lundi 29 février 2016

Contes modernes - 227

— Ah ça, je n'en sais rien...
Mael l'aurait volontiers étranglé. Mais tout ce qu'il pouvait faire, c'était s'énerver...
Son agent reprit :
— Ce que je peux te dire, c'est que la police a découvert que la bonne femme qui t'a menacé d'un couteau avait volé ton chéri quand il était bébé et l'avait gardé enfermé pour jouer à la poupée. Une vraie folle dingue.
Ce n'était donc pas la véritable mère de Ray. Mael en éprouva du soulagement tout en plaignant le jeune homme. Apprendre une chose pareille avait dû le bouleverser.
— A-t-il été blessé ?
— Non, je ne crois pas. A moins de compter de ses cheveux qui ont été coupés. Il aurait pu figurer dans le livre des records avec !
Ça, Mael s'en moquait. Ce qu'il voulait, c'était que Ray soit à ses côtés, mais sans doute était-ce égoïste de sa part vu qu'il allait peut-être rester handicapé... Ne serait-ce pas une autre forme d'enfermement pour Ray ?
— Retrouve-le, je t'en prie.
Gérard poussa un long soupir.
— Je vais essayer. Je m'occuperai également de préparer un communiqué de presse pour annoncer ta relation avec un homme.
Mael fut surpris, son agent s'étant toujours montré hostile à ce qu'il révèle sa bisexualité.
— Vraiment ? demanda-t-il, incrédule.
— Je t'aurais bien suggéré de te débrouiller pour que garder cela secret, mais ça a l'air sérieux pour une fois...
C'était positif que Gérard se montre coopératif, mais là encore, Mael n'en éprouva aucune joie. Tout était noir pour lui, au propre comme au figuré. Il était immobilisé et Ray était hors de sa portée, quelque part dans le vaste monde...

    Des jours s'écoulèrent longs et douloureux, se muant en semaines, puis en mois, tout cela dans le noir le plus complet, sans pouvoir se déplacer. Ray demeurait introuvable.
Mael finit par congédier Gérard. Il lui semblait que sa carrière d'acteur était finie et qu'il n'avait par conséquent plus besoin d'agent.
N'étant pas capable de partir lui-même à la recherche de Ray, il embaucha quelqu'un pour le faire, hélas, sans plus de résultat.
Quand il quitta enfin l'hôpital, en fauteuil roulant, Mael était au désespoir. Ray était perdu. Sa vie était foutue. Il ne parvenait plus à croire aux promesses de récupération du docteur Dinère.
Lui qui avait toujours évité l'alcool et la drogue faillit sombrer dedans, mais il se raccrocha ultimement à l'infime espoir qu'un jour, sa route croiserait à nouveau celle de Ray.

vendredi 26 février 2016

Contes modernes - 226

Quand il reprit conscience, il était plongé dans l'obscurité la plus totale. Il voulut bouger le bras pour allumer une lumière, voir où il était, mais il en fut incapable. Mael n'avait jamais cru à l'enfer ou au paradis, pas plus qu'à la réincarnation, pour lui, la mort, c'était le néant, et si son corps ne répondait pas, son esprit lui semblait bien vivant...
Il n'eut pas le temps de s'interroger davantage, déjà une voix inconnue le rassurait, l'informant qu'il était à l'hôpital. Une infirmière.
Mael comprit alors sans qu'elle ait besoin de le lui dire: il ne voyait rien parce qu'il était devenu aveugle et il ne pouvait bouger parce qu'il était paralysé.
Après pareille chute, c'était déjà un miracle qu'il ne soit pas allongé sous la terre au cimetière. Impossible de se réjouir pour autant.
— Mon état est-il temporaire ou définitif ?
Au moins pouvait-il encore parler. L'infirmière biaisa : le docteur allait venir.
Mael attendit, s'inquiétant pour lui, mais aussi pour Ray : qu'était-il advenu du jeune homme ? L'infirmière ne savait rien. C'était une de ses fans, mais elle n'avait rien lu dans les journaux au sujet des personnes présentes dans l'appartement avec l'acteur.
Enfin, le docteur fut là. Il se présenta : Valérian Dinère. Il lui expliqua que sa chute avait causé des lésions importantes à ses organes. Il ne le perdit pas en termes techniques, exposant les choses franchement, tout en le ménageant. En  substance, le corps de Mael aurait besoin de temps pour se guérir et se réparer, mais il ne demeurerait pas cloué au lit. En revanche, il n'était pas certain qu'il recouvre la vue.
Le docteur Dinère termina sa visite en déclarant qu'il avait beaucoup aimé le dernier film dans lequel avait joué Mael qu'il avait eu l'occasion de voir au cinéma avec un de ses amis les plus chers, un certain Albin et qu'il comptait bien le revoir dans d'autres.
C'était encourageant, mais Mael ne fut qu'à moitié rassuré. Il n'avait rien d'autre à faire que se tracasser dans cette obscurité qui était devenue la sienne, frustré de ne pouvoir remuer le plus petit doigt alors qu'il aurait voulu partir en quête de Ray.
Et puis, après une éternité, Gérard débarqua, catastrophé et soulagé à la fois. Il lui raconta comment une camionnette rose garée sous la fenêtre dont Mael était tombé lui avait sauvé la vie et comment sa chute spectaculaire avait fait les choux gras de la presse people.
Mael eut du mal à l'arrêter pour le questionner au sujet de Ray.
— Ah oui, ta conquête... Ma foi, cela n'a pas été facile d'étouffer le scandale, mais j'y suis parvenu.
Mael s'agaça de l'attitude de Gérard. Ray était celui qu'il aimait, pas quelqu'un en passant et il se moquait que le monde entier sache que la mère de ce dernier avait contribué à sa chute.
— Ça ne me dit pas ce qui lui est arrivé ! s'écria-t-il.

jeudi 25 février 2016

Contes modernes - 225

Mael commença à craindre qu'elle ne blesse Ray. Il s'interposa à son tour, repassant devant la lame que brandissait la mère du jeune homme.
— Ouvrez moi la porte et je m'en vais, offrit-il.
Il n'avait pas la moindre intention de laisser Ray derrière lui, mais escomptait l'apaiser ainsi et gagner du temps.
La folle – il n'y avait pas d'autre mot – secoua la tête.
— Vous êtes venu par la fenêtre, vous n'avez qu'à repartir par là !
Mael protesta sans qu'elle n'en démorde et il prit finalement le chemin du salon à pas lents sous la menace du couteau jusqu'à se retrouver devant la fenêtre. Ray les suivait, l'air perdu, tordant sa tresse entre ses doigts. L'horreur du monde extérieur s'était invité dans les murs de l'appartement, songea Mael.
— Allez, ouste, glapit la femme.
Mael hésitait.
Qu'il tarde déplut à la folle.
— Qu'attendez-vous ?
— Je m'inquiète pour Ray... commença Mael.
— Ce n'est pas votre rôle, coupa-t-elle. Il est à moi ! Si quelqu'un ose toucher à ne serait-ce qu'un seul de ses cheveux, je le lui ferai payer.
Mael aurait ri s'il n'avait fait craint la réaction de la mère de Ray. Il n'avait certes pas blessé le jeune homme, mais il avait dénoué sa tresse, fait couler en cascade la magnifique chevelure entre ses doigts et avait enfoui les mains dedans...
— C'est peut-être votre fils, mais ça ne vous donne pas tous les droits sur lui, fit-il remarquer.
Elle chargea sur lui sans prévenir. Mael recula par réflexe. Dans le même temps, Ray se précipita entre lui et la lame du couteau. Mael crut voir la tresse se détacher tandis que lui-même se sentait basculer en arrière. Il avait heurté le rebord de la fenêtre et son mouvement vif l'avait déséquilibré.
Il battit des bras, cherchant à se rattraper à quelque chose, mais en vain. Il entendit Ray hurler son nom. Il tombait inexorablement. Il allait mourir. Une certitude effrayante.
Il espéra que Ray finirait par sortir, que les articles sur sa mort seraient positif...
Et puis, il arriva en bas des sept étages. Il y eut un bruit de tôle froissé. A l'impact, la douleur fut terrible. Le ciel était d'un bleu sanglant. Comme un lointain écho, il entendait encore Ray. Il cligna des yeux. Il avait si mal. Tout devint noir.

mercredi 24 février 2016

Contes modernes - 224

Même occupé à incarner un riche prince dans un film d'aventures, Mael compta les jours.
Il ne rentra que dans le courant de l'été après des semaines aussi longues que la tresse de Ray. A peine descendu de l'avion, il fila à l'immeuble du jeune homme sans même repasser par chez lui.
Il trouva la fenêtre ouverte même si Ray n'était pas devant. Il alla jusque dans la chambre du jeune homme qui, occupé, à peindre un portrait de lui, ne remarqua pas de suite sa présence.
Il finit cependant par tourner la tête vers lui et lâcha son pinceau pour se jeter dans ses bras.
— Tu m'as manqué ! s'écria-t-il.
— La réciproque est vraie, répliqua Mael en le serrant contre lui.
Leurs lèvres se joignirent longuement, puis soudain Ray s'arracha à lui.
— L'heure...
Il était tard. C'était la belle saison, le soleil brillait longtemps dans le ciel et Mael dans son empressement à revoir Ray, n'avait pas regardé sa montre.
Il n'eut pas le temps de répliquer quoi que ce soit. Ray, blême, murmura « maman. »
Mael fronça les sourcils, puis suivant le regard paniqué du jeune homme, il la vit. Une petite rouquine rondelette avec une grosse verrue sur la joue était entrée dans la pièce.
— Qu'est-ce que cela veut dire ? gronda-t-elle.
Avant que Mael ne puisse ne serait-ce que se présenter, elle continua :
— C'est à cause de cet infâme individu que tu ne cessais de me parler de sortir ces derniers temps ?
Ray ne répondit pas, ses mains tachetées de peinture crispées sur sa tresse.
La femme apostropha Mael.
— Comment êtes-vous entré ?
— Par la fenêtre, avoua-t-il.
— Elle sera bouchée la prochaine fois ! A présent, filez et ne remettez pas les pieds ici, vous n'y êtes pas le bienvenu !
— Je ne bougerai pas d'ici sans Ray.
— Il est à moi, glapit-elle.
— Votre enfant n'est pas un objet, protesta Mael.
Elle vint se planter devant lui et lui tapota le torse du doigt.
— Dehors !
Elle ne lui faisait pas peur. Il le lui dit. Elle tourna les talons.
— Tu ferais mieux de partir, souffla Ray.
— Hors de question, répliqua Mael.
— Mais elle est si furieuse...
Déjà, la mère du jeune homme revenait un immense couteau de cuisine dans les mains. Elle le pointa vers Mael.
— Sortez !
Elle n'était pas seulement dingue. Elle était aussi dangereuse.
Ray se mit devant lui.
— Maman, ne lui fais pas mal ! Je l'aime.
C'était un cri du cœur qui remua Mael, mais qui loin de calmer la mégère armée l'enragea davantage.
— Tu n'as pas à aimer quiconque à part moi ! clama-t-elle en agitant son arme.

mardi 23 février 2016

Contes modernes - 223

Il déposa une pluie de baisers sur le corps de Ray, partant de l'oreille, s'attardant sur les lèvres, descendant dans le cou, glissant sur le torse jusqu'au pénis qu'il prit en bouche, le suçant avec vigueur. Ray éjacula aussitôt et s'attela à lui rendre la pareille. Il referma ses doigts fins sur la base du pénis de Mael, sa langue s'activant dessus. C'était techniquement parlant maladroit, mais sa mine appliquée et ses efforts firent craquer Mael.
Ils s'unirent plus tard dans la journée, Mael s'empalant sur le membre érigé de Ray et le chevauchant, et après une courte pause à converser, il s'enfonça dans le corps offert du jeune homme.

Il continua à visiter Ray le plus souvent possible, déjouant les parazzis. Il lui parlait derrière la porte les jours de pluie, grimpant sur  le toit quand le temps le permettait au point que le périlleux exercice ne soit plus qu'une formalité.
Chaque fois, il décrivait le monde extérieur au jeune homme qui l'écoutait avec grand intérêt. Mael avait fini par lui parler des avantages et inconvénients du métier d'acteur, de sa vie privée qui ne lui appartenait pas autant qu'il l'aurait souhaité, de la manière dont les gens le reconnaissaient dans la rue, de la façon dont certains le confondaient lui et les personnages qu'il avait incarné, du fait qu'il devait se déguiser pour pouvoir se promener en paix dans les rues.
Le monde dans lequel évoluait Mael paraissait bien étrange à Ray, mais il avait désormais conscience que sa propre situation l'était tout autant. Rien ne justifiait son enfermement. C'était une décision de sa mère.
Ils faisaient l'amour à chaque passage de Mael, et Ray devenait de plus en plus doué. Il gardait toutefois une forme d'innocence que rien ne semblait pouvoir entacher.

Et puis s'en fut fini du temps libre de Mael. Le tournage de son nouveau film allait commencer. Dans un autre pays.  Sans aucune possibilité de communiquer à distance, la séparation s'annonçait longue. Initialement venu le prévenir, Mael se retrouva à essayer de  convaincre Ray d'aller enfin à l'encontre des désirs de sa mère et de l'accompagner. Las, comme toutes les fois où ils avaient abordé le sujet de quitter l'immeuble, le jeune homme tergiversa.
— Même si je venais avec toi, tu n'aurais pas de temps pour moi, argua-t-il.
— Ce n'est pas la question, riposta Mael. Combien de temps encore vas-tu te laisser dicter ta conduite par ta folle de mère ?
L'adjectif lui avait échappé et Ray le prit mal.
— Peux-tu affirmer qu'elle a complètement tort sur la noirceur du monde ? De ton propre aveu, les couples de même sexe ne sont pas exactement bien vus... J'ai cru comprendre que c'était aussi bien pour ta carrière que notre relation ne se sache pas.
C'était l'opinion de son agent. Mael se reprocha de l'avoir répété à Ray. Encore une des fois où il aurait mieux fait de se taire.
— Je veux vivre avec toi au grand jour, affirma-t-il. Les gens peuvent penser ce qu'ils veulent. Quant au monde, il est ce qu'il est. Si tu veux vivre enfermé et isolé, libre à toi, mais pour choisir, il faut tester, ce que ta mère te refuse.
Le jeune homme resta muet, debout devant lui, l'air buté. Il était beau aussi en colère, trancha Mael.
— Allons, ne nous quittons pas fâchés, reprit-il.
Ray parut se détendre.
— D'accord...
— Nous en rediscuterons à mon retour. Peut-être pourrai-je parler à ta mère avec toi ?
— Je ne sais pas si c'est une bonne idée... Elle risque de mal réagir, répondit-il.
Mael abandonna la partie pour le moment et colla sa bouche à celle de Ray pour baiser qui n'était pas de cinéma...

lundi 22 février 2016

Contes modernes - 222

Ray opina sans conviction à ses suggestions. Il lui faudrait pourtant en passer par là. Mael n'insista cependant pas et commença à lui décrire les merveilles du monde. Il était fasciné. De l'extérieur, il ne connaissait que les toits des immeubles, les oiseaux, les silhouettes des gens pressés en contrebas et le dessus des carrosseries des voitures.
Mael continua, même quand il eut la gorge sèche. Et puis vint le moment pour lui de repartir, même s'il en avait pas envie.

Pendant quelques jours, son travail le tint loin de Ray entre interviews, scripts et auditions, participation à un salon.
En progressant sur le toit pour le rejoindre, il l'entendit chanter. Il était question de plumes, de couleurs, de fils et d'attente. Le jeune homme avait vraiment une jolie voix. Peindre n'était pas son seul talent. Ils s'embrassèrent.
Après quoi Ray lui demanda à quoi il avait été occupé et Mael lui donna son emploi du temps avant de questionner le jeune homme sur ses activités. Ray avait brodé son visage et peint encore deux tableaux le représentant dont un nu  inachevé manquant de précision.
— Aurais-tu besoin que je pose sur toi dans le plus simple appareil ?
Ray s'abima dans la contemplation du plancher. Mael prit cela pour un oui et se déshabilla. Ray se débarrassa promptement de sa tunique. La peinture n'était à priori pas au programme. Son mélange d'audace et de timidité était tout à fait rafraichissant.
Mael sortit les préservatifs et le lubrifiant qu'il avait glissé dans les poches de sa veste.  Il précisa qu'ils n'étaient pas obligés de s'en servir et pouvaient s'en tenir aux caresses, mais Ray était partant. Mael lui expliqua la nécessité de l'emploi du lubrifiant et lui montra comme dérouler un préservatif sur son sexe.
Quant à pénétrer qui, Mael laissait le choix à Ray, les deux lui convenant.
— Tu n'as pas de préférence ?
— Si, pour l'alternance.
Mael lui dévoila qu'il s'était toujours demandé pourquoi certains se cantonnait à un seul rôle, parlant de passif et actif ou de dominant et de dominé. Chacune position avait ses limites. Il ne s'était jamais ouvert de ses interrogations à personne, même par maladresse, mais avec Ray, il pouvait.
— J'ai envie de tester les deux, avoua Ray, mais j'ai peur de mal m'y prendre dans un cas comme dans l'autre.
— Allongeons-nous, on verra dans le feu de l'action, si tu veux.
Il dut expliciter ce qu'il voulait dire par là et Ray accepta.
Cela aurait pu être lassant de devoir tout lui expliquer, mais Mael trouvait ça gratifiant.  Il n'était plus un novice depuis longtemps en matière de sexualité, mais avec Ray, il avait l'impression de tout redécouvrir. Tout était plus fort, plus intense parce qu'il tenait au jeune homme.

vendredi 19 février 2016

Contes modernes - 221

— Tu as un don pour la peinture, vraiment.
— J'en ai fait un autre, avoua Ray et écartant des tableaux d'oiseaux, il dévoila un portrait cette fois de plain-pied. Dessus Mael avait fier allure.
— Impressionnant... Tu as un sacré coup de pinceau.
— Je n'arrête pas de penser à toi ainsi qu'à tout ce que tu m'as raconté sur les relations entre les gens et sur le monde.
Mael l'embrassa et Ray lui rendit son baiser en s'accrochant à ses épaules comme à une planche de salut.
Mael lui caressa le dos. La main du jeune homme se glissa sous son pull et extirpa sa chemise de son jeans pour atteindre sa peau. Il ne manquait pas d'audace. Il déboutonna ensuite le haut de sa tunique et plaqua la paume de Mael contre son torse imberbe juste au niveau de son cœur qui battait à un rythme endiablé. Oui, tout cela allait bien au-delà du charnel et faisait prendre conscience à Mael à quel point ses relations précédentes avaient été vides de sens. Ses doigts vinrent frôler un téton  tandis que ceux de Ray descendaient vers son aine.
Chacun poursuivit son exploration du corps de l'autre et les vêtements tombèrent en tas à leurs pieds. Ray accueillait les caresses de Mael comme un assoiffé dans le désert. Il jouit le premier en se mordant la lèvre – magnifique tableau que Mael ne pourrait hélas peindre n'ayant aucun talent dans ce domaine. Ray qui ne souciait pas de son seul plaisir continua à palper et lécher de façon tout à fait expérimentale jusqu'à ce que Mael ait à son tour un orgasme.
Il promit qu'à sa prochaine visite, il aurait sur lui tout ce qu'il faut pour qu'ils puissent s'unir intimement.
— Dis m'en plus sur le monde extérieur, s'il te plaît, demanda Ray, enveloppé dans les bras de Mael.
— Tout ce que tu veux, mais le mieux ce serait que tu ailles à sa rencontre.
Ray tira sur le haut de sa tresse, trahissant sa nervosité.
— J'aimerai bien, je crois, mais je ne sais comment convaincre maman.
Cela n'étonna guère Mael. Ray avait laissé entendre qu'il avait déjà essayé qu'elle le laisse sortir, sans succès, en vingt-trois ans. Il était clair qu'elle campait sur ses positions. C'était une folle, mais Mael se garda de prononcer cette opinion à voix haute pour ne pas blesser Ray.
— Peut-être faudra-t-il que tu te passes de son autorisation, avança-t-il.
— En m'aventurant sur le toit ?
Avec ses cheveux, ce n'était pas jouable. Et de toute façon, cela déplaisait à Mael que Ray tente une chose pareille. Même si lui le faisait, c'était dangereux.
— Ou en lui volant la clef. Ou en forçant la serrure. Les possibilités ne manquent pas.

jeudi 18 février 2016

Contes modernes - 220

Dès que le temps fut sec et que Mael eut un créneau libre, il se dépêcha de filer auprès de Ray, prenant tout de même soin de fausser compagnie à un paparazzi. Il repéra la longue tresse qui pendait le long de la façade de l'immeuble, signe que la fenêtre était ouverte et que Ray l'attendait.
Mael grimpa les étages à toute vitesse et déplia l'escabeau d'un coup sec, manquant de se faire mal dans son empressement. Une fois sur le toit, il se força à progresser avec prudence malgré son impatience. Un faux pas et c'était la chute assurée !
Enfin, il fut dans la place. Le jeune homme était aussi adorable que la dernière fois qu'il l'avait vu. Mael ne résista pas à l'envie de le prendre dans ses bras et l'embrassa en douceur. Il n'avait pas eu l'intention de mettre la langue, car il ne souhaitait pas le brusquer, mais entraîné dans son élan, il le fit. Ray se laissa faire volontiers.
A travers leurs vêtements, Mael sentit son excitation qu'il ne commenta pas. Ray lui ne fit preuve de la même réserve ; plein de curiosité, il toucha même le sexe de Mael pour savoir si le baiser provoquait la même réaction chez lui. Ce n'était pas le cas, mais sous ses doigts, le pénis de Mael durcit aussitôt. Il lui attrapa le poignet.
— Ne nous précipitons pas, dit-il la voix rauque.
— Non ?
Son ton et son air déçu faillit faire oublier à Mael toute mesure. Qui avait décrété qu'il fallait attendre pour le sexe sauf si on n'était pas sérieux ? Puisqu'il l'était pour la première fois de sa vie, cela n'avait pas forcément d'importance... Il crut toutefois bon d'exposer les raisons de ses réserves à Ray qui protesta : il brûlait d'en savoir davantage sur la sexualité. Mael eut l'impression que n'importe qui aurait fait l'affaire et il ne put se retenir de le dire. Ce n'était pas vraiment dans son intérêt, mais il l'aimait et voulait que la réciproque soit vraie davantage que de coucher avec lui.
Ray le prit alors par la main et le conduisit jusqu'à sa chambre, non pas au lit, mais devant un des nombreux chevalets. Mael se retrouva face à son visage souriant peint avec une précision remarquable, même si on était loin d'un rendu photographique : la forme de son nez, le pli de sa bouche, le bleu marine de ses yeux, la mèche brune tombant sur son front... tout y était. Ray avait capturé son essence. Pour un premier portrait, c'était un coup de maître et il avait fait ça de tête alors qu'il ne l'avait vu que deux fois. Même en admettant qu'il ait une excellente mémoire, cela prouvait que Mael comptait pour lui. Se serait-il attaché semblablement à quiconque venu frapper à sa porte ? C'était impossible à savoir. Mael était celui qui avait repéré la tresse et mené l'enquête, insistant pour obtenir une réponse. Il était celui auquel Ray avait répondu.

mercredi 17 février 2016

Contes modernes - 219

— C'est dommage qu'il pleuve...
Mael eut un sourire. Il savait que le jeune homme n'était pas vraiment en train de parler de la pluie et du beau temps.
Ray ajouta :
— D'habitude, peu m'importe le temps qu'il fait.
Le sourire de Mael s'élargit. Oui, ce que Ray regrettait, c'était bien qu'ils ne puissent pas partager le même espace et se toucher.
— Qu'est-ce que tu peignais quand je suis arrivé ?
Un ange passa, encore un.
— Vous. Toi.
— Tu n'as pas peur de la réaction de ta mère si elle tombe dessus ?
— J'utilise de l'acrylique, cela sèche vite et je pourrais le cacher derrière d'autres toiles.
— J'ai hâte d'admirer ça...
En vérité, plus que son portrait, c'était le jeune homme qu'il avait hâte de voir.
— Je ne suis pas très doué. C'est la première fois que je peins quelqu'un.
Mael se sentit flatté.
— En tout cas, tu te débrouilles remarquablement bien avec les oiseaux. A mon avis, tu pourrais gagner ta vie en vendant tes tableaux.
Il le pensait sincèrement. Au cours des nombreuses soirées sélect auxquelles il avait participé, il avait eu l'occasion de croiser de nombreux amateurs de peintures.
— Comme un travail ?
— Oui, c'est cela. Tu as aussi la possibilité de vendre tes cheveux, mais on n'est pas dans Les Misérables !
Évidemment, Ray ne sachant pas lire, il ne connaissait pas cette référence littéraire et Mael dut lui expliquer comment la pauvre Fany réduit à la pauvreté en était venu à cela.
— C'est affreux, souffla Ray.
— Ce n'est qu'une histoire, affirma Mael, tout en songeant que les gens dans la misère ne manquaient pas dans la réalité.
Il ne put toutefois se résoudre à le dire. Ray était déjà convaincu que le monde extérieur était horrible. Il était inutile d'en rajouter une couche.
Il enchaîna :
— Actuellement, tu vis aux crochets de ta mère, mais à ton âge, être indépendant serait une bonne chose.
— Ah...
Mael perçut la tristesse dans la voix du jeune homme et fit machine-arrière :
— Enfin bon, il y a plein de jeunes qui vivent de nos jours chez leurs parents sans gagner un sou durant leurs études.
Ray voulut en savoir plus et Mael s'exécuta. Ils parlèrent ainsi pendant des heures entières, abordant des sujets forts divers. C'est la faim qui leur fit réaliser le temps qui s'était écoulé. Mael partit s'acheter à manger, mais revint aussitôt après et resta collé à la porte jusqu'à ce que Ray, inquiet que sa mère ne tarde pas à rentrer, pousse Mael au départ.
Ce dernier promit de revenir quand il pourrait, évitant de fixer une date.
— Je t'attendrai, déclara Ray.
Il n'avait pas d'autre choix puisqu'il était enfermé. Mael ne le souligna pas. Il avait l'impression que le jeune homme commençait à le croire sur la manière dont le monde tournait, mais n'était pas prêt pour autant à vouloir quitter sa prison.

mardi 16 février 2016

Contes modernes - 218

Ray lui répondit la même chose en écho, mais de façon étouffée car il avait posé la main sur sa bouche à l'endroit où Mael l'avait embrassé.
Mael faillit rester, mais s'en fut malgré tout, escomptant en discuter le lendemain.

Il ne put hélas visiter Ray comme prévu, son agent ayant rempli son agenda sans l'en informer au préalable. Toute la journée, il en fut malade : il n'avait aucun moyen de prévenir Ray. Gérard l'enjoignit à se montrer plus souriant, mais c'était impossible.
— Toujours dans la lune, maugréa son agent.
Mael ne put qu’acquiescer, comprenant que si Ray lui plaisait autant, c'était sans doute parce que lui aussi était coupé de la réalité, même si c'était d'une autre façon que lui.
Après le baiser, c'était vraiment gênant de manquer à sa parole.
Hélas, ce ne fut qu'en soirée que Mael fut finalement libre, trop tard pour aller voir Ray, à moins de faire connaissance avec sa mère, ce qui n'était pas souhaitable pour le moment.

Tôt le matin, après s'être déguisé, il se rendit à l'immeuble où vivait enfermé le jeune homme. Il pleuvait malheureusement fort, rendant trop dangereux, pour ne pas dire mortel, le passage par le toit.
Mael sonna et toqua trois coups à la porte. Il n'y eut pas de réponse alors que c'était le code dont ils avaient convenu ensemble.
Il appela le jeune homme et enfin sa voix flûtée retentit de l'autre côté du battant.
— Je suis là. Je peignais.
— Je suis désolé de t'avoir fait faux-bond hier. C'est à cause de mon travail...
— En quoi consiste-t-il ?
— Je suis acteur. J'incarne différents personnages dans des films.
Ray demanda des précisions et Mael se retrouva à dire qu'il jouait la comédie – une certaine forme de mensonge. Il se mordit la langue, se reprocha de ne pas l'avoir tourné sept fois dans sa bouche : ce n'était pas comme ça que Ray allait être convaincu de ce qu'il lui avait exposé sur le fonctionnement du monde.
Ray ne releva pas qu'il était en quelque sorte un affabulateur professionnel et sautant du coq à l'âne posa une nouvelle question :
— Pourquoi le baiser sur mes lèvres ?
— Parce que tu me plais, avoua Mael.
— Vous avez envie de me caresser et tout le reste ?
— Oui. Cela te dérange ?
Il y eut un silence qui fit regretter à Mael qu'ils n'aient pas cette conversation face à face.
Que ferait-il si Ray ne voulait plus lui parler, plus lui ouvrir la fenêtre ?
— Ray ?
— Oui... Non, cela ne me pose pas de problème. J'ai aimé.
Mael l'aurait volontiers embrassé à nouveau, là sur le champ s'il n'y avait eu cette fichue porte et cette maudite pluie.
— Tu m'en vois ravi.
Peut-être n'était-ce pas très correct de sa part de profiter du fait que Ray n'avait d'autre choix que lui pour expérimenter tout cela, mais à l'amour comme à la guerre...

lundi 15 février 2016

Contes modernes - 217

Pas plus tard que le lendemain, Mael recommença son numéro d'équilibriste sur le toit de l'immeuble. Ray l'accueillit d'un doux sourire en lui tendant deux mains aux doigts tâchés de peinture.
— Je ne sais vraiment pas quoi penser de ce que vous m'avez raconté, mais j'aimerai en savoir davantage sur le monde hors de ses murs. Maman se refuse à m'en dire plus.
— Tout ce que tu veux. Je suis motivé pour t'apprendre tout de A à Z. Et promis, je ne prétendrai pas que les bébés sont apportés par les cigognes !
Cela avait été plus fort que lui, se morigéna Mael. Il avait fallu qu'il oriente la conversation sur la sexualité.
Ray fronça les sourcils et tira pensivement sur le haut de sa tresse.
— Ce n'est pas comme ça que cela se passe ? Comment alors ?
Sa mère avait osé...!?  Quelle folle-dingue !
— Il faut un homme et une femme, le sexe du premier s'emboîtant dans celui de la seconde pour y déposer sa semence. Après, il est toujours possible pour deux femmes et deux hommes de s'aimer et se câliner sans but reproductif.
Là encore, Mael s'en voulut d'avoir débordé de la question.
— Le sexe, c'est-à-dire ?
Ray partait de tellement loin qu'il allait lui falloir un dessin !
— Ce qui te pend entre les jambes.
Le jeune homme posa la main sur sa tunique là où devait se trouver son pénis.
C'était une vision troublante. Mael sentit son propre membre se durcir et étouffa un gémissement. Tout ça, c'était sa faute... C'était lui qui s'était aventuré sur ce terrain.
— Tu as mal quelque part ? s'inquiéta aussitôt Ray.
— Non, je suis en pleine forme, répliqua Mael.
Il aurait même aimé l'être moins pour le coup.
— Comment ça marche au juste ? le relança Ray.
Mael lui décrit comme il put le sexe féminin et la manière dont le masculin pouvait le pénétrer. Il éprouvait un étrange embarras sous le regard jaune d'or et sa voix ralentit.
— Et quand il n'y a pas de bébé, entre hommes ou entre femmes, comment ça peut fonctionner ?
Il n'avait pas oublié ce que Mael avait dit. A la réflexion, c'eût été préférable.
Mael se racla la gorge et détailla la façon dont deux femmes pouvaient se caresser pour se donner du plaisir, puis passa à comment deux hommes procédaient.
Ray fut interloqué par l'idée que l'endroit servant à évacuer des excréments puisse être utilisé ainsi.
La sonnerie du mobile de Mael l'empêcha de développer davantage. C'était son agent.
Mael n'eut d'autre choix que de décrocher. Gérard lui rappela la nécessité de se décider pour un des scripts qui lui avait été envoyé et lui reprocha de ne pas avoir les pieds sur terre. Mael promit de s'en occuper et s'excusa ensuite auprès de Ray.
— J'ai du boulot qui m'attend.
Ray ne masqua nullement sa déception, mais se montra compréhensif.

vendredi 12 février 2016

Contes modernes - 216

— A vingt-trois ans, tu ne devrais pas te laisser dicter ta conduite par ta mère pour tes cheveux comme au sujet des sorties.
— Ah...
— Je suis prêt à te protéger de tous les dangers de l'extérieur.
Ray ne l'accusa pas de fanfaronner, se contentant d'une petite moue dubitative des plus charmantes. Mael ne pouvait lui donner tort de le soupçonner d'en être incapable : s'ils étaient photographiés par des paparazzis, il n'aurait guère de moyen de le prémunir de la tourmente qui en résulterait.
Il reprit :
— Ta mère n'a pas le droit de te garder enfermé comme elle le fait.
— Non ?
— A moins d'être malade, les enfants sont supposés aller à l'école où j'ai bien l'impression que tu n'as jamais mis les pieds. Sans compter que tu as largement dépassé l'âge de la majorité.
— École ? Âge de la majorité ? Je ne comprends pas...
Elle l'avait gardé dans l'ignorance de tellement de choses...
Elle n'avait pas été jusqu'à prétendre que le reste du monde avait été détruit qu'il n'y avait plus qu'eux deux – scénario digne d'un film catastrophe – qui aurait pu justifier l'enfermement de Ray, mais le résultat était le même.
Mael tâcha de lui expliquer les deux concepts.
Ray l'écouta avec attention, puis s'inquiéta que ces enfants mis tous ensemble ne se refilent leurs microbes en permanence.
Encore une peur qu'elle lui avait instillé ! Mael n'y tint plus et il se lança dans une grande tirade sur le fonctionnement du monde.
Ray le regarda fixement, ses grands yeux écarquillés par l'incrédulité. Il faut dire que les propos de Mael devaient contredire bon nombres de sa génitrice.
— C'est faux, balbutia finalement Ray en secouant la tête, profitant d'une pause.
Pour lui, le menteur ne pouvait être que Mael.
— Je conçois que tu aies du mal à me croire et je ne peux t'y obliger. Réfléchis-y juste. Seuls les criminels et les fous sont enfermés, les autres circulent en liberté. Si tu n'as rien fait de mal et que tu as la santé, il n'y a aucune raison que tu ne quittes jamais cet appartement. Et si c'est le poids de tes cheveux qui t'en empêchent, alors coupe-les !
Ray se tordit les mains. Mael réalisa qu'il le poussait trop dans ses retranchements. Il mettait sens dessus dessous son univers sans délicatesse aucune.
— Désolé, je vais te laisser...
— Mais vous reviendrez ? le coupa aussitôt Ray.
Sa demande soulagea Mael. Même si le jeune homme était bouleversé par les révélations qu'il venait de lui faire sur comment les choses se passaient, il souhaitait le revoir. Il en aurait eu le cœur brisé si Ray lui avait intimé de ne plus revenir.
— Si tu veux bien, avec plaisir.
— Même si je ne suis pas forcément d'accord avec ce que vous dîtes, j'apprécie votre compagnie, assura Ray.
Mael aimait toutes ses réactions. En un sens, c'était grâce à sa mère qu'il était ainsi, si franc et si pur... La vie qu'elle lui imposait n'en était pas moins terrible. Cependant, le libérer contre son gré n'aurait eu que peu de sens. Il fallait que Ray veuille de lui-même quitter sa cage pour affronter l'extérieur. Tout n'y était pas rose ou blanc, mais tout n'était pas aussi affreux que la mère du jeune homme lui avait dépeint.
Mael repartit par la fenêtre sous l'œil inquiet de Ray.

jeudi 11 février 2016

Contes modernes - 215

— Rhabillons-nous pour ne pas prendre froid. La fenêtre est ouverte et ce n'est jamais que le printemps.
Ray opina et s'exécuta pendant que Mael remontait son pantalon, peinant à le refermer avec son pénis dressé. Il faudrait qu'il lui explique plus tard ce qu'était le sexe. Mieux valait pour l'heure faire connaissance.
— Tu me fais visiter ? suggéra Mael, s'intéressant à ce qui l'entourait.
Jusque là tout son attention était restée fixée sur le jeune homme.
Ils se tenaient dans un salon de taille modeste avec une cheminée à priori jamais utilisée et deux fauteuils chacun flanqué d'une petite table.
Ray lui montra une étroite cuisine et une salle de bains du même acabit. La chambre de sa mère était verrouillée et hors limite. Celle de Ray comportait une fenêtre, mais qui avait été condamnée. Les murs dont la peinture blanche s'écaillait étaient recouverts de tableaux et broderies représentant des fleurs et des oiseaux. Le sol  consistait en un vieux plancher sur laquelle la tresse de Ray glissait sans peine.
S'il n'y avait eu un lit d'une simplicité monacale, on se serait cru dans l'atelier d'un peintre, car il y avait là pas moins de sept chevalets tous occupés par une toile en cours et une table envahi par les tubes de couleurs et les pots de pinceaux.
Mael prit le temps d'admirer les œuvres de Ray. Il lui semblait que tous ses oiseaux représentaient le désir de liberté du jeune homme. Aucun n'était en cage et rare ceux qui étaient posés sur une branche, la majorité était dans le ciel, les ailes déployées.
— Toi, tu aurais envie de t'envoler et quitter le nid familial que cela ne m'étonnerait pas.
Ray pencha la tête sur le côté.
— Dès fois, je n'en peux plus d'être confiné ici, mais les bruits en provenance de la rue sont parfois bien effrayants entre les cris et les drôles de ronflements...
— La questions, c'est plutôt pourquoi le reste du monde quitte chaque jour son logis et pas toi. Ta mère elle-même le fait.
— Elle n'aime pas ça. Les gens sont méchants et cruels.
— Moi aussi, alors ?
Ray baissa les yeux sur ses pieds, soudain fasciné par ses orteils qu'il avait au demeurant fort jolis.
Mael ne résista pas au désir de lui relever le menton d'un doigt pour voir sa mine embarrassée. Tant de pureté n'aurait pas dû être permis.
— Peut-être que maman se trompe. Je lui ai souvent demandé de me laisser l'accompagner dehors pour que je me fasse ma propre idée, mais elle a toujours refusé. Elle ne veut pas que je sois blessé et puis elle pense que ce ne serait pas pratique avec mes longs cheveux.
— Tu n'aimerai pas les couper ? Cela doit te peser, non ?
— Je n'ose pas. Je m'y suis habitué. Ils font parti de moi et j'ai peur la réaction de maman.
Que répondre à ça ? Être craintif n'était pas forcément dans sa nature, cela avait tout l'air d'être le fruit de son étrange éducation.

mercredi 10 février 2016

Contes modernes - 214

Il nota la présence d'un escabeau au bout du couloir à moitié masqué derrière un vieux plastique. Il ôta sa casquette et lunettes qu'il rangea dans les poches de sa veste et effectua un second tour de l'étage avec les yeux aux plafond. Il repéra enfin la discrète trappe qui devait mener au toit. Il ne perdit pas de temps : il amena et déplia l'escabeau dessous, monta et tira le loquet. Il se hissa ensuite sur le toit.
Le vent printanier le frappa au visage, rappel du côté plus que périlleux de son entreprise sans filet, corde ou matelas. C'est pourtant sans hésiter, le pied sûr, qu'il progressa le long des tuiles. Son grand-père avait été zingueur. Il se sentait l'âme d'un chat... Enfin, il parvint à la fenêtre où un bout de tresse dépassait et au prix d'une acrobatie, se glissa à l'intérieur.
Ray se tenait debout, les pieds nus, vêtus d'une longue chemise blanche aux boutons nacrés. Il avait d'immenses yeux d'un jaune doré, un petit nez mutin et des lèvres roses ourlées. Même s'il avait les cheveux châtains et non blonds, on aurait dit un ange tombé du ciel.
Mael brisa le premier le silence entre eux.
— Me voilà, déclara-t-il.
Ray leva la main vers son visage et toucha sa joue.
— Vous êtes réel, dit-il.
Mael profita de son geste pour l'imiter.
— Tu as la peau douce, le complimenta-t-il.
Ray ne se déroba pas à son contact et ne retira pas non plus sa main.
— Tellement, tellement de fois j'ai imaginé avoir en face de moi quelqu'un d'autre que le visage de maman ou mon reflet.
Il ne mentait ni ne jouait un rôle. Ses mots sonnaient vrais et s'accordaient avec l'expression émerveillée de son visage.
Cela contraria Mael de se dire que quiconque serait parvenu à entrer aurait eu le droit à la même chose. Sa jalousie déplacée et le voir confirmaient ses sentiments pour Ray. Il avait envie de lui inspirer les mêmes...
— Tu peux faire ce que tu veux de moi, me déshabiller si tu le souhaites, offrit-il impulsivement.
C'était une proposition étrange et indécente, mais Ray l'accueillit en toute innocence, ses yeux brillants d'enthousiasme et non de désir.
— Je peux, vraiment ?
En guise de réponse, Mael retira sa veste. Ray souleva son pull. La chemise suivit et Mael se retrouva torse nu. Les doigts de Ray se promenèrent sur ses épaules et descendirent jusqu'à son nombril.
— Vous n'êtes pas bâti comme moi.
— Normal, chacun est différent, répondit Mael le souffle court, excité.
Ray continua à le dévêtir, luttant avec la braguette du jeans noir qu'il abaissa en même temps que le boxer. Ce faisant, il libéra l'érection naissante de Mael, mais ne s'en offusqua pas. Évidemment, sa mère ne lui avait rien expliqué sur la sexualité.
— Vous êtes plus poilu que moi...
— Ah oui ? Je demande à voir, plaisanta Mael.
Ray le prit cependant au mot : il déboutonna aussitôt sa tunique et dévoila son corps dans toute sa splendeur.
Mael se sentit soudain honteux. Ray n'avait pas conscience de ce qu'il faisait. Il n'était plus un enfant, mais il était ignorant sur ce plan... et bien d'autres d'ailleurs.

mardi 9 février 2016

Contes modernes - 213

— Maman ne rentre tard et je n'ai personne d'autre à qui parler, se justifia Ray.
Était-il possible qu'il soit esseulé à ce point ? N'avait-il aucun ami ? Quelqu'un à qui parler au téléphone ou sur internet ? S'il était malade, il devait au moins voir un médecin de temps en temps...
— Il n'y a quand même pas que ta mère dans ta vie !? s'écria-t-il, incrédule.
— Je n'ai jamais vu qu'elle... Avant vous, je n'avais jamais discuté avec personne d'autre.
Sa voix était si débordante de sincérité que Mael ne put l'accuser de mentir. Cependant, si c'était la vérité, fallait-il en déduire qu'il était fou ? A moins que ce ne soit sa mère.
Cette dernière hypothèse plaisait à Mael. Si cette femme n'avait informé personne de sa grossesse et avait accouché chez elle, alors nul ne s'était inquiété que Ray n'aille à l'école ou quoi que ce soit, il n'existait pas aux yeux de la société.
— C'est ta mère qui a exigé que tu laisses pousser tes cheveux comme ça ou c'est un choix de ta part ?
— C'est maman.
Voilà qui confirmait que c'était la mère de Ray qui n'était pas saine d'esprit. Le pauvre jeune homme n'était qu'une victime qui ne connaissait du monde que ce que sa mère voulait bien lui en dire.
Mais peut-être Mael se trompait-il sur toute la ligne, peut-être que Ray était un mythomane. Dans ce cas, il menait en bateau, mais ce n'était pas sa faute. Et s'il jouait un rôle ?
Ah, si Mael avait pu le voir...
Cela l'obsédait.
S'il avait pu le toucher...
Il s'accroupit pour regarder jusqu'où descendait la porte. Il constata qu'elle allait hélas jusqu'au sol : il n'y avait pas le moindre interstice pour glisser quoi que ce soit, pas même une mèche de cheveux.
— Mael, vous êtes encore là ?
Sa façon de prononcer son prénom était adorable, de même que la pointe d'inquiétude triste qui transparaissait dans sa voix.
— Oui, désolé. Je réfléchissais à un moyen de contourner cette maudite porte, passer par la fenêtre n'étant à priori pas possible. A moins que...
Il s'interrompit. Une cascade qu'il avait effectué lui-même dans un de ses films venait de lui traverser l'esprit.
Il reprit :
— Je vais enquêter pour passer par le toit. Garde la fenêtre ouverte. Sinon, je reviens.
— Ce serait bien, mais c'est dangereux...
— Le jeu en vaut la chandelle. Et je serais prudent. Sans compter que je suis agile comme un singe.
La comparaison n'était pas très heureuse, mais c'était trop tard pour la rattraper. Mael refit le tour du septième âge. Il devait y avoir quelque part un accès au toit.

lundi 8 février 2016

Contes modernes - 212

Gérard le déposa chez lui. Mael fut presque tenté de retourner de suite à l'appartement du septième étage, mais il y renonça. Il était déjà tard. Il ne voulait pas tomber sur la mère de Ray. En tout cas, pas avant d'avoir tiré au clair les choses.  Plus il y songeait, plus il se disait que la situation était digne d'un film tellement elle était dingue.
Ray était peut-être un menteur pathologique, peut-être qu'il était défiguré... Rien n'était certain, tout ce que savait Mael, c'est que sa voix, ses magnifiques cheveux ainsi que son innocence enfantine le fascinait.

    Après une nuit à rêver qu'il grimpait en haut en s'aidant d'une corde semblable à une longue tresse, Mael se leva et se déguisa, se cachant derrière un chapeau, de grosses lunettes et le large col relevé d'une veste. Ignorant non sans scrupule la pile de scripts qu'il était supposé lire pour décider de son prochain rôle – sa popularité actuelle lui offrant le luxe de choisir  –  il partit.
Généralement, il se souciait peu d'être suivi ou non, mais là, il resta sur ses gardes et se donna la peine de semer ce qui devait être un paparazzi.
Quand il fut au pied de l'immeuble, il leva les yeux en direction du septième étage. La tresse pendait. Ray guettait-il son arrivée ?
Il faillit crier pour l'appeler, mais y renonça. Même si la rue était déserte pour l'heure, il aurait risqué d'attirer l'attention sur lui, ce qui était incompatible avec garder un profil discret.
N'ayant pas le code de l'immeuble, il dut prendre son mal en patience et attendre que quelqu'un entre à l'intérieur pour pouvoir faire de même. Il fonça ensuite droit vers l'escalier caché et le gravit d'une traite. Essoufflé, il sonna et toqua dans la foulée à la porte de Ray. La voix flûtée du jeune homme tarda à se faire entendre :
— C'est pour quoi ?
Le nombre de personnes montant jusqu'ici alors qu'il n'y avait ni ascenseur ni escalier visible devait se compter sur les doigts de la main, mais la porte étant dépourvue d'œil de bœuf, Ray n'avait aucun moyen d'être sûr que c'était Mael d'où peut-être son hésitation à répondre.
— C'est moi, déclara Mael. Nous devrions trouver un code, genre la sonnette suivi de trois coups secs à la porte.
— C'est une bonne idée, approuva Ray.  Normalement, maman ne veut pas que j'aille répondre.
Sa mère semblait le maintenir dans l'isolement en lui imposant une vie très réglementée.
— J'ai eu de la chance que tu désobéisses l'autre jour alors.
Il y eut un silence. Mael le supposa embarrassé et regretta de ne pouvoir contempler son visage troublé.
— Vous avez beaucoup insisté...
— Et tu étais curieux, termina Mael à sa place.

vendredi 5 février 2016

Contes modernes - 211

— Oh... Il y en a plus d'une qui va être déçue...
Elle, la première, à en croire sa mine désappointée.
Mael lui adressa un sourire charmeur.
— Peut-être aurais-je besoin d'être consolé, ne m'étant pas encore déclaré, j'ai toutes les chances d'être repoussé.
Elle eut un petite rire.
— Cela semble peu probable... et je suis sûre qu'aucune de vos fans ne souhaite que vous soyez malheureux en amour.
— J'en suis heureux, répondit Mael, même s'il en doutait.
L'interview se poursuivit encore un moment, puis ils quittèrent les locaux de Fanado.
A peine les portières de la voiture claquée, Gérard explosa :
— Mais qu'est-ce qui t'a pris, bon sang de bois ?
Mael savait très bien que son agent faisait allusion à sa réponse sur sa vie amoureuse.
— Je n'ai fait que dire la vérité, se défendit-il.
— La vérité, ça, on s'en branle !
A sa façon sde parler, Mael réalisa qu'il était vraiment furieux. Jamais Gérard ne mâchait ses mots, mais il se laissait rarement autant aller au niveau du langage.
En dépit de la colère de son agent, Mael ne regrettait rien.
— Allons, ce n'est pas si dramatique. Il s'agit de ma vie privée.
— Tu n'en as pas, tu es une célébrité ! s'écria Gérard en flanquant un coup dans le volant.
— Bon nombre d'acteurs et d'actrices sont mariés, argumenta Mael.
Son agent démarra la voiture. Heureusement, son éclat semblait l'avoir calmé.
— Bon, rassure-moi, c'est d'une femme dont tu t'es amouraché ?
Mael eut presque envie de lui mentir, mais comme c'était aussi bien qu'il sache, il n'en fit rien.
— Non.
— Évidemment, c'eût été trop simple... Pas besoin que je te recommande de prendre tes précautions avec les paparazzis ?
— Je ferais attention, promit Mael.
Même s'il était suivi jusqu'à l'immeuble de Ray, ce n'était pas comme s'ils pourraient obtenir un cliché intéressant avec cette fichue porte entre eux. Et, même sans ça, c'était au septième étage, sans autre accès qu'un étroit escalier poussiéreux, à moins d'escalader la façade de l'immeuble. Mael les repérerait de suite.
Son agent poussa un grognement dubitatif.
— J'ai intérêt à me tenir prêt à faire des pieds et des mains, oui.
Mael ne le contredit pas. Avec les paparazzis, on ne savait jamais. Certains torchons – le mot journal était trop beau pour eux – n'hésitait pas à trafiquer les choses pour créer du scandale là où il n'y avait rien.
Mael se demanda s'il ne ferait pas mieux de prévenir Ray des risques à le fréquenter, mais y renonça aussitôt, ne voyant guère comment lui expliquer à lui qui savait tout juste ce qu'était un film qu'il était un acteur connu dont le visage était placardé sur les bus.

jeudi 4 février 2016

Contes modernes - 210

— Il vaut mieux que vous ne passiez pas en fin de journée, par contre.
Mael devina sans peine que c'était parce que la mère de Ray était présente les soirées et qu'elle n'approuverait pas que son fils devienne ami avec quelqu'un, quand bien même chacun restait de son côté de la porte.
— C'est entendu. A bientôt.
Il descendit les escaliers lentement, encore en haut avec Ray en pensées.
Il ne réagit pas aux reproches que lui adressaient Gérard qui s'était garé sans vergogne en double file dans la rue. Il y était habitué. C'était vrai qu'il était toujours dans son monde.
Il faut dire qu'il était acteur depuis qu'il était bébé, sa mère l'ayant inscrit à une audition pour une publicité pour poussettes. Il avait enchaîné les spots jusqu'à décrocher un petit rôle dans une série télé. Repéré, il avait obtenu son premier vrai rôle, puis reçu une récompense dans un autre... Sa carrière était lancée. Ce n'était cependant qu'à l'adolescence qu'il avait vraiment percé en jouant un personnage de vampire.
Objectivement, en dépit de son indéniable talent à incarner n'importe quel personnage, il pensait que son nom – Prynse – avait joué en sa faveur, de même que son physique séduisant. Il n'était Dieu Merci pas qu'un nom et un joli visage et pouvait espérer ne pas disparaître des écrans en vieillissant.

Une fois dans les locaux du magazine, Mael tenta de se concentrer non sans difficulté sur les questions qui lui étaient posées. Les bizarreries entourant Ray ne cessaient de le travailler.
— Alors, votre cœur est toujours à prendre ? demanda la jeune journaliste.
Quand on l'interrogeait sur le sujet, Mael avait toujours assuré que oui car, jusque là, même s'il avait eu son compte d'aventures, il n'était jamais tombé amoureux. Certains papiers à scandales avait d'ailleurs fait des choux-gras de ses conquêtes et Gérard lui avait tiré les bretelles, l'incitant à davantage de discrétion, surtout quand il s'agissait d'hommes. Si le « scandale » de la bisexualité de Mael avait été évité c'était parce que son agent s'était toujours débrouiller pour étouffer les choses et faire disparaître les clichés compromettants. Mael n'avait jamais compris en quoi cela posait problème qu'il fut attiré par les deux sexes, mais il laissait son agent gérer. Ce dernier avait de la bouteille dans le métier et savait ce qu'il faisait.
La journaliste dut répéter sa question et Gérard se renfrogna.
— J'ai bien peur que non, déclara Mael sans tenir compte du regard noir de son agent.
Être célibataire et sans attache était meilleur selon lui pour l'image de Mael.
— Oh... Vous êtes couple en ce moment ?
— Non, pas encore.
— Vous avez quelqu'un en vue ?
— On peut dire ça.
Excepté qu'il ne savait pas à quoi Ray ressemblait. Cependant, la jolie voix flûtée et la longue tresse n'avait pas fait que l'intriguer...

mercredi 3 février 2016

Contes modernes - 209

— Merci, dit-il. Et sinon, que fais-tu de tes journées ?
— A part prendre soin de mes cheveux ? Je peins, je chante, je brode et je regarde par la fenêtre.
C'étaient des activités de jeune fille et surtout digne d'une autre époque. Mael ne voulut pas le vexer en lui faisant remarquer.
— Tu n'aimes pas lire ou regarder des films ?
— Livres ? Films ? Qu'est-ce que c'est ?
Mael en resta pantois. Non, il se moquait de lui. Ce n'était pas possible qu'il ne connaisse pas des choses pareilles.
— Tu plaisantes ?
— Non, vraiment, je ne sais pas.
Ce n'était pas simple d'expliquer des choses aussi communes, mais Mael s'y efforca malgré tout. Il en ressortit que Ray ne savait pas lire et n'avait jamais vu une télévision de sa vie. Le seul spectacle auquel il avait le droit, c'était celui de la rue qu'il apercevait de la fenêtre du septième étage.
C'était plus qu'étrange. D'ailleurs, tout l'était de la longue tresse à l'appartement presque caché auquel on ne pouvait accéder que par un vieil escalier en passant par l'enfermement du jeune homme et ses loisirs datés... Il ne semblait pourtant ni fou ni idiot et n'était apparemment pas séquestré contre son gré.
— Tu n'as jamais envie d'aller te promener ?
— Maman ne veut pas. C'est mauvais pour moi. Cela confirmait la théorie de la maladie. Mael se rappelait que dans un film réaliste dans lequel il avait joué, une petite fille était obligée de vivre en milieu stérile et tous ceux qui voulaient la voir devaient se désinfecter et se vêtir en conséquence.
Il n'osa cependant pas poser la question à Ray. C'était délicat.
Il en était là de ses réflexions, hésitant malgré tout à demander, quand la sonnerie de son mobile retentit. C'était la musique qu'il avait attribué à son agent, Gérard.
— Désolé. Je dois prendre la communication, s'excusa Mael auprès de Ray.
— Où es-tu ? Tu as oublié l'interview que tu es supposé donner au magazine Fanado ?
C'était en effet complètement sorti de la tête de Mael. Même s'il était entre deux films, et par conséquent plus libre qu'en période de tournage, il y avait la promotion à assurer.
— Pardon, j'arrive.
— Écoute, je suis en voiture. Je viens te chercher.
Mael lui assura qu'il pouvait le rejoindre, mais finalement lui donna l'adresse. Au bout du compte, il ne parvenait jamais à avoir le dernier mot avec son agent.
— Je vais devoir y aller, annonça-t-il à Ray.
— Vous reviendrez ?
Mael sourit. Le jeune homme l'avait devancé, car il allait justement le lui promettre.
— Bien sûr.

mardi 2 février 2016

Contes modernes - 208

— Et tu n'es pas autorisé non plus à parler aux inconnus, si ? laissa-t-il échapper.
— C'est vrai, je ne devrais pas discuter avec vous... soupira la voix.
— Bah, tu ne risques rien du moment que tu ne m'ouvres pas, répliqua précipitamment Mael qui souhaitait poursuivre la conversation et craignait d'avoir bêtement dissuadé la personne derrière la porte de le faire.
— Je voudrais que je ne pourrais pas. Il n'y a que maman qui ait la clef.
Enfermer son enfant n'était pas totalement incongru, mais c'était tout de même dangereux si un incendie se déclenchait...
— Quel âge as-tu ?
— Vingt-trois.
C'était bien trop vieux pour être interdit de sortie et gardé sous clef.
Mael rationalisa : il y avait des cas de figure qui pouvait expliquer cette bizarrerie. Par exemple si c'était un handicapé mental... La voix lui semblait intelligente, mais en même temps, jusque là, ils n'avaient abordé aucun sujet compliqué.
Mael ne chercha pas à vérifier son hypothèse immédiatement. Au fond, cela n'avait pas d'importance. Le seul truc qui l'embêtait dans l'affaire, c'est qu'il ne pourrait voir « la tresse » et la personne qui était au bout.
Mael savait qu'il aurait mieux fait de s'en tenir là, mais il reprit :
— Et tu ne t'ennuies pas enfermé dans cet appartement ?
— Maman m'a dit et répété que le monde extérieur était laid et dangereux.
— Certes, mais il n'est pas que cela, riposta Mael, notant que sa question avait été esquivée.
Assurément, cela ne devait pas être drôle tous les jours de rester entre quatre murs.
La voix ne réagit pas. Mael enchaîna :
— Tu t'appelles comment ?
— Ray.
C'était un prénom de garçon. Contre toute probabilité, les hommes étant plus du genre à fantasmer sur les chevelures qu'à en posséder, le propriétaire de la tresse était de sexe masculin.
— Et vous ?
C'était la première manifestation de curiosité de son interlocuteur à son égard.
— Mael, répondit-il.
Il faillit ajouter qu'il l'avait peut-être déjà vu à la télé, mais se retint : l'anonymat était confortable.
— Et vous avez quel âge ?
— Trente-deux.
Il y eut un silence. Mael chercha à relancer la conversation :
— Tu possèdes une très jolie voix, déclara-t-il.
Il le pensait et espérait fort que cela motiverait Ray à reprendre la parole.
— La vôtre aussi est belle.
Mael était habitué à ce qu'on le complimente sur ses yeux bleus, ses cheveux noirs, son corps musclé, son jeu d'acteur... Il fut cependant touché par ces mots simples et directs : il n'y avait aucun calcul là-dedans, aucun désir de profiter de sa notoriété puisque Ray ignorait que Mael était un acteur en vogue.

lundi 1 février 2016

Contes modernes - 207

Il tenta finalement sa chance. Une femme entre deux âges, aux mèches mi-longues emmêlées et à  l'air fatigué vint lui ouvrir.
Mael, d'instinct, sut qu'il s'était trompé. Le ou la propriétaire de la tresse qu'elle soit vraie ou fausse ne pouvait pas prendre aussi peu soin de ses cheveux.
— Désolé, c'est une erreur, dit-il de suite, sans même prendre la peine de l'interroger sur la tresse.
Elle fronça les sourcils, mécontente sans doute de s'être dérangée pour rien. Il s'excusa encore. Elle referma.
Il fit un second essai. Il ne se passa rien après qu'il eut pressé la sonnette et il se demanda s'il n'y avait personne, mais il insista et toqua. Il se sentait bête, mais sa curiosité était plus forte.
Il était sur le point de faire volte-face pour le troisième appartement de l'étage quand, derrière le battant, une jolie petite voix flûtée retentit :
— C'est pour quoi ?
Mael mentit.
— C'est pour un sondage.
— Un sondage ? répéta la voix de façon hésitante.
C'était difficile de déterminer le sexe ou l'âge de la personne avec laquelle il parlait, cependant, le fait qu'elle ne se montre pas avait un côté mystérieux qui collait bien avec l'immense tresse.
— Oui, sur les cheveux.
Il regretta sa déclaration à peine l'eut-il faite. Il aurait pu trouver mieux qu'un sondage bidon, mais après tout, il était acteur, pas scénariste. Il apprenait ses dialogues, il ne les inventait pas. Il fit machine-arrière. Le plus simple était encore de se montrer honnête.
— En fait, j'ai vu pendre une longue tresse sur la façade de l'immeuble et ça me travaille. J'aurais voulu savoir si c'était des vrais ou des faux...
Cela ne le regardait pas et la mystérieuse personne derrière la porte pouvait très bien l'envoyer promener.
Après un silence, la réponse arriva néanmoins :
— Ce sont les miens.
— Ils sont sacrément longs. Ça doit être du boulot de les entretenir.
— Cela m'occupe, rétorqua la voix.
— Vu la longueur, cela ne vous empêche pas plutôt de sortir ?
— Maman ne veut toute façon pas.
La réponse laissa Mael perplexe. Il fallait de nombreuses années pour que les cheveux poussent et puis les enfants étaient autorisés à aller dehors pour peu d'être accompagnés... A moins bien sûr qu'ils ne soient malades. C'était tout de même une étrangeté supplémentaire. Au lieu de s'éclaircir, le mystère s'épaississait.