mardi 31 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 46

Beckett agita le shampoing.
– Teignons lui les cheveux et mettons la dehors, elle semble assez en forme pour cela.
Al approuva et empoigna Maud, toujours aidé par la trace de rouge à lèvres. La jeune femme invisible put d'autant moins éviter de se faire attraper qu'elle était incapable de voir les mouvements de Al depuis qu'il avait enlevé ses habits.
Maud, en termes colorés, manifesta son désaccord.
– Pourquoi devrait-on se montrer sympa puisque de toute façon, tu as décidé de revenir nous chercher des noises ? Mieux vaut pour nous que tu sois visible.
– Et ce pour 6 à 8 semaines. C'est une teinture semi-permanente, précisa Beckett.
Étonnamment, la menace d'avoir ses cheveux teints eut plus d'effet que les coups sur Maud Quentin.
– Laisse-moi ! Je veux m'en aller. Je ne veux plus de toi, espèce de connard !
Qu'elle ait renoncé à lui donna à Al envie de céder, mais Beckett, lui, semblait vouloir aller jusqu'au bout, si bien que le jeune homme invisible maintint son emprise sur Maud.
Soudain, des larmes sorties de nulle part roulèrent : elle pleurait.
– Espèce de dégueulasses, si vous faîtes ça, comment je vais rentrer à l'hôtel ? Et après, je ne pourrais pas sortir de chez moi. Vous êtes des enfoirés !
Supplier, ce n'était pas le fort de Maud Quentin. Comme elle s'agitait, se débattant, protestant avec force, Beckett posa le shampoing qu'il tenait encore à la main sur le bord du lavabo. Al comprit qu'il ne comptait plus poursuivre. Le jeune homme invisible ramena Maud dans le vestibule et demanda que Beckett lui ouvre la porte.
– Ne reviens plus, car si tu nous embêtes encore, d'une manière ou d'une autre, je te garantis que tu y auras droit à ton shampoing, précisa Al avant de la relâcher.
Là-dessus, il claqua la porte sur elle. Enfin, ils étaient débarrassés d'elle. Il n'y avait plus à espérer que ce soit définitif, car rien ne l'empêchait de revenir.
Dans l'appartement, le calme fit son retour, mais pas dans le cœur de Beckett. Al le voyait aisément. Lui aussi était encore tout remué.
– Ne te préoccupe pas de qu'elle a dit. Elle est à moitié folle.
L'adolescent acquiesça sans conviction.
Leur affrontement avec Maud Quentin leur avait laissé un arrière-goût désagréable à la bouche. Al reprit néanmoins :
– Mettons tout ça derrière nous et tâchons de profiter du reste du week-end.
Mais toute la journée, un malaise subsista. Al avait du mal à digérer d'avoir fait perdre connaissance à la femme invisible. Beckett gardait à l'esprit les propos qu'elle leur avait tenus. L'ambiance, sans être mauvaise, laissait à désirer. Le soir venu, ils parlaient encore de Maud, de ce qu'ils feraient si elle se pointait à nouveau chez Al ou au lycée de Beckett. L'adolescent ne voulait pas que Al vienne monter la garde. Il ne devait même venir sous aucun prétexte, ainsi en cas de présence invisible, Beckett saurait que c'était Maud. Il pouvait se défendre seul. Il n'était point besoin d'être sorcier pour comprendre que Beckett avait été fragilisé par l'agression dont il avait été victime.

lundi 30 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 45

Pendant que Beckett partait acheter du shampoing colorant, Al mouilla un gant dans la salle de bain et retourna dans le vestibule où était étendue Maud Quentin, avec comme seuls indices de sa présence, une discrète trace de rouge à lèvres flottant apparamment dans le vide et un bruit de respiration. Alors qu'Al cherchait à lui passer le gant sur le visage, pour ainsi dire à l'aveugle, Maud gémit et remua.
– Ça va ? demanda Al, son gant mouillé toujours appuyé sur la femme invisible.
– Qu'est-ce que... Eh ! Où tu me touches ?
– Ta figure ?
– Ôte tes sales pattes de ma poitrine, ignoble brute !
Al lâcha le gant comme s'il s'était brûlé et s'excusa, non sans trouver qu'elle était gonflée de se plaindre pour ça, après ce qu'elle avait fait à Beckett. En même temps, il lui devait bien des excuses pour l'avoir en quelque sorte envoyé au tapis, aussi, les fit-il.
– Je ne te pardonnerai pas, tu n'es qu'un lâche pour oser frapper une femme.
L'accusation renforça les remords de Al.
– Je regrette, vraiment. Mais tu n'es pas non plus blanche comme neige dans l'affaire.
– Moi ? Je n'ai rien fait qui mérite qu'on me traite ainsi ! C'est toi qui m'a menti, toi qui a levé la main sur moi...
Al aurait pu lui asséner ses quatre vérités à la figure. C'était elle qui avait pisté Beckett du lycée jusqu'à chez lui, elle qui l'avait peloté en cours, elle qui s'était incrustée, elle qui les avait insultés... Il ne le fit pas, car ce qu'il voulait, c'était qu'elle ne revienne plus jamais les ennuyer.
– Tu as raison. Je suis comme ça. Menteur et violent. Alors, tu vois, tu n'as pas intérêt à remettre les pieds ici.
– Tu ne vas pas t'en tirer comme ça après ce que tu m'as fait !! cracha Maud.
Al secoua la tête, découragé. Si elle se mettait en tête de se venger, ils n'étaient pas sortis de l'auberge.
– Je crois que tu n'as pas bien compris, dit-il en levant le bras.
Il jouait la comédie, mais il espérait que la menace porterait ses fruits.
– Tu ne me tiens plus, je peux esquiver. Je suis invisible.
– On peut être deux à l'être, rétorqua Al avant de se déshabiller en un tour de main, abandonnant ses vêtements en tas sur le sol.
La porte s'ouvrit à ce moment sur Beckett :
– On la verra venir de loin, déclara-t-il, en brandissant une bouteille de shampoing colorant rouge.
La seconde d'après, il se prit les pieds dans les habits de Al qui rattrappa l'adolescent juste avant que celui-ci ne s'étale de tout son long sur Maud, à priori encore étendue par terre.
– Al ?
Le ton était inquiet.
– Oui, c'est moi. Ne t'en fais pas. Je voulais juste me mettre à armes égales avec Maud, murmura le jeune homme invisible à l'oreille de Beckett qui frisonna.
– Vous aller payer ce que vous m'avez fait !
– C'était un incident, protesta Beckett.
– Comment te faire comprendre que nous voulons juste que tu nous laisses tranquille ? intervint Al, désespéré qu'ils n'arrivent pas à se dépêtrer de l'inconfortable situation.
Maud Quentin ne fut pas perturbée le moins du monde par la question. Elle lista tout leurs torts et les insulta encore.

Avis sur Mortelle Camomille


A la base, les thrillers, ce n'est pas du tout mon truc. La couverture de Mortelle Camomille avec sa tête de mort en fumée rouge qui s'échappe d'une fleur de camomille, tout à fait réussie dans son genre, me filait la frousse - oui, il ne faut pas grand chose pour me faire peur.
Ceci dit, il se trouve que j'ai adoré le style de Akiko Murita quand j'ai lu ses nouvelles disponibles à la lecture sur son site (ma favorite étant Sortir du cercueil, qui est orientée fantastique et non policier) et donc j'ai fini par me laisser tenter par son roman en version numérique. Il faut dire aussi que dans l'interview de l'auteur réalisé par YaoiCast à la Japan Expo, il était question d'un happy end...

Mortelle Camomille, c'est l'histoire de Thomas, un beau jeune homme qui débarque, comme ça à la gare de Harajuku, avec son book sous le bras à la recherche d'un travail de coiffeur et d'un endroit où dormir - choses qu'il va trouver dans un salon de coiffure appelée Camomille... avec l'amour en prime !

L'histoire est très bien construite et on entre dedans très facilement et, à moins d'être vraiment obligé de s'interrompre (ce qui a été hélas mon cas), on n'a pas envie de lâcher la lecture jusqu'à la fin. Ce n'est pas particulièrement effrayant, mais petit à petit, au fil des chapitres, la tension monte en raison de l'accumulation de mystères, chaque personnage possèdant son secret. L'un d'eux en a un plus noir que les autres, si bien qu'on soupçonne du pire plusieurs d'entre eux...

Le héros, Thomas, la patronne du salon de coiffure, sa petite fille, les deux autres employés - Ayako et Ryû - et les clients et clientes, tout ces personnages sont bien dépeints et si j'ai un regret, ce de ne pas avoir pu passer un peu plus de temps en leur compagnie. C'est court 191 pages.

Pour information, vous pouvez lire un extrait de Mortelle Camomille qui comprend le prologue et les deux premiers chapitres en cliquant ici (en numérique, le roman coûte 4€ et en livre papier, 12€)




mardi 17 juillet 2012

Pause

Désolé pour l'absence d'épisode hier, mais je suis toujours malade. J'ai posté un épisode aujourd'hui, mais après ça, je vais faire la pause jusqu'au 30 juillet, date à laquelle vous retrouverez Al et Beckett.
Et Maud aussi, mais bon, elle, je crois que vous vous en passeriez.

J'espère d'ici là que je serais à nouveau en pleine santé, car ces derniers mois, ce n'est pas trop ça.

Sinon, côté prochaines histoires boy's love à écrire, ça s'accumule dangereusement dans mon cerveau (et sur le carnet où j'ai noté mes idées)
J'ai envie d'écrire la suite des nouvelles pilotes (A travers les âges, Le Baiser de la Gargouille, Super amoureux et Lîle aux miroirs), mais aussi celle de Mémoire Etoilée (Almort) ainsi que celle du Suivant du prince (L'échange)
Sans compter mes nouvelles idées (Une nouvelle mort, un roman fantastique ; Le prisonnier et l'armoire à glace, un roman de fantasy) et mes anciennes qui ne me quittent pas (nouveaux contes de fées revisités, Le manoir des fantasmes)
Et n'oublions pas de nouvelles histoires se déroulant dans l'univers des andromorphes avec Chveuil comme héros. Ou Bang. Ou Méroé. Ou un des chasseurs.

Oui, j'ai encore de quoi m'occuper pendant quelques années...

Rendez-vous manqué - 44

– Tu es complètement malade, déclara Al qui commençait à penser que la mettre dehors ne suffirait pas à en finir avec elle.
– Apprends-moi quelque chose que je ne sais pas ! C'est pour ça que je profite des maigres avantages qu'offrent cette maudite maladie d'invisibilité.
A l'entendre, ce n'était pas la première fois qu'elle se permettait des privautés sur les gens sans leur demander leur avis.
Al était sur le point de rétorquer qu'il ne parlait pas de cette maladie-là, quand Beckett lança d'un ton dur, les poings serrés :
– Je comprends mieux pourquoi tu n'arrives pas à te trouver de copain et que tu en es réduite à essayer de voler ceux des autres. Ce n'est pas ta maladie, ton problème, mais ta mentalité.
– Et que dire de toi qui n'est même pas capable de faire la différence entre une parfaite inconnue et ton petit ami ? répliqua Maud, avant de s'en prendre physiquement à l'adolescent.
Beckett sursauta et mit les mains sur ses fesses. Al en déduisit que Maud lui avait pincé le postérieur et il réagit avec promptitude. Sortant le rouge à lèvres resté dans la poche de son jeans, il le brandit et marqua la jeune femme invisible. Maud rit, croyant qu'Al n'avait fait que l'effleurer, sans se rendre compte qu'il avait fait bien plus que cela.  La trace de rouge à lèvres trahissait désormais sa position. Cependant, la jeune femme invisible, pensant qu'elle avait encore l'impunité la plus totale, voulut se réattaquer à Beckett dont elle n'avait pas supporté l'affront verbal. Cette fois, Al put attraper ce qu'il supposa être l'épaule de Maud. La jeune femme invisible pesta, tempêta et débita de nouvelles horreurs sur Beckett. De rage, pour la faire taire, Al lui donna une tappe.
Elle hurla, hystérique :
– Salaud ! Je maintiens ce que j'ai dit sur ton sale petit ami qui bande n'importe où et avec n'importe qui !
Beckett, à un pas d'eux, semblait avoir pris racine.
La main de Al partit à nouveau, cette fois, avec force. Il n'était pas du genre à frapper qui que ce soit, mais Maud avait été trop loin, aussi bien dans ses actes que ses paroles. Al la sentit vaciller, mais au lieu de la soutenir, il la relâcha. Il y eut un bruit mat de chute, puis plus rien.
L'adolescent sortit de sa pseudo-transe.
– Merde ! Qu'est-ce que tu as fait ?
Al ne répondit pas, horrifié de la violence dont il avait fait preuve. Maud étant invisible, juger de son état était délicat. Elle ne pouvait pas être morte, tout de même ? Partageant la même inquiétude, il s'agenouillèrent tout les deux. A défaut de voir, ils purent entendre avec soulagement qu'elle respirait toujours.
Al qui n'avait certes pas voulu en arriver là, le précise à haute voix. Beckett ne le blama pas, bien au contraire :
– J'avais aussi envie de la frapper.
Renonçant d'office à la mettre dehors sans autre forme de procès, ils se mirent d'accord pour s'efforcer de la rendre plus visible et lui faire reprendre connaissance.

vendredi 13 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 43

Sur le trajet, ils parlèrent surtout du frère et des soeurs de Beckett. L'adolescent était curieux de savoir ce que Al avait pensé d'eux, bien que ce dernier n'ait fait que les croiser.
A l'arrivée, Al se précipita dans la salle de bain pour se laver le visage. Hélas, même débarrassé du maquillage, son visage continua à le picoter. Cela mettrait sûrement un moment avant de rentrer dans l'ordre, fichue peau sensible !
– Ça va mieux ? demanda Beckett, resté dans l'encadrement de la porte de la salle de bain.
Le jeune homme invisible, le nez fourré dans la serviette éponge avec laquelle il achevait de s'essuyer, avoua que non.
– Merci d'être venu me chercher chez moi. Je n'avais pas le courage de te parler ni rien après...
Beckett n'acheva pas sa phrase. Peut-être ne savait-il pas comment qualifier l'attouchement qu'il avait subi, peut-être qu'il ne voulait pas le nommer, car cela le rendait bien trop réel...
– Je me faisais du souci pour toi.
Al était sur le point d'embrasser Beckett pour chasser la tristesse qui assombrissait ses traits, quand la sonnette retentit. Le jeune homme invisible alla ouvrir. L'absence de personne sur le pallier lui apprit que c'était Maud. La pluie devait avoir cessé. Elle avait un sacré culot de se pointer chez lui comme ça, après avoir agressé Beckett. S'il avait pu savoir où elle se tenait avec exactitude, il l'aurait giflée. Ce désir de la frapper lui donna une idée tordue. Il pria pour que Beckett ne l'entende pas ou comprenne pourquoi il disait ça.
– Cela tombe bien que tu sois revenue, car finalement Beckett ne veut plus de moi, et j'aimerais que tu sois ma petite amie.
Des bras s'enroulèrent autour de son cou comme des serpents. Al en profita pour capturer Maud. Beckett, venu voir ce qui se passait, ne comprit pas que la femme invisible était présente avant qu'elle ne manifeste son déplaisir :
– Tu me fais mal, arrête ! Pourquoi est-il là ?
– Parce que nous n'avons pas rompu malgré ta façon dégueulasse de procéder, riposta Al en lui serrant les bras avec encore plus de force.
Elle trépigna et lui décocha un coup de genou dans l'aine qui lui fit lâcher prise.
– Je ne lui ai rien fait d'affreux. Je lui ai juste donné du plaisir à ce morveux, clama-t-elle.
Beckett, mal à l'aise, resta les bras ballants au milieu du vestibule, ne sachant où se mettre pour rester à distance de la femme invisible.

jeudi 12 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 42

– Tu veux bien...? murmura Beckett, en pointant timidement son entrejambe. Pour en avoir le coeur net...
Là-dessus, il retourna s'asseoir à son bureau et attendit le dos raide.
Al comprit que l'adolescent voulait comparer. Il ôta avec lenteur ses gants, les enfonça dans ses poches et vint se placer derrière Beckett. Il ne lui demanda pas s'il était sûr que c'était la bonne méthode. C'était peut-être la dernière fois qu'il le touchait. Ignorant son visage qui le brûlait à cause du maquillage, il déboutonna le jeans de l'adolescent, fit coulisser la fermeture éclair, écarta l'élastique du slip et accéda au pénis de Beckett. Il était mou, mais il ne lui fallut guère plus de quelques caresses pour qu'il s'épanouisse. L'excitation gagna à son tour Al. L'adolescent lui attrapa alors soudainement les poignets et l'empêcha de continuer à le toucher. La vérification comparative avait dû jouer en sa défaveur, songea Al, le coeur serré. Mais, contre toute attente, Beckett cacha son visage dans les mains invisibles de Al et pleura.
– Ce n'était vraiment pas toi. Ce n'était pas pareil, pas pareil du tout. Tes doigts, la manière de faire... Pourtant, tu m'avais déjà caressé une fois... Mais en même temps, comment pouvais-je m'imaginer que ce n'était pas toi qui était venu me voir, invisible, durant mon cours ? J'essayais de te trouver des excuses. Je t'avais fait de la peine avec mes histoires de voir et ne pas voir. Apprendre qu'une bonne femme invisible sortie de nulle part m'a peloté, ça me rend bien plus malade.
Al lui embrassa le sommet du crâne. Il aurait voulu pouvoir effacer l'agression sexuelle dont il avait été victime, mais c'était impossible, il n'avait que son amour à lui offrir.
– Je suis prêt à te servir de garde du corps. Je ne la laisserai plus t'approcher.
Beckett relâcha les mains invisibles, réajusta son pantalon, et se tourna vers Al, des larmes perlant encore à ses cils.
– Pourquoi a-t-elle fait ça ?
Al lui expliqua sa théorie, soulignant à quel point la jeune femme invisible avait été ignoble, et à quel point il avait été idiot de se montrer accueillant. Il aurait dû lui claquer la porte au nez.
– Tu n'as rien fait de mal. Même si laisser dormir une inconnue chez toi n'était pas très malin.
Beckett était secoué, Al le voyait, le sentait et sa colère envers Maud Quentin en était d'autant plus grande. Elle avait commis un crime en palpant l'adolescent. Hélas, il était difficile de porter plainte contre elle, et en même temps, il était inique qu'elle reste impunie.

mercredi 11 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 41

Le coeur battant à tout rompre, Al toqua et poussa la porte de ce qui devait être la chambre de Beckett. C'était une pièce au papier peint jaune rayé d'orange dotée d'une haute fenêtre à côté de laquelle il y avait une étagère avec bureau. Beckett y était assis, penché sur un classeur, tournant un crayon à papier entre ses doigts.
– Fichez-moi la paix, je bosse, grommela l'adolescent sans regarder qui se permettait de le déranger dans son antre.
Al vint jusqu'à lui et cette fois, Beckett daigna tourner la tête. Le sourcils froncés, il ne parut pas le reconnaître et quand il l'eut fait, il se leva vivement, faisant tomber le tabouret sur lequel était installé et recula de quelques pas.
Un étau broya la poitrine de Al. Cela faisait mal que Beckett s'éloigne de lui ainsi.
– Pourquoi tu n'es pas venu hier ?
– Comme si tu ne savais pas, après ce que tu as osé faire en plein cours...
– Je ne me suis pas rendu à ton lycée, commença Al avant de parler de la visite de Maud Quentin.
– Je suis pas naïf au point d'avaler ton histoire, répliqua Beckett, mais Al lut sur son visage qu'il envisageait sérieusement l'existence de la femme invisible.
Il insista pour savoir ce qui s'était passé la veille et finalement Beckett balbutia :
– Je n'ai pas envie de te croire... Je préfère que ce soit toi qui m'ait ouvert mon jeans, glissé les mains dans mon slip et caressé jusque j'éjacule en plein cours de bio alors qu'il aurait suffit d'un rien pour que quelqu'un le remarque...
Al aurait voulu pouvoir étrangler Maud Quentin d'avoir touché Beckett intimement. Il avait imaginé beaucoup de choses, mais pas ça.  Cette maudite femme s'était fait passer pour lui et avait abusé sans vergogne l'adolescent et tout ça pour quoi ? Les faire rompre ?
– Je n'aurais jamais fait une chose pareille.
L'adolescent sans paraître entendre l'affirmation de Al, continua, d'une voix altérée, comme s'il revivait la scène :
– Je me suis laissé faire parce que j'avais trop peur que quelqu'un se rende compte de quelque chose. Si je t'avais repoussé, j'aurais attiré l'attention sur moi. Heureusement que c'était le dernier cours, car après, j'étais en galère avec mon slip mouillé.
– Quelle garce ! s'écria Al avec violence.
Beckett, toujours tendu et sur ses gardes, demanda :
– Ce n'était vraiment pas toi ?
– Non et je ne te demanderai pas comment tu as pu nous confondre, car il est vrai qu'à la base, les personnes invisibles, cela ne court pas les rues.
En disant cela, Al avait cherché à alléger l'atmosphère, mais quelque part, il était blessé que Beckett n'ait pas réalisé que c'était quelqu'un d'autre, peiné qu'il ne veuille pas le croire.
Il y eut un silence.

mardi 10 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 40

– Oui ? C'est pour quoi ?
– Je suis un ami de Beckett. Pourrais-je le voir ?
Le frère de Beckett débloqua la grille.
– Il n'avait pas prévenu qu'il attendait quelqu'un. Je ne crois pas te connaître, commenta-t-il comme Al remontait la courte allée pavée qui séparait le portail de l'entrée de la maison.
– C'est une visite surprise.
– Oh. Tu ne serais pas son fameux petit ami par hasard ?
Beckett avait diablement raison de dire que son frère n'y allait pas toujours avec le dos de la cuillère. Sous le regard inquisiteur de son interlocuteur, Al inspira à fond, espérant que ses lunettes étaient assez opaques pour cacher son absence de blanc d'oeil et confirma qu'il était bel et bien le petit copain de Beckett. Il savait qu'il était risqué de l'admettre, le frère de Beckett n'étant pas vraiment favorable à leur relation, mais il était certain que l'adolescent n'apprécierait pas qu'il mente sur ce point.
– Vous vous êtes disputés, n'est-ce pas ? Hier soir, au dîner, il n'a presque pas ouvert la bouche et il est monté s'enfermer dans sa chambre juste après.
– Je peux le voir ? répéta Al comme le frère de Beckett ne faisait pas mine de se décaler de l'embrasure pour le laisser passer.
Le frère de Beckett se décida à lui libérer le passage. Al pénétra dans l'entrée aux murs crème et essuya avec soin ses chaussures sur le paillasson orné d'un « bienvenue » écrit en lettres rouges.
Une voix féminine provenant de la pièce adjacente se fit entendre :
– Cole, c'était qui ?
– C'est le petit ami de Beckett.
Aussitôt, une jeune femme débarqua, suivi de près par une adolescente. Elles avaient toutes deux des yeux gris semblables à ceux de Beckett. Les deux soeurs de l'adolescent. Il ne manquait plus que les parents et Al aurait rencontré toute la famille de l'adolescent avant d'avoir seulement entrevu celui-ci. Elles étaient curieuses de le voir et c'était normal, mais Al se sentait de plus en plus mal à l'aise. Qu'il fasse l'effort de paraître comme tout le monde au prix d'un inconfort certain ou qu'il soit un corps invisible habillé, il ne cessait jamais d'être dévisagé de la tête aux pieds.
La soeur aînée de Beckett lui sourit et fit les présentations :
– Je m'appelle Natacha et voici Zoé.
Al fut obligé de serrer la main que lui tendait la première qui dut trouver bizarre qu'il garde ses gants et fut snobé par la seconde qui détourna la tête alors qu'il venait de marmonner sans conviction « enchanté. »
Natacha qui était la plus accueillante des trois compères, insista pour le débarrasser de son manteau et de son parapluie qui goûtait sur le carrelage blanc, avant de lui indiquer que Beckett était dans sa chambre, à l'étage, deuxième porte à droite en montant.
Al, après un vague salut, se dépêcha de gravir les marches de l'escalier en bois massif. Derrière lui, il entendit Zoé dire que le petit ami de Beckett était bizarre et Cole déclarer que les parents allaient regretter de l'avoir manqué quand ils reviendraient de chez le vétérinaire.

lundi 9 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 39

La première chose que fit Al, après une nuit courte et agitée, fut de rallumer son ordinateur pour voir si Garance avait répondu. Son coeur bondit dans sa poitrine en voyant qu'il avait un mail datant de 4h du matin. Couche tard, lève-tôt, ou insomniaque, le mystère restait entier, mais peu importait à Al. Ce qui comptait, c'est que le binoclard lui avait communiqué l'adresse de Beckett. Bien sûr, il voulait en savoir plus sur le pourquoi du comment et avait ajouté pour faire bonne mesure trois ou quatre questions supplémentaires sur l'invisibilité de Al, émettant également la possibilité de réaliser une interview vidéo. Le jeune homme invisible repoussa le moment de lui répondre. Après avoir tenté un nouveau coup de fil à Beckett qui échoua une fois de plus, il dressa un plan d'attaque.
Il pleuvait dru sans espoir d'amélioration, ce qui rendait impossible une sortie nu, en toute discrétion. Al se consola en se disant qu'il n'aurait de toute façon été guère pratique de s'introduire chez Beckett en étant parfaitement invisible. Il ne lui restait plus qu'à se rendre présentable. Non, mieux que ça, normal. Sinon, il ne pourrait pas prendre le bus - et 35 minutes de marche à pieds sous une pluie battante n'était guère tentant - et il serait peut-être refoulé à l'entrée de la maison de la Beckett. L'écharpe, le bonnet, les lunettes et les gants lui donnaient l'air trop louche. Il fallait qu'il se maquille. Un frisson parcourut l'échine du jeune homme invisible, car ainsi qu'il l'avait expliqué à Beckett, le maquillage lui irritait la peau et pas qu'un peu. Evidemment, il n'en avait pas chez lui, ce qui allait l'obliger à faire des courses - et pas en ligne, car c'était maintenant qu'il en avait besoin. En revanche, quelque part dans le placard de la salle de bains, devaient traîner une boîte avec des lentilles bleues et une perruque brune frisée qui ne ressemblait en rien à ses cheveux blond pâle mi-long. Al commença par remettre la main dessus avant de partir courageusement acheter du maquillage, le visage masqué par un foulard et des lunettes teintées, sa capuche de kaway bien enfoncée sur sa tête. Dans la rue, entre le temps de chien et l'heure matinale pour un samedi, il ne croisa que quelques passants pressés.
Il entra dans le Chocprix, fonça au rayon maquillage où une jeune femme lui jeta un regard surpris, attrapa hâtivement du fond de teint pêche ainsi qu'un rouge à lèvres d'un ton similaire, et alla payer ses achats. L'hôtesse de caisse tiqua devant ce drôle de client, mouillé et encapuchoné, mais elle fit son job. Elle devait s'imaginer que le jeune homme avait honte d'acheter du maquillage. Al, les doigts crispés sur le sac plastique renfermant ses achats, partit comme une flèche et regagna ses pénates. Il n'était jamais que 9 heures du matin et sonner avant 10 heures chez l'adolescent ne semblait pas conseillé. Il fit les cent pas dans son appartement avant de se préparer. Il appliqua le fond de teint avec soin, mit les lentilles, le rouge à lèvres, la perruque, les lunettes, les gants et le kaway, regrettant presque de ne pas avoir un miroir pour juger de l'ensemble. La peau de tout son visage le picotait, preuve qu'il avait dû bien étaler le fond de teint.
Sous la pluie qui tombait toujours, protégé par son parapluie et son kaway, Al prit le chemin de l'arrêt de bus, puis patienta à côté d'une vieille dame chargée de paquets jusqu'à ce que le bus arrive.
Le jeune homme se sentait bizarre avec son visage qui le démangeait légèrement, mais personne ne prêtait attention à lui, ce qui le changeait agréablement de d'habitude. Résistant à l'envie de se gratter les joues, il vérifia le nom de l'arrêt où il devait descendre et le court trajet qui s'ensuivait. Bientôt il verrait Beckett et pourrait tirer toute l'affaire au clair. Avec de la chance, ce serait l'adolescent qui lui ouvrirait et il n'aurait pas à affronter sa famille.
Appaisé par cette idée, toujours en proie à de désagréables démangeaisons, Al arriva devant la maison où habitait Beckett. Il sonna sans hésiter à la grille métallique au travers de laquelle on apercevait un pavillon de briques rouges d'une taille tout à fait respectable. La porte de la maison s'entrebailla sur un homme jeune qui devait être le frère de Beckett. Il était plus massif, ses cheveux étaient d'un brun plus foncés et ses yeux étaient marrons, mais l'air de ressemblance était indéniable.

vendredi 6 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 38

Au cours de l'heure qui suivit, il essaya plusieurs fois de le joindre, sans succès. Il lui laissa trois messages sur son répondeur, lui demandant de le rappeler, puis il fallut se rendre à l'évidence : il était arrivé quelque chose à l'adolescent et ce « quelque chose » été probablement dû à Maud Quentin. L'adolescent arrivait souvent en retard, mais comme il repartait généralement aux alentours de 19 heures, leur premier rendez-vous mis à part, il débarquait toujours avant. Bien sûr, il était possible que Beckett soit simplement tombé malade, mais la coïncidence était un peu forte. L'inquiétude gagna Al. Il lui apparaissait soudain qu'il ne savait pas où habitait Beckett et n'avait pas de moyen de le contacter si ce dernier ne décrochait pas son téléphone ou ne venait pas le voir. Il restait toujours la possibilité d'aller le retrouver au lycée, excepté qu'on était samedi demain et que l'adolescent n'ayant pas cours ce jour-là, il n'y mettrait pas les pieds.
Quant à la femme invisible, si elle était responsable, Al ne connaissait même pas le nom de l'hôtel où elle était descendue. Rester en contact avec elle ne l'intéressant pas, il ne lui avait pas demandé. L'idée de devoir peut-être attendre jusqu'à lundi pour savoir pourquoi Beckett avait renoncé à venir ennuyait fortement Al. Il fallait qu'il sache... mais comment ? Ce n'était pas comme s'il lui pouvait appeler un des amis de l'adolescent puisqu'il n'avait pas leurs numéros de téléphone... Lumineuse, la solution lui apparut alors. Le jeune homme invisible se dépêcha d'allumer son ordinateur, pestant contre le temps de démarrage du système d'exploitation, puis se connecta à internet afin de chercher  l'article qu'avait écrit Garance sur lui. Avec ça, il pourrait envoyer un mail au binoclard et se débrouiller pour obtenir l'adresse de Beckett. Après avoir tâtonné un peu, changeant les mots clés pour diminuer le nombre de résultats de recherches, il tomba enfin sur le site de Garance. Il ne prêta aucune attention à l'article même. Fouillant la page des yeux, il finit par trouver l'onglet contact sur lequel il cliqua aussitôt. Venu le moment de rédiger le mail, il hésita entre mentionner la femme invisible et de ses inquiétudes, et juste demander l'adresse de Beckett sous prétexte de lui faire une surprise. La seconde option lui sembla meilleure. Il serait toujours temps de parler de Maud Quentin et de son invisibilité.
Le mail envoyé, Al resta devant son écran d'ordinateur, à rafraîchir sans cesse la page de sa boîte de réception. A deux heures du matin, à moitié endormi sur sa chaise de bureau, il alla se coucher la mort dans l'âme. Rien ne lui disait que Garance allait répondre avant dimanche et Beckett, hélas, était toujours injoignable. Lui laisser un énième message n'y changerait rien.

jeudi 5 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 37

Au réveil, Al eut un choc. Juste devant son nez, se trouvait une jeune femme à la peau très blanche, au nez à la grecque et aux cheveux blond vénitien. Maud Quentin était visible. Il voulut se lever discrètement, mais échoua et les paupières de Maud s'ouvrirent sur de petits yeux d'un bleu passé. Elle se redressa, et la couette glissa, dévoilant des seins généreux.
– Bonjour, dit-elle, sans paraître prendre garde au spectacle qu'elle offrait.
Étonnamment, la partie basse de l'anatomie de Al ne réagit pas à ces formes féminines.
– Tu es sûr que tu ne veux pas des habits ?
Maud baissa les yeux sur sa poitrine et rit.
– Non, cela ne me dérange pas que tu me voies nue. Je veux te séduire, tu sais.
Elle était agaçante, horripilante, mais plutôt jolie. Comme les minutes s'écoulaient, et qu'elle ne redevenait pas invisible, Al s'en étonna et Maud avoua sans fard qu'elle était normale durant trois heures chaque matin. En son for intérieur, le jeune homme invisible lui envia cette chance.
– Toi, ce n'est que quelques minutes par jour et pas à heure fixe, c'est ça ?
Al confirma. Avec l'article de Garance, Maud semblait ne pas avoir grand chose à découvrir sur lui.

Elle le plaint durant l'espace de trente secondes avant de reparler d'elle et de ce qu'elle souffrait quand 11 heures approchait et qu'elle savait qu'elle allait « disparaître. » Al en déduisit qu'elle allait s'incruster chez lui au moins jusque là et il grimaça. Mais ça, Maud ne put le voir. Cependant, même s'il n'avait pas été invisible, Al n'était pas certain qu'elle se s'en serait rendue compte. Elle était trop occupée à bavarder, ses seins à l'air. Al n'eut pas le coeur de lui dire que c'était inutile et que ses charmes féminins le laissaient de marbre, à sa propre surprise. Peut-être qu'il avait été toujours homosexuel sans le réaliser vu la vie solitaire qu'il menait...
Même quand elle se leva, révélant toutes ses formes et ses courbes, Al ne ressentit pas la moindre excitation. Maud Quentin s'agaça de son manque de réaction et une moue boudeuse vint enlaidir ses traits. Malgré tout, elle persista à se dandiner jusqu'à ce que l'invisibilité la gagne.
– Tu es sûr que tu ne veux pas rompre avec ton Beckett et te mettre avec moi ?
– Certain, affirma Al avec force, fâché qu'elle remette une fois de plus  la chose sur le tapis.
– Tu finiras par changer d'avis, prophétisa-t-elle, avant de daigner enfin quitter l'appartement de Al.
Le jeune homme invisible se promit de ne pas la laisser entrer si elle venait sonner à nouveau à sa porte. Elle était invisible la majeure partie du temps, comme lui, mais elle était bien trop imbue d'elle-même pour que sa compagnie soit agréable. Et surtout, elle ne voulait pas renoncer à faire de lui son petit ami alors qu'il lui avait clairement dit et répété que cela ne l'intéressait pas.
Il se demanda ce que penserait Beckett de toute l'histoire quand il lui raconterait ce soir. Il espérait que l'adolescent ne serait pas trop horrifié.
Al enchaîna plusieurs épisodes d'une série télévisée pour tuer le temps. A 18 heures, comme l'adolescent n'arrivait pas, Al lui téléphona. Cependant, il tomba directement sur son répondeur.

mercredi 4 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 36

– C'est non, répéta-t-il. Et si tu me parlais de toi plutôt.
Il n'eut pas besoin de lui dire deux fois. Maud Quentin avait une assez haute opinion d'elle-même et il sut bientôt tout de sa vie de petite fille gâtée. La jeune femme invisible avait en effet la chance d'avoir des parents qui la considérait comme la huitième merveille du monde en dépit de sa maladie et qui essayaient de satisfaire au mieux ses désirs les plus fous. Ils ne parvenaient cependant pas à lui trouver un fiancé qui accepte son état, et Maud, fatiguée d'être rejetée, s'était mise à chercher de son côté.
Al ne savait plus comment l'arrêter de jacasser. Peu avant 21 heures, l'estomac dans les talons, il lui fit valoir qu'il était tard et qu'elle ferait mieux de rentrer chez elle.
– Oh ! Je n'ai pas vu le temps passer. C'est si agréable de parler avec quelqu'un qui ne me prend pas pour un fantôme... Je crains que la température ait refroidi vu l'heure... Tu voudrais bien me laisser dormir ici ?
Le jeune homme invisible n'y tenait pas. Lui, il s'était ennuyé à écouter le bavardage de Maud.
– Je pourrais te prêter des vêtements, proposa-t-il.
– Je doute qu'ils m'aillent et cela ne changerait rien à mon « absence de visage » qui ne passerait pas inaperçu dans l'hôtel où je suis descendue.
De guerre lasse, devant son insistance à rester pour la nuit, Al accepta. Le couchage posait toutefois problème, car il ne se voyait pas partager le lit double avec Maud. Cependant, la jeune femme invisible ne l'entendait pas ainsi.
– Tu ne vas tout de même pas dormir à même le sol, ce serait idiot. Franchement, c'est le monde à l'envers. Je te fais confiance pour ne pas me sauter dessus, mais pas toi ! Je te promets que je ne te toucherai pas !
Devant ces arguments, Al se sentit bête, et finit par céder. Ils mangèrent un plat et un dessert surgelés que Maud critiqua à chaque bouchée avant de partir se coucher. Le jeune homme invisible choisit de dormir exceptionnellement en caleçon et t-shirt, et offrit à Maud un haut à manches longues qu'elle refusa. Al ne batailla pas plus que cela. Après tout, ils étaient invisibles tout les deux et son choix à lui de garder des habits était un reste de pudeur peut-être mal placé.
Al n'avait certes pas imaginé qu'il s'allongerait auprès de quelqu'un d'autre que Beckett dans le lit double et il avait presque l'impression de commettre une trahison. Espérant que l'adolescent ne lui tiendrait pas rigueur de toute l'affaire, perturbé par la respiration tranquille de Maud qui n'avait eu aucune peine à s'endormir, Al mit du temps à trouver le sommeil.

mardi 3 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 35

– Comment...
Maud lui coupa une fois de plus la parole :
– J'ai échangé quelques mails avec l'auteur de l'article sur ta personne. Il a eu l'amabilité de me fournir quelques informations supplémentaires. Tu ne m'offres pas un rafraichissement ?
Al sentit la moutarde lui monter au nez. Garance n'avait pas su tenir sa langue et cette jeune invisible ne manquait pas de toupet à l'interrompre sans cesse alors qu'elle s'était plus ou moins invitée chez lui.
– J'ai du jus d'orange, de la grenadine et de la limonade, déclara-t-il, malgré tout désireux de bavarder avec elle afin de savoir comment elle vivait son invisibilité au quotidien.
– Pas de coca light ?
– Non, répondit Al d'un ton un peu sec.
Invisible ou pas, Maud commençait à lui taper sur le système.
– Bon, tant pis, je me contenterai de la limonade.
En deux pas, Al fut dans la cuisine et lui remplit un grand verre qu'il tendit dans le vide, à sa droite, en présumant qu'elle l'avait suivi. Des doigts fins effleurèrent les siens et l'objet changea de main. Comme muni d'une vie propre, le verre s'inclina, se vida et vint se poser sur la table.
C'était donc ça que les autres voyaient quand il déplaçait quelque chose sans être habillé, songea Al avant de demander :
– Tu es venue dans un but précis  ?
– Exact. J'aimerai que tu deviennes mon petit ami.
– Je suis déjà en couple.
– Vraiment ? C'est extraordinaire, même si tu es vraiment très beau quand on peut te voir.
Oui, Al savait qu'il avait de la chance d'avoir trouvé quelqu'un et même si l'arrogance de la jeune femme invisible le dérangeait, il ne pouvait être insensible à la solitude qui se cachait derrière sa démarche.
– Nous pouvons toujours être amis.
– Ou bien, tu pourrais rompre et sortir avec moi.
– Je ne le souhaite pas, répliqua Al, estomaqué par l'audace de la jeune femme.
– Ce serait pourtant mieux que tu sois avec quelqu'un qui puisse te comprendre.
Son insistance était déplaisante et déplacée, même si elle était désespérée.
– Ce n'est pas parce que nous avons la même maladie que nous sommes faits l'un pour l'autre, objecta-t-il.
– La personne avec laquelle tu sors doit avoir du mal à supporter ta transparence, ton incapacité à pouvoir te promener dans la rue sans que les gens changent de trottoir.
– Elle est adorable et vient me voir chez moi.
– Ne devrais-tu pas plutôt dire "il" ? Tu sors avec cet adolescent qui vient de partir, n'est-ce pas ?
Al qui était sûr que la jeune femme invisible verrait dans le fait que Beckett et lui soit du même sexe, un argument pour prendre la place de l'adolescent, aurait préféré garder l'information pour lui. Las, Garance avait dû passer par là ! Ou peut-être avait-elle deviné d'elle-même, car l'amitié, aussi bien que l'amour, ne s'acquérait pas sans mal avec leur maladie.
– Oui, mon petit ami est Beckett et je n'ai aucunement l'intention de le quitter pour toi.
– Je pourrais être ta maîtresse. Je veux bien te partager.
Elle ne lâchait pas l'affaire. Al tenta de changer de sujet, décidé à la mettre dehors, si elle revenait encore une fois à la charge.

lundi 2 juillet 2012

Rendez-vous manqué - 34

L'adolescent reprit et s'interrompit de lui-même :
– Tu sais, ce n'est pas que je ne veux pas. C'était super agréable la dernière fois. Mais ces histoires de pénétrations...
Beckett avait peur, c'était une évidence et Al le comprenait très bien. Aucun d'eux n'avait d'autre expérience sexuelle que celle qu'ils avaient partagée, et qu'ils soient tous les deux de sexe masculin rendait les choses encore plus délicates.
– Personne n'est obligé de pénétrer qui que ce soit, affirma Al. Ou d'utiliser ce lit, ajouta-t-il comme Beckett semblait toujours plongé dans l'embarras.
– Je veux le tester ! Mais pas en plein jour, j'aurais trop honte. Si je pouvais te voir aussi, ce ne serait pas pareil...
Cette dernière phrase était blessante pour Al et Beckett s'en rendit compte car il s'excusa immédiatement. Le jeune homme invisible, malgré sa peine, ne put se résoudre à lui en vouloir. C'est vrai que ce n'était pas équitable et l'adolescent était déjà si gentil et si compréhensif avec son état qu'il était impossible de lui tenir rigueur de cette  réserve.
Al orienta la conversation vers un sujet plus neutre, et comme toujours en compagnie de Beckett, le temps s'écoula avec une rapidité diabolique. Hélas, sans lui, il se traînait à une allure d'escargot asthmatique. Avec un soupir, Al s'adossa au battant de la porte par laquelle Beckett venait de partir. S'il avait été comme tout le monde, il aurait pu le raccompagner chez lui.
Le tintement de la sonnette tira Al de sa déprime. Pensant que l'adolescent avait oublié quelque chose, il rouvrit la porte en grand, content à l'idée de passer quelques minutes de plus avec lui. Seulement, sur le pallier, il n'y avait personne. Il s'apprêtait à refermer quand il entendit comme un claquement de langue agacé.
– Je suis là. Tu aurais pu t'en rendre compte même si tu ne me vois pas, puisque tu es également atteint de la maladie d'invisibilité.
C'était la première fois que Al rencontrait quelqu'un comme lui et c'est d'une voix mal assurée qu'il proposa à la femme invisible d'entrer.
– Je m'appelle Maud Quentin. J'ai vingt-six ans.
– Moi, c'est...
– Al. Vingt ans et des yeux mauves pailletés d'or.
Le jeune homme invisible ne donna pas la peine de demander comment elle savait ça. Il devina que c'était à cause de l'article et des photos de Garance. Par contre, celui-ci n'avait tout de même pas dû s'amuser à indiquer son adresse...
– Comment as-tu su où j'habitais ?
Al avait toujours supposé qu'il était bizarre de parler à quelqu'un sans le voir du tout, mais le vivre, c'était autre chose. Être pour ainsi dire aveugle, même de façon partielle, n'était pas amusant. Dans ses conditions, il ne restait que la voix pour aider à interpréter les sentiments de l'autre.
– J'ai suivi ton ami, un certain Beckett.
Ainsi, l'adolescent n'avait pas rêvé.