque du monastère, étudiant les écrits des Pères de l'Eglise. Il chanta avec ses frères pour Tierce et partit aider en cuisine. Après avoir participé au service, il mangea à son tour un bol de soupe et un morceau de pain, puis prit le chemin du potager. Tandis qu'il maniait la bêche, il se retint de fredonner, aucun frère n'avait le droit de chanter en dehors des moments de prière, c'était la règle. Patienter jusqu'à Sexte, puis jusqu'à None était toujours difficile pour Theodebert, car il adorait faire jouer sa voix.  Peu ou pas parler ne le dérangeait pas, mais ne pas chanter lui était pénible. Bien qu'il ne soit pas très doué, il faisait de la poterie l'après-midi, comme l'abbé lui avait ordonné. Venait l'office du soir, les Vêpres composée de quatre psaumes suivies d'antiennes, d'une lecture, d'un répons, d'un hymne, d'un verset, du cantique de l'Évangile, d'une litanie et de la prière du Seigneur. Après un moment de lecture en commun, arrivaient les Complies et une fois qu'elles étaient terminées, le silence tombait sur le monastère et quiconque osait ouvrir la bouche était puni. Enfin, c'était l'heure de dormir, puis les Vigiles revenaient et une nouvelle journée commençait rythmée par les prières et entrecoupée de divers travaux manuels qui ne donnait pas à Theodebert le même plaisir que le chant. Certains moines trouvaient monotone la vie qu'ils menaient. Ils se réjouissaient quand le monastère accueillaient des hôtes et étaient contents quand l'abbé les envoyait à l'extérieur. Ce n'était pas le cas de Theodebert. Il avait beau ne pas avoir choisi cette vie - il était un jeune enfant quand ses parents l'avaient offert comme oblat au monastère, il avait au bout de trois ans prononcés ses vœux, moins par vocation que par amour du chant. Il était considéré comme un frère fiable par l'abbé et bien des frères l'admiraient, mais Theodebert lui savait la vérité et parfois, il restait dans l'oratoire pour prier dans le secret de son cœur et demander pardon de tromper ainsi la confiance des autres moines.

mardi 22 janvier 2013

Chibi pause

J'ai fait pas mal de recherches ces derniers jours sur les vikings et les moines au temps de Charlemagne, mais j'aimerai les poursuivre encore un peu avant de me lancer pleinement dans l'histoire de Ulf et Theodebert, aussi, le prochain épisode de A travers les âges ne sera mis en ligne que lundi prochain, le 28 janvier.

En attendant, je vous propose de découvrir M.Toukka et Dake version chibis :

ainsi que Lykandré version chibi - j'avoue que ce logiciel chibimaker m'a donné envie de faire tous mes personnages sous cette forme  :

lundi 21 janvier 2013

A travers les âges - 46

M.Toukka descendit à son tour du véhicule et ils se regardèrent par dessus le capot. Dans les rayons du soleil couchant, les cheveux du professeur prirent une teinte flamboyante qui le fit ressembler à son alter ego romain. Il était moins jeune, moins beau et portait des lunettes, mais c'était la même personne. Dake trouvait bizarre de se dire qu'il avait été plus vieux que lui dans une autre vie.
– Demain après-midi, comme tu n'as pas cours, nous pourrions nous retrouver vers 15 heures à l'entrée du square des Deux lions. La météo annonce du soleil.
– OK, répondit Dake, sans s'éloigner pour autant de la 2-CV.
Il n'avait pas envie de quitter M.Toukka. Les vingt-cinq années qu'ils avaient vécues ensemble à l'époque galloromaine tourbillonnaient encore dans son esprit.
– Qu'est-ce que Titus... vous avez fait après ma... la mort d'Ewen ?
– Je me suis ennuyé, mais je savais que je te reverrai, alors j'ai pris mon mal en patience. A demain, mon cœur.
Dake le regarda se réinstaller au volant de la voiture, recula de deux pas sur le trottoir, attendit que son professeur démarre et s'éloigna enfin. Y avait-il une vie où ils n'avaient pas eu à souffrir de l'absence de l'autre ? C'était dingue que M.Toukka se souvienne de tout. Cela représentait une masse colossale d'informations et de sensations. Dake avait l'impression que sa tête allait exploser rien qu'avec deux pauvres petites vies supplémentaires... Cependant, chaos ou pas dans son cerveau, il voulait en savoir plus.

 Sa nuit fut partagée entre des rêves avec Iol et d'autres avec Titus. Il se réveilla fatigué et c'est péniblement qu'il se traîna en cours où il ne parvint pas à écouter quoique ce soit. Le passé l'accaparait.
A 15 heures tappantes, il fut à la grille du square. Occupé à dérouler le fil de ses souvenirs avec Titus, il attendit sans trop d'impatience M.Toukka qui tardait. Le jeune homme aux cheveux fauves, malgré une certaine arrogance, avait été un compagnon délicieux.
Quand M.Toukka arriva enfin, Dake le reconnut avec peine. Son professeur avait troqué son costume-cravate contre un jeans et un pull en coton qui lui donnait un air plus dynamique. Sa manière de parler restait en revanche guindée.
– J'espère que tu ne me tiendras pas rigueur de mon retard. Ma 2-CV s'est montrée capricieuse, hélas.
– Ça va, marmonna Dake.
– Je propose que nous nous asseyons dans un coin tranquille.
Dake approuva. Ils évitèrent les bancs qui entouraient l'aire de jeux et en choisirent un qui situé à l'écart.
L'adolescent trouva que M.Toukka se mettait un peu trop près de lui, mais il ne se décala pas.   
– Alors, de quand date notre rencontre suivante ? demanda-t-il.
– Avant d'être deux hommes de nouveau, nous avons eu la chance de partager deux autres vies. Toujours est-il qu'en l'an 800, j'étais un viking et toi, un moine.
Du bout de sa chaussure ville, M.Toukka traça dans la terre sableuse du square « 800 », « ULF » et « THEODEBERT », puis il commença à raconter et les bruits des enfants qui jouaient plus loin, disparurent.

vendredi 18 janvier 2013

A travers les âges - 45

M.Toukka lui jeta un coup d'œil en biais sans cesser de surveiller la route et déclara :
– Je suis désolé.
– De quoi ?
– Que tu saches ce que cela fait de mourir.
– Ce n'était pas horrible. Je n'ai pas particulièrement souffert.
C'était vrai, mais en même temps, l'expérience était troublante et Dake ne pouvait s'empêcher de trembler.
– Si je continue à ranimer tes souvenirs, cela arrivera. L'espérance de vie autrefois était plus courte et les morts violentes, de légion.
– Vous, vous n'avez rien oublié. Même que vous en faisiez des cauchemars, répliqua Dake, en essayant de reprendre la maîtrise de son corps.
Titus l'avait réveillé un nombre de fois incalculable avec ses cris, la nuit...
– Je me suis habitué. Non, ce serait égoïste de ma part de te raconter nos autres vies.
La perspective qu'il arrête déplut à Dake. Est-ce que cela signifiait que M.Toukka renonçait à le conquérir ? Titus avait fait preuve de plus de persévérance ! C'était perturbant de se souvenir, mais savoir qu'il avait vécu des tas de choses qui restaient enfouies dans sa mémoire, hors de sa portée, l'était tout autant. L'adolescent se frotta le dessus de la lèvre avec l'impression que quelque chose manquait. Cela lui avait pesé autrefois, quand il s'appelait Ewen et qu'il était moustachu...
– Nous avons un marché. Vous me devez encore cinq histoires.
C'était le monde à l'envers que ce soit lui qui doive le convaincre de déballer ce qu'il  qualifiait de sornettes, il y a peu.
M.Toukka qui manoeuvrait pour se garer, ne répondit qu'une fois qu'il eut immobilisé la 2-CV.
Dake reconnut la rue où il habitait et perdit momentanément le fil de la conversation.
– Comment avez-vous su ?
– Les professeurs ont accès à ce genre de données.
Si Dake y avait songé avant, au moment où il avait été tenté de ne plus écouter M.Toukka parler de leur passé commun, cela l'aurait mis mal à l'aise, mais dans l'état actuel des choses, cela ne lui posait pas de problème.
– Rentre bien.
Dake n'apprécia pas d'être ainsi congédié.
– Je ne quitterai pas votre voiture sans que vous juriez que vous me raconterez la suite.
– Même si ce que tu apprends ne te plaît pas ?
– Oui, affirma Dake avec conviction, espérant tout de cœur qu'il ne lui soit rien arrivé de trop affreux.
– Mais est-ce vraiment nécessaire ? Puisque tu me crois, que tu te souviens...
Soudain Dake fut terriblement conscient de la petitesse de l'habitacle de la voiture et de la proximité de son professeur. Il pouvait sentir le parfum léger et citronné qui se dégageait de ses cheveux. Il suffisait que ce dernier se penche juste un peu et... Dake paniqua et ouvrit la portière.
– Je n'ai encore rien promis, remarqua M.Toukka.
– Je ne suis pas prêt à autre chose que vous écouter, avoua Dake en sortant de la 2-CV.
Il avait beau se souvenir avec acuité des baisers et des caresses de Iol et de Titus, faire cela avec son professeur, c'était une autre paire de manches.

jeudi 17 janvier 2013

A travers les âges - 44

– Pardon, j'ignorais que cette salle était prise pour une colle.
La voix inconnue rompit le charme qui avait ramené Dake à l'époque galloromaine. Dans l'entrebaillement de la porte, une femme en tailleur - un professeur sûrement - se tenait, l'air gênée d'avoir troublé un collègue.
M.Toukka regarda sa montre.
– L'heure de colle est terminée. Nous allions partir, affirma-t-il tranquillement, validant l'interprétation erronée de la femme quant à son tête à tête avec un élève dans une salle de cours.
Dake cligna des yeux. Il avait dû mal à remettre les choses en place dans son esprit et il était à l'étroit dans son pantalon, encore dans les vapeurs du caldarium où lui et Titus se baignaient et se caressaient. Il récupéra son sac, le plaça de manière à cacher son entrejambe et abandonna son siège.
M.Toukka était déjà à la porte, échangeant quelques mots avec la femme en tailleur, comme si tout était parfaitement normal. Dake les salua, le coeur battant à tout rompre. Son excitation s'estompait, mais l'image de Titus nu et ruisselant d'eau était encore vivace.
M.Toukka le rejoignit alors qu'il commençait à descendre l'escalier, d'un pas mal assuré.
– Ça va ?
Les mots firent soudain défaut à Dake. Dans son autre vie, il était devenu un grand silencieux à force de se taire et de cacher son véritable ressenti.
– Maintenant que je t'ai raconté, tu te souviens, comme la première fois ?
Dake hocha la tête. Ils avaient été interrompus avant la fin de l'histoire, mais il n'avait pas besoin que M.Toukka la continue. Il connaissait la suite.
Titus Fulvius ne l'avait jamais affranchi parce qu'il aimait le posséder, qu'il y voyait une sorte d'union entre eux, le comble étant qu'Ewen était resté au final le seul esclave de la domus tandis que tous les autres devenaient des serviteurs payés. Dake en aurait éprouvé de la colère s'il ne s'était pas souvenu que Titus l'avait toujours considéré comme un homme libre et qu'il n'avait appartenu qu'à lui de briser les chaînes de son esclavage en réapprenant à exprimer ses désirs et ses opinions. « Tu peux partir, si tu le souhaites, Ewen, mais laisse-moi venir avec toi, dans  ce cas. » avait dit Titus.
– Tu veux que je te ramène chez toi ?
Dake accepta l'offre de son professeur. Les souvenirs de sa vie d'esclave affluaient et la tête lui tournait. Il suivit M.Toukka dans le parking du lycée dans un état second jusqu'à une 2-CV grise qui semblait sortie d'un autre temps.
Il s'assit machinalement à l'avant, comme M.Toukka l'y invitait. La portière claqua sur lui sans qu'il y prête attention, il revivait les jours heureux qu'il avait passé avec Titus...
Quand son professeur eut démarré le moteur de sa petite voiture, Dake souffla, choqué, en frissonnant :
– C'est moi qui suis mort le premier... De vieillesse.

mercredi 16 janvier 2013

A travers les âges - 43

– Tu n'as pas besoin de faire quoique ce soit aujourd'hui ou même demain d'ailleurs. Ne te préoccupe pas de Mog.
Ewen se demanda si Titus s'attendait à ce qu'il passe désormais sa vie au lit. Cela l'énerva, mais il tint sa langue. Il savait que le jeune homme aux cheveux fauves préférait qu'il dise ce qu'il pensait, mais c'était dur de se défaire d'une longue pratique de silence.
– J'ai envie de plonger en toi, encore et encore... reprit Titus d'une voix rauque.
Ewen qui avait senti le membre du jeune homme palpiter, l'avait deviné avant même qu'il ne l'explicite à haute voix. Il n'avait rien contre dans l'absolu, mais cela le gênait de n'être plus qu'un esclave sexuel.
– Ce n'est pas une bonne idée. Je bénéficie déjà d'un traitement de faveur.
Titus exprima son étonnement :
– Hormis la chambre, tu effectues les mêmes tâches que les autres. Je le sais puisque j'étais tout le temps avec toi ou presque.
Ewen qui ne voulait pas dénoncer Mog et les quelques mesquineries que d'autres des esclaves de la maison lui avait fait subir, ne répondit pas.
Titus poursuivit :
– Maintenant que nous sommes amants, tout est différent. Te regarder balayer n'a rien de désagréable, mais je veux me promener avec toi, t'associer à mes affaires...
Ewen, lui, ne savait pas ce qu'il souhaitait. Il restait l'esclave de Titus. Il aurait dû se contenter de lui obéir, mais cette complète dépendance vis-à-vis du jeune homme aux cheveux fauves lui déplaisait. Il ne pouvait pas l'accompagner partout, c'était impossible, et c'était avec les autres esclaves qu'il se retouverait. C'était lui qui subirait les foudres de Mog.
– Quelque chose ne va pas ? demanda finalement Titus, lâchant Ewen, sans doute dans l'intention de le regarder en face, plutôt que de parler à ses cheveux.
Le Gaulois en profita pour quitter promptement le lit, non sans une grimace de douleur. La fougue avec laquelle Titus l'avait pris la veille se rappelait à lui.
Le jeune homme aux cheveux fauves se leva à son tour avec vivacité, attrapa Ewen par les épaules et planta ses yeux dans les siens.
– Dis-moi, ce qui se passe, s'il te plaît.
Titus était un jeune homme issu d'une famille romaine fortunée, il n'était pas devin. Ewen hésita, puis se convaincant que leur intimité nouvelle, l'autorisait à se confier à lui. Il lui révéla le fond de sa pensée, exprimant ses doutes et ses inquiétudes.
– Je n'avais pas réfléchi à tout cela. Je revendrai ou affranchirai les esclaves qui ont un problème avec notre couple. Nous pourrions aussi quitter Rome pour une retraite en province, au calme et à l'abri des regards. Je crois que tu ne réalises pas encore que je suis prêt à tout pour toi, déclara Titus, avant d'embrasser la marque d'esclavage d'Ewen comme en signe d'allégeance.
Lui redonnerait-il le statut d'homme libre auquel il aspirait ? Ewen garda cette question pour lui. Il ne voulait pas que Titus pense qu'il était tombé dans ses bras pour l'obtenir. Tout ça était arrivé parce que le jeune homme aux cheveux fauves avait su trouver le chemin de son cœur...
Titus continua :
– Écoute, je me chargerai de Mog et des autres, alors, retournons au lit pour le moment, d'accord ?
Ewen acquiesa, puis osa suggérer qu'ils aillent profiter des thermes de la maison. Cette fois, ils pourraient se laver mutuellement. Titus accueillit la proposition avec un sourire ravi.

lundi 14 janvier 2013

A travers les âges - 42

Même après que leurs respirations se soient appaisées, Titus garda Ewen étroitement serré contre lui.
– Tu m'as appelé Iol, remarqua-t-il.
– C'est vrai, reconnut Ewen. Pourtant, je ne connais personne de ce nom-là, ajouta-t-il préciptamment, craignant une scène de jalousie.
– C'est le premier nom que j'ai porté et je ne te l'ai jamais révélé.
Cette affirmation troubla Ewen.
– Tu te souviens de quelque chose ? continua Titus.
– Non.
– Mais pourtant, tu as crié Iol quand nous nous sommes unis.
Ewen dut admettre que peut-être, il n'était pas impossible d'avoir plusieurs vies. Il n'avait pas d'autre explication à donner.
– Je suis vraiment heureux de t'avoir retrouvé. Lors de ma dernière vie, j'ai eu beau te chercher, je ne t'ai jamais croisé. Et les deux autres fois, nos idylles ont été brèves. Je suis mort dévoré, puis j'ai été tué au combat...
Ewen avait du mal à croire à tout cela.  Ecouter Titus parler de ses vies antérieures, c'était comme discuter avec un fou, mais malgré tout, il était content d'être dans ses bras. C'était sa place.

 Quand le matin vint, le jeune homme aux cheveux fauves tenait toujours Ewen qui sentait dans son dos, le torse de Titus se soulever au rythme de sa respiration. Il n'avait pas envie de quitter le lit, mais le soleil était levé et Mog allait râler, s'il arrivait tard. Titus, dans son sommeil le retint.
Ewen eut beau se contorsionner, il ne parvint pas à se défaire de l'étreinte du jeune homme. De guerre lasse, il se résigna à le réveiller.
– Titus.Titus, répéta-t-il à voix basse. Iol ? tenta-t-il, sans plus de succès.
Le jeune homme aux cheveux fauve était profondément endormi. Ewen regarda le bras qui l'empêchait de bouger. La peau de Titus était claire, parsemée de poils roux duveteux. Ewen posa ses lèvres dessus et l'embrassa. Il se demandait ce qui allait se passer maintenant que le jeune homme était arrivé à ses fins. Séduire Ewen n'était pas un simple caprice pour lui, il l'avait montré, mais le Gaulois se sentait malgré tout inquiet. Il était loin d'être de première jeunesse, sûrement Titus risquait de se lasser de lui, surtout si il persistait à ne se souvenir de rien, hormis d'un nom...
Ewen déposa un nouveau baiser sur le bras qui l'enserrait. Titus battit des paupières et ouvrit les yeux.
– Bonjour, mon cœur, souffla le jeune homme aux cheveux fauve.
Le mot doux prit Ewen au dépourvu. Il bafouilla qu'il devait se lever et aller voir Mog, mais Titus ne le lâcha pas pour autant.

vendredi 11 janvier 2013

Lykandré et Rendez-vous manqué, les livres

Ils se seront faits attendre, mais ça y est, ils sont disponibles !  Voici donc pour ma première (et dernière ?) double sortie deux romans fantastiques fort différents :

Lykandré compte 415 pages avec des pages bonus comprenant l'histoire de Komori et Tonoshi, et un récit sur M.Trott et coûte 16,74€   14,50€.
Je tiens à remercier à nouveau Ladyblack pour son travail sur la couverture.

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Résumé : Lykandré est un loup qui se transforme en homme indépendamment de sa volonté. Malgré cela, il mène une vie tranquille, semblable à celle des autres loups sur l’île de d’Inukotou jusqu’à ce que des chasseurs débarquent et le capturent...

Rendez-vous manqué comprend 216 pages dont un épilogue bonus et coûte 12,69€.
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Résumé : Al est un jeune homme affligé d’une maladie rare qui le rend invisible. A cause de cela, il mène une vie bien solitaire jusqu’au jour où il rencontre un adolescent prénommé Beckett...

A travers les âges - 41

Ewen se dévêtit, s'assit sur sa couche et regarda tour à tour son pénis et son anus. Comment pouvait-on rentrer ça là-dedans ? Y introduire plus d'un doigt ne devait déjà pas être évident. En même temps que cette pensée le traversait, il en posa deux sur l'orifice qui se contracta. Il les retira aussitôt comme s'il s'était brûlé.
– Je suis prêt à lui céder... murmura-t-il.
Autrement, il n'aurait pas pris la peine de réfléchir à tout ça. Ces derniers jours, le jeune homme aux cheveux fauves l'avait conquis.  Avec constance, Titus l'avait suivi partout, le dévorant des yeux, sans lui reparler constamment de leur prétendu passé commun, sans lui imposer son désir de coucher avec lui. En agissant ainsi, il lui avait montré à quel point, il était important à ses yeux, en dépit de son statut d'esclave et pas seulement parce qu'il croyait l'avoir connu autrefois. Cela s'était fait insidieusement et c'est pourquoi Ewen n'en avait pas pris conscience avant. Une dernière chose néanmoins le retenait encore : il était la propriété de Titus. Le jeune homme aux cheveux fauves ne le considérait pas comme acquis et pourtant, il l'était.
Ewen se rhabilla et gagna furtivement la chambre du maître. Titus ne dormait pas, il était debout, juste devant la mosaïque du couple composé de deux hommes. Il tourna la tête vers l'arrivant et parut à la fois surpris et heureux.
– Tu veux partager ma couche ?
– Vous voulez m'affranchir ? répliqua Ewen.
Titus perdit son sourire.
– Si tu cherches à marchander, c'est non. Te posséder une fois et te perdre, je ne le souhaite pas. Je préfère ne pas pouvoir te toucher, et te garder auprès de moi.
La situation semblait bloquée, sauf qu'Ewen, devant les yeux gris emplis de tristesse et de solitude de Titus, éprouva une étrange nostalgie. Tant pis s'il était l'esclave de Titus puisque c'était librement et sans contrepartie qu'il s'offrait.
Il ôta sa tunique et s'allongea sur le lit. Il n'eut pas à attendre. Le jeune homme aux cheveux fauves se jeta sur lui et captura sa bouche avec avidité, tout en le caressant. C'était un peu trop pour Ewen qui ne s'était pas imaginé pareille ardeur. Il protesta faiblemement et Titus ne parut pas l'entendre. Ses mains et ses lèvres étaient partout. Ewen se laissa emporter par les sensations que les baisers et les caresses lui procuraient. Il y avait quelque chose de doux à s'abandonner.
Le jeune homme ne s'arrêta qu'un instant, le temps d'attrapper une bouteille d'huile parfumée qu'il avait dans sa chambre. Il massa les fesses d'Ewen avec, jusque dans la raie où il s'attarda avant de glisser deux doigts à l'intérieur. Ewen déglutit. C'était bizarrement naturel. Quand Titus s'enfonça en lui, le nom d'Iol lui vint aux lèvres sans qu'il sut pourquoi. Avec fougue, le jeune homme aux cheveux fauves imprima au corps du Gaulois un rythme effrené jusqu'à ce que la jouissance les prenne.

jeudi 10 janvier 2013

A travers les âges - 40

Les journées suivantes se ressemblèrent. Mog attribuait à Ewen des tâches plutôt sympathiques durant lesquelles Titus lui tenait compagnie. Quand il arrivait au jeune homme aux cheveux fauves de s'absenter, Mog lui refilait en revanche les sales corvées. Toute la maisonnée sut rapidement que Titus Fulvius était fou de son nouvel esclave.

Cela faisait une vingtaine de jours qu'Ewen était arrivé, quand il se retrouva à surprendre une conversation entre Titus et son ami, Lucius Inferus. Venu apporter du bois pour le fourneau d'Enola dans la cuisine, il avait entendu son nom provenant du triclinium. Il avait posé les bûches et tendu l'oreille.
– Il se dit que tu t'es amouraché d'un vieil esclave Gaulois. Ce n'est qu'une rumeur, j'espère ? 
– Non, c'est vrai, excepté qu'il n'est pas si âgé que cela....
– Quoi ? N'oublie pas tes devoirs de citoyen romain !
– Je n'ai rien à me reprocher dans la tenue de mes affaires. 
– Tu ne vas pas me faire croire que c'est toi qui sodomises un vieux bonhomme ? 
– Et pourquoi pas ? Mais je n'en suis pas là. Je n'ai pas réussi à le séduire, malgré mes efforts. 
Lucius toussa bruyamment. Il avait dû s'étrangler sur son verre de vin. 
– Mais enfin tu n'as pas besoin de lui plaire ! Il t'appartient. Ordonne-lui d'écarter les fesses et puis, c'est tout.
– Cela n'aurait aucune valeur et je n'en tirerai aucun plaisir. Maintenant Lucius, vas-tu me dire l'objet de ta visite ? 
Lucius Inferus baragouina quelques propos politiques sans queue ni tête qui cachaient mal qu'il n'était venu que pour en savoir plus sur la rumeur qui s'était propagée à propos de Titus et de son entichement pour un esclave qui n'était plus de première jeunesse. 
Ewen se décida à quitter la cuisine, perturbé au point de ne pas prêter garde à Enola qui l'enjoignait à voix basse à revenir discuter avec elle dans la soirée.  Ewen n'avait pas mis longtemps à comprendre que souhaitant voir son maître heureux, elle cherchait à pousser le Gaulois dans ses bras.
Le reste de la journée s'écoula dans une sorte de brouillard. Quand il put gagner sa chambre pour dormir du sommeil du juste, il pensait encore à la conversation entre Titus et Lucius. Il n'avait rien appris, juste réalisé que si son maître le fourrait dans son lit, ce serait lui qui ferait la femme. L'inverse eut en effet été indigne d'un citoyen romain. Les relations entre hommes n'avaient rien de répréhensibles, et n'étaient pas mal vues, mais il y avait certaines règles. Le rapport de force ne devait pas changer entre un maître et un esclave.

mercredi 9 janvier 2013

A travers les âges - 39

Ewen trouva Mog dans le dortoir des esclaves. Ce dernier venait tout juste d'émerger. Une fois que le Gaulois l'eut prévenu, il s'empressa de se lever et fila. Un esclave jeune et jovial proposa à Ewen de grignoter un morceau avec eux avant que leur journée ne commence pour de bon. Ce fut pour le Gaulois l'occasion de faire connaissance avec les esclaves restants de la maison. Ils manifestèrent de la curiosité quant à l'accueil chaleureux dont il avait bénéficié. Ewen essaya de les satisfaire sans en dévoiler trop. Il était inutile que tout le monde sache que Titus voulait coucher avec lui et qu'il s'était caressé, l'obligeant à regarder. Il évoqua simplement les croyances du maître sur la réincarnation. Les avis étaient partagés sur le sujet. Certains pensaient que c'était possible, d'autres pas. Mog revint, l'air mécontent, alors que le débat faisait rage. Il fit taire tout le monde et assigna une tâche à chacun, en terminant par Ewen.
– Va nettoyer les statues du jardin ! aboya-t-il.  Ewen ne se laissa pas intimider et demander où prendre le matériel nécessaire pour frotter et ôter les éventuelles mousses. Mog lui indiqua, le traitant comme s'il avait été un idiot alors que c'était normal qu'il ne sache pas ça, puisqu'il venait d'arriver. Ewen récupéra un racloir, un seau d'eau et plusieurs chiffons, et ainsi, équipé, se rendit au jardin. Il commença par la statue la plus proche, puis, au lieu de continuer et de procéder de manière méthodique, ses pas le portèrent au banc entouré des deux couples en pierre. Ce n'était pas parce que c'était l'endroit préféré de Titus et qu'il espérait l'y croiser, non, c'était autre chose. Il était poussé par une force qui le dépassait. Il justifia son choix, en se disant qu'il fallait, après tout, aussi les nettoyer et qu'il avait le droit de le faire dans l'ordre qu'il souhaitait. En passant le chiffon sur le socle, il remarqua qu'une inscription était gravée et il la déchiffra péniblement « Ego et Kuma » Ewen reconnut le prénom prononcé par Titus au sortir de son cauchemar et réfléchissant, il devina que se tenait devant lui une représentation des autres vies que s'attribuaient le jeune homme aux cheveux fauves. Il passait pensivement le chiffon sur les deux corps de pierre enlacés, quand soudain, il se sentit observé. Il leva les yeux et aperçut Titus qui le contemplait de loin. Il dut voir qu'il avait été repéré, car il s'approcha de sa démarche souple et féline et prit place sur le banc. Cependant, il n'adressa la parole à Ewen qu'au bout d'un moment.
– Tout se passe bien ? Ewen acquiesça, sans mot dire. Titus ne chercha pas à relancer la conversation, mais ne cessa de regarder le Gaulois qui se dépêcha de finir la besogne pour pouvoir mettre de la distance entre eux. Il n'avait pas prévu que le jeune homme aux cheveux fauves le suive dans le jardin, s'arrêtant devant chaque statue qu'il nettoyait. N'avait-il rien d'autre à faire ? Il fallait croire non. Tout au long de la journée, ou presque, Titus resta aux côtés d'Ewen, lui adressant la parole de temps à autre. Ewen se montra froid, ne répondant que brièvement aux questions posées, même si au fond de lui, il se sentait quelque part flatté. C'était bien la première fois de sa vie que quelqu'un se montrait aussi intéressé par sa personne. C'était toujours lui qui avait dû faire des efforts pour conquérir les jeunes femmes qui lui plaisaient.

mardi 8 janvier 2013

A travers les âges - 38

Le jeune homme aux cheveux fauves ne cacha pas sa déception et c'est avec le regard triste qu'il lui proposa de petit déjeuner avec lui, chose qu'Ewen refusa.
– Tu préfères être traité comme les autres, c'est ça ?
Ewen répondit par un simple oui, alors même, qu'en son for intérieur, il songeait qu'il avait surtout envie de s'appartenir à nouveau.
– Je veux bien faire des efforts pour te faire plaisir, mais sache que pour moi, tu es à part...
Seulement parce qu'il s'imaginait qu'il était quelqu'un qu'il avait connu autrefois, dans une autre vie, sous un autre nom, pensa Ewen, le visage dur.
– Demande à Enola de m'apporter mon petit déjeuner dans ma chambre, ordonna Titus.
Comme le Gaulois se levait, le jeune homme aux cheveux fauve ajouta :
– Oh, et préviens Mog que j'ai à lui parler.
Ewen hocha la tête et sortit. Leur relation commençait enfin à ressembler à celle d'un maître et d'un esclave, et bizarrement, il n'arrivait pas à s'en réjouir.
Enola râla en apprenant que Titus Fulvius voulait manger dans sa chambre.
– Il a déjà des lits dans sa salle à manger ! Il pourrait prendre la peine de mettre le pied par terre et de marcher trois mètres quand même !
Sans trop savoir pourquoi, Ewen se crut obligé de le défendre et il mentionna le cauchemar.
– Cela n'a rien de bien extraordinaire. Il en fait depuis toujours. C'est Mog qui me l'a raconté. Ce n'est pas une excuse et je lui dirai le fond de ma pensée !
– Tu es toujours aussi franche avec lui et il ne te punit jamais ?
Enola rit.
– Non. Il ne me voudrait pas autrement, je l'ai vite compris. Je fais juste attention quand il a des invités pour qu'il ne perde pas la face. Nous avons de la chance d'avoir un maître qui ne croit pas à l'esclavage et qui ne nous considère pas comme des créatures inférieures. Je ne regrette pas le temps de son père, ah, ça non !
– Pourquoi a-t-il encore des esclaves, alors ? riposta Ewen.
– Parce que c'est important à Rome, c'est une marque de richesse. Par ailleurs, personnellement, je ne vois pas l'intérêt d'être affranchi, car quand on n'est pas citoyen romain, cela n'apporte pas grand chose... Ah ! Je bavarde et je ne prépare rien.
Ewen réalisa qu'il était dans ses jambes et il quitta les lieux pour aller accomplir le second ordre de Titus, non sans que Enola ne lui ait donné un petit pain et arraché la promesse de revenir causer avec elle.

lundi 7 janvier 2013

A travers les âges - 37

A la nuit tombée, Mog autorisa Ewen à aller se coucher. Le Gaulois aurait autant aimé dormir avec les autres esclaves de la maison, mais une chambre lui avait été attribué, alors il s'y rendit, non sans se demander si Titus ne l'y attendait pas.
Heureusement quand il entra la couche était vide. Soulagé et épuisé, Ewen s'allongea et s'y endormit d'un sommeil profond.

Quand il se réveilla, il se sentit un peu perdu. Il était seul et c'était une chose dont il n'avait plus l'habitude, puisqu'il dormait depuis des années aux côtés de d'autres esclaves. Plutôt que de partir à la recherche de Mog, Ewen décida de faire un tour en cuisine pour voir s'il pouvait toucher un mot à Enola. Cependant, en passant devant la chambre du maître, il entendit Titus pousser des cris terribles. Il entrouvrit aussitôt le rideau qui servait de séparation et vit dans la pénombre, sur le grand lit, le jeune homme aux cheveux fauves aux paupières closes qui se débattait comme aux prises avec quelqu'un. Ewen, sans prendre le temps de peser le pour et le contre, se précipita à ses côtés et le réveilla, en le secouant par les épaules. Avant d'ouvrir les yeux, Titus s'accrocha à lui et gémit « Kuma, Kuma. » Ewen ne bougea pas, attendant que son maître se calme et sorte de son mauvais rêve.
– Vous êtes chez vous, vous êtes en sécurité, répéta-t-il à plusieurs reprises d'une voix rassurante.
Les doigts de Titus qui s'étaient aggripés à lui se déserrèrent lentement.
– Cela faisait longtemps que je n'avais plus fait ce cauchemar. Te retrouver a ravivé mes souvenirs.
Le jeune homme aux cheveux fauves frisonna et reprit :
– Être dévoré vivant, cela ne s'oublie pas aisément.
Ewen ne commenta pas. C'était encore cette histoire de réincarnation. Il voulut s'écarter, mais Titus le retint.
– Reste !
Le Gaulois obéit, tout en se disant qu'il s'était jeté dans la gueule du loup, puisqu'il se retrouvait sur le lit de Titus, presque dans ses bras. Le jeune homme n'avait plus qu'à lui demander de passer sous la couverture... Mais de toute façon, même si cela terminait ainsi, il ne regrettait pas d'avoir agi comme il l'avait fait. Il aurait manqué de coeur en abandonnant Titus alors qu'il était en détresse, prisonnier d'un horrible rêve.
– Tu étais venu me rejoindre dans ma chambre ?
Le ton était plein d'espoir, mais Ewen lui ôta ses illusions et lui expliqua en trois mots ce qui s'était passé.

vendredi 4 janvier 2013

A travers les âges - 36

Titus croqua dans un morceau de pain et reprit :
– J'étais pire que toi à l'époque, je dévorai ma viande crue et quand nous nous sommes retrouvés, j'étais du genre à engloutir mon repas comme un cochon alors que toi, tu étais une femme distinguée.
Rien de ce qu'il disait ne faisait sens...
– Je suis en train d'évoquer nos vie antérieures, continua Titus, en attrapant une olive.
Cette précision mise bout à bout avec tout ce que  le jeune homme aux cheveux fauves avait dit avant, permit à Ewen de comprendre enfin de quoi il était question. Seulement, lui, il ne croyait pas à la réincarnation.
– Je me souviens de tout, tu sais, de notre première fois, où je t'ai plus ou moins forcé, de notre seconde rencontre où j'ai mis bien des mois à te séduire... J'ai hélas impression que cela va être comme ça, cette fois aussi. Tu es tellement obtus.
Ewen serra les dents et accepta cet énièmé défaut que Titus lui attribuait.
– Dis quelque chose !
Le Gaulois en avait assez de toutes ses histoires et bizarreries. Titus voulait qu'il parle en toute liberté ? Il allait être servi, et tant pis pour les conséquences !
– Si je suis aussi peu aimable que vous l'affirmez, pourquoi vous acharnez à me mettre dans votre lit ? Je suis peut-être borné, méchant, oublieux et silencieux, mais vous, vous êtes arrogant et tordu !
Titus ne se fâcha pas. Il sourit et s'excusa :
– Je suis content que tu aies enfin révélé le fond de ta pensée. C'est vrai que ce n'est pas de ta faute, si tu ne te souviens pas que nous nous sommes aimés. J'avoue m'être montré suffisant et qu'à trop vouloir tout de suite, j'ai gâché ton bain, et je t'empêche de savourer tranquillement ton repas. Promis, j'arrête de t'ennuyer avec tout ça, pour le moment.
Le jeune homme aux cheveux fauve tint parole. Il le laissa manger sans plus aborder le sujet, et à la fin du repas, il l'envoya voir Mog. Sûrement, le vieil esclave aurait des tâches pour lui.
Ewen se sentit doublement soulagé : il n'avait pas reçu de coups de fouet et la situation redevenait plus ou moins normale. Mog parut également satisfait d'apprendre que le maître voulait que le nouvel esclave travaille. Il donna plein de choses à faire à Ewen qui, même en ayant les mains occupés, ne put s'empêcher de penser à Titus, à tout ce qu'il avait raconté sur leur prétendu passé commun, à son visage empli de désir...

jeudi 3 janvier 2013

A travers les âges - 35

– Cruel... murmura Titus avant de se caresser.
Ewen détourna les yeux, mais son maître lui intima de regarder.
La main à la peau claire allait et venait sur le membre dressé. Le jeune aux cheveux fauve se mordit la lèvre, étouffant un gémissement de plaisir et un jet de liquide blanc jaillit et retomba sur le sol.
Ewen, considérant qu'il était inutile de contempler plus longtemps le pénis de son maître où perlait quelques gouttes laiteuses, se baissa pour nettoyer les dalles qui avaient été arrosées.
Quand il se redressa, Titus était en train d'enfiler la tunique qu'il portait sous sa toge.
– Habille-toi. Que l'ombre sur le cadran solaire soit bonne ou pas, nous allons manger.
Ewen obéit, sans oser croiser les yeux du jeune homme. Il n'avait pas été excité par la scène, mais le terme de « cruel » résonnait à ses oreilles. Il n'avait pas voulu se montrer blessant, mais il sentait qu'il l'avait été.
Dans le triclinium, une femme aux formes généreuses et aux longues tresses blondes était en train de récupérer les plats sur la table.
– Laisse ça, Enola.
– Un coup vous débarquez trop tôt et maintenant, c'est beaucoup trop tard. Tout a refroidi, répondit la femme, un poing sur la hanche.
– Je m'en doute.
– C'est meilleur quand c'est chaud. Vous auriez pu faire attention.
– Vraiment, je regrette.
L'échange était curieux entre un maître et ce qui ne pouvait être qu'une esclave.
Titus, après avoir dit à Ewen de s'installer, l'introduisit auprès de la femme. Enola puisque c'était son nom le salua d'un signe de tête.
– Vous ne m'avez jamais invité à manger avec vous, maître Fulvius, fit-elle remarquer.
Le jeune homme aux cheveux fauve parut embarrassé.
– Ewen est différent. Je le connais depuis longtemps.
– Oh, vraiment ? demanda-t-elle. Est-il muet ? ajouta-t-elle, en ramenant une de ses longues tresses sur l'épaule.
– Non, mais il n'est pas bavard. Il ne parle que quand on l'interroge directement, j'en ai peur.
– Quand tu auras un moment, Ewen, viens me voir dans ma cuisine. Je ne sors guère d'ici et cela fait longtemps que je n'ai parlé avec un compatriote.
– D'accord, répondit le Gaulois, se réjouissant par avance de discuter avec Enola.
Il espérait entre autres qu'il pourrait éclaircir quelques-uns des mystères qui entouraient Titus. Comment cela se faisait que la femme soit aussi familière avec son maître et pourquoi était-il traité encore mieux qu'elle ? Vraiment, il ne se rappelait pas avoir rencontré Titus avant aujourd'hui.
Tandis que la femme retournait dans la cuisine attenante à la salle à manger, Titus s'étendit sur un des lits.
– Ce serait bien, si tu pouvais être à l'aise avec moi comme Enola, déclara-t-il et il plongea les doigts dans un des nombreux bols posés sur la table.
– Vous êtes mon maître, objecta Ewen.
Il ne savait pas dans quel plat piocher. Tout était si appétissant par rapport au gruau auquel il avait le droit chez Quintus Petronus.
– Ce n'est pas une raison. Je préfère qu'on soit franc avec moi.
Mais comment était-ce possible puisqu'ils n'étaient pas sur un pied d'égalité ?Ewen garda cette pensée pour lui et enfourna un œuf dur.
– Cela me rappelle autrefois, ce manque de manières pour manger.
Il divaguait, songea Ewen, sans oser reprendre de la nourriture.