vendredi 31 mai 2013

Le garçon fée - 6 et 7

– Tu vas porter des vêtements de fille, pouffa Rozélita.
La jeune vendeuse qui assistait à la scène, la corrigea :
– De fée.
Zibulinion en déduisit que les autres garçons fées seraient logés à la même enseigne et cela le consola un peu. Il restait à digérer la nouvelle qu'une fois à l'école des fées, il ne reviendrait qu'aux vacances.
Sa mère le pressa d'achever ses achats, et l'adolescent, avec l'aide de la vendeuse, partit en quête de la chemise de nuit.
Zibulinion n'eut pas le courage de l'essayer et il rejoignit sa mère et sa sœur à la caisse avec, le moral au plus bas.
Une fois que tout fut payé et empaqueté, ils repassèrent par le devant de la boutique de vêtement et remontèrent en voiture.
Alysielle  se gara devant une librairie papeterie portant le doux nom de « La plume des fées » et comme dans la boutique de vêtements, montra une pincée de poudre à une des libraires qui leur ouvrit un étage inaccessible aux humains.
La décoration entre la partie visible à tous et celle réservée aux fées changeait du tout au tout. Point de banal couleur crème aux murs, mais des teintes changeantes, terminé le lino sans caractère et bonjour, sol miroitant. Les étagères n'étaient plus en bois contreplaqué peint en blanc, mais en fer forgé tordu avec art. Il n'y avait plus l'ombre d'un bouquin de poche, que de magnifiques livres reliés. Zibulinion resta en admiration devant les épaisses couvertures aux titres en relief, pendant que sa mère s'éloignait avec Rozélita au rayon pour enfants.
Zibulinion qui était assurément plus à son aise au milieu des livres que des vêtements, finit par sortir de sa poche la liste du matériel dont il avait besoin. Une librairie féérique ne différant pas tant que ça d'une classique, l'adolescent eut tôt fait de repérer le coin dédié aux ouvrages scolaires et il commença à réunir les livres indiqués.
Il ne lui en manquait plus que deux, quand soudain, un blondinet aux ailes bleutés apparut, un papier similaire à celui de Zibulinion à la main. Lui aussi devait chercher ses livres de classe.
Il contempla la pile de livres de Zibulinion et lança d'une petite voix fluté :
– Moi aussi, j'ai besoin de ces manuels-là. Tu les as pris où ?
Zibulinion s'était mis à aider le garçonnet quand une femme superbe à la chevelure fauve arriva, le souffle court, suivi d'un magnifique adolescent doté de la même teinte de cheveux.
– Zurmmiel ! s'écrièrent-il en chœur.
Le blondinet fronça le nez et se défendit du reproche encore non formulé :
– J'en avais assez d'attendre ! Il n'y a pas que Folebiol qui va à l'école, moi aussi désormais ! Et je peux me débrouiller tout seul !
La mère du petit Zurmmiel se fâcha tandis que son frère, le dénommé Folebiol regardait Zibulinion avec une intensité embarrassante. Décidé à ne pas se laisser faire, Zibulinion lui rendit la pareille, et le détailla des pieds à la tête, tentant de lui trouver un défaut. C'était peine perdue. Folebiol était un fée tout à fait splendide, une peau de pêche, des yeux émeraudes, un nez mutin, une silhouette mince, deux ailes brillantes...

– Tu viens d'emménager dans le coin ? demanda Folebiol pendant que Zurmmiel continuait à se faire gronder.
Zibulinion secoua la tête, vaguement contrarié de constater que même la voix de l'adolescent était parfaite : grave et mélodieuse.
– C'est bizarre que je ne t'ai jamais vu à l'école. Tu n'es pas un fée ?
Avant que Zibulinion n'eut à faire apparaître ses ailes pour lui prouver que si, la fée aux cheveux fauve s'immisça dans leur conversation :
– Même les humains qui connaissent notre existence ne sont pas supposés se promener dans les parties féériques, Folebiol. Et surtout, il possède des ailes, même si elles sont cachées. N'as-tu pas encore appris à percer ce genre de masque, à l'école ?
– Moi, je savais qu'il était un fée. Il a besoin des mêmes bouquins enquiquinants que moi ! intervint Zurmmiel, avec fierté.
La mère du garçonnet jeta un coup d'œil incrédule à la pile de livres que tenait Zibulinion. Cela ne devait pas arriver souvent qu'un adolescent de quinze ans entre en première année...
– Tu as été malade ? questionna Folebiol.
La fée aux cheveux fauves lui reprocha aussitôt son indiscrétion, évitant à Zibulinion d'avoir à répondre.
Zurmmiel, pas perturbé pour un sou, lança avec un large sourire :
– Je suis sûr que je ne serais pas le seul garçon de ma classe, au moins !
Folebiol doucha l'enthousiasme de son petit frère :
– Rien n'est moins sûr, il y a trois classes par année.
Zurmmiel, sans se laisser démonter, répliqua :
– Oui, mais la directrice, elle met les garçons ensemble jusqu'au moment de la division par spécialité. Maman me l'a dit.
Zibulinion écoutait avec intérêt l'échange houleux entre les deux frères, glanant ce qu'il pouvait comme information sur l'école, quand la mère des deux garçons s'écria :
– Mais qu'est-ce que j'ai fait à Dame Nature pour qu'elle me donne deux petits fées aussi turbulents !
Zurmmiel comme Folebiol se turent aussitôt. Zibulinion, un peu gêné d'assister à cette mise au point familiale, fit mine de s'intéresser à un épais livre intitulé Fées des mythes sur le plus proche présentoir, ce qui n'empêcha pas la fée aux cheveux fauve de lui adresser la parole :
– J'espère que tu voudras bien être ami avec mes deux fils. Les garçons sont en minorité à l'école, alors, vous devez vous serrer les coudes.
Zibulinion qui s'attendait à des protestations de la part du petit comme du grand, eut la surprise de les entendre enchérir et soudain, il lui apparut que sa nouvelle école ne serait peut-être pas si horrible que ça.

jeudi 30 mai 2013

Le garçon fée - 5

L'adolescent avança bravement, le nez en l'air, pour repérer ce qu'il cherchait, imaginant avec désespoir à quel point il serait ridicule dans une robe rose. Il tournicotait depuis un moment, quand une fée aux cheveux de neige, une vendeuse d'un certain âge, vola jusqu'à lui et offrit de l'aider. Zibulinion bafouilla qu'il avait besoin de l'uniforme pour l'école des fées, en montrant sa liste. La fée la regarda, et commenta, les sourcils froncés :
– C'est le matériel demandé aux premières années...
Zibulinion n'en savait rien, pas plus qu'il n'était au courant qu'on pouvait être pensionnaire là-bas.
– Il y a dû avoir erreur, reprit la fée. Si mon petit doigt ne me trompe pas, tu dois être en 9ème année.
– Je vais y aller pour la première fois, objecta l'adolescent.
– Oh... Je crains que cela ne soit problématique. Les robes roses aux étoiles moirées sont taillées pour les 7-10 ans, expliqua la fée. Ceci dit, même l'habit d'école des 13-16 ans risque de ne pas te convenir, ajouta-t-elle, avec un embarras qui fit deviner à  Zibulinion que sa corpulence était en cause.
– Il existe des robes qui ressemblent à celle indiquée ? demanda l'adolescent, la mort dans l'âme, se disant que même s'il n'était pas encore à l'école des fées, il goûtait déjà l'enfer que cela allait être.
La vendeuse aux cheveux de neige opina et en deux coups d'ailes, monta lui dégoter une robe rosée décorée d'étoiles brillantes, puis elle l'amena aux cabines d'essayages.
Zibulinion tira le rideau d'un argent métallisé, ôta à contrecœur son confortable sweat-shirt et jeans pour enfiler la robe dans laquelle il dut se tortiller pour entrer. Le reflet que lui renvoya la glace qui ornait le fond de la cabine était celui d'un garçon grotesque qui ressemblait à une parodie de fée. Le corsage le serrait et  l'aération par le bas n'arrangeait rien. C'était inconfortable et ridicule. Il se dépêcha de l'enlever et de remettre ses vêtements.
– Vous la prenez ? demanda la vendeuse qui l'avait attendu.
Le « non » qui brûlait les lèvres de Zibulinion, se transforma en un hochement de tête résigné. Il n'avait pas le choix puisqu'il était obligé d'aller à l'école des fées.
La fée se proposa ensuite de le conduire au rayon des chaussures, ce que l'adolescent accepta volontiers. Là aussi, il dut se contenter de sandales ressemblantes, les pointures ne correspondant pas, puis après avoir remercié la vendeuse, il partit à la recherche de sa mère et de sa petite sœur.
Quand il les retrouva, il dut attendre que sa mère ait finie de bavardé avec la vendeuse avant qu'elle daigne s'intéresser à lui.
– Tu as trouvé tout ce qu'il te faut ?
Zibulinion montra la robe et les sandales, sans préciser que ce n'était pas exactement ce qui était écrit sur la liste.
– Il te manque la chemise de nuit, remarqua Alysielle.
– Mais je... commença Zibulinion, en écarquillant les yeux.
Il ne s'était pas imaginé une seule seconde qu'il serait pensionnaire à temps plein à l'école des fées.
Il n'acheva pas sa phrase. Il comprenait mieux pourquoi sa mère s'était résignée aussi facilement à ce qu'il y aille après toutes ses années à se débrouiller pour que cela n'arrive pas : c'était une façon de se débarrasser de lui.

mercredi 29 mai 2013

Le garçon fée - 4

Après la terrible nouvelle, rien ne se passa et Zubilinion put faire semblant que sa vie allait continuer comme avant, tranquille et routinière.
Et puis, soudain, quinze jours plus tard, dans l'après-midi, Alysielle apparut dans la chambre de Zibulinion dans un nuage de fumée violet et annonça qu'elle se rendait en ville acheter de nouvelles tenues à Rozélita et que c'était l'occasion de s'occuper de cette maudite liste de fournitures scolaires pour l'école des fées.
Zibulinion dut abandonner séance tenante le bouquin de philosophie qu'il lisait et suivre Alysielle dans le salon où Rozélita, toute contente à la perspective d'avoir de nouveaux vêtements trépignait d'impatience. L'adolescent aurait aimé partagé l'enthousiasme de sa petite sœur, mais il était plein d'appréhension. C'était la première fois qu'il allait mettre les pieds dans des magasins féériques. Sa mère avait jusque là toujours refusé qu'il l'y accompagne.
Après un court trajet, Alysielle gara sa voiture devant une petite boutique de vêtements dont la vitrine laissait voir des habits pour femmes et enfants on ne peut plus traditionnel. Le nom « Les mains de fées » écrit en lettres argentées était le seul élément permettant de soupçonner que tous les clients n'étaient pas humains.
Quand ils entrèrent, la cloche tinta joliment. Alysielle s'approcha immédiatement d'une ravissante vendeuse, tira de sa poche une petite bourse en soie et lui montra une pincée de poudre brillante, l'argent des fées. La jeune femme, une fée à ne pas en douter, lui demanda de bien vouloir la suivre. Elle les conduisit dans l'arrière-boutique où d'un coup de baguette magique, elle leur donna accès à un magasin qui avait une toute autre allure que celui de devant. Les murs chatoyaient, la moquette bleue était pailletée d'or, et les habits étaient suspendus dans les airs.
La vendeuse les invita à « libérer » leurs ailes, autrement dit, les rendre visibles. En un instant, Alysielle les déploya, grandes et translucides. Rozélita l'imita aussitôt. Zibulinion, lui, dut se concentrer pour y parvenir. Le coup d'œil horrifié de la vendeuse lui fit regretter, cependant, c'était trop tard.
Alysielle tendit alors la liste de fournitures à Zibulinion, demanda à la vendeuse de  bien vouloir lui montrer les robes pour petites filles et entraîna Rozélita sur les talons de la jeune femme.
L'adolescent resta interdit un instant, puis regarda ce qu'il avait besoin d'acheter. Il y avait  là des choses classiques, comme des cahiers et des classeurs, mais d'autres qui ne l'étaient pas. Assurément, tous ses livres de magie ne devaient pas se trouver dans les librairies normales. Et hormis, dans les magasins jouets, il devait être impossible de dénicher une baguette magique... Zibulinion tiqua en constatant que l'uniforme de l'école exigé était une longue robe rose piquetée d'étoiles moirées accompagnée de deux sandales nacrés et que les pensionnaires devaient également acquérir une chemise de nuit blanche.

mardi 28 mai 2013

Le garçon fée - 3

Zibulinion chassa ses pensées déprimantes et  s'installa devant son bureau métallique. Il n'y avait rien de tel que les études pour s'abstraire. Il relut ses leçons, notant les points qu'il pouvait approfondir, puis s'attaqua aux devoirs donnés par ses professeurs.
Hélas, quand il eut terminé, son malaise revint. L'école des fées, c'était l'inconnu et en magie, il n'y connaissait rien. Maîtriser le sort qui rendait ses ailes invisibles avait été très dur. Alysielle s'était énervée qu'il se révèle aussi peu doué. Vraiment, Zibulinion aurait préféré être un simple humain, plutôt qu'un fée. Au moins, à l'école normale, il pouvait briller par son intelligence et ramener des bulletins scolaires modèles où toutes les notes avoisinaient le vingt, sauf en sport où il s'en tirait malgré tout honorablement, n'en déplaise aux préjugés de ses camarades.
N'être pas beau aurait été moins dramatique s'il n'avait pas été un fée. Victor, son beau-père, un humain qui avait appris l'existence des fées en devenant le mari de Alysielle, affirmait régulièrement que sa fille Tania, même sans ailes et sans la plus petite once de pouvoir magique aurait fait une meilleure candidate que Zibulinion et c'était vrai, car elle était jolie comme un cœur avec ses cheveux d'or et ses yeux de biche.
Zibulinion avait bien fait des efforts pour arranger son apparence et devenir un fée dont sa mère pourrait être fière. Après lecture de manuels de diététiques, il avait suivi des régimes draconiens pour maigrir, malheureusement sans effet. Son poids n'était pas le résultat d'une mauvaise alimentation, c'était sa morphologie. Il avait passé du temps à chercher des shampoings pour rendre ses cheveux plus brillants sans plus de succès. Il avait demandé à sa mère s'il n'existait pas des produits pour que ses ailes soient plus belles et elle lui avait ramené des échantillons d'un magasin féérique, sans aucun résultat. Zibulinion s'était résigné et consolé avec l'intime conviction que l'important se trouvait à l'intérieur. Que sa mère soit persuadée du contraire ne l'aidait évidemment pas et que la plupart des gens s'en tienne au paraître, l'amenait parfois à douter. Dans sa classe, au collège, il y avait une fille enrobée au visage boutonneux avec qui il avait essayé de sympathiser et qui, croyant qu'il voulait devenir son petit ami, l'avait rejeté en lui jetant à la figure qu'il était moche. L'expérience avait été douloureuse. De façon ironique, même ceux moins gâtés par la nature étaient attirés plus par l'enveloppe que par le contenu... Il restait toutefois le réconfort d'être entouré de gens qui n'étaient pas tous des modèles de beauté, un avantage qui allait disparaître à l'école des fées où tout le monde, sauf lui, serait agréable à regarder. Plus il y songeait, plus la perspective semblait cauchemardesque à Zibulinion.

lundi 27 mai 2013

Le garçon fée - 2

Alysielle réagit cette fois :
– Si j'avais mon mot à dire, tu n'y mettrais pas les pieds, sauf que c'est la loi, toute fée doit y être éduquée. J'ai fait ce que j'ai pu pour éviter que cela arrive, mais je n'ai plus choix... Il n'empêche que tu n'as pas intérêt à souffler mon nom à quiconque quand tu y seras. C'est déjà bien assez pénible que la directrice soit au courant que tu es mon fils.
Zibulinion sentit son cœur se serrer. Sa mère avait honte de lui depuis le jour de sa naissance. Elle qui avait rêvé de mettre au monde une jolie fille, et à défaut un mignon petit garçon, avait été fort déçue de se retrouver avec petit tas rouge et fripé aux ailes froissées. Quinze ans s'étaient écoulés depuis, le physique de Zibulinion ne s'était pas amélioré et Alysielle n'avait jamais réussi à s'en remettre. Zibulinion avait compris que c'était à cause de lui que ses parents s'étaient séparés, même si sa mère ne lui avait pas dit explicitement. Une fois où il avait osé l'interroger sur son père, elle avait été contrariée et lui avait répondu que ce dernier était persuadé que Zibulinion n'était pas son fils et qu'il était inutile de chercher à le rencontrer. 
L'adolescent allait promettre qu'il n'en ferait rien, quand sa demi-sœur âgée de six ans, Rozélita, débarqua, mignonne et fraîche comme une rose, ses ailes irisées déployées avec grâce dans son dos.
– Maman, j'ai faim ! lança-t-elle.
Alysielle lui sourit et alla caresser la tête blonde de la petite fille.
– Qu'est-ce que tu veux manger, mon ange ?
– Des céréales au chocolat et au miel !
Alysielle fit apparaître sa baguette magique dans sa main, prononça quelques brèves syllabes et le déjeuner de Rozélita vint flotter sous le nez de la fillette. Zibulinion était oublié.
L'adolescent, l'appétit coupé par sa rentrée prochaine et inopinée à l'école des fées, renonça à terminer son bol où son bout de pain s'était désagrégé et se réfugia dans sa chambre, une pièce de taille modeste dont les murs blancs disparaissaient derrière des étagères remplies de livres soigneusement classés.
Zibulinion y passait le plus clair de son temps, lisant et étudiant avec ferveur, sauf quand Tania, sa sœur par alliance invitait des amies à l'appartement et le mettait dehors. L'adolescente de treize ans ne voulait en effet pas que cela se sache qu'elle avait un frère pareil, quand bien même ils n'étaient pas liés par le sang, cela l'aurait trop embarrassé. C'était pour la même raison qu'au collège, il n'avait pas le droit de lui adresser la parole. Il semblait que nul ne veuille être associé à Zibulinion. A l'école, en cours de sport, aucun de ses camarades ne désirait faire équipe avec lui, sous prétexte qu'il était trop pataud, ce qui ne les empêchait pas de réclamer qu'il les aide à faire leurs devoirs...

vendredi 24 mai 2013

Le garçon fée - 1

– Le 21, tu feras ta rentrée à l'école des fées, déclara Alysielle en entrant dans la cuisine américaine en coup de vent, avec sa tête des mauvais jours.
Zibulinion qui mastiquait tranquillement sa tartine beurrée, perché sur une chaise design devant le bar, lâcha l'ultime morceau qu'il avait à la main.
Le bout de pain plongea dans le bol de lait où il se mit à flotter. L'adolescent, lui, avait la sensation de couler à pic. Sa mère n'avait jamais voulu qu'il y aille et l'avait envoyé à l'école normale, celle des humains. Elle lui avait interdit d'utiliser ses pouvoirs magiques, excepté pour masquer ses ailes afin de se fondre dans la masse. Et voilà que tout à un coup, elle lui annonçait ça...
– Ne garde pas la bouche grande ouverte comme ça, cela te donne l'air encore plus laid ! s'écria Alysielle.
Zibulinion obéit, encaissant la remarque de sa mère sans broncher. Il avait l'habitude, il savait qu'il ne correspondait pas aux standards de cette dernière.
Il n'avait rien d'une fée. C'est bien connu, les fées sont de jolies femmes. Or, non seulement il était un garçon, mais en plus, il n'avait pas un physique très gracieux : sans être vraiment gros, il était rond de partout, de corps comme de visage. Ses cheveux étaient d'un châtain clair sans éclat, ses yeux marrons foncés étaient semblables à ceux d'une chouette, son nez courbé comme un bec et pour couronner le tout, ses ailes qu'il avait eu un mal de chien à apprendre à cacher, étaient minuscules, ternes, et chiffonnées.
Déjà, à l'école des humains, il subissait les railleries de certains de ses camarades en raison de son apparence, alors qu'est-ce que ce serait à celle des fées au milieu d'individus tous plus beaux les uns que les autres ?
– Pourquoi maintenant ? parvint-il à articuler d'une voix étranglée.
Sa mère qui tortillait pensivement autour de son index une des mèches de ses longs cheveux blonds, une moue délicieusement boudeuse sur ses lèvres, ignora la question, et déclara sans vraiment s'adresser à Zibulinion :
– Nous sommes le 1er mars. Cela laisse vingt jours pour s'occuper de tes fournitures scolaires et ton uniforme... J'espère que cela ne coûtera pas trop de poudre.
– Je suis vraiment obligé d'aller là-bas ? demanda Zibulinion d'un ton plus ferme.
Il n'avait pas envie de quitter son école actuelle. Même s'il n'y avait pas d'amis, il possédait quelques bons camarades et aimait y étudier.

jeudi 23 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 6 (fin)

L'adolescent ne le repoussa pas, même quand il sentit la pression du membre durci du brigand contre son corps. Il ressentit bientôt la même excitation. Loup Noir l'adossa un arbre, baissa le pantalon du Petit Chaperon Rouge, et se mettant à genoux, prit son sexe en bouche, le suçant. Les jambes du Petit Chaperon Rouge ne le portèrent plus. Il glissa le long du tronc d'arbre.
Loup Noir l'allongea sur le tapis de mousse et de feuilles mortes avant de le recouvrir de son corps. Les oiseaux pépiaient dans les branchages au-dessus d'eux, mais sous les mains velues de Loup Noir, Petit Chaperon Rouge était ailleurs, loin très loin. Quand Loup Noir s'enfonça en lui, revenant sans cesse à la charge, il eut l'impression de s'envoler. Et puis, dans un cri, tout fut fini. Petit Chaperon Rouge avait perdu son innocence et Loup Noir était repu.
Étendus sur le sol, à moitié déshabillés, Petit Chaperon Rouge entendit à nouveau les bruits de la forêt. Le soleil déclinait et il fallait qu'il rentre chez lui, sauf qu'il ne voulait pas quitter Loup Noir.
– Dérobes-tu souvent des baisers aux promeneurs imprudents ? demanda Petit Chaperon Rouge.
Il craignait de n'être qu'un parmi d'autres, sans importance particulière aux yeux du brigand.
– J'ai essayé une ou deux fois, mais les hommes comme les femmes préféraient me donner toutes leurs possessions plutôt que je pose mes sales pattes sur eux ! Tu es le premier qui me court après et qui t'offres à moi, répondit Loup Noir de sa voix caverneuse.
– Je pourrai revenir te voir ?
– Reste plutôt avec moi, j'en ai assez de ma vie solitaire.
Petit Chaperon Rouge fut content de la proposition qui le rassurait quant à la place spéciale qu'il avait acquise dans le cœur de Loup Noir, néanmoins, il refusa. Il ne pouvait pas disparaître comme ça. Ses parents s'inquièteraient, croirait qu'il avait été tué par quelque bête sauvage. Cependant, il promis qu'il retournerait souvent dans la forêt et s'éloigna à petits pas, balançant joyeusement son panier vide.
Petit Chaperon Rouge tint parole et depuis, plus personne n'eut à se plaindre du brigand Loup Noir. Ce dernier, apprivoisé, n'avait plus envie de s'attaquer à quiconque. Il préférait batifoler dans les bois avec Petit Chaperon Rouge.

FIN

mercredi 22 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 5

– Comment as-tu su que j'étais là ? grogna-t-il.
Petit Chaperon Rouge avoua qu'il n'en savait rien et qu'il le cherchait depuis un moment. Loup Noir fronça les sourcils, l'air dubitatif. Seuls ceux désireux de le mettre en prison fouillaient les bois pour le trouver.
– J'avais promis de vous laisser faire tout ce que vous désiriez de ma personne, déclara Petit Chaperon Rouge comme si cela expliquait tout.
– Tu es soit un innocent inconscient, soit un pervers... As-tu vraiment envie que je te ravage, moi, Loup Noir qui suis laid comme un pou avec ma pilosité débordante ?
Petit Chaperon Rouge ne comprenait pas exactement ce que le brigand voulait de lui. Il savait juste que quand Loup Noir le touchait, une chaleur délicieuse s'emparait de lui.
– Vous n'êtes pas vilain du tout. Vos poils sont doux, affirma Petit Chaperon Rouge, et tendant la main, il caressa le torse velu.
Loup Noir frémit.
– Tu n'as pas peur de moi ?
Sa voix rocailleuse était presque timide. Le brigand semblait ne pouvoir en croire ni ses yeux ni ses oreilles.
– Un peu, reconnut Petit Chaperon Rouge. Vous détroussez ceux qui traversent la forêt et vous jouez de votre apparence pour inspirer la crainte...
C'est ce qui avait motivé sa tentative de fuite quand Loup Noir l'avait abordé, mais la raison pour laquelle il avait pris les jambes à son cou, c'était ce baiser qui l'entraînait vers un monde encore inconnu... mais tentant.
Loup Noir s'emporta, plein de rage :
– Cela n'a rien d'un jeu ! Si j'en suis arrivé là, c'est que tout le monde se moquait de moi ou criait en me voyant comme si j'avais été un monstre ! Je me suis donc réfugié dans la forêt où pour améliorer mon ordinaire, je m'en prends à tous ses imbéciles bourrés de préjugés !
Petit Chaperon Rouge qui avait été aussi victime de remarques peu charitables des autres enfants du village en raison de sa taille modeste pour un garçon et de sa tignasse rouge vermeil pouvait comprendre la souffrance de Loup Noir, même s'il y avait un côté extrême à s'exiler dans la forêt et faire payer à tout le monde la stupidité de quelques uns.
– C'est sûr que ce n'est pas facile quand on est physiquement différent, soupira-t-il.
Il retira sa main du torse du brigand pour tirer sur une de ses mèches de cheveux roux vermeil.
Loup Noir dut se rendre compte l'implication du geste de l'adolescent, car il déclara :
– Toi, au moins, tu es mignon..
– Ce n'est guère positif pour un garçon, commenta Petit Chaperon Rouge.
Les filles avaient une fâcheuse tendance à le considérer comme appartenant à leur bande tandis que les garçons, jaloux de sa popularité apparente, ne se montraient pas tendre à son égard.
– Ce qui compte, c'est que tu sois à croquer, protesta Loup Noir et se penchant sur Petit Chaperon Rouge, il lui déroba un baiser.

mardi 21 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 4

Petit Chaperon Rouge fut soulagé de la nouvelle. Il quitta à son tour le lit pour vérifier les dires du brigand.
La vision de son aïeule calée à l'intérieur du placard paisiblement endormie le rassura. Il s'empressa de dénouer la corde qui entravait ses poignets et la souleva avec peine jusqu'au fauteuil à bascule où il l'installa.
Loup Noir, lui, pendant ce temps, s'était dirigé à pas lents vers la porte.
– Où allez-vous ? l'interpella le Petit Chaperon Rouge.
– Dans la forêt. Je ne vais certainement pas rester ici à attendre qu'on vienne me capturer pour tous les forfaits que j'ai commis, répliqua Loup Noir avant de sortir de la chaumière.
Petit Chaperon Rouge jeta un coup d'œil à sa grand-mère qui respirait doucement, embrassa sa joue parcheminée et se précipita à la suite du brigand.
Trop tard, Loup Noir avait disparu ! Petit Chaperon Rouge se sentit déçu. Il aurait aimé discuter davantage avec le brigand, comprendre ce qui motivait ses actes... et obtenir un nouveau baiser. L'adolescent retourna auprès de sa grand-mère et commença à arranger la serrure de la porte, en attendant que la vieille femme se réveille.
Il était absorbé par sa tâche quand elle émergea et sursauta quand elle se mit à lui parler.
– Je me suis assoupis... Tu es là depuis longtemps, mon enfant ?
– Non, pas vraiment. Comment te sens-tu ?
– Bien, bien... Y avait-il un drôle de gaillard tout poilu quand tu es arrivé ?
Petit Chaperon Rouge fut bien embarrassé. Il n'aurait pas dû, mais il ne souhaitait pas causer de tort à Loup Noir. Il secoua finalement la tête.
– J'imagine qu'il a dû repartir après que j'ai piqué du nez, déclara la vieille dame.
– Qui était-ce ? demanda Petit Chaperon Rouge, cherchant à retracer comment Loup Noir avait forcé la porte de sa grand-mère.
– Eh bien... J'étais partie me promener, et à mon retour, je l'ai retrouvé qui rôdait autour de la maison. Vu son allure, j'étais inquiète, mais il  s'est présenté comme un colporteur. Il voulait me vendre du thé et se proposait de m'en faire goûter pour mon convaincre. J'ai refusé, il a insisté, et j'ai cédé. Cela ne m'engageait à rien après tout. J'ai bu une tasse délicieuse parfumée à l'orange et après, je me suis sentie somnolente... Ce qui est louche. Enfin, si c'était un voleur, il a dû être déçu. Il n'y a rien de valeur ici.
Petit Chaperon Rouge resta encore un moment avec sa grand-mère, puis cette dernière qui ne voulait pas qu'il rentre trop tard, le poussa à partir.
L'adolescent aux cheveux roux vermeil ne se fit pas prier, il récupéra le panier d'osier vide et s'en fut.
Une fois qu'il se fut enfoncé dans la forêt, il se mit à crier à intervalles réguliers, tout en marchant :
– Loup Noir ! Loup Noir !
Cela devait faire la trentième fois qu'il l'appelait, quand le brigand apparut de derrière un tronc.

lundi 20 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 3

Petit Chaperon Rouge, inquiet pour la santé de la vieille dame s'exécuta aussitôt et balaya la pièce des yeux. Sa grand-mère n'était pas sur la chaise à bascule devant la cheminée, mais dans le lit où elle disparaissait sous un tas de couvertures.
– Vous êtes bien mal, grand-mère ? Je vous apporte une galette et un pot de beurre. Je regrette de ne pas avoir de miel pour soulager votre gorge. Je tâcherai de ne pas repartir avant d'avoir réparé la serrure. Que puis-je faire pour vous ?
Seule une toux grasse répondit aux questions de Petit Chaperon Rouge qui s'approcha du lit au pied duquel il déposa le panier. Il voulut ensuite soulever un pan de couverture pour évaluer l'état de sa grand-mère, mais une large main velue l'attrapa, le faisant basculer sur le matelas.  Petit Chaperon Rouge ne put se redresser, déjà Loup Noir l'écrasait de tout son poids. Ses yeux noirs et sauvages se plantèrent dans ceux de l'adolescent.
– Je vais te dévorer, dit-il, et son visage se fendit d'un sourire redoutable.
– Qu'avez-vous fait de ma grand-mère ?! s'écria  Petit Chaperon Rouge, sans prêter attention à la déclaration du brigand dont il doutait qu'il soit cannibale.
– Je ne vois pas pourquoi je te répondrai. Toi et moi, nous étions partis pour bien nous amuser avant que tu ne t'échappes, après un coup bas que je te déconseille de répéter.
Petit Chaperon Rouge y avait bien songé, mais il était coincé sous le corps massif de Loup Noir.
– Qu'est-ce que vous voulez ? souffla-t-il.
Les lèvres du brigand recouvrirent les siennes dans un baiser exigeant, puis sa main descendit sur la cuisse de l'adolescent qu'il se mit à caresser.
Petit Chaperon Rouge aurait dû détester être touché ainsi, et pourtant, cela éveillait en lui des sensations agréables. Seule la pensée qu'il était sur le lit de son aïeule dont il ne savait si elle était encore en vie, le poussa à se débattre pour se soustraire à la bouche de Loup Noir.
– Mangez-moi, faîtes-moi tout ce que vous désirez, mais pas ici, pas sans me dire ce qui est arrivé à ma grand-mère !
Le brigand, sans libérer l'adolescent, se figea au-dessus de lui et répondit rageusement :
– J'ai changé les draps, mais ce n'est pas le problème, hein ? Comme tous les autres, tu me trouves répugnant. Tu veux bien consentir à ce que je te pelote, parce que tu te soucies de ta grand-maman. Et encore, dès que je t'aurais révélé son sort, tu vas te débrouiller pour me fausser compagnie.
Là-dessus, Loup Noir se leva et ajouta :
– J'ai filé un somnifère à la vieille peau. Elle ronfle dans l'armoire où je l'ai attachée.

vendredi 17 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 2

Loup Noir lui arracha le panier des mains et examina son contenu d'un œil noir critique, sans se soucier des efforts du Petit Chaperon Rouge pour récupérer son bien.
Petit Chaperon Rouge, malgré la crainte que lui inspirait le brigand, ne pouvait renoncer.
– Rendez-le moi, s'il vous plaît ! Je vous en prie...
Loup Noir arrêta de maintenir la banne hors de portée de l'adolescent.
– Je veux bien, mais qu'as-tu à me donner en échange, mon mignon ?
Petit Chaperon Rouge baissa les yeux et se regarda. Hormis le panier, tout ce qu'il avait sur lui étaient ses vêtements en coton rouge et ses sabots en bois. Il ouvrit la bouche, puis la referma, ne sachant quoi répondre. La perte du pot de beurre et de la galette paraissait inévitable.
– Cet air résigné est inutile, reprit Loup Noir. Si tu me laisses t'embrasser, je suis prêt à te laisser passer avec tes affaires.
Petit Chaperon Rouge releva la tête, surpris. Même s'il n'était pas grand, il n'était pas une fille. Cependant, avant qu'il n'eut le temps de le souligner, Loup Noir se pencha et captura sa bouche, forçant le barrage des lèvres du Petit Chaperon Rouge pour un baiser profond. Pris au dépourvu, l'adolescent aux cheveux roux vermeil se laissa faire, s'y abandonna même, emporté par le plaisir qu'il en tirait. Cependant, quand il sentit le membre de Loup palpiter, il eut peur. Il remonta violemment son genou dans l'entrejambe du brigand, attrapa l'anse de son panier que Loup Noir avait posé sur le sol et fila à tout allure, sans se retourner, restant sourd aux cris de douleur et aux promesses de vengeance de Loup Noir.
Quand il lui sembla avoir mis assez de distance entre lui et le brigand, Petit Chaperon Rouge s'arrêta de courir pour reprendre son souffle. Sa bouche était gonflée et brûlante. Il avait honte, mais il avait aimé le baiser de Loup Noir, le premier qu'il ait jamais reçu... Un peu perdu, il regarda autour de lui et s'aperçut qu'il était parti dans la mauvaise direction. Cependant, s'il ne voulait pas retomber sur Loup Noir, il allait être obligé de faire un détour pour gagner le logis de sa grand-mère. Avec un soupir, Petit Chaperon Rouge se remit en route en silence, fouillant des yeux le feuillage des arbres pour voir si Loup Noir ne s'y cachait pas. Il avait peur de ce que le brigand lui ferait si jamais il le trouvait, mais il était aussi curieux de ce qui se passerait...
Après une longue marche, il finit par sortir de la forêt et arriver chez sa grand-mère. Il toqua à la porte et entendit une quinte de toux qui lui fit penser que sa grand-mère était malade. Il l'appela et elle lui répondit d'une voix enrouée qui ne lui ressemblait pas :
– Entre, la serrure est cassée.

jeudi 16 mai 2013

Petit Chaperon Rouge et Loup Noir - 1

Il était une fois un adolescent surnommé Petit Chaperon Rouge en raison de sa taille modeste et de sa tignasse d'un roux vermeil, qui vivait dans un village perdu avec ses parents. Il était très gentil et très serviable,  c'est pourquoi il accepta de bon cœur d'apporter une galette et un pot de beurre à sa grand-mère qui habitait seule dans une chaumière isolée de l'autre côté de la forêt. Habituellement, c'était son père qui se rendait chez la vieille dame pour lui apporter des provisions et exécuter des travaux qu'elle n'avait plus la force de faire elle-même, mais il était alitée en raison d'une grippe.
Avant son départ, la mère du Petit chaperon rouge le mit en garde :
– Ne traîne pas en chemin, car rappelle-toi, dans la forêt, vit Loup Noir, un brigand qui détrousse les promeneurs et les voyageurs qui y passent.
Petit Chaperon Rouge acquiesça distraitement et partit en chantonnant, son panier d'osier à la main. Il avait dix-sept ans, il n'était plus un petit garçon effrayé de tout. La forêt était grande et la probabilité qu'il fasse une mauvaise rencontre était faible. Loup Noir ne pouvait être partout à la fois !
Petit Chaperon Rouge marchait sans se presser depuis un moment, en balançant sa banne et en sifflotant joyeusement, quand, tout à coup, de l'arbre le plus proche, une ombre bondit et se planta devant l'adolescent.
C'était un homme basané à la barbe hirsute vêtu d'un élégant pantalon qui avait connu des jours meilleurs et d'une chemise grise de poussière non boutonnée qui dévoilait un torse puissant et fort poilu.
– Dis-moi, mon mignon, que transportes-tu ? La forêt est mon domaine et quiconque s'y aventure doit payer un droit de passage.
Petit Chaperon Rouge recula. Le terrible Loup Noir - car c'était lui, cela ne faisait aucun doute - se tenait devant lui. Avec sa haute taille, son aspect mal peigné, son sourire qui révélait de grandes dents blanches carnassières, et sa voix caverneuse, il méritait sa réputation.
Petit Chaperon Rouge fit encore un pas en arrière et voulut détaler comme un lapin face à un prédateur, mais la grande main velue de Loup Noir s'abattit sur son épaule, l'empêchant de s'enfuir. Petit Chaperon Rouge déglutit.
– Je n'ai rien qui vous intéresse. Juste une galette et un pot de beurre pour ma vieille grand-mère.
– Oh, vraiment ? Vous avez tous de pauvres parents et de bonnes raisons pour que je vous épargne...
– Je ne mens pas ! coupa Petit Chaperon avec vivacité.

mercredi 15 mai 2013

A travers les âges, c'est fini...

J'espère que la fin ne vous a pas semblé trop abrupte. Normalement dans la version papier de A travers les âges, il y aura un chapitre bonus qui se déroulera au XXIIème siècle avec deux nouvelles incarnations des héros, Vik et Xanthe.

A quoi vous attendre comme histoire suivante ? J'avoue, je ne me suis toujours pas décidée. J'hésite entre les différents projets que j'avais exposé précédemment :

Vais-je écrire la suite du Suivant du Prince ? L'histoire du garçon fé ? Ou encore Une nouvelle mort ?
Vous pouvez m'influencer en donnant votre avis sur la question dans les commentaires.

En attendant de savoir dans quelle histoire longue je vais me lancer, je vais mettre en ligne le début d'un petit conte dès demain !

A travers les âges - 106 (fin)

Ils se caressèrent mutuellement la joue, puis posèrent chacun la main sur le torse de l'autre, écoutant le rythme effréné des battements de leurs cœurs, avant d'oser glisser les doigts sur le sexe de l'autre. Ils étaient excités tout les deux. Plus rien n'existait hormis l'instant présent : leurs langues emmêlées, leurs mains touchant leurs peaux brûlantes, leurs pénis frottés l'un contre l'autre. Ils jouirent en même temps. Et, encore tout engourdis de plaisir, ils reprirent doucement leur souffle.
Cette première fois venait s'ajouter à toutes celles d'autrefois, songea Dake. « Qui pénètre qui ? » avait-il oser demander, à l'époque où il était Claude. Noah avait-il gardé les préférences de son alter ego ?
L'adolescent hésita, et sa curiosité l'emportant, il interrogea Noah.
Ce dernier qui avait gardé ses lunettes car il voulait voir Dake pendant qu'ils faisaient l'amour, les réajusta sur son nez avant de répondre :
– J'ai plus l'habitude d'avoir le « rôle dominant » que le passif, c'est tout. Il y a du plaisir dans les deux positions. Ce que j'aime, c'est que nous ne fassions plus qu'un.
Dake se rappela de la sauvagerie de leur toute première union, puis de toutes les autres et il sentit le désir monter en lui à nouveau. Il embrassa son professeur encore et encore jusqu'à que ce dernier soit dans le même état d'excitation que lui. Noah ne s'écarta que pour récupérer préservatifs et lubrifiant qu'il avait acheté en prévision de ce moment, même s'il ne savait pas quand il arriverait.
Sans en discuter vraiment, ils se pénétrèrent l'un, puis l'autre, alternant leurs positions jusqu'à atteindre la jouissance.
Comblés et fatigués, ils restaient enlacés sur le lit, quand une pensée terrible frappa soudainement Dake.
– Noah...
– Oui, mon cœur ?
– Cette vie se terminera aussi, un jour... Dans longtemps, j'espère... Tu crois qu'on se retrouvera dans la suivante ?
Noah lui attrapa la main et entremêla ses doigts à ceux de l'adolescent.
– Ou celle d'après, j'en suis certain. Tu es mon âme sœur et je suis la tienne.
– Mais de nouveau, j'aurais tout oublié, et pas toi, n'est-ce pas ?
– Oui, mon cœur, c'est probable, mais ce n'est pas grave, que tu sois homme, femme, hermaphrodite ou que sais-je encore, je te séduirai autant de fois qu'il le faudra, pour l'éternité.
Dake se sentit apaisé par ses mots. Il n'avait pas à s'inquiéter de ce futur lointain, pas plus qu'il n'avait à se soucier des obstacles qu'ils devraient franchir pour rester ensemble dans cette vie. Noah, d'une façon ou d'une autre, serait toujours là pour lui.

FIN

mardi 14 mai 2013

A travers les âges - 105

Le lendemain, dès la première heure de cours, Dake s'arrangea avec un de ses camarades pour qu'il lui prête ses notes. C'était sous prétexte de rattraper ce qu'il avait manqué qu'il avait persuadé sa mère du bien-fondé de ne pas rentrer directement se reposer après les cours du mercredi matin. Le mensonge n'était pas complet puisque Noah pourrait effectivement l'aider pour l'histoire.
Dès que Noah entra dans la salle de classe, Dake sentit son cœur battre plus fort. Maintenant qu'il se rappelait vraiment de tout, il lui était encore plus cher. Il ne put le quitter des yeux durant toute la durée du cours. Ce n'était peut-être pas malin de le fixer comme ça, mais il ne pouvait pas s'en empêcher. Noah croisa son regard à trois reprises, esquissant à chaque fois un sourire.
Comme convenu, par mesure de discrétion, ils se retrouvèrent directement à l'appartement. Noah qui était véhiculé, arriva le premier et accueillit Dake qui s'engouffra à l'intérieur où il se débarrassa rapidement de ses chaussures et de sa veste. Ils échangèrent quelques mots, puis comme Noah ne l'embrassait pas, Dake prit l'initiative. Maintenant qu'il savait qu'ils n'avaient que tous les deux leurs expériences de leurs vies passées, il n'avait plus peur.
Ce fut Noah qui s'arracha à la bouche avide de l'adolescent.
– Si tu continues comme ça, nous allons terminer au lit, le prévint-il.
– C'est ce que j'espère, avoua Dake.
Noah parut embarrassé. L'adolescent soupira. Son professeur avait un côté exaspérant. Tant que l'adolescent le fuyait, il le pourchassait, mais dès que Dake prenait les devants, il hésitait.
– Ne veux-tu pas attendre ?
L'adolescent s'y refusait. Il comprenait désormais toute la fragilité de la vie, et était conscient que tout pouvait basculer en l'espace de quelques minutes.
– Attendre quoi ? répliqua-t-il.
– Que tu sois majeur ou au moins que je ne sois plus ton professeur. Si notre relation est découverte, j'aurai des ennuis et nous serons séparés.
Comparé à la guerre, rien n'était effrayant.
– Si on est prudent, tout ira bien, murmura l'adolescent avant d'attirer dans ses bras son professeur qui ne protesta plus.
Leurs lèvres se joignirent une nouvelle fois, puis Noah entraîna Dake dans la chambre où ils se retirèrent leurs habits avec impatience. Cependant, quand tous les vêtements furent tombés, ils sentirent intimidés. Ils s'allongèrent lentement, se mettant l'un en face de l'autre. C'était  leur première fois dans cette vie. Tout était nouveau, même si tout avait déjà été vécu.

lundi 13 mai 2013

A travers les âges - 104

 Dake émergea, entortillé dans sa couette, fatigué, mais l'esprit clair.  Le mal de crâne qui ne le quittait plus depuis des jours s'était envolé comme par magie. C'est d'un pas alerte qu'il gagna la salle de bains. Le miroir lui renvoya son reflet habituel : celui d'un adolescent brun aux yeux noirs à la peau mate. Il n'avait rien oublié des vies passées, mais toutes les pièces du puzzle avaient enfin été rassemblées et il avait retrouvé ses repères.
Sa mère fut soulagée quand elle vit descendre l'escalier pour grignoter quelque chose en cuisine. Elle le renvoya cependant au lit pour qu'il se repose. Dake, même s'il ne tenait pas à y retourner, céda. Cela ne pouvait pas lui faire de mal. Cependant, comme il ne souhaitait pas passer le reste de l'après-midi, à se souvenir - les atrocités de la guerre le faisaient toujours frémir - il bouquina pour s'occuper l'esprit.
Pressé de confier à Noah tout ce qu'il avait vécu, il chercha à le joindre à plusieurs reprises. Il n'y parvint que le soir venu. C'était la première fois qu'il lui téléphonait et quand il entendit sa voix dans le combiné, il s'empêtra dans ce qu'il voulait dire. Noah ne releva pas.
– Je me faisais du soucis pour toi comme tu étais absent en cours. J'aurais aimé t'appeler, mais tu n'as pas de téléphone portable.
Dake expliqua ce qui s'était passé, ne touchant que brièvement le sujet de la guerre. Cela lui était trop pénible. Noah l'écouta sans l'interrompre, mais quand l'adolescent eut fini, il demanda :
– Quand tu étais Hans... puisque tu te souviens de tout... Tu as pensé quoi ? Ai-je rendu encore plus terribles les dernières minutes de ta vie ? Non... Désolé, je n'aurais pas dû te poser la question, c'est vain. Cela n'a plus d'importance.
L'inflexion torturée de sa voix prouvait que non. Dake, bien qu'il n'en eut pas envie, se remémora la fin de sa vie en tant que Hans afin de répondre à son professeur le plus honnêtement possible :
– Tu étais tout proche, c'était positif. Je n'ai pas eu le temps de réfléchir aux implications ni rien, alors je ne sais pas comment j'aurais réagi si nous avions survécu.
– Merci. Et encore désolé. Je sais que c'est un souvenir douloureux.
Dake, en entendant Noah si triste, regretta de ne pas être dans la même pièce que lui pour pouvoir le réconforter. Ils le partageaient ce difficile passé.
– Je peux venir chez toi demain après les cours ?
– N'as-tu pas encore besoin de temps pour te remettre ?
– Non, c'est bon.
Le plus dur serait de convaincre sa mère qu'il pouvait passer l'après-midi dehors après être resté deux jours au lit. Ne pas l'en informer aurait été aussi simple, mais il lui avait causé assez de tracas comme ça. 

vendredi 10 mai 2013

A travers les âges - 103

– Dake... Dake, le docteur est là, mon chéri.
L'adolescent sortit de son rêve éveillé avec difficulté. Il lui semblait entendre encore le bruit des armes à feu et les cris. Un goût amer à la bouche, il salua la femme munie d'une lourde sacoche en cuir. Ce n'était leur médecin habituel, cela devait être sa remplaçante. Elle prit sa température, son pouls, regarda sa gorge, ses oreilles, écouta son cœur, posa quelques questions sur les symptômes de sa maladie, puis établit que l'adolescent était en manque de magnésium et était victime d'une intoxication alimentaire. Elle rédigea une ordonnance d'une main rapide, prescrit à Dake deux jours de repos et s'éclipsa après avoir été payée.
La mère de Dake chercha à savoir s'il avait besoin de quelque chose, puis fila à la pharmacie. L'adolescent essaya de remettre de l'ordre dans sa tête. Son identité lui échappait, de même que son sexe, sa nationalité et l'époque dans lequel il vivait. Par moments, il savait, par d'autres, il était perdu. Dans tous les cas, il avait peur.

Sous le couvert de la nuit, Hans et Heinz sortirent pour réparer les barbelés de protection. A quelques mètres d'eux, des cadavres de leurs camarades pourrissaient, mais ils n'avaient pas le temps de s'occuper de les enterrer. Après les barbelés, ils devaient creuser une nouvelle tranchée car, quand le jour reviendrait, ils ne pourraient pas le faire sans être complètement exposés au tir ennemi. Ils recommenceraient ensuite à attendre, aux aguets, pendant que pleuvaient les projectiles. Les assauts étaient cependant pires. Ils avaient réchappé de justesse au dernier ordonné par leur officier. Hans avait fauché des vies, comme autrefois le blé à la ferme. La mort était partout. Au bout de leurs fusils à baïonnette, dans le tir nourri d'artillerie...
Heinz et lui se protégeaient mutuellement, mais ni l'un ni l'autre n'eurent le temps d'éviter l'obus qui leur tomba dessus. Après cet instant, Hans ne fut plus que douleur. Il lut la même souffrance sur le visage tout proche de Heinz, puisant du réconfort dans sa présence. Il essaya de parler, d'apprendre ce que lui cachait Heinz avant de mourir, mais ne réussit pas à prononcer une seule syllabe. Il se concentra sur la respiration sifflante de son frère, s'efforçant de s'abstraire de son corps qui n'était plus qu'une gigantesque plaie béante. C'était impossible. Les minutes s'égrenaient, prolongeant la torture. Soudain, Heinz réduisit à néant la distance qui les séparait et colla sa bouche sanglante à la sienne. Hans comprit enfin la nature de l'amour que lui portait Heinz, mais fut incapable de lui dire quoi que ce soit. « C'était donc ça » pensa-t-il, avant de se sentir partir.

Dake se traîna jusqu'aux toilettes et comme il avait l'estomac vide, il vomit de la bile. Tout le reste du lundi, il fut hanté par des images de guerre : des corps aux entrailles mises à nues, du sang frais et séché, de la boue, des armes, des blessures gangrenées... Quand la nuit fut tombée, il cauchemarda sur d'autres passages de ses vies passées, se réveillant à plusieurs reprises en sueur, le cœur au bord des lèvres.

jeudi 9 mai 2013

A travers les âges - 102

– Hans, regarde les nuages !
L'adolescent leva les yeux vers le ciel où des formes blanches et vaporeuses s'étiraient en un long serpent. C'était un de leurs jeux à son frère et lui, sauf que là, ils auraient dû se concentrer sur le chargement du foin. Il admira cependant un moment l'éphémère animal qui ondulait au gré du vent, avant de se remettre au travail. De son côté, Heinz reprit sa fourche et s'activa à nouveau.
Une fois que la charrette fut pleine, ils la conduisirent jusqu'à la grange et se dépêchèrent de rentrer le foin. Ils repartirent ensuite pour recommencer. C'était une tâche répétitive, mais Hans ne détestait pas. Rien n'était ennuyeux quand Heinz était avec lui.
Le seul problème, c'est que Heinz, ces derniers mois, était bizarre. Il soufflait le chaud et le froid, montait sur ses grands chevaux, puis s'excusait. Tout avait commencé avec ce nouveau jeu « Et si nous étions nés à une époque différente, que nous n'avions pas les mêmes parents... » Hans n'aimait pas cela. Il avait l'impression que Heinz ne voulait plus être son frère, qu'il lui cachait quelque chose. Il sentait souvent le regard inquisiteur de Heinz s'appesantir sur lui et son cœur frémissait empli d'une étrange appréhension, mais quand leurs yeux se rencontraient, Heinz se détournait avec brusquerie, l'air coupable. Toutes les tentatives de Hans pour clarifier ce qui n'allait pas s'étaient soldées par un échec. Heinz s'énervait, s'enfuyait, changeait de sujet, prétendait que Hans se faisait des idées. A la longue, Hans avait renoncé, espérant tout de même que son frère finirait par se confier à lui. Ils avaient toujours tout partagés depuis le jour de leur naissance et ce secret entre eux lui pesait. Ils restaient malgré tout très proches. Heinz, même quand il se fâchait, ne tardait jamais à revenir. Ils travaillaient à la ferme côte à côte, trayant les vaches, nourrissant les cochons, arrangeant la clôture... Ils se divertissaient également ensemble, s'allongeant dans l'herbe pour contempler la course des nuages, inventant des histoires, cherchant à savoir qui courait le plus vite, sautait le plus haut...
Et puis, la guerre avait éclaté. Heinz, sans rien dire à personne, s'était inscrit pour partir au front. Il avait tout juste l'âge minimum requis. Hans s'était dépêché de faire de même. Il ne voulait à aucun prix être séparé de son frère. C'était son jumeau, l'autre moitié de lui-même. Leurs parents, fiers d'eux, mais inquiets, les avaient accompagnés sur le quai de la gare où ils s'étaient dit au revoir.
Hans et Heinz avaient appris le maniement des armes et la discipline militaire dans un camp. Hans avait détesté. Sans Heinz, il n'aurait pas supporté. Leur entraînement fini, ils avaient découverts les tranchées et cela avait été l'enfer.

mercredi 8 mai 2013

A travers les âges - 101

Il chassait un ours, l'os d'Iol à son cou frappait sa poitrine tandis qu'il courait à travers les arbres. Elle suppliait un guerrier couturé de cicatrices de lui revenir en un seul morceau. Il se laissait embrasser par Titus sur leur banc, dans le jardin. Il la regarda, séduit par la douceur dont elle faisait preuve avec l'enfant. Elle lui sourit, malgré la douleur, heureuse de mettre au monde le fruit de leur amour. Il ne pouvait pas résister à Ulf, c'était plus fort que lui. Ses branches pliaient sous l'assaut du vent, mais ses racines, elles, étaient enfoncées dans la terre, accrochées à celles de l'arbre voisin. Elle était attirée par cette femme, comme le papillon par la flamme d'une bougie. Il écoutait la chanson de Jehan. Elle dansait sur le sable avec lui. Il brodait, confortablement assis tandis qu'Eustache lisait le journal dans le fauteuil d'en face. Elle était tombée amoureuse de ce goujat qui avait osé lui voler un baiser. Il plongeait encore et encore dans Antoine, au bord de la jouissance. Il dormait roulé en boule, au soleil. Ils étaient recroquevillés dans les tranchées sous une pluie torrentielle. Il sautillait sur un toit. Elle nourrissait les pigeons quand il s'était dirigé droit vers elle, d'un pas claudiquant. Il avait su qu'il l'avait déjà vu quelque part dès son entrée dans la salle de classe.

Dake ouvrit en grand les yeux. Une femme au chevet de son lit, lui demanda comment il se sentait.  L'adolescent reconnut alors sa mère et fut horrifié : comment avait-il pu oublier qui elle était, ne serait-ce qu'un instant ?
– Je suis... commença-t-il, avant de tousser, troublé.
Sa propre voix lui était étrangère.
– Je vais téléphoner au docteur pour qu'il vienne t'examiner. Tu as une sale mine. Tu es tout blanc.
Dake voulut la retenir, lui dire que c'était inutile, mais déjà, elle était partie.  Le bras qu'il levait vers elle retomba le long de son corps. Il avait eu plusieurs mamans. Il avait aussi été une mère et... un père. Il n'avait pas toujours été enfant unique. Il avait eu des frères et des sœurs. Il avait eu tellement d'identités différentes. Les liens du sang avaient-il encore un sens dans ces conditions ? Il faudrait qu'il pose la question à Noah... Il ferma les yeux. C'était la pagaille dans sa tête et dans son corps. Quelque chose clochait. Son pyjama le gênait. Sa moustache lui manquait. Ce lit n'était pas le sien. Il fallait qu'il aille chasser. Non, il était attendu en cuisine. Il avait envie de prier. Il aurait dû être en train de plier du linge. Il n'était pas un garçon, pas une fille. Il... L'adolescent se recroquevilla sous la couette. Quel jour était-on ? De quelle année ? Et quel était son nom déjà ?

mardi 7 mai 2013

A travers les âges - 100

– Il est presque minuit. Tes parents doivent être inquiets, constata soudainement Noah.
Dake se redressa d'un coup, cherchant l'heure, mais retomba aussitôt sur l'oreiller, en grimaçant. Il avait l'impression d'être passé sous un rouleau compresseur. Il était vidé de toute énergie.
– Je ne suis pas sûr d'arriver à me lever.
Un pli soucieux barra le front de Noah.
– Cela ne me pose pas de problème que tu restes ici, je peux dormir sur le canapé. Je peux aussi te raccompagner chez toi en voiture. Dans tout les cas, tu devrais téléphoner à tes parents.
Dès que Noah lui eut apporté son mobile, Dake composa le numéro de chez lui. Sa mère décrocha immédiatement. Sa voix angoissée donna du remords à Dake. Il la rassura du mieux qu'il put, expliquant qu'il était toujours chez son ami, mais qu'il était malade. Sa mère offrit de venir le chercher. L'adolescent essaya de faire valoir qu'il était aussi bien qu'il ne rentre pas, sans succès. Comme sa mère insistait, arguant qu'il serait mieux dans installé dans sa chambre, dans ses affaires, Dake annonça que son ami le reconduirait. Il lui semblait préférable que sa mère ne vienne pas chez son professeur d'histoire. Il valait mieux qu'elle ne le rencontre pas. Elle s'étonnerait de son âge et voudrait savoir comment Dake avait fait sa connaissance. Or, si jamais elle apprenait la vérité, à savoir que M.Toukka était le professeur d'histoire remplaçant, elle trouverait cela étrange... Un jour, il faudrait le lui dire, le présenter comme l'élu de son cœur en espérant que cela ne lui causerait pas un trop grand choc, mais pas tout de suite.
La conversation terminée, Noah qui avait suivi l'échange, aida l'adolescent à se lever. La tête de Dake lui tournait et il s'appuya lourdement sur l'épaule de son professeur. Son ami. Son maître. Son geôlier.  Son mari. Son amant. Son frère. Il avait été tellement de choses pour lui. Il avait toujours été à ses côtés.
C'est dans un état second que l'adolescent vécut le trajet de retour jusqu'à chez lui. Noah, en dépit des complications qui risquaient d'en découler, voulut le soutenir jusqu'à la porte de la maison, pour être sûr qu'il n'allait pas s'évanouir sur le pallier avant que ses parents ne le réceptionnent. Dake, l'esprit brumeux, négocia et obtint qu'il vérifie de loin, en restant dans sa voiture. Plutôt que d'utiliser sa clef, il sonna. Sa mère se précipita vers lui, la mine soucieuse. Son père commença par lui crier dessus, puis, se rendant compte que l'adolescent n'était vraiment pas dans son assiette, cessa.
Ses parents le poussèrent à se déshabiller et se coucher, ce que Dake fit machinalement. Il sombra presque aussitôt dans un sommeil tourmenté.

lundi 6 mai 2013

A travers les âges - 99

– Le baiser hier... C'était votre premier ?
Noah se racla la gorge, embarrassé avant de hocher la tête, en murmurant :
– Dans cette vie, oui.
Il était à égalité là-dessus malgré leur différence d'âge et cela devait être la première fois. Avant cela, l'un ou l'autre était déjà expérimenté ou même carrément dépravé dans le cas de Claude. Dake s'efforça de chasser de sa mémoire toutes les heures en compagnie de prostituées. Il n'était plus ce jeune homme noble du XVIIIème siècle, pas plus qu'il n'était encore une humble blanchisseuse. Et Dieu merci, il n'était pas non plus un membre de la famille de Noah...
– Nous étions vraiment frères ? demanda Dake à nouveau.
Il avait vraiment du mal à l'accepter.
– Oui. Des faux jumeaux, pour être précis. Nous étions très proches, toujours collés l'un à l'autre jusqu'à ce que le passé me rattrape, que je découvre que mon amour n'avait rien de fraternel. J'ai essayé de te parler de réincarnation, sous forme de jeu. Je te disais « Et si nous étions nés à une époque différente, que nous n'avions pas les mêmes parents... », parfois tu continuais, nous inventant d'autres identités, mais le plus souvent tu me répondais que tu préférais être mon frère. J'ai affronté bien des souffrances physiques, mais psychiquement, c'était le pire. Je me sentais coupable de te désirer. Je n'osais plus regarder notre mère, notre père ou toi dans les yeux. J'avais honte, et pourtant j'étais incapable de quitter la maison et de m'éloigner de toi. De toute façon, nous vivions dans une ferme, et père avait besoin de bras. L'avenir me semblait sombre dans tous les cas. Un jour, tu allais te marier et je devrais assister à ça. Continuer à te voir en sachant que je ne pourrais jamais t'avoir, jamais t'avouer quoique ce soit. Oui, c'est sûrement cela qui se serait produit, si nous n'avions pas été au début du XXème siècle et que la guerre ne s'était pas déclenchée. La première guerre mondiale. Je me suis porté volontaire pour le front. Tu m'as imité, quand bien même je n'étais pas d'accord et nous sommes partis nous battre ensemble. Nous avons vécu dans la boue des tranchées, nous avons fait couler le sang d'autres hommes, et nous sommes morts à cause d'un obus. Pas sur le coup, hélas. Nous avons eu le droit à une longue agonie... Je t'ai embrassé sur les lèvres pour la première et dernière fois, un baiser au goût de sang et tu t'es éteint. Je t'ai suivi de peu. Tu as eu le premier souffle en naissant, j'ai eu le dernier.
Dake s'aperçut qu'il ne respirait plus. Il était soulagé de ne pas se souvenir de tout cela, catastrophé de se dire qu'il allait bientôt en rêver. Il avait eu une mort encore plus pénible que la guillotine. Il avait tué des gens. Cela remettait en perspective d'avoir été désiré par son frère jumeau.

vendredi 3 mai 2013

A travers les âges - 98

– Il ne me manque plus que les souvenirs d'une vie antérieure, je crois... avança-t-il.
Noah détourna le regard et lui lâcha la main.
– Peut-être plus. Tu as sans doute vécu des choses sans moi.
– Tu avais promis de me raconter... insista Dake.
– Une seule phrase t'a suffit pour que notre rencontre durant la Révolution Française te revienne. Quand j'y songe, j'aurais pu me taire les autres fois...
– Non, ce n'est pas vrai. Je t'entends quand même, même si ce n'est pas de façon consciente... C'est bizarre... N'empêche que la première fois, j'ai remarqué que votre... ta version de l'histoire et mes souvenirs différaient. Cela me permet de connaître ton points de vue sur les événements.
– Conclusion, je ne peux pas te mentir et tu ne lâcheras pas l'affaire, n'est-ce pas ? Tout au plus, je repousserai le moment...                                                   
– Oui, le coupa l'adolescent.
Noah prit une grande inspiration et lança :
– Nous étions frères.
Dake ouvrit de grands yeux effarés. Ce n'était pas possible.
– De façon figuré ? Nous n'étions pas liés par le sang quand même ?!
Noah ne dit rien, ce qui était une réponse en soi. C'était incestueux et répugnant, surtout quand Dake pensait au frère de M.Toukka qu'il avait croisé à peine une heure plus tôt... à moitié dévêtu.
– Nous sommes restés de simples frères. Enfin, toi. J'avais du mal à t'aimer autrement., précisa Noah.
Qu'ils n'aient rien fait de sexuel n'empêchait pas Dake de trouver cela malsain et d'être perturbé en repensant à Tim.
– Pourquoi vous étiez déshabillés, ton frère et toi ?
Noah sembla se demander ce que la question venait faire dans leur conversation, puis il parut suffoqué par l'insinuation.
– Qu'est-ce que tu vas t'imaginer !? Je me lave le soir, et je sortais de la douche. Quant à Tim, il avait tâché sa chemise en mangeant, mais avait repoussé le moment de se changer. Je suis peut-être romantique et vieux-jeu, mais c'est avec la personne que j'aime que je veux m'unir et trouver le plaisir. J'attendais de te rencontrer !
L'implication de cette dernière phrase fit perdre momentanément de vue cette histoire d'amour entre frères d'une même famille. Son professeur était puceau, comme lui !
– Dans les autres vies, aussi ?
– Eh bien, à la préhistoire, je ne me doutais pas de ton existence et durant la seconde vie, je ne croyais pas que j'aurais la chance que tu te réincarnes, toi aussi. Après ça, je t'ai toujours cherché,  même si j'ai été obligé de me marier avant de te rencontrer quand j'étais viking.
Autrement dit, son professeur avait toujours fait preuve de patience et Dake n'avait à être jaloux que de ses alter ego ou presque, à moins bien sûr que Noah ne mente parce qu'il semblait quand même bizarrement à l'aise pour quelqu'un vivant dans l'abstinence... excepté qu'était gravé en lui toutes leurs nuits d'amour passées. C'était plus que de la théorie, c'était un souvenir, même si c'était arrivé dans un autre corps, à une autre époque.


jeudi 2 mai 2013

A travers les âges - 97

Dake poussa un grand cri, et porta les mains à son cou dans un geste aussi instinctif qu'inutile.  Mourir noyé n'avait rien eu d'une partie de plaisir et il n'était prêt de se rendre à la piscine et encore moins d'aller à la mer, mais cette fin-là, avait été terrible. Être saucissonné, coincé, juste après avoir vu son bien-aimé se faire trancher la tête... Noah l'attira à lui et l'embrassa. La douceur et la chaleur de ses bras et ses lèvres rappelèrent l'adolescent au présent. Il était bel et bien vivant.
– C'était horrible, souffla-t-il d'une voix étranglée.
– C'est derrière nous, répondit M.Toukka, en le serrant un peu plus fort contre lui.
Le crâne de Dake lui faisait un mal de chien. Ce n'était pas que sa vie en tant que Claude qui lui était revenue, mais aussi celle en tant que blanchisseuse. Encore mal remis de l'expérience de la guillotine, l'adolescent eut un haut le cœur.
– J'ai envie de vomir, gémit-il.
Noah le souleva, glissa un bras sous les siens et un sous ses genoux et l'apporta en urgence dans la salle de bains qui était à deux pas. Le dîner de l'adolescent termina dans les toilettes de M.Toukka, puis il s'évanouit.
 Quand Dake reprit conscience, plusieurs choses le frappèrent : une immense lézarde traversait le plafond bleu pâle, un gant mouillé était étalé sur son front, il était allongé sur un lit moelleux et son professeur lui tenait la main.
– Mes souvenirs... Je ne contrôle rien, vous... tu sais, bégaya Dake avant d'avouer comment « Gabriel » lui avait rendu visite dans la nuit et prolongé son séjour dans la matinée alors même que l'adolescent était parfaitement réveillé.
– C'est pour cette raison que tu es venu ce soir ? demanda doucement Noah.
– Non... Je voulais vous... te dire... Je t'aime.
Un sourire extraordinaire illumina le visage de Noah, et comme un écho, il prononça les mêmes mots, avant de se pencher pour lui effleurer les lèvres d'un baiser.
– Je dois avoir un sale goût, balbutia l'adolescent.
– Je m'en moque. Je suis trop heureux pour m'en soucier.
Dake lui se sentait encore nauséeux et un espèce de malaise ne le quittait pas. 
– J'étais insupportable au XVIIIème siècle... Quand j'étais Claude...
– Mais non, tu étais juste pourri-gâté. N'y pense plus. Laissons le passé là où il est, désormais.
Il était tentant d'acquiescer, car Dake avait peur des souvenirs encore cachés dans sa mémoire. Seulement, il y avait cette histoire comme quoi ils n'avaient pas fait l'amour depuis deux siècles... Et l'adolescent voulait savoir. Peut-être que l'un d'eux avait été handicapé ou atteint d'une maladie grave ?

mercredi 1 mai 2013

A travers les âges - 96

Que Claude retourne les sentiments d'Antoine ne bouleversa pas fondamentalement leur relation, simplement parce qu'elle avait déjà changée.
Ils vécurent quelques mois délicieux, assombris toutefois par l'augmentation des troubles dans le pays. Ils ne faisaient pas bon d'être nobles, même avec des idées républicaines. Claude et Antoine songeaient à émigrer, tout en ayant du mal à s'y résoudre, quand un soir, alors qu'ils étaient nus, enlacés sur le tapis dans le bureau qui était situé au rez-de-chaussé, les choses tournèrent au cauchemar. Habitués désormais à entendre des clameurs et des cris dans les rues, ils n'y avaient pas prêtés garde.
Soudain, une pierre brisa la fenêtre, et entre les rideaux une tête ébouriffée apparut. L'homme les vit, et attira aussitôt l'attention de ses compagnons sur ces nobles immoraux et pervertis. Déjà, ils se rhabillaient, mais le mal était fait.
Ils ne purent échapper à la foule d'hommes qui les captura et les entraîna sans les écouter, sans se préoccuper des serviteurs du duc qui réveillés par l'ampleur du bruit, étaient venus aux nouvelles.
Ils furent jetés en prison comme des criminels. Depuis l'exécution du roi, quelques semaines auparavant, les massacres avaient pris de l'ampleur. Toute personne supposée contre-révolutionnaire pouvait être emprisonnée et être exécutée sans aucune forme de procès. Ils passèrent une nuit épouvantable, espérant tout de même qu'ils seraient relâchés,  la sodomie ayant été dépénalisée en 1791, se consolant de la situation parce qu'ils étaient ensemble. Le lendemain, Antoine essaya de soudoyer un garde, en vain. Ils passèrent deux longues journées dans leur petite cellule avant qu'ils leurs soient annoncés qu'ils allaient être guillotinés. Leurs protestations, leurs plaidoyers tout cela tomba dans l'oreille d'un sourd. Ils furent obligés de monter avec d'autres condamnés dans une charrette qui les conduisit jusqu'à la guillotine.
Il fallut ensuite grimper sur l'estrade où Antoine glissa à Claude sur le ton de la confidence :
– N'ai-je pas toujours dit que tu me faisais perdre la tête, mon cœur ?
Vu leur situation, la plaisanterie était d'un mauvais goût total, mais elle arracha un sourire à Claude, car il aurait pu la faire. Finir sa vie par un pied nez était préférable à pleurer et supplier d'être épargné.
Trop vite, Antoine fut attaché à la planche, la lunette de bois tomba, suivi du couperet et la tête du duc se détacha. Le bourreau la récupéra dans le panier et la montra à la foule. Claude ferma les yeux pour ne pas voir, puis, ce fut son tour. Il fut placé sous la guillotine et attendit les dents serrées que la machine de mort fasse son office. Il allait rejoindre Antoine en Enfer ou au Paradis, ou qui sait, peut-être dans une autre vie... Il ressentit une brève douleur et tout fut terminé.