lundi 30 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 28

L’infirmière qui les prit en charge négocia d’une voix douce pour que Wata libère Lukas. Le jeune homme ne voulut pas comprendre qu’ils devaient se séparer le temps qu’on les examine. Lukas essaya également de le convaincre, mais en vérité, cela lui déplaisait tout autant. Ils n’avaient pu compter que l’un sur l’autre pendant tellement de jours qu’il était dur de soudain s’abandonner à des mains étrangères.
Finalement, le personnel médical se résigna à se débrouiller pour les examiner comme s’ils avaient été des frères siamois. Il se révéla qu’ils souffraient seulement de malnutrition et il y avait bien sûr l’amnésie de Wata. Lukas dut jouer l’interprète entre le jeune homme et le docteur. On les laissa prendre une douche dans une des chambres d’hôpital et on leur donna à chacun un t-shirt, un pantalon et des sandales.
A la sortie, ils durent faire face à des journalistes locaux dont la police se débarrassa avant de les amener au poste pour organiser leur rapatriement dans leur pays respectif.
Lukas apprit que Wata s’appelait Wataru Murata et avait en effet la nationalité japonaise. La proximité entre  son vrai nom et celui que Lukas lui avait choisi le frappa en même temps que la réalisation qu’ils allaient nécessairement être séparés. Ils habitaient des pays différents, avaient chacun leur langue et leur vie, même si Wata ne se souvenait pas de la sienne.
Lukas aurait voulu qu’il l’accompagne en France, mais ce n’était pas possible. Wata avait de la famille et des amis qui l’attendait, peut-être même un amoureux ou une petite amie qu’il avait oublié. Lukas s’était refusé à y penser quand ils étaient sur l’île.
Lukas fut autorisé à téléphoner à sa mère. La ligne était mauvaise, mais il ne put rater l’émotion de sa maman.
— Oh, Lukas, c’est toi, c’est vraiment toi… Si tu savais combien de fois j’ai regretté de t’avoir offert un ticket pour cette maudite croisière…
— C’était un accident.
— Je te croyais mort.
— Je suis bien vivant et je vais rentrer très vite.
Sa mère avait des dizaines de questions, mais Lukas était épuisé et bavarder au poste de police n’était pas confortable, même si tout le monde n’y parlait pas le français.
Wata, effrayé et perdu, était toujours pendu à son bras. Lukas lui frottait le dos de la main, désireux de le réconforter, trop conscient que c’était leurs dernières heures ensemble.

vendredi 27 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 27

Lukas s’assit sur sa chemise étalée sur le sable, aux côtés de Wata qui regardait la mer, puis s’allongea pour contempler le ciel.
Soudain, Wata cria et lui tapa l’épaule, montrant quelque chose à l’horizon. Lukas obéit à l’injonction et repéra presque aussitôt la tâche blanche que pointait son compagnon. C’était un bateau. Il renfila son maillot à la hâte et courut nourrir leur feu pendant que Wata criait et faisait de grands gestes. Même le souvenir que dans la plupart des films et livres de naufragés, bateaux ou hélicoptères passaient au loin sans rien remarquer, Lukas se devait de tenter le coup. Pour lui et Wata.
Ils avaient survécu jusque là, mais ils manquaient de tout. C’était peut-être leur seule chance d’être sauvés.
Une fois que les flammes furent hautes et vives, Lukas revint vers Wata et à ses côtés, agita bras et jambes en s’époumonant. Il secoua également sa chemise comme un drapeau.
De façon miraculeuse, au lieu de s’éloigner, le bateau se rapprocha jusqu’à devenir bien visible. A priori, c’était des touristes et non des secouristes.
Ils n’accostèrent pas, s’arrêtant à plusieurs mètres de distance. Ils se retrouvèrent à nager pour rejoindre l’embarcation où des inconnus les aidèrent à monter à bord après une conversation surréaliste dans un anglais approximatif.
Lukas lutta contre l’impulsion d’embrasser Wata. Ils avaient un public et leurs sauveurs n’étaient pas nécessairement ouverts aux relations homosexuelles. Il n’était pas question de risquer d’être rejetés à l’eau.
Les touristes déclarèrent dans un anglais bancal qu’ils allaient écourter leur excursion pour les ramener au plus vite à la civilisation, ce qui était chic de leur part.
Lukas répondit du mieux qu’il put à leurs questions, même s’il en eut vite assez, car leur curiosité était sans fin. Il n’était plus habitué à parler autant et se surprit à mimer avec ses mains à plus d’une reprise.
Ils leur donnèrent ensuite de l’eau et des biscuits.
Lukas se retint de les dévorer, savourant par petites bouchées leur goût sucré. Wata l’imita, silencieux et de toute évidence, sous le choc. Lukas ne pouvait nier qu’il était bizarre d’être à nouveau en présence d’autres êtres humains.
Sur le quai du port, ils furent accueillis par ce qui devait être les autorités locales - l’un de leurs sauveurs les avait prévenues par radio – et conduit à l’hôpital.
Sur la banquette arrière de la voiture, Wata s’accrocha au bras de Lukas comme à une bouée de sauvetage et ne le lâcha plus.

jeudi 26 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 26

Six nouvelles encoches. Autant de jours supplémentaires sur l’île. Le pantalon de Lukas converti en short pour faire des pansements avait rendu l’âme. Ils s’affaiblissaient à manger toujours les mêmes choses et maigrissaient.
Malgré cela, Lukas ne se laissait pas tout à fait aller au désespoir. Si leurs jours étaient comptés, le mieux était encore d’en profiter. D’accord, ils manquaient de tout, mais ils étaient ensemble et le cadre possédait une beauté indéniable : le bleu à l’infini, les reflets du soleil sur les vagues, la voûte étoilée...
Wata devait vraiment désirer le sucer, car il finit par dessiner dans le sable une scène on ne peut plus explicite. Soit c’était son hobby avec un grand H, soit Wata était un dessinateur professionnel.
— Oui, je vois bien où tu veux en venir…
Les grands yeux noirs de Wata se posèrent sur lui, emplis de désir… et d’amour.
Mais Lukas se faisait probablement des idées. Lui-même se sentait amoureux, tout en considérant que c’était à cause de leur situation de naufragés perdus au beau milieu de l’océan où ils pouvaient se croire les deux uniques rescapés du genre humain. Ils se seraient rencontrés ailleurs, il n’y aurait jamais eu d’étincelle. Ils n’auraient jamais été que deux étrangers ne parlant pas la même langue. Seulement, ils étaient passés par dessus bord lors de la tempête, s’étaient retrouvés sur cette île déserte et ils en étaient venus à être attirés l’un par l’autre, à ressentir quelque chose.
Lukas se décida à finalement céder à Wata. Il baissa son maillot de bain tendu par son sexe qui s’allongeait et l’ôta.
— Je suis tout à toi, déclara-t-il en hochant la tête.
Le jeune homme l’enfourna sans tarder. Voir son disparaître dans la bouche enthousiaste de Wata avait quelque chose de délicieusement obscène. Wata prit les bourses de Lukas dans sa main et les massa tout en le suçant avec vigueur. Il savait ce qu’il faisait. C’était divin. Lukas ferma les yeux juste un instant. Quand il les rouvrit, Wata avait baissé ses vêtements et se touchait. Sa façon de donner et prendre du plaisir en même temps était glorieuse. Et les vibrations produites par les gémissements de Wata quand il jouit provoquèrent l’orgasme de Lukas.
Wata avala tout avant de relâcher le membre de Lukas. Il avait la bouche luisante. Lukas l’attrapa par le poignet pour l’aider à se mettre debout, puis nettoya de sa langue le sperme qui maculait les doigts de Wata. A défaut d’être nourrissant, cela changeait de leur régime limité et surtout, cela faisait briller les yeux de Wata.
Peut-être que plus tard dans la journée, ce serait au tour de Lukas de se mettre à genoux devant le jeune homme et pas pour lui mettre une bague au doigt… ! L’image n’avait toutefois rien d’horrifiant. Lukas aurait aimé le couvrir de cadeaux. D’ailleurs, comme il ne pouvait lui en acheter, pendant que Wata pêchait, il lui avait fabriqué, non sans difficulté, un pendentif coquillage dont la « chaîne » en herbes tressées était plus que fragile.

mercredi 25 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 25

Lukas réunit sa verge et celle de Wata. La friction jointe de leurs pénis était enivrante comme un alcool fort et son prénom prononcé d’une voix haletante par Wata acheva Lukas. L’intensité de son orgasme le laissa pantelant et perplexe.
Même en l’absence de seins et de courbes féminines, il avait ressenti un plaisir plus fort qu’avec ses dernières partenaires. Peut-être était-ce en raison des circonstances particulières – seuls au monde à se débattre pour survivre –  peut-être parce que c’était Wata. Ce n’était pas une inconnue croisée et séduite avec des bavardages inconséquents, c’était quelqu’un avec lequel il partageait une expérience difficile. Paradoxalement, alors qu’ils étaient incapables de comprendre le langage de l’autre, leurs échanges étaient allés plus loin.
Tandis que Lukas réfléchissait encore au pourquoi du comment, Wata s’endormit la tête nichée sur son torse, son corps blotti contre le sien, ce qui était incontestablement mieux que la nuit précédente.
    Au matin, le tour physique qu’avait pris leur relation se confirma. Ils se caressèrent de concert avant de reprendre le fil de leur routine sur l’île. Cependant, lors des pauses au lieu de jouer, chanter ou dessiner, ils explorèrent le corps l’un de l’autre.
Lukas lécha les tétons de Wata et s’émerveilla de la sensibilité du jeune homme. Lui, cela ne lui faisait guère d’effet et certaines femmes qu’il avait connues en avaient d’ailleurs était surprises, car apparemment c’était une zone érogène pour pas mal d’hommes. Wata, lui, découvrit que Lukas réagissait fortement aux baisers dans le cou et se transforma en petit vampire. Lukas ne pouvait nier adorer caresser Wata et aimait sentir les mains du jeune homme sur lui, mais quand Wata s’agenouilla devant lui avec l’intention évidente de lui faire une fellation, Lukas l’aida à se relever, non pas parce qu’il n’en avait pas envie, mais parce que tant qu’il ne se voyait pas rendre la pareille à Wata, il ne voulait pas profiter de lui. Ce n’était pas tant le caractère gay de la chose qui le bloquait que leur manque d’hygiène.
Wata parut déçu. Lukas se demanda s’il avait de l’expérience dans l’acte, s’il se souvenait l’avoir pratiqué. Il ne chercha pas à l’interroger pour autant. L’amnésie de son compagnon était un sujet délicat et de toute façon, discuter avec lui était compliqué entre leur vocabulaire limité et leur absence de grammaire.

mardi 24 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 24

Wata s’humecta les lèvres et réduisit à néant la distance qui les séparait. Il tendit la main vers le membre dressé de Lukas et se mit à le caresser. Son visage concentré était craquant et son pouce effectuait de délicieux cercles concentriques. Après tous ses jours passés sans se masturber, Lukas ne tarda pas à jouir.
De façon surprenante et indéniablement érotique, Wata lécha les uns après les autres ses doigts maculés de sperme, puis son bras retomba le long de son corps.
Pour prévenir la gêne qui risquait de s’installer, Lukas embrassa à nouveau Wata et se goûta sur ses lèvres.
Il proposa ensuite son pantalon devenu short au jeune homme afin qu’il ne se promène pas cul nu.
Wata l’enfila. Il lui tombait sur les hanches. Il était bien plus mince que Lukas. C’était sexy et cela donnait à envie de lui retirer et de lui donner du plaisir. Il aurait dû trouver répugnante l’idée de toucher un autre pénis que le sien, mais ce n’était pas le cas, ce qui ne changeait rien au fait qu’il fallait mieux qu’ils aillent boire et faire un brin de toilette.
Lukas attrapa la main de Wata. Ils étaient en quelque sorte un couple maintenant. Enfin, pas vraiment. Ils étaient juste plus intimes qu’avant et cela semblait juste.
Wata noua ses doigts fins aux siens, preuve que cela lui convenait.
La suite de la journée ne fut pas vraiment différente des précédentes passées sur l’île – coco, pêche, collecte de bois, petites pauses – mais elle fut plus belle que les autres, parsemée de baisers dans un premier temps uniquement à l’initiative de Lukas, puis à celle Wata. Sa petite langue s’enroulait à merveille autour de la sienne. Il avait un goût de sel et de soleil.
Le soir venu, leur leçon de vocabulaire, centrée sur les parties du corps, prit un tour coquin.
La joue – Hoho
La bouche – Kuchi
La cuisse – Momo…
Ils se touchèrent partout en riant. L’amusement s’estompa à mesure que l’excitation les gagnait. Ils cessèrent de parler, même si leurs langues continuèrent à s’agiter, occupés qu’ils étaient à explorer la bouche de l’autre.
Lukas découvrit que le pénis de Wata était long et fin comme le reste de sa personne, doux et dur également. Il se demanda ce que cela ferait de frotter leurs membres brûlants l’un contre l’autre.
Agir de la sorte, c’était gay et Lukas ne l’était pas. A dire vrai, il ne savait plus trop comment définir sa sexualité à ce stade. Ce n’était pas comme s’ils avaient beaucoup de choix de partenaires sur leur île déserte. Wata lui plaisait et la réciproque était vraie. Tout autre considération n’avait pas d’importance. Il n’y avait ici personne pour les juger.

lundi 23 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 23

Des gémissements.
Lukas se redressa sur un coude, se demandant ce qui se passait. Le jour était à peine levé. Wata avait les yeux clos, mais s’agitait dans son sommeil. Il était difficile de savoir s’il cauchemardait ou au contraire était en train d’avoir un rêve agréable. Une érection matinale tendait en tout cas le tissu de son short. Celle de Lukas n’était d’ailleurs pas encore retombée et voir Wata dans cet état ne la calmait pas.
De nouvelles plaintes échappèrent à Wata. Sa main se posa sur son entrejambe et il se frotta contre sa paume. Il s’agissait donc d’un rêve érotique.
Lukas résista à l’envie de se toucher lui aussi. Wata prononça le prénom de Lukas dans un râle et éjacula.
Il ouvrit brusquement les yeux, croisa le regard de Lukas, contempla la tâche humide qui était apparue sur son short et se cacha le visage entre les mains. Il était gêné, ce qui était compréhensible. Il était surtout trop adorable et Lukas cessa de lutter contre les désirs que cela faisait naître en lui. Il écarta doucement les doigts de Wata et pressa un baiser léger sur ses lèvres pêches.
Face aux yeux écarquillés du jeune homme, Lukas sourit. Il l’embrassa sans attendre une seconde fois, tout en douceur, puis une troisième, de façon plus appuyée. Wata aurait pu se dérober ou protester, mais il ne paraissait pas en avoir le moins du monde envie. Il exhala un soupir de contentement et le pénis de Lukas durcit au point que cela devienne inconfortable. Il avait envie de se caresser et jouir à son tour, seulement il n’était pas sûr de la réaction de Wata. Cela semblait présomptueux de sa part de le faire. A en croire son attitude face aux baisers, il y avait peu de chance qu’il s’enfuit en courant et en même temps, avec Wata, on ne savait jamais.
Lukas colla une fois encore sa bouche à celle de Wata et il s’extirpa de leur abri. Deux choses l’une, soit il patientait jusqu’à ce que son excitation retombe, soit il s’éloignait pour se soulager dans son coin.
Wata sortit à son tour avec pour tout vêtement son t-shirt sirène sur lequel il tirait sans vraiment réussir à cacher ses bijoux de famille et un air embarrassé. Lukas en eut le souffle coupé.
La masculinité de Wata aurait dû le refroidir. Le jeune homme était décidément l’exception à la règle qui voulait que Lukas ne soit attiré que par les femmes.
Lukas, après un dernier moment d’hésitation, se décida à libérer son pénis qui pointa aussitôt de façon indécente vers Wata.

vendredi 20 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 22

En lieu et place de leur routine habituelle, ils se mirent à rebâtir leur abri. Cela les occupa toute la journée. Ils se contentèrent d’eau et de coco pour remplir leur estomac.
S’escrimer à assembler des branches et des algues n’amusait pas vraiment Lukas, mais out fatiguant et frustrant que ce soit, cela avait le mérite de casser la répétitivité des jours précédents. S’il était honnête avec lui-même,  sa vie d’avant le naufrage n’avait pas été dénué de tâches identiques qu’il fallait accomplir jour après jour, seulement elles étaient accompagnés de savoureux repas, de divines douches chaudes et de vêtements propres… Avec une chaise longue, un cocktail et une chambre dans une hôtel avec tout le confort modernes, l’île aurait constitué un cadre plaisant. En l’état, le bleu environnant était plus oppressant qu’autre chose et ils étaient obligés de réinventer la pierre. Il avait au moins la compagnie de Wata. Le jeune homme, en dépit de sa perte de mémoire, ne rechignait à aucune tâche, et à l’exception de quelques moments de mélancolies fort compréhensibles, se montrait plein de bonne volonté. Ses talents de pêcheur étaient un don du ciel. Il y avait aussi son aptitude aux dessins et sa manière de regarder Lukas comme s’il n’était pas barbu, crasseux et puant après tous ces jours sans savon et rasoir. Sans compter que Wata lui-même était plaisant à l’œil.
A la nuit tombée, grâce à la collection de pierres coupantes accumulée des fils des jours et de leurs algues séchées et tressées, ils avaient réussi à construire une structure qu’un malheureux coup de coude ou pied ne parviendrait pas à mettre à terre.
Wata ne tenait plus debout et pourtant il ne se faufila pas sous leur nouveau toit aux côtés de Lukas sur leurs couches composées de feuilles sèches.
— Viens, l’invita Lukas d’un signe de main.
 Le jeune homme se glissa enfin à l’intérieur, mais se colla le plus possible à la paroi afin de ne pas être en contact avec lui.
C’était idiot, ce n’était pas comme si l’épisode de ce matin allait se reproduire. Ils avaient passé plein de nuits ensemble sans qu’ils se réveillent dans les bras l’un de l’autre et  dans le cas où cela arrivait à nouveau, eh bien, cela n’avait rien de dramatique.
Lukas étant trop las pour se battre avec lui, il le laissa faire. Il serait toujours temps d’essayer d’en discuter le lendemain, même s'il ne voyait pas trop comment.

jeudi 19 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 21

Lukas dormait. Quelqu’un ondulait contre lui et c’était agréable. Il ne passait guère de nuits complètes avec ses conquêtes amoureuses, mais quand il le faisait, il appréciait ce genre de réveil sensuel. Il attira dans ses bras le corps qui se frottait contre le sien et ressentit une résistance inattendue.
Il se força à ouvrir ses paupières collées par la fatigue, s’arrachant au sommeil.
Il se retrouva nez à nez avec Wata. Il n’était pas au lit avec une femme, mais sur la plage.
Wata semblait embarrassé et affolé. A priori, il avait initié les choses, mais sûrement avait-il dû agir de façon semi-consciente, comme Lukas.
Wata débita un discours précipité, tout en cherchant à se dégager de l’étreinte de Lukas. Dans son empressement à mettre de la distance entre eux, il bouscula leur abri qui s’écoula sur eux.
Un sacré réveil.
Il fallut s’extirper de sous l’amas de branchages et de feuilles.
— Ça va ? demanda Lukas.
— Daijoubu desu ? s’enquit Wata.
Et puis il se courba en deux en répétant « sourii. »
Cela ressemblait beaucoup à « sorry » soit pardon en anglais.
Lukas l’obligea à se redresser. Le haut du crâne de Wata manquait sérieusement d’expressivité comparé à son visage.
Il s’assura du regard que le jeune homme n’était pas blessé, puis tenta de le rassurer en parlant d’une voix douce et posée :
— Je ne suis pas fâché. Ni pour le, disons, câlin, ni pour la destruction de notre abri. Ce sera l’occasion de construire quelque chose de plus solide.
Hélas, le message ne passa pas. Le pauvre Wata se mit à se tordre les mains. Il était impossible de savoir ce qui le désolait le plus.
Honnêtement, le premier n’était pas contrariant, ce n’était pas comme si l’on pouvait contrôler tout ce que l’on faisait dans son sommeil et ils dormaient plus ou moins collés l’un à l’autre faute de place, mais peut-être Lukas se sentait coupable de son attirance envers Lukas. Il n’avait pas à l’être pourtant. C’était quelque chose qui s’éprouvait, comme les sentiments, cela ne se décidait pas.
— Vraiment, ce n’est pas grave, déclara encore Lukas.
L’air misérable de Wata ne s’estompa pas.
Aux grands maux, les grands remèdes, songea Lukas. Il attrapa le jeune homme par les épaules, les lui pressa gentiment et lui planta un baiser sonore sur chaque joue.
— Tout est OK.
— OK, murmura Wata.
Ah, ça, il saisissait ! Miracle !
L’étonnement et le soulagement se lisaient sur ses traits.
— Oui, assura Lukas en hochant la tête.

mercredi 18 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 20

Trois jours passèrent encore, Lukas gravant chaque fois une nouvelle encoche dans l’écorce du bâton qu’il avait planté près de leur abri dans l’unique but de marquer l’écoulement du temps.
La blessure de Wata guérit sans complication d’aucune sorte.
Lukas réussit à enfin embrocher un poisson !
Ils accomplirent les mêmes tâches quotidiennes répétitives indispensables à leur survie, agrémentées de petites pauses musicales, de pierre-feuille-ciseaux ainsi d’une sorte de Pictionnary doublé de mimes où il s’agissait de deviner ce que l’autre avait dessiné dans le sable. Wata avait un sacré coup de crayon – enfin, façon de parlé, vu qu’ils n’avaient que des bâtons à leur disposition.  Avec la barrière de la langue, cela compliquait le jeu, et ils étaient rarement sûr d’avoir obtenu la bonne réponse. Ils avaient aussi tenté quelques parties d’1,2,3 soleil ou « Daruma ga koronda » selon Wata. C’était comme un retour enfance et cela avait le mérite d’être détendant, même si Lukas se sentait un peu idiot en le faisant.
C’était donc un jour comme autre quand soudain des cris étranges retentirent. Ils sursautèrent et Wata se mit à trembler. Lukas lui pressa l’épaule pour le réconforter. Même s’il n’avait aucune idée de l’animal que cela pouvait être, ils n’étaient pas sans défense : ils avaient des pierres, des bâtons pointus qui feraient d’acceptables javelots et du feu. Wata lui ayant appris à désigner ses objets, il répéta les mots et vit le jeune homme se détendre un peu.
Pour achever de le rassurer, Lukas mima quelqu’un grillant quelque chose au-dessus d’un feu, puis se régalant.
Wata sourit, ce qui ne les empêcha pas de rester sur le qui-vive le restant de la journée.
Le mystère des cris étranges fut heureusement résolu dès le lendemain. C’était un oiseau coloré dont Lukas ignorait bien sûr le nom. Ils essayèrent de le capturer avant que l’animal ne s’envole vers des cieux meilleurs. Lukas le regarda s’éloigner avec envie. Eux, ils étaient coincés sur l’île.
— A défaut de rôti, on pourrait peut-être manger des œufs ! s’exclama-t-il avec un enthousiasme forcé, tout en sachant très bien qu’ils n’avaient pas repéré de nids jusque là… 
Wata dut sentir son découragement, car il se mit à dessiner dans le sable ce qui se révéla un gag muet. Ce n'était pas hilarant, mais voir un oiseau se faire gober en plein vol par un poisson lui remonta malgré tout le moral.

mardi 17 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 19

Wata dut comprendre ce que Lukas voulait, car il ne résista pas. C’était une belle estafilade qui ne saignait pas beaucoup.
Lukas respira mieux. Cette fois encore, ils avaient eu de la chance.
— Pardon, murmura-t-il.
Désireux de transmettre son soulagement et à quel point il était désolé, il colla son front à celui de Wata.
Leurs lèvres étaient tout proches, le souffle de Wata s’entremêlant au sien. L’embrasser aurait été si facile.
Lukas s’écarta, perturbé par cette pulsion subite. Homme ou pas, de façon bizarre ou pas, il n’était apparemment pas immunisé contre les charmes du jeune homme. Wata était le seul être humain à des kilomètres à la ronde, mais ce n’était pas une raison.
Après un instant d'hésitation, car le tissu était désormais tout sauf propre, Lukas arracha un morceau de plus à ce qu’il restait de son pantalon et emmaillota le doigt de Wata dans une drôle de poupée.
Wata se laissa faire, son visage reflétant une douceur qui serra le cœur de Lukas.
Le jeune homme retourna ensuite courageusement terminer le nettoyage du poisson, comme si l’incident ne s’était pas produit.
Lukas le regarda faire - à distance - sans se départir d’une certaine culpabilité.
Ils mangèrent leur poisson en silence, Lukas rêvant à un steak bien saignant. Ils déposèrent ensuite de nouveaux galets sur leur SOS pour le rendre plus visible, puis explorèrent un peu dans le but de trouver autre chose pour se nourrir sans risquer de s’empoisonner.
Lukas essaya en cours de route d’élargir le vocabulaire français de Wata et le sien dans celui de la langue du jeune homme.
Tandis que le soleil baissait dans le ciel, sans avoir eu de succès dans leur quête pour diversifier leur alimentation, ils retournèrent chercher à boire.
Avant qu’ils ne se couchent, Lukas défit la poupée de Wata et vérifia l’état de sa blessure – une croûte s’était formée sans rougeur suspecte. Il résista à l’envie absurde d’embrasser la paume de son compagnon d’infortune et se faufila dans leur abri. Wata le rejoignit juste après. Lukas s’endormit en écoutant leurs respirations et le bruit des vagues.

lundi 16 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 18

— Et maintenant, si nous jouions ?
Lukas avait eu le temps d’avoir une idée pour qu’ils s’amusent en l’absence de tout.
Ils auraient dû normalement aller pêcher, excepté que Lukas comptait désormais leur ménager des pauses entre leur tâches afin de rendre la situation plus agréable.
Lukas fit une démonstration de pierre-feuille-ciseaux, sa main gauche coupant sa droite avant de se casser contre son poing. Il n’eut pas longtemps à jouer contre lui-même comme un idiot.
Et ils s’affrontèrent.
Wata gagna à chaque fois.
Cette suite de victoires poussa Lukas à prolonger le jeu avant d’abandonner en riant.
— J’aimerai bien que tu m’expliques ton truc… Pour l’heure, pêchons du poisson. Sakana. Enfin, surtout toi, même si je vais encore essayer.
Lukas ôta ses habits, ne gardant que son maillot de bain.
Sa quasi-nudité troublait toujours Wata qui, une fois de plus, se débarrassa de ses propres affaires avec un temps de décalage.
C’était flatteur.
Lukas se demanda brièvement quelle tête ferait Wata si au lieu de laisser son maillot sécher sur lui quand ils reviendraient sur le rivage, il le retirait, puis il partit récupérer son harpon.
Lukas ressortit bredouille de l’eau une fois encore. A force de persister, il espérait réussir. Wata, lui, ramena deux prises.
Lukas, las de son inutilité – il n’était pas doué pour pêcher de la sorte – décida qu’il pouvait au moins apprendre à préparer le poisson. Il s’approcha au plus près pour observer comment le jeune homme procédait. Surpris ou peut-être gêné par sa soudaine proximité, Wata eut un geste maladroit et le coquillage couteau au lieu d’entailler la chair de l’animal s’enfonça dans son doigt. Le sang perla, rouge vif.
Lukas se serait giflé pour sa bêtise. Il n’aurait pas dû envahir l’espace personnel du jeune homme, pas alors qu’il avait remarqué qu’il avait tendance à le troubler.
Wata fourra son doigt blessé dans sa bouche. La salive ne remplacerait certes pas un désinfectant ou un pansement, mais c’était tout ce qu’ils avaient. Si la coupure était profonde, si elle s’infectait… Ce serait la catastrophe.
— Tu me montres ?
Wata léchait toujours sa blessure. Lukas l’attrapa gentiment par le poignet et tira tout doux. Les mots leur faisant défaut, les gestes gagnaient en importance.

vendredi 13 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 17

Lukas laissa Wata marcher devant.
Au début, il y avait eu des branches à écarter et briser, mais à force qu’ils empruntent le même chemin, le passage était dégagé.
Ils se désaltérèrent tour à tour. Le filet d’eau qui coulait entre les roches ne leur permettait pas de faire autrement. Ils regagnèrent ensuite la plage avec chacun une demi coco pleine d’eau fraîche. Cela les obligeait à marcher à pas lents pour ne pas renverser, ce qui avait le mérite de les obliger à prêter attention où ils mettaient les pieds et par conséquent d’éviter qu’ils se blessent. La plaie de Wata au pied avait heureusement guérie sans s’infecter.
Ils déposèrent leur « coupe » dans leur abri. A ce stade, Lukas mentionnait la nécessité d’aller ramasser des noix de coco, quitte à secouer l’un des nombreux cocotiers pour en faire tomber. Quand (et non si) ils partiraient de cette île, Lukas était à peu près sûr qu’il ne pourrait même plus en voir en peinture. Pour une fois, il ne dit rien. A Wata de décider. Pour aujourd’hui, du moins.
Le jeune homme fronça les sourcils, mit les poings sur les hanches et débita un flot furieux de paroles. Peut-être que Lukas se trompait, mais il n’était pas impossible que Wata n’apprécie pas particulièrement d’avoir à déterminer la suite de leur programme. Le jeune homme aimait peut-être que Lukas soit le meneur. Wata se tut enfin, croisant les bras sur son torse. Son mécontentement le rendait plus mignon qu’autre chose.
Lukas masqua un sourire derrière sa main.
— Prêt à casser des noix de coco ?
Wata acquiesça.
Ils avaient gagné en habileté dans l’exercice et bientôt ils purent se sustenter. La moue résignée de Wata en mastiquant la chair du fruit montrait bien que lui aussi en était las.
Lukas n’aurait certes pas vendu sa mère pour manger n’importe quoi d’autre – ne serait ce qu’une pomme – mais pas loin. Il eut un pincement au cœur en songeant à combien elle devait être inquiète de sa disparition.
Leur petit déjeuner terminé, si on pouvait appeler ça comme cela, Lukas initia la collecte du bois pour leur feu de détresse qui leur servait également pour cuire leur poisson. Lukas était de plus en plus tenté de griller des algues pour varier leur régime, mais la crainte de tomber malade le retenait encore.
C’est Lukas qui décida qu’ils avaient amassé assez de branchages secs. Puisque Wata préférait à priori que ce soit lui qui soit en charge, il n’avait pas de raison de se priver.

jeudi 12 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 16

Lukas entonna une interprétation toute personnelle de « La mer qu’on voit danser » en agitant les bras avec emphase et beaucoup de lalala pour compléter toutes les paroles qui lui manquaient.
Wata le regarda avec de grands yeux écarquillés, son étonnement se transformant en amusement avant que finalement un rire franc ne lui échappe.
Lukas, content d’avoir réussi à changer les idées à son compagnon prétendit malgré tout être indigné, et le pointa du doigt, avant de s’asseoir.
— A ton tour, si tu penses pouvoir faire mieux !
Trop tard, il se demanda s’il n’était pas en train de réappuyer où ça faisait mal, car peut-être Wata ne se souvenait d’aucune chanson.
Mais heureusement, après un silence, le jeune homme se leva et se mit à chanter d’une voix claire.
Wata termina sa prestation par une courbette et Lukas applaudit bien fort.
C’était agréable de se détendre, de penser à autre chose que la nécessité de trouver de quoi manger en attendant des secours qui n’arrivaient pas...
Ils auraient dû intégrer des moments comme celui-là dans leur quotidien plus tôt. Mais évidemment, en bon Stakhanov du travail, cela n’avait pas effleuré Lukas et Wata qui l’accompagnait dans ses occupations avait été en quelque sorte obligé de suivre le même régime.
Même s’il était le plus âgé, Lukas n’aurait pas dû décider de tout en permanence. Wata n’était pas un de ses employés et quand bien même il l’aurait été, laisser l’initiative de temps à autre était important.
Lukas se retint de suggérer qu’ils aillent chercher de l’eau et attendit de voir ce que Wata allait faire.
Le jeune homme croisa les bras, le regardant, sans doute dans l’expectative des directions de Lukas.
Pendant un long moment, ni l’un ni l’autre ne bougèrent, avec pour seul fond sonore le bruit des vagues, presque comme si le but du jeu était demeurer immobile et silencieux et que le perdant serait celui qui craquerait.
— Naze watashitachiha mizu o tori ni ikanai nodesu ka?
Même si Wata n’avait pas mimer l’action de boire, Lukas aurait reconnut le mot mizu.
— Oui, allons-y, répondit Lukas.
Il se mit debout, secouant le sable resté collé sur ses habits plus par réflexe qu’autre chose vu l’état dans lesquels ils étaient.

mercredi 11 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 15

Jusque là, le jeune homme avait remarquablement tenu le coup, mais il était normal que cela lui pèse. Leur régime alimentaire était monotone et ils étaient privés de tout confort.
Lukas passa la main sur son début de barbe qui le grattait. Il se sentait sale. Prendre des bains dans la mer ne comptait pas et porter les mêmes habits jour après jour n’aidait en rien. Son pantalon transformé en short à la sauvage s’effilochait lamentablement et bientôt, il devrait se contenter de son maillot de bain en guise de bas. Il pourrait peut-être reconvertir le tissu restant en chapeaux afin qu’ils se protègent du soleil qui cognait fort par moments.
Une part de lui se désespérait qu’ils soient un jour secourus.
Lukas se mordit la lèvre et tenta de repousser le flots de pensées négatives qui l’envahissait. Il devait rester fort pour Wata et trouver le moyen de lui rendre le moral.
D’une façon ironique, il s’agissait  de lui faire oublier son absence de mémoire.
Ils pouvaient peut-être explorer davantage l’île. Seulement, c’était prendre le risque de se blesser ou pire de rater le passage d’un éventuel bateau ou hélicoptère.
Essayer de construire un radeau les occuperait, mais serait vain vu les difficultés qu’ils avaient eu avec leur abri. Il était clair qu’aucun d’entre eux n’avaient les compétences nécessaires pour ce genre de construction sans matériel à leur disposition.
Enfin, ce n’était pas tout à fait vrai, ils commençaient à avoir leurs outils – pierres, coquillages et bâtons collectés et taillés avec les moyens du bord. Ils avaient même réussi à avoir de la ficelle grâce à des bouts de plante séchées et tressées. Elle se cassait facilement, mais c’était mieux que rien.
Oui, tous ces derniers jours, survivre avait été leur priorité. En même temps, ce n’est pas comme s’ils avaient beaucoup d’activités plaisantes à faire, hormis nager, bronzer et… se masturber. Non pas qu’il ait vraiment eu l’occasion de le faire.
Wata n’aimait pas que Lukas s’éloigne de lui, ce qui rendait encore plus inquiétant le fait qu’il ait choisi de partir seul dessiner sur le rivage.
En l’absence de technologie et de nourriture cuisinée et savoureuse, comment pouvait-on s’amuser ? Peindre. Sauf que Lukas, avec ses grosses sabots avait interrompu le jeune homme alors qu’il était en train de dessiner.
Bavarder leur était impossible.
Danser, Lukas en était incapable. Il avait deux pieds gauches.
Chanter… Connaissait-il seulement une chanson en entier ? Non, mais il avait des réminiscences  en raison de l’amour de sa mère pour Charles Trenet.

mardi 10 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 14

Une routine s’installa. Ils se levaient, marchaient jusqu’au point d’eau, ramenant chacun avec eux une demi-coco nettoyée – après de multiples essais, ils étaient parvenus à ne pas en briser une, ils mangeaient, récoltaient du bois pour le feu, ramassaient des galets pour rendre plus visible leur SOS géant, pêchaient (sans aucun succès pour Lukas), retournaient chercher de l’eau et dînaient. Au cours de la journée, ils s’efforçaient chacun d’enseigner à l’autre quelques mots. Cela facilitait leur communication qui restait essentiellement gestuelle.
Parfois Lukas sentait le regard intéressé de Wata sur sa personne. A moins que ce ne soit son ego qui ne lui fasse s’imaginer cela. Lui-même se surprenait en tout cas souvent à contempler Wata. Le jeune homme avait quelque chose de séduisant avec sa peau glabre et ses grands yeux noirs.


    Le matin du dixième jour de leur séjour forcé sur l’île, Lukas se réveilla seul dans leur abri. Wata ayant tendance à dormir plus tard que lui, il en éprouva un vif malaise. Hormis pour leurs besoins, ils ne se séparaient pour ainsi dire jamais.
Son inquiétude augmenta jusqu’à ce qu’il le repère assis sur la plage, face à la mer.
Même si Wata demeurait une énigme sur bien des plans en raison de la barrière de la langue, mais aussi de son amnésie, il s’était attaché à lui. Il se dépêcha de le rejoindre.
Wata traçait des traits dans le sable avec un bâton.
En s’approchant, Lukas constata que c’était des visages.
— Tu t’es souvenu de quelque chose ?
Lukas effleura la tempe de Wata, celle qui avait été ornée d’une vilaine bosse qui s’était désormais résorbée.
C’était la première fois qu’il lui demandait. Avant, il avait préféré éviter d’appuyer ou cela faisait mal dans tous les sens du terme.
Les épaules de Wata s’affaissèrent à sa question dont il avait dû saisir la teneur et il secoua tristement la tête.
Lukas regretta de ne pas avoir su tenir sa langue.
— Tu dessines bien, lança-t-il en pointant le personnage tracé sur le sol.
Wata posa son bâton de côté.
Il était vraiment d’humeur mélancolique aujourd’hui. Avoir perdu son identité, ne plus savoir qui on était devait être horriblement dur, au moins autant que d’être obligé de survivre sur une île déserte. Or Wata combinait les deux.

lundi 9 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 13

Lukas émit un cri de victoire. Wata, amnésique ou pas, était doué pour pêcher. A la réflexion, il n’aurait pas pu avoir meilleur compagnon pour séjourner sur cette île déserte. 
Il alla la rencontre de Wata qui revenait vers le rivage, un sourire satisfait aux lèvres.
— Belle prise !
Lukas se voyait déjà dévorer du poisson grillé quand il réalisa qu’il n’avait pas la moindre idée de comment le préparer. Sans compter qu’ils n’avaient bien sûr pas de couteau à leur disposition.
— Tu sais évider le poisson, toi ?
Même en sachant que Wata ne pouvait saisir ses propos, c’était parfois plus fort que lui, il avait besoin de s’exprimer à voix haute. C’était d’ailleurs pareil pour le jeune homme. Ils étaient passés maîtres dans l’art d’avoir des dialogues de sourds.
Wata se révéla capable de nettoyer et préparer le poisson à l’aide d’un coquillage effilé. Il supervisa également avec brio la cuisson.
— Je pourrais t’embrasser, déclara Lukas alléché à la perspective de manger autre chose que de la noix de coco.
Son regard se porta machinalement sur la bouche de Wata. Couleur pêche, elle avait l’air aussi appétissante qu’un fruit mûr.
Lukas se morigéna pour le tour que prenait ses pensées. Il n’avait jamais été attiré de sa vie par une personne du même sexe que lui et tout imberbe qu’il soit Wata était un homme comme lui, son pénis moulé dans son caleçon mouillé en était la preuve. Lukas était perturbé par la situation inhabituelle, et c’était tout.
Tandis que le soleil baissait dans le ciel, Lukas se régala de la chair tendre de l’animal. C’était délicieux. Il était désireux de montrer à Wata à quel point il était reconnaissant, mais il dut se contenter dans le remercier sans être certain que sa gratitude ait été perçue.
— Si nous ne mourrons pas de faim, ce sera grâce à toi.
Lukas se tapota le ventre en poussant un gémissement de contentement exagéré.
Avec un sourire, Wata dit quelque chose que Lukas aurait aimé être en mesure de traduire, plutôt que d’imaginer ce que cela pouvait être.
Cela le poussa à lancer leur échange de vocabulaire, débutant la séance avec une révision des mots qu’ils avaient déjà appris. 

Apparemment, il prononçait mal, car Wata l’obligea à répéter plusieurs fois les mêmes termes.

vendredi 6 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 12

Après avoir bu et mangé et ramassé du bois, Lukas suggéra à Wata qu’ils essaient de pêcher. Il agita une main devant lui de façon à imiter les mouvements d’un poisson avant de la capturer avec l’autre, provoquant l’hilarité de son compagnon d’infortune, mais non sa compréhension.
Prétendre lancer un fil de pêche fonctionna, mais le visage de Wata s’éclaira et s’assombrit dans la foulée, ce qui était logique vu qu’ils n’avaient pas de canne à pêche et pas de moyen d’en fabriquer. Capturer du poisson à la main paraissait utopique. Lukas avait beau avoir des mains semblables à des pattes d’ours d’après une de ses conquêtes, il n’avait pas les réflexes assez aiguisés pour cela. En revanche, il pouvait tenter sa chance avec un harpon improvisé – un bâton pointu de façon naturelle ou par brisure, voire taillé à l’aide d’une pierre aux bords coupants. C’était comme être de retour à la préhistoire.
Mettre chacun un harpon au point fut laborieux. Lukas retira ensuite sa chemise et son pantalon transformé en short et se retrouva en maillot de bain.
Il croisa le regard admiratif de Wata, à deux pas de lui, qui le fixait au lieu de se dévêtir. Se pouvait-il que le jeune homme soit gay ou bi ? Lui demander était impossible et de toute façon, cela n’avait pas d’importance. Pour sa part, seules les femmes l’attiraient, même s’il fallait bien avouer que Wata était particulièrement charmant.
Le jeune homme parut se rappeler leurs intentions originelles et ôta son t-shirt sirène d’un geste gracieux, puis son short, révélant un caleçon blanc ajusté. Son torse et ses jambes étaient aussi glabre que son visage. Il n’avait rien de féminin, mais en l’absence de poil, sa masculinité n’avait rien de marqué. Se morigénant de perdre du temps à contempler Wata, Lukas avança dans l’eau. Le jeune homme l’imita, mais garda intelligemment ses distances. S’installer au même endroit aurait été contre-productif.
Lukas n’eut pas à patienter trop longtemps pour repérer un poisson, mais il ne fut bien sûr pas assez rapide pour l’embrocher, ni le premier, ni tous les suivants.
Ses tentatives infructueuses finirent par le décourager et il retourna sur la plage. Wata, lui, demeura en place, tête penchée sur les vagues, l’air concentré. Sa persévérance forçait l’admiration.
Soudain, il frappa et remonta son bâton-harpon sur lequel une forme argentée se tortillait.

jeudi 5 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 11

Lukas se réveilla collé à Wata, son érection matinale logée au creux du dos du jeune homme. Même si ce n’était qu’une réaction physiologique en dehors de son contrôle, c’était gênant et il espéra que Wata était encore profondément endormi.
Il se redressa sur un coude avec précaution. Les paupières de Wata étaient closes et sa respiration régulière.
Lukas se faufila hors de l’abri à quatre pattes avant de se mettre debout en grimaçant. Il était moulu.
Le soleil levant sur les flots était beau, presque davantage que le couchant.
La nouvelle journée qui s’annonçait n’était toutefois pas pleine de promesses. Toute une série de tâches les attendait. Aller boire, récolter de quoi manger – de préférence autre chose que des noix  de coco qui constituait leur régime actuel. Il faudrait aussi ramasser du bois pour entretenir le feu qui signalait leur présence sur l’île. Lukas se sentait épuisé par avance et l’envie de retourner s’allonger contre le corps chaud de Wata forte.
Lukas s’ébroua, essayant de chasser son humeur mélancolique et la tentation qu’il avait de retourner auprès de Wata. L’énergie qu’il mettait dans ses affaires, il devait à présent l’utiliser pour survivre.
— Lukas ?
Il se retourna et vit Wata émerger de leur abri, tout ébouriffé et adorable.
— Je vais boire, déclara-t-il, joignant le geste à la parole en mettant ses mains en coupe vers sa bouche.
Wata acquiesça et le suivit.
C’était anti-pratique au possible de n’avoir aucun récipient pour apporter de l’eau fraîche sur la plage, les obligeant à faire tout le trajet à chaque fois qu’ils voulaient étancher leur soif. Peut-être s’ils réussissaient à ouvrir une noix sans la briser…
Wata dit quelque chose. Lukas aurait vraiment aimé connaître sa langue. Être seul aurait sûrement été pire, mais c’était frustrant au possible d’avoir un interlocuteur sans en avoir un puisqu’ils ne pouvaient pas bavarder ensemble.
Cela lui donna l’idée de donner des « cours de vocabulaire » à Wata, en espérant qu’il lui rendrait la pareille.
Il se baissa, toucha le sable et répéta le mot. Il pointa ensuite le ciel et procéda de la même façon. Il opéra tout pareil avec un arbre, puis une noix de coco avant que Wata ne comprenne où il en voulait en venir et se pique au jeu.
Noix de coco - Kokonattsu
Mer - Umi
Eau - Mizu
Évidemment, pour les concepts abstraits, la technique ne fonctionnait pas vraiment et les gestes resteraient leur principal mode de communication faute de pouvoir enseigner la grammaire de la langue de chacun, mais c’était un début. Un progrès.

mercredi 4 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 10

Trois lettres dans le sable ne suffiraient pas à ce qu’ils soient repérés.
Un feu aiderait et serait également utile pour cuisiner, surtout s’ils parvenaient à attraper du poison d’une façon ou d’une autre. Ils manquaient sérieusement de matériel pour tout.
Mais peut-être que Wata avait un briquet dans ses poches si jamais c’était un fumeur.
Il lui posa la question sans obtenir de réponse. Lukas soupira, tira ses poches de son pantalon raccourci, les faisant ressortir, puis toucha l’une de celles du short de Wata qui plongea les mains dedans.
Lukas retint son souffle.
Hélas, Wata ne ressortit rien, pas même un bonbon.
Lukas ravala sa déception et rassembla du petit bois, tout en s’efforçant de se rappeler comment on faisait du feu sans allumettes.
Il frotta un bâtonnet placé sur un amas de feuilles sèches et de brindilles entre ses paumes sans aucun résultat.
Wata l’observa un moment avant de se désintéresser de l’affaire pour fouiller la terre quelques mètres plus loin.
Après une éternité, avec un grognement de frustration, Lukas renonça. Ses paumes étaient rouges et douloureuses. Tout cela était ridicule.
— Qu’est-ce que tu fais ? demanda-t-il à Wata en s’approchant.
Son compagnon d’infortune avait aligné une série de cailloux pierres devant lui et les observait avec attention. Il entrechoqua deux sans résultat, puis deux autres, puis encore deux différentes. Une étincelle se produisit. Un silex et un pyrite, mais bien sûr !
— Wata, tu es un génie ! s’écria Lukas.
Le jeune homme apporta ses deux pierres près du tas de brindilles composé  par Lukas et l’étincelle devint flamèche.
Lukas cria de joie, attrapa les mains de Wata qu’il serra dans les siennes.
Wata lui sourit, dévoilant de jolies petites dents blanches. Lui aussi était content de leur réussite. Ils étaient toujours au beau milieu de l’océan Pacifique sur une île, mais ils progressaient dans le bon sens.
Lukas finit par se rendre compte qu’il n’avait toujours pas lâché les mains de Wata. Elles étaient douces entre les siennes. Il les libéra. Il n’était pas ni aussi expansif ni aussi tactile d’habitude, surtout avec les étrangers. En même temps, vu les circonstances exceptionnelles, il était naturel qu’il ait des réactions inhabituelles et heureusement cela ne semblait pas déranger Wata.

Le reste de la journée fut occupé par la construction d’un abri. Ils s’escrimèrent essentiellement en silence. Parfois Lukas lâchait une phrase, parfois c’était Wata. Même en étant conscient que leur interlocuteur ne comprenait pas leur langue, c’était plus fort qu’eux.
Ni Wata ni lui n’étaient hélas très doués pour ce genre de travaux manuels.
Leurs premières versions s’écroulèrent comme des châteaux de cartes. A leur décharge, ils devaient se débrouiller avec les branches tombées sans pouvoir les couper et les tailler et ils n’avaient non plus aucun clou, marteau ou bout de ficelles pour les aider dans leur entreprise.
Wata suggéra avec force de gestes qu’ils s’installent ailleurs. L’arbre au large tronc élu par Lukas ne convenait pas.
Ils trouvèrent finalement un gros rocher sur lequel ils purent appuyer leur matériel de fortune en une sorte de demi-tente. Ils avaient juste assez d’espace pour se coucher tous les deux dedans. Cela n’avait rien d’un palace, mais c’était mieux que rien et surtout, ils étaient à la limite de la plage et de la végétation entre leur SOS et leur point d’eau.

mardi 3 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 9

L’aube réveilla Lukas. Il observa le visage endormi de Wata. Ses traits étaient détendus et paisibles. Le sommeil avait tout d’une libération. Pendant qu’il dormait, tout était oublié, sa perte de mémoire, comme leur situation de naufragés.
Wata émergea finalement et toute une palette d’émotions passèrent dans ses yeux noirs.
— Bonjour, dit Lukas avec un sourire.
Il éclata deux noix de coco pour leur petit déjeuner et suggéra qu’ils explorent un peu en faisant de grands gestes. Les cocos étaient désaltérantes, mais ne pouvaient remplacer l'eau définitivement.
Ils ne s’enfoncèrent pas très avant. Il s’agissait de ne pas se perdre et il était également important qu’ils signalent leur présence sur l’île par un SOS. Ses trois lettres d’appel au secours étaient heureusement universelles ou presque et Wata comprit.
Les tracer en grand leur prit longtemps. Ils mangèrent à nouveau des noix - Lukas s’en lassait déjà - et retournèrent dans la verdure.
Ils marchaient depuis un petit moment quand un cri de Wata incita Lukas à se retourner. Le jeune homme se tenait le pied, en faisant la grimace. Il avait dû se blesser. Il n’avait pas de chaussures, lui. Lukas s’en voulut, même si lui prêter les siennes auraient été plus anti-pratiques qu’autre chose en raison de leur évidente  différence de pointure.
Lukas s’agenouilla et examina Wata. Cela saignait, mais ce n’était qu’une petite coupure.
Il se débrouilla pour déchirer le bas de son pantalon et banda du mieux qu’il put.
Après réflexion, il transforma son pantalon en short et utilisa le tissu pour emmailloter les pieds de Wata afin de prévenir d’autres blessures.
Pendant l’opération, il ne put s’empêcher d’admirer la finesse et délicatesse des pieds du jeune homme.
Wata le remercia. Du moins c’est ainsi que Lukas traduisit son « domo arigato gozaimashita. »
Quand ils tombèrent enfin sur un point d’eau, même si ce n'était guère qu'un filet, Lukas, fou de joie, souleva Wata sans  ses bras et le fit tournoyer avant de le déposer sur le sol.
Après coup, il se sentit gêné, mais Wata lui sourit. Il devait partager son enthousiasme face à leur découverte.
L’épineux problème de l’eau était résolu, mais ils n’étaient pas pour autant tirés d’affaire.

lundi 2 septembre 2019

Bleu Ciel Océan - 8

Lukas essaya de faire comprendre au jeune homme qu’il pouvait rester assis ici tandis que lui partait seul en quête de nourriture vers la ligne de végétation, mais Wata ne saisit pas ou ne voulut pas et c’est donc ensemble qu’ils s’y dirigèrent.
En chemin, Wata le lâcha, et Lukas le regretta. Le soutenir l’aidait à rester fort.
La vue d’une noix de coco au pied d’un arbre le rassura. Avec cela, ils pourraient se sustenter et se désaltérer. Du moins, s’ils parvenaient à l’ouvrir sans le plus petit outil à leur disposition.
Lukas s’accroupit près de la noix et Wata l’imita.
Peut-être pouvaient-il la briser avec un caillou. Encore fallait-il en dénicher un adapté.
Lukas aurait donné cher pour être de retour sur le paquebot ou mieux encore dans son appartement.
Ce fut Wata qui trouva le premier une pierre à la fois lourde et pointue.
Lukas, lui, réussit à s’en servir pour frapper et éclater la noix de coco, gâchant une partie du précieux fruit dans l’opération.
Ils soulagèrent leur soif tandis que le soleil se couchait, enflammant le bleu du ciel et de la mer.
Le message de SOS devrait attendre.
Lukas était épuisé et Wata sans nul doute aussi.
Il avait aussi besoin d’uriner.
Il s’éloigna donc, seulement Wata le suivit. Lukas constituait son point de repère et il paraissait décidé à ne pas le lâcher des yeux. Cela devait être bouleversant d’être amnésique dans des circonstances aussi dramatiques.
Ravalant son agacement, Lukas s’efforça de mimer ce qu’il allait faire. Il espérait que Wata en déduirait tout seul comme un grand qu’il avait besoin d’intimité. Il bruita le tout d’un pssst explicite.
Wata parut embarrassé.
— Je reviens de suite, assura Lukas.
Même si Wata ne comprenait pas le sens des mots, sûrement il entendrait la promesse qu’ils contenaient.
Il n’alla pas très loin et se soulagea rapidement contre un tronc.
Quand il retourna près de Wata, ce dernier ajustait sa braguette. Il avait dû profité du moment pour se vider la vessie lui aussi.
Ils dormirent côte à côte par terre, leur gilets de sauvetage en guise d’oreiller. Ce n’était pas le grand confort, mais c’était tout ce qu’ils avaient.