lundi 31 juillet 2017

Remplacement standard - 3

— Elle est partie en vacances pour décompresser et elle a fait appel à nos services pour la remplacer durant son absence. Normalement, vous auriez dû avoir à affaire à une de mes collègues, mais elle a eu un accident et c'est moi qui ait été affecté à votre cas. N'ayez toutefois aucune inquiétude, j'ai toutes les compétences nécessaires.
— Je veux maman… gémit Gaëlle avant de fondre en larmes.
Jonas se racla la gorge. Il avait dû mal à avaler que Gwen soit partie comme ça, en douce, sans un mot.
Il caressa les cheveux bruns de sa fille pour la consoler.
— Vous êtes un genre de super nounou ? On va passer à la télévision ? s'enthousiasma Gui, imperméable à la détresse de sa sœur.
— Non, désolé, rien d'aussi sensationnel. J'assure un remplacement, c'est tout. Je ferai tout ce dont votre maman s'occupe durant quinze jours.
Et le mari ? songea Jonas. Il devrait se passer du réconfort que lui apportait sa femme. Le contraire eut été étonnant, à moins de tomber dans une sorte de prostitution. Toujours est-il qu'avec son nounou mâle, Jonas pouvait même se brosser pour le plaisir des yeux.
Gwen devait être vraiment à bout de nerfs pour avoir recours à un service pareil et sans prévenir. En même temps, depuis seize ans qu'ils étaient ensemble, elle savait bien qu'il n'était pas du genre à flirter avec les baby-sitters… Mais ce n'était ni le moment de se plonger dans le passé, ni même celui de chercher à comprendre pourquoi Gwen avait agi ainsi. Il s'agissait surtout de déterminer la marche à suivre.
— Pa', t'es toujours avec nous ?
Jonas hocha la tête à la question de Gilbert. Ils étaient tous dans l'expectative, ses enfants comme le fameux remplaçant.
— Si la société qui vous emploie a un site internet, pourriez-vous me donner son adresse que je le consulte ?
Même si Jonas avait envie de se débarrasser de l'inconnu, il n'était que trop conscient qu'il ne pourrait pas travailler et s'occuper de la maison et des enfants par dessus le marché. Et comme il ne fallait apparemment pas compter sur Gwen…
— Oui, bien sûr.
— Tu ne vas laisser ce guignol rester chez nous quand même ? s'insurgea Gilbert.
— Sois poli, veux-tu, répliqua Jonas, quittant l'entrée pour le salon accolé où se trouvait l'ordinateur.
Tout le monde l'y suivit. Être ainsi cerné était désagréable, mais Jonas se contint. Gaëlle avait encore les joues humides.

vendredi 28 juillet 2017

Remplacement standard - 2

Repérant enfin une paire à lui dans le désordre, Jonas les chaussa et traversa en quelques enjambées la courte allée qui le séparait du portail, clef à la main. Un jour, il faudrait qu'il paie quelqu'un pour réparer le système d'ouverture à distance.
Il se retrouva face à un homme d'une trentaine d'années de la même taille que lui, les cheveux châtains, les yeux bleu-verts. Le type portait un t-shirt et un jeans noir, un blouson de cuir marron et des baskets de ville. Il avait sur le dos un sac de sport rouge vif et à ses pieds une valise d'une teinte similaire. Il ne ressemblait ni à un plombier ni à un serrurier venu en urgence et encore moins à un docteur. A en croire ses bagages, il avait l'intention de s'incruster chez eux. Peut-être était-ce un membre éloigné de la famille de Gwen qu'elle avait accepté d'héberger…
— Excusez-moi, mais qui êtes vous et pourquoi êtes vous ici ?
— Je m'appelle Ethan. Je viens pour le remplacement standard. Ma collègue a eu un accident et n'a pu se charger de votre dossier comme prévu. Enfin, votre épouse a dû vous expliquer tout cela.
Jonas n'avait certes pas envie d'avouer que Gwen ne lui avait pas touché un mot de cette affaire ou du moins qu'il n'y avait pas prêté attention. Cela ne regardait en rien un étranger. Il ne pouvait cependant pas le renvoyer comme cela, sans risquer une dispute avec Gwen. Il lui fit donc signe de le suivre.
Ethan, puisque c'était son nom, s'empara de sa valise et remonta l'allée moussue tandis que Jonas refermait derrière lui.
— C'est qui, papa ? demanda Gui qui s'était planté dans l'entrée, Gaëlle cachée derrière son dos.
Jonas éluda la question et appela encore Gwen, puis faute de mieux, Gilbert.
L'adolescent parut en t-shirt et caleçon rayé, l'air ensommeillé. Il avait dû lui aussi éteindre tard. Il était accro à des jeux en ligne. Gwen se plaignait tout le temps qu'il passe trop de temps à s'abîmer les yeux devant l'écran, tout ça pour des trucs bêtes et violents. Elle jugeait que Jonas aurait dû y mettre le holà, excepté qu'il ne voyait pas le mal à ce que son aîné se bastonne virtuellement.
— Qu'est-ce qu'il y a, pa' ?
— Où est ta mère ?
— Aucune idée, répondit-il en haussant les épaules. C'est qui ? ajouta-t-il en pointant Ethan du doigt.
— J'escomptais que ta mère éclaire notre lanterne.
— Elle ne vous a donc rien dit, murmura l'homme, gêné.
Jonas se retint de le secouer par les épaules pour lui tirer au plus vite les vers du nez. Il était fatigué et sa mauvaise humeur augmentait de minute en minute depuis qu'il avait été obligé de se lever précipitamment.
— Cela va être à vous de le faire, répliqua-t-il, dents et poings serrés.

jeudi 27 juillet 2017

Remplacement standard - 1

Le son strident répété de la sonnette obligea Jonas à émerger. Un coup d'œil au réveil lui apprit qu'il était seulement huit heures du matin. C'était affreusement tôt pour un dimanche, surtout qu'il avait travaillé tard la veille, ayant pris hélas du retard dans un projet pour un gros client.
Il mit à la hâte le premier pantalon qui lui tomba sous la main, se demandant pourquoi Gwen n'était pas allée voir qui c'était puisqu'elle était apparemment déjà levée. Peut-être était occupé avec Gaëlle et Gui. A sept et dix ans, ils avaient encore besoin de beaucoup d'attention et il ne fallait pas compter sur Gilbert, 13 ans, pour daigner répondre.
Après un temps d'arrêt, la sonnette retentit encore. Jonas, pestant entre ses dents, renonça à boutonner la chemise qu'il avait commencé à enfiler et descendit les escaliers quatre à quatre. Qu'elle que soit l'identité de la personne dehors, elle avait intérêt à avoir une excellente raison pour venir déranger ainsi les gens de bon matin, autrement, il allait lui dire sa façon de penser. Il ne fallait en tout cas pas compter qu'il la reçoive avec le sourire.
Il déverrouilla le porte en maugréant, cherchant dans le fatras de souliers et chaussons une paire à lui qui fut facile à enfiler, si besoin était d'aller ouvrir le portail à deux mètres de là.
Comme c'était le bazar, il laissa momentanément tomber sa quête de chaussures et aboya :
— C'est pour quoi ?
Il ne put s'empêcher d'ajouter d'un ton mal aimable :
— Ce n'est pas une heure pour se présenter chez les gens.
Derrière la grille obturée par un panneau pour préserver leur intimité des passants, une voix masculine retentit :
— Je suis désolé. C'est l'horaire qui a été convenu avec votre femme.
Jamais Jonas n'avait eu vent qu'une quelconque visite matinale n'ait été programmée par Gwen. Deux choses l'une : soit elle ne l'en avait pas informée, soit il n'avait pas enregistré l'information.
Quand il était très concentré, on pouvait lui parler, il n'entendait rien.
Se détournant du portail pour l'intérieur de la maison, il appela Gwen, mais ne reçut aucune réponse. Deux têtes apparurent cependant en haut de l'escalier, celles de Gaëlle et Gui.
— Papa, c'est qui ? demanda son fils.
— Où elle est maman ? interrogea sa petite princesse.
Il y avait là un mystère à résoudre, mais il ne pouvait décemment s'en occuper en laissant mariner trop longtemps dans son jus l'inconnu dans la rue, si un rendez-vous avait en effet été pris.

mercredi 26 juillet 2017

Le petit triton - 8 (fin)

— Rou est à moitié poisson ! Ce n'est que grâce à moi qu'il a des pieds ! Tu ne peux pas abandonner ta promise pour cette créature ! clama la sorcière.
Eric rit face à l'éclat de la mégère, puis regarda Ondin.
— Voilà qui explique nombre de tes bévues, mon adoré.
Ondin qui avait craint d'être rejeté après la révélation de la sorcière eut un timide sourire.
— Il allait t'assassiner, glapit encore l'affreuse sirène.
Le petit triton ferma les yeux. Il avait failli en effet. Il ne méritait pas l'amour du prince.
Des vagues émergèrent alors ses parents, ses sœurs, sa grand-mère et ses amis, encerclant la sorcière des abysses.
Ils révélèrent le marché de dupes dont Ondin avait été victime, et le pacte pas plus juste qu'avaient passé ses sœurs en échange de leurs chevelures dans l'espoir de sauver leur frère.
La sorcière face à tant d'opposants paniqua et prit les traits de la fiancée du prince, tentant de le convaincre de sa voix de velours que tout cela n'était que mensonges.
Eric qui n'avait pas lâché Ondin, pas même en apprenant le crime qu'il avait prémédité, lui asséna alors ses mots :
— Je vous remercie d'avoir donné à Ondin des jambes pour qu'il puisse marcher à mes côtés. A présent, il ne vous reste plus qu'à vous réjouir de notre bonheur.
— Il allait mettre fin à tes jours !
— Et moi, j'allais briser son cœur et le mien au passage en me mariant avec vous, juste parce que vous étiez une femme, que vous aviez une jolie voix et que vous m'aviez soit disant sauvé, or il se trouve que tout est faux. Vous êtes une sirène, vous avez volé votre voix et si cela ne tenait qu'à vous, je serais mort.
Deux tritons voulurent s'emparer de la sorcière. Cette dernière qui s'étouffait déjà de rage, se débattit et mourut.
Ondin ne retrouva pas sa voix pour autant, mais garda ses jambes.
Il envoya des baisers du bout des doigts aux sirènes et tritons qui étaient venus lui apporter leur soutien alors qu'ils les avaient quittés sans un au revoir.
Des larmes roulèrent sur ses joues, lui pourtant qui n'aurait pas dû être capable de pleurer. Elles signifiaient qu'il n'était plus un triton, mais un homme doté d'une âme.
— Reviens nager de temps en temps avec nous, dit sa grand-mère.
Ondin hocha la tête avec enthousiasme.
Eric remercia la famille de son adoré et promit qu'il prendrait soin de lui. Tritons et sirènes s'enfoncèrent dans la mer.
Eric embrassa encore Ondin, puis le soulevant dans ses bras, il l'amena dans sa cabine pour lui faire l'amour.
Sous ses caresses, Ondin se sentit fondre et quand leurs corps s'unirent pour n'en faire plus qu'un, il eut l'impression de flotter sur un petit nuage.
Ils s'étaient trouvés et plus rien ne les séparerait ni les sirènes ni les hommes. Et, quand leur dernière heure sonnerait, c'est ensemble qu'ils monteraient au ciel.

                                                 FIN

mardi 25 juillet 2017

Le petit triton - 7

Les préparatifs du mariage battirent leur plein jusqu'à la veille du grand jour.
Eric choisit d'enterrer sa vie de garçon en allant faire un tour en mer et bien sûr Ondin fut de la partie. Avec le poignard qu'il avait gardé sans qu'il s'explique bien pourquoi...

Ondin revint au présent. Eric dormait paisiblement : son torse se soulevait et s'abaissait régulièrement, ses lèvres entrouvertes comme dans l'attente d'un baiser.  Il ne pouvait pas lui ôter la vie. Il n'en avait ni la force ni l'envie. Plutôt perdre la sienne.
De sa bouche, Ondin effleura le front du prince tout doux, puis s'en fut. La douleur qu'il éprouvait à marcher n'était rien par rapport à celle qui étreignait son cœur.
Il était au bastingage, contemplant le reflet de la lune dans la lame du poignard, honteux d'avoir pu envisager ne serait-ce qu'un instant tuer Eric pour retrouver sa vie de triton, quand le prince apparut.
— Que fais-tu là avec cette arme ? Tu ne vas tout de même pas sauter par dessus bord, protesta-t-il, comme Ondin passait une jambe par dessus la rambarde.
Il était plus que temps pour le petit triton de tirer sa révérence, il ne s'était que trop attardé. L'air éploré d'Eric le retenait encore cependant.
— Oh, Rou… souffla le prince en faisant un pas vers lui.
Ne t'approche pas, aurait voulu hurler Ondin. A la place de quoi, il ramena la lame vers son cœur, prêt à la plonger en lui. Tout plutôt que le prince réalise qu'il avait failli attenter à ses jours.
— Non, s'écria Eric, affolé. Ne te tue pas !
Il ne savait pas, le pauvre… Tout ce qu'Ondin avait à faire, c'était de basculer dans la mer. La nuit se terminait, son voile d'obscurité se levant et bientôt poindrait les premiers rayons du jour.
— Je t'aime, déclara le prince. Je ne l'épouserai pas. Tant pis si personne ne comprend pas. Si mes parents ne t'acceptent pas, alors, nous fuirons ensemble.
Ondin crut rêver ses mots, mais Eric continua :
— J'ai été faible en acceptant ce mariage pour faire plaisir à ma famille et parce que j'avais reconnu en ma fiancée, la voix de celle qui m'avait sauvé. Maintenant que je suis sur le point de te perdre, je me rends compte qu'il n'y a que toi qui a vraiment de l'importance. Je l'ai pourtant su dès le moment où tu as cherché comment enfiler ma chemise…
Le poignard tomba des mains de Ondin et se ficha dans les lames de bois du pont du bateau.
Eric le rejoignit aussitôt, le descendit du bastingage et ses lèvres se posèrent sur celles de Ondin, d'abord douces, puis de plus en plus exigeantes.
Ondin sentit ses jambes faiblirent. La sorcière des abysses surgit alors des flots en vitupérant, ses cheveux gris tout hérissés de fureur.
Eric serra plus fort le corps d'Ondin contre le sien.

lundi 24 juillet 2017

Le petit triton - 6

Soudain, il vit son ami dauphin bondir hors des flots, puis les têtes de ses sœurs parurent, leurs belles chevelures coupées ras.
— Flap nous a expliqué le marché que tu avais passé avec la sorcière des abysses et nous aussi nous nous sommes arrangées avec elle.
— Si tu tues le prince avant la pleine lune, en plantant ce poignard dans son cœur, tu seras sauvé et tu pourras revenir vivre avec nous, comme avant.
Ondin secoua la tête. Il ne voulait pas prendre l'arme, mais ses sœurs insistèrent, racontant que même grand-mère avait sacrifié ses cheveux. De guerre lasse, parce qu'il éprouvait des remords de les avoir abandonnées, il finit par s'en emparer, puis il regagna le château.
Dans sa chambre, il trouva Eric qui l'attendait.
— Où étais-tu passé ?
Le prince s'adressait toujours à lui comme s'il pouvait lui répondre et c'était quelque chose que le petit triton aimait, cela prouvait qu'il ne le considérait pas comme un muet simplet à la différence des autres humains.
Ondin prit la main d'Eric et l'attira à la fenêtre pour lui montrer la mer et la lune qui se reflétait dans les vagues. Dans sa poche de veste, le poignard le brûlait. Il aurait dû refuser, mais il n'avait pu face à leurs suppliques et leurs coupes courtes.
— Tu as l'air si malheureux ces derniers temps. C'est à cause de mon mariage ? Tu sais, je lui ai parlé de toi et tu pourras demeurer auprès de moi, comme maintenant.
Le voir embrasser cette femme alors que lui devrait se contenter qu'il lui ébouriffe les cheveux... Eric ne se rendait pas compte ce qu'il lui proposait.
De toute façon, c'était impossible. Le mariage d'Eric signifiait la fin de Ondin.
— Ne peux-tu te réjouir pour moi ?
Ondin soupira et libéra la main d'Eric qu'il tenait encore dans la sienne.
Ce fut autour du prince de presser ses doigts entre les siens.
— Oh, Rou, murmura-t-il. Je dois me marier.
La perspective ne semblait pas lui plaire plus que cela, cependant, cela se voyait qu'il était résolu.
— C'est ma sauveuse, après tout, sans elle, je ne serais plus.
C'était faux, mais Ondin n'était pas en mesure de lui expliquer.
— Bonne nuit, souffla Eric en rangeant une mèche de Ondin derrière son oreille.
Après son départ, le petit triton sortit le poignard. Il devait s'en débarrasser. A quoi bon le garder puisqu'il ne comptait pas s'en servir ? Et en même temps, la vie du prince ne lui appartenait-elle pas ? Si Ondin n'avait plongé à son secours, Eric se serait noyé. Il ne voulait pas le laisser à une autre, à cette espèce d'imposteur à la voix de velours si semblable à celle qu'il avait perdu.
C'était la sienne, réalisa-t-il soudain avec effroi. Ce qui signifiait que cette femme n'était autre que la sorcière des abysses déguisée. Cette dernière ne reculait décidément devant rien pour plonger Ondin dans le désespoir, comme si elle lui en voulait personnellement. Ce devait être sa vengeance pour avoir été bannie par les parents du petit triton.

dimanche 23 juillet 2017

Chaussure perdue, le 1er conte moderne en livre

Chaussure perdue, le livre est disponible sur The Book édition. Il comprend 140 pages dont 33 inédites avec le point de vue de Vic. Il coûte 6,71€ en papier et 5,69 € en PDF numérique.
Pour ceux qui ont aimés tous les contes modernes sans exception, une intégrale devrait paraître un jour.
https://www.thebookedition.com/fr/chaussure-perdue-p-351292.html
Présentation : La réalité dépasse souvent la fiction à telle point, qu'écrite, elle en devient invraisemblable. Il suffit de lire les faits divers dans les journaux ou de les écouter à la radio. Des atrocités inimaginables côtoient d'incroyables miracles. Et, si pareilles histoires existent, pourquoi les contes de fée n'auraient-il pas un écho dans notre monde moderne ? 
Chaussure perdue revisite le conte de Cendrillon, mais transposé à notre époque, et avec deux princes.

A travers les millénaires, le livre

A travers les millénaires, le livre est disponible sur The Book édition. Il comprend 163 pages dont un bonus inédit et coûte 7,04€ en papier et 5,69 € en PDF numérique.
https://www.thebookedition.com/fr/a-travers-les-millenaires-p-351295.html
Résumé : Ils se sont aimés à travers les âges, de vies en vies, se réincarnant... et leur histoire d'amour est éternelle, mais la guerre interplanétaire qui fait rage risque d'apporter un point final à la vie elle-même. Voici la suite de A travers les âges, du côté de celui qui se souvient.

vendredi 21 juillet 2017

Le petit triton - 5

Un jour, cependant, il surprit une conversation entre deux serviteurs.
— Rou suit le prince partout comme un toutou.
— Faut dire qu'il le traite comme un animal de compagnie.
Ondin aurait voulu pouvoir protester, mais il y avait une part de vérité là-dedans qui le blessait au plus profond de son être.
Eric l'emmenait avec lui et le flattait de la main, mais cela s'arrêtait là.
Ondin se mit à rêver d'être un véritable animal tel ce chat à trois pattes recueilli par le prince qui pouvait se frotter sans honte à ses jambes ou encore ce chien à l'allure pitoyable qui lui léchait le visage à grands coups de langues ou encore ce vieux cheval qui pouvait manger au creux de sa  paume.
Ondin était jaloux de l'attention qu'Eric accordait aux autres quels qu'ils soient, mais s'efforçait de le cacher et d'être souriant en toutes circonstances. Il était malgré tout plus heureux à ses côtés qu'au fond de la mer et si les choses avaient pu perduré ainsi, il s'en serait volontiers contenté.
Seulement, Eric commença à se plaindre de l'insistance de ses parents à ce qu'il se marie. C'est vrai qu'il était en âge de le faire.
— Si tu avais été une femme, Rou, c'est toi que j'aurais épousé... Au moins, j'aurais été certain tu ne me casserais jamais les oreilles avec des jérémiades.
Ondin avait cessé de respiré à ses mots. Il réalisait finalement qu'il n'avait jamais eu aucune chance, que le marché avec la sorcière n'avait été qu'un jeu de dupes, qu'il aurait mieux fait de croire ses sœurs et sa grand-mère. Eric, indépendamment des sentiments qu'il pouvait ou non ressentir à son égard, ne pouvait se marier avec Ondin, un garçon incapable de lui donner des enfants. Ce n'est pas seulement des jambes qu'il  lui aurait fallu, mais un autre sexe. Et même cela n'aurait sûrement pas suffi. Ce n'était pas tous les jours que les princes épousaient des bergères.
Des fêtes furent organisées afin qu'Eric fasse la connaissance de jeunes filles fortunées des pays voisins. Ondin y assistait en silence, le cœur chagrin. Il voyait bien que le prince n'y prenait pas plaisir, mais cela ne le consolait guère. Et puis, elle arriva, dotée d'une voix mélodieuse et Eric crut reconnaître celle qui l'avait sauvé. La jeune fille ne nia pas et Ondin sut que ses jours auprès du prince étaient désormais comptés. Soir après soir, Eric dansa avec elle et finit par confier à Ondin qu'il allait l'épouser.
Le lendemain, plutôt que de faire tapisserie en le regardant tournoyer au bras de celle qu'il considérait comme sa sauveuse, Ondin s'en fut seul à pas lents sur la plage pour contempler la mer. Il y retournerait bientôt, se fondant dedans à tout jamais.

jeudi 20 juillet 2017

Le petit triton - 4

— Je ne vois rien, déclara finalement Eric, le relâchant. Mais pourtant, pas de doute, tu as mal quand tu marches... Où sont tes vêtements ? Laisse-moi te raccompagner jusqu'à chez toi.
Ondin le regarda avec intensité. Il n'avait jamais eu d'habits, si ce n'est des parures de coquillages et des écharpes d'algues et il ne pouvait retourner au fond de l'océan. Il avait choisi de vivre avec Eric, mais comment lui faire comprendre sans mots ?
Le brun soupira.
— Évidemment, tu ne peux pas me répondre et je ne vais tout de même pas t'abandonner avec rien sur le dos dans l'embarras.
Il ôta sa chemise, dévoilant un torse bronzé des plus séduisants et la lui tendit.
Ondin la prit, tenta de l'enfiler, mais dut s'y prendre mal, car Eric intervint et l'aida.
— Es-tu un enfant sauvage pour ne pas savoir comment t'habiller ? Allons, viens, appuie-toi sur moi, je vais t'emmener au château.
Ondin sourit, content de la tournure des évènements. Eric avait vraiment un cœur compatissant pour prendre ainsi soin d'un parfait inconnu.
Au château, le prince  – car c'en était bel et bien un – le fit examiner par un médecin en pure perte. Il lui donna de beaux habits ainsi qu'un endroit pour dormir. Enfin, comme il ne savait son nom et qu'Ondin n'était pas en mesure de lui dire, il choisit de l'appeler Rou.
Les parents d'Eric ne se montrèrent pas très accueillants vis-à-vis du nouveau venu qu'ils considéraient comme une lubie de leur fils.
— C'est un simplet. Sa place n'est pas ici, décrétèrent-il dès le premier soir, à la fin du dîner, comme Ondin mettait de la nourriture partout, car il ne savait pas se servir des drôles d'instruments disposés autour de l'assiette.
Cependant, Eric n'en démordit pas et jours après jours, il passa du temps avec Ondin, lui apprenant patiemment à quoi servait les objets qui l'entouraient. Il se confiait volontiers à lui, peut-être parce qu'il savait que Ondin ne pourrait rien répéter à personne.
Ainsi, si Eric avait pris l'habitude de se rendre quotidienne sur la plage où il avait été découvert après la tempête, c'était dans l'espoir de retrouver celui ou celle qu'il avait sauvé. Il ne l'avait pas vu, mais il l'avait entendu et tenait à remercier la personne.
Ondin écoutait volontiers le prince tâchant par son attitude de montrer à quel point tout ce qu'il lui racontait l'intéressait. Il aimait l'accompagner dans toutes ses activités. Parfois, Eric lui caressait les cheveux et Ondin se prenait à espérer plus.

mercredi 19 juillet 2017

Le petit triton - 3

Ce fut Flap qui en cherchant à le consoler laissa échapper qu'il y avait peut-être une solution. Ondin le pressa aussitôt de questions et le dauphin lui révéla l'existence de la sorcière des abysses qui avait été bannie par le père d'Ondin des années auparavant.
Le petit triton partit aussitôt la trouver dans son habitation de roches qui ressemblait à un poulpe géant.
La vieille sirène aux cheveux gris et à la queue noire et décharnée savait bizarrement pourquoi Ondin était venu.
— Mon petit, si tu veux des jambes à la place de tes branchies, ce sera définitif et ce ne sera pas gratuit.
— Je suis prêt à tout, affirma Ondin.
— Mon prix sera ta voix et ta souffrance. Chaque pas que tu feras te coûtera, comme si tu te marchais sur un banc des coquillages effilés.
Le triton n'avait pas peur de la douleur, car il dépérissait de toute façon loin de son aimé, cependant la sorcière commençait à l'effrayer. Passer un marché avec elle ne pouvait qu'être source d'ennuis, cependant son désir de fouler le sol pour rejoindre celui dont il était tombé amoureux fut plus fort et il accepta.
Ce n'est qu'après qu'il ait bu l'infâme mixture préparée par la sorcière qu'elle lui révéla que si Ondin ne parvenait pas à ce que le prince l'aime au point de l'épouser, alors, il perdrait la vie.
Comme il n'était pas temps de regretter, le petit triton nagea vers la surface. Ses écailles turquoises s'effritaient, le ralentissant et quand il atteignit la plage, celle sur laquelle il avait déposé le prince, sa queue s'était divisée en deux. Il avait à présent deux jambes roses avec un petit appendice entre.
Se mettre sur pieds fut une entreprise délicate et son premier pas lui fit si mal qu'il s'effondra aussitôt. Cependant, il se releva et progressa avec lenteur sur la dune, en grimaçant.
C'est alors qu'il le vit. Son homme en chair et en os et en couleur. Son effigie en pierre ne lui rendait pas justice.
— Bonjour ! Tout va bien ?
Oui, voulut répondre Ondin, le bonheur de le retrouver éclipsant la douleur de marcher. Cependant, ses lèvres eurent beau former le mot, aucun son ne s'en échappa.
Il était désormais muet, lui qu'on avait tant complimenté sur sa mélodieuse voix. Il faudrait qu'il s'y habitue.
Il acquiesça et avança vers le brun, désireux de réduire la distance qui les séparait, mais ne put retenir une grimace. Chaque pas était une torture, la sorcière n'avait pas menti.
— Vous êtes sûr que ça va ? Je m'appelle Eric et vous ?
Ondin secoua la tête en désignant sa gorge.
— Ah ! Vous êtes muet ! Alors, vous n'allez pas pouvoir me raconter pourquoi vous êtes nu et trempé... Je suppose que vous êtes allé nager et que vous vous êtes blessé d'une façon ou d'une autre... Asseyez-vous donc et montrez-moi vos pieds.
Ondin opina et obtempéra. Sous le regard bleu d'Eric, il se sentait troublé et quand il le toucha, ce fut pire.

mardi 18 juillet 2017

Le petit triton - 2

La tempête était trop forte et la coque de l'embarcation des hommes se brisa. Tous ses passagers se retrouvèrent à l'eau. Ondin, cependant, n'avait d'yeux que pour un seul. Comprenant que son humain bien-aimé risquait de se noyer, il plongea pour le retrouver. L'homme brun s'enfonçait dans les profondeurs, sans doute avait-il été assommé, car il coulait à pic au milieu des débris, immobile.
Ondin nagea le plus vite qu'il put jusqu'à lui, agitant bras et queue avec force. Enfin, ses bras se refermèrent sur lui. Il était plus lourd qu'une pierre. Sachant que l'homme ne pouvait respirer sous l'eau, Ondin se dépêcha de le ramener à l'air libre où les éléments faisaient toujours rage.
Il lutta pour ramener son humain bien-aimé au rivage tandis que peu à peu la tempête se calmait.
Il le sortit de l'eau, rampant sur le sable pour le mettre au sec.
 Posant sa tête sur son poitrail, Ondin constata avec bonheur que son cœur battait toujours. Le brun allait vivre. Ondin aurait bien voulu demeurer à ses côtés, mais des voix humaines qui s'approchaient l'en dissuadèrent. Il ne devait pas être vu. C'était la règle des sirènes et des tritons : rester à l'écart des hommes.
L'humain était sauvé, c'était tout ce qui comptait.
— Remets-toi bien, souffla Ondin avant de regagner la mer qui le lava des grains de sable collés à ses écailles.
Il lui était assurément plus aisé de se mouvoir dans les flots que sur terre. Pour y vivre, il lui aurait fallu des jambes. Cependant, Ondin n'osa s'ouvrir de son désir à quiconque. Les autres tritons et sirènes n'auraient pas compris. Ils aimaient jouer, danser et chanter sous la mer dans leur palais de corail et de coquillages, au milieu des algues et des poissons. Les sœurs de Ondin avaient chacune leur petit jardin, qu'elles décoraient de perles, coquillages et objets tombés au fond des mers. Filles du roi des lieux, toutes plus belles les unes que les autres, elles étaient courtisés par tous les tritons. Ondin aussi avait son lot d'admiratrices avec sa peau nacré, ses yeux vert océan, ses cheveux de feu et sa queue bleue turquoise. Seulement, lui, il se languissait de l'homme brun.
La découverte d'une statue de pierre blanche au fond des mers représentant son aimé, à priori perdue lors du naufrage, ne fit qu'attiser son envie de vivre à ses côtés.
Ses chants très appréciés lors des fêtes devinrent si tristes et poignants que ses sœurs finirent par l'interroger, alors Ondin leur confia son amour pour l'homme brun. Elles le mirent en garde : c'était voué à l'échec. Ondin, comme tous les tritons et sirènes était incapable de pleurer, mais il en éprouva un chagrin intense. Ce fut au tour de sa grand-mère de lui arracher des aveux. Elle aussi chercha à lui faire comprendre que c'était impossible, surtout que son humain devait être quelqu'un d'importance, un prince sans nul doute, pour avoir une statue de marbre à son effigie.

lundi 17 juillet 2017

Le petit triton - 1

Ondin, les mains crispées sur le manche du poignard, secoua la tête. Il ne pouvait pas le faire. C'était impossible. Planter cette lame dans le corps de l'homme qu'il aimait, lui ôter la vie, le priver de son souffle.
Quoiqu'en disent ses sœurs et en dépit du sacrifice de leurs chevelures, mieux valait pour lui de mourir, devenir écume et se fondre dans la mer. Est-ce qu'Eric regretterait Ondin ne serait-ce qu'un peu une fois qu'il aurait disparu ? Non, pour lui, il n'était qu'un jeune homme muet et maladroit qui l'amusait avec ses impairs. Eric allait se marier avec la jeune fille qui l'avait sauvé, du moins le croyait-il...
Comment Ondin en était-il arrivé à cette horrible situation ? Et il se rappela...


— Nous sommes des créatures de l'eau et eux de l'air, c'est normal.
Sa grand-mère lui parlait des âmes immortelles que les humains possédaient et qui faisaient défaut aux sirènes qui, elles, se transformaient en écume à leur mort, au lieu de monter au ciel.
Ondin voulut savoir comment en obtenir une et sa grand-mère lui expliqua qu'il fallait se faire aimer d'un homme, mais que c'était impossible car leurs queues de poissons aux brillantes écailles n'étaient guère prisées par ces êtres qui évoluaient sur deux bâtons.
Quand le petit triton eut l'âge de quitter les profondeurs pour visiter la surface, il resta en admiration devant la beauté de ses deux membres, alors il retourna encore et encore sur les crêtes des vagues pour contempler les humains.
Il les regardait parfois marcher sur le rivage, mais le plus souvent se déplacer sur des bateaux que la mer soit d'huile ou agitée. Parmi les marins, il y avait un homme brun pas particulièrement beau en comparaison avec les tritons et les sirènes, mais qui avait de magnifiques jambes et surtout un cœur compatissant : il avait fait libérer un dauphin capturé malencontreusement dans un filet de pêche. Et ce n'était pas n'importe lequel, c'était Flap, l'ami de toujours de Ondin.
Dans l'espoir de le revoir, Ondin était monté à la surface un nombre incalculable de fois au mépris des risques de se faire attraper et de finir dans quelque cirque humain comme monstre de foire.
Ses tentatives furent le plus souvent vaines et ce n'était jamais la troisième fois qu'il parvenait à le voir quand le vent se leva. Le ciel s'obscurcit d'un coup, le soleil caché par d'épais nuages noirs. La pluie se mit à tomber de plus en plus forte. Sur le pont du bateau, les humains s'activaient en tout sens, leurs voix se perdant dans le bruit des vagues furieuses et du vent mugissant.

vendredi 14 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 16 (fin)

Cependant, même après cela, Beau ne s'éloigna guère de Orso, surveillant son rétablissement de près.
Orso, dès qu'il en fut capable, voulut savoir s'il n'avait pas rêvé que Beau l'aimait. Le jeune homme le lui confirma en l'embrassant.
Orso qui commençait à regagner ses forces l'attira à lui de sorte que Beau se retrouva plaqué sur son torse puissant.
— Ta blessure ! s'exclama-t-il en s'écartant avec hâte.
— Ça va, reviens contre moi.
Beau s'allongea avec précaution aux côtés de Orso, posant sa tête contre son épaule.
— Je sens que tu vas être un malade insupportable, du genre à vouloir quitter le lit trop tôt, soupira-t-il.
— Pas si tu es avec moi dedans, répliqua Orso.
Beau se redressa sur un coude.
— Tu ne dois pas bouger pour le moment, protesta-t-il, les joues rouges ayant compris ce qu'il entendait par là.
— Je serais sage, promit Orso.
— Depuis combien de temps me vois-tu ainsi ? demanda Beau avec curiosité. Tu ne cessais de réclamer mon amitié, je ne me doutais pas que tu désirais mon amour...
— Eh bien, j'aurais dû être aveugle pour demeurer de marbre face à toi, vu comment tu es horriblement séduisant, mais c'est depuis que tu as pris ma main dans la tienne pour t'occuper de mes ongles... J'ai eu envie que tu me touches davantage, mais je n'ai rien dit pour ne pas t'effaroucher. Mon plan était de d'abord gagner ton amitié. Je craignais déjà ne jamais l'obtenir. Comment un homme aussi beau que toi aurais pu vouloir d'une bête comme moi ? Et pourtant, plus le temps passait et plus je brûlais de te faire mien.  Seulement, je n'osais pas te parler d'amour.
Ils en avaient perdu du temps à se montrer timides tous les deux, mais cela n'avait plus d'importance désormais puisqu'ils s'étaient trouvés, qu'ils avaient su chacun voir au-delà des apparences. Beau avait perçu la bonté et le charme de la Bête en dépit de son allure impressionnante et de sa rudesse. Orso avait été capable de comprendre que le jeune homme n'était pas seulement beau, mais aussi généreux et que s'il était calme en surface, il avait aussi son caractère.
Ils s'étaient sentis attirés l'un par l'autre en même temps, leurs sentiments l'un envers l'autre grandissant peu à peu tels des boutons de roses déployant leurs pétales.
Quand Orso fut totalement remis, il fit l'amour à Beau avec sauvagerie. Les fantasmes du jeune homme cessèrent d'en être pour devenir réalité. Orso le combla même davantage qu'il n'avait pu l'imaginer, le possédant totalement, l'emplissant de lui et l'éblouissant.
Ensemble, ils vécurent heureux jusqu'à la fin de leurs jours, entourés de roses et de livres. 

FIN

jeudi 13 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 15

Orso glissa sur le sol et s'y étendit, se tenant la poitrine au niveau de la tâche sanglante. Beau s'agenouilla près de lui, paniqué.
— Ne meurs pas, je t'en conjure. Je suis désolé. Je ne me doutais pas que mes vautours de frères complotaient de t'ôter la vie.
Orso esquissa un sourire proche de la grimace.
— Ce qui compte, c'est que tu sois revenu, même si sur le moment je les ai crus quand ils ont dit que tu étais de mèche avec eux, que toi aussi tu souhaitais que je disparaisse...
Orso toussa, la respiration sifflante.
— Ne parle plus. Je vais te soigner et tu vas vite guérir, déclara Beau, commençant à déchirer sa chemise pour bander la plaie de la Bête.
— C'est inutile, mon heure est venue. Avant ma blessure, j'étais déjà affaibli. En ton absence, la nourriture avait perdu tout goût, et j'ai peu à peu cesser de me sustenter.
Les paupières de Orso se fermèrent.
— Non ! Non ! Je t'aime, je t'en supplie, accroche-toi, cria Beau, les yeux plein de larmes.
La poitrine de Orso s'abaissait de plus en plus lentement.
Le jeune homme se pencha pour l'embrasser. Que la Bête se fâche, trouve l'énergie de le repousser et puise dedans la force de vivre ! Mais contre toute attente, Orso prit le contrôle du baiser, l'approfondissant avant de s'immobiliser.
Beau, catastrophé, posa la main sur le cœur de la Bête, et constata avec soulagement qu'il battait toujours quoique faiblement. Il allait vivre, décida-t-il. Il le banda avec difficulté, puis réveilla ses frères en les aspergeant avec l'eau du bassin et appela ses sœurs d'une voix forte. Ils allaient l'aider ou bien il se chargeait de leur faire regretter durant le restant de leurs jours.
A le voir si furieux et si menaçant, lui qui avait toujours été conciliant avec eux, ils coopèrent avec lui pour porter la Bête dans un lit, faire bouillir de l'eau, panser et désinfecter la plaie, puis préparer un bouillon nourrissant.
Après quoi, Beau hésita à les enfermer dans un des cachots, mais finalement il leur donna des bijoux en les faisant promettre de ne plus jamais revenir et leur confia un message pour leur père où il l'assurait qu'il serait heureux auprès de la Bête et qu'il le visiterait de temps à autre. Ses frères et sœurs partirent sans demander leur reste, trop heureux de s'en tirer à si bon compte, le laissant au chevet de Orso.
Beau le veilla nuit et jour, changeant régulièrement le linge mouillé sur son front fiévreux, le faisant boire et manger à la cuillère, jusqu'à ce qu'il l'estime tiré d'affaire. 

mercredi 12 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 14

Ils attelèrent le cheval à la charrette et s'en furent au pas. Ils traversèrent la forêt, son frère et sa sœur devisant gaiment, Beau silencieux, toutes ses pensées tournées vers celui qu'il allait retrouver.
Une fois devant les remparts, il eut la surprise de voir son autre frère et une autre de ses sœurs  descendre de la charrette. Ils y étaient montés en douce, se cachant sous des couvertures. Beau se fâcha, mais ils se moquèrent et le jeune homme dut se résigner à entrer avec eux dans le château, se consolant que la plus jeune de ses sœurs ait eu la présence d'esprit de rester auprès de leur père.
— Orso ! Je suis de retour ! cria-t-il.
Mais la Bête ne répondit pas. Considérait-il que la présence des frères et sœurs de Beau constituait une invasion de son territoire ? Ces derniers s'égayaient dans les jardins en propriétaire.
Ils exagéraient, songea Beau. Sa sœur aînée revint soudain vers lui, exigeant qu'il lui fasse visiter l'intérieur. Beau se laissa entraîner, espérant y trouver Orso.
Ils grimpait les escaliers d'une des tours tarabiscotées, quand un hurlement déchirant retentit. Il se précipita à la fenêtre. Sa sœur se mit en travers de son chemin, mais il la repoussa sans ménagement, sans écouter ses dires rassurants. Il avait reconnu la voix de la Bête.
En contrebas, près du bassin, ses frères s'attaquaient à Orso sous les yeux de sa sœur cadette qui applaudissait à deux mains. Orso semblait avoir du mal à s'en sortir et une tâche rouge maculait le devant de sa chemise.
Le sang de Beau ne fit qu'un tour, s'arrachant aux mains de sa sœur, il dévala les marches et courut jusqu'au jardin, jusqu'à lui. Il comprenait maintenant pourquoi ses frères et sœurs lui avaient demandé à maintes reprises si la Bête était vraiment seule dans sa demeure. Ils voulaient la tuer pour s'emparer de ses richesses.
— Arrêtez ! s'écria-t-il en fonçant droit sur le trio.
Orso était tout décharné et il luttait mollement contre ses assaillants, comme si mourir lui était égal.
Beau se jeta sur son aîné et, le débarrassant de son poignard, lui infligea une correction musclée.  
Apparemment, le voir voler à son secours avait redonné du courage à Orso, car le frère cadet de Beau mangea à son tour la poussière.
Voyant ses frères à terre, assommés, sa sœur préféra pour sa part s'éclipser plutôt que de subir le courroux conjoint de Beau et de la Bête.

mardi 11 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 13

— Ne vas-tu donc jamais accepter d'être mon ami ? s'agaça Orso un soir, peu après avoir essuyé un nouveau refus de Beau, alors même qu'ils riaient ensemble de bon cœur quelques minutes plus tôt.
Beau craignait trop de lui avouer qu'en vérité, il aurait mieux aimé être son amoureux. Il ne voulait pas retourner au cachot ou pire, être chassé à tout jamais du château, loin de Orso. En même temps, il voyait bien que la situation n'était plus tenable. Peut-être qu'avec du recul, il y verrait plus clair.
— Laissez-moi rendre visite à ma famille pour la rassurer, après je reviendrai et je serai ce que vous voulez, déclara-t-il.
— Très bien. Je te fais confiance pour revenir dans une semaine au plus tard.
Beau sourit, le cœur serré. Oui, il se résignerait à être son ami à défaut de plus et garderait enfoui au plus profond de lui son désir qu'il l'enlace dans ses bras puissants et le dévore de baisers.
Le lendemain, sous le regard maussade de Orso, le jeune homme se prépara à partir. Beau traîna, n'ayant pas vraiment envie de quitter la Bête, puis songeant à son père qui devait être rongé d'inquiétude à son sujet, il enjoignit son cheval chargé de présents pour sa famille à avancer.
C'était Orso qui l'avait encouragé à se servir, déclarant que tous ses habits princiers trop petits, robes et bijoux dans les armoires et les malles l'encombraient plus qu'autre chose.

Beau, à son retour dans la demeure familiale,  trouva son père alité, les champs labourés de travers et la maison dans un état déplorable.
Ses frères et sœurs s'extasièrent sur la richesse des vêtements qu'il rapportait avec lui, bien que les aînés ne pussent s'empêcher de souligner que leurs coupes étaient passées de mode. Ils l'interrogèrent longuement sur la fortune de la Bête.
Il raconta qu'elle était un homme impressionnant, mais certes pas un monstre et que c'était parce qu'elle se sentait bien seule dans son château vide qu'elle avait exigé une épouse ou un prisonnier. Il avait donc prévu de retourner auprès d'elle.
Tout en prenant soin de son père qui s'était réjoui d'apprendre que son benjamin n'avait pas été maltraité, Beau fit de son mieux pour satisfaire leur insatiable curiosité.
Craignant que ses frères et sœurs ne soient pas de très bon gardes malades, le jeune homme prolongea son séjour, ne voulant pas abandonner le vieux marchand tant qu'il ne serait pas sur pieds.
Il espérait que Orso ne lui en tiendrait pas grief. Il lui manquait chaque jour et au bout de deux semaines, constatant que l'état de son père s'améliorait, il voulut repartir. Il n'avait pas prévu que ses frères et sœurs veuillent l'accompagner.
Il n'avait guère envie de partager Orso avec quiconque et ne voulait pas que leur père demeure sans personne, mais ils le cajolèrent tant et bien qu'il céda à moitié. Deux d'entre eux pouvaient venir. La Bête apprécierait sans doute de connaître davantage de gens.

lundi 10 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 12

— Vous feriez mieux de vous habiller avant de prendre froid, dit Beau d'une voix rauque.
La Bête se servit dans une armoire couchée et enfila des habits beaux, mais étriqués vu sa stature.
— Il vous faudrait du sur-mesure. Je ne suis pas couturier, mais j'ai dû apprendre à repriser, aussi je sais manier un fil et une aiguille, et avec l'aide d'un livre sur la confection, je pourrais peut-être arriver à quelque chose, vous seriez ainsi plus à votre aise.
— Tu n'as pas besoin de te donner tant de peine.
— J'y tiens, répliqua Beau.
Si cette grosse Bête s'imaginait qu'elle était une cause perdue, il allait la détromper ! Dès que Orso fut rhabillé, il l'encouragea à se contempler dans un miroir.
La Bête se fit tirer l'oreille, mais céda.
Devant son reflet, il resta interdit avant de murmurer quelque chose qui ressemble fort à « c'est magique », puis il toucha ses joues barrés des traits lie-de-vin.
— La barbe les cachait au moins, bougonna-t-il.
— C'est discret et on ne voyait vraiment plus votre visage sous tous ses poils ! Et puis, de toute façon, vous pouvez laisser repousser, si ça ne vous convient pas.
— Non, non, c'est bon.

    Les jours s'écoulèrent tranquillement. Beau, à l'aide d'un manuel de couture, confectionna des vêtements adaptés à Orso et lut jusqu'à plus soif. Il jardina aussi aux côtés de son geôlier, et l'aida également à nettoyer le château. Plus il passait du temps avec lui et plus il l'appréciait. Orso était soupe au lait, mais très gentil, toujours à chercher à lui faire plaisir. Oui, depuis le début, il était un diamant brut qui n'avait besoin que d'être poli.
A chaque dîner, Orso lui demandait de devenir son ami et chaque fois, Beau refusait, non plus parce qu'il jugeait absurde qu'un prisonnier se lie d'amitié avec son geôlier, mais car il voulait être davantage.
Il le désirait chaque jour davantage, avec plus de force, rêvant de partager sa couche, de glisser les doigts sur son torse velu. Cependant, il avait peur de la réaction de Orso si jamais il se rendait compte de la manière dont ile le regardait, aussi il fantasmait le plus discrètement possible.

vendredi 7 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 11

Beau était excité. Il rougit et détourna les yeux en s'humectant les lèvres. Pour se calmer, il s'activa pour remplir le baquet d'eau chaude.
Quand la Bête s'immergea dedans, Beau en éprouva un regret coupable. Il aurait aimé contempler sa nudité plus longuement, même si alors, peut-être n'aurait-il pas pu résister à l'envie de perdre ses doigts dans les poils de son torse.
La Bête n'avait apparemment pas remarqué son trouble, à moins qu'elle ne l'ait encore interprété de travers, car si elle avait su, elle aurait sans aucun doute mal réagi.
— Comment vous appelez-vous ? demanda Beau, songeant qu'il ne pouvait continuer à le nommer la Bête, alors qu'elle était un homme, certes immense, mais on ne peut plus attirant.
— La Bête, le Diable, je n'ai point d'autres noms.
— Mais comme cela se fait-il ? Tout le monde...
La Bête l'interrompit :
— Ma nourrice m'a raconté que ma mère n'avait pu se résoudre à me donner le prénom qu'elle avait prévu à l'origine pour moi.
— Quel était-il ?
— Je ne sais.
Beau lui choisit sur le champ un nom, un qui, il en était convaincu, irait comme un gant à la Bête.
— Pour moi, vous serez désormais Orso.
— Comme il te plaira, bougonna la Bête en se frottant énergiquement le corps avec un savon.
Ce spectacle était par trop fascinant. Beau  préféra s'en arracher sous prétexte d'aller lui chercher des habits propres pour Orso.
Ce n'est que dans le couloir qu'il réalisa qu'il tenait là une excuse pour braver l'interdit et se rendre dans les quartiers du maître des lieux.
Ce qu'il y découvrit le laissa pantois : tout y était saccagé, les meubles étaient renversés et cassés, les tableaux éventrés, les miroirs brisés...
La Bête déboula alors, encore toute mouillée et nue. Elle secoua Beau par les épaules.
— Tu n'avais pas le droit !
— Pardon. Mais que s'est-il passé ici ? Vous ne devriez pas vivre dans cette aile...
— Si, pour me rappeler que je mérite mon sort,  que je ne suis qu'une Bête... s'écria Orso d'un ton qui trahissait une profonde souffrance.
— Vous êtes homme, certes plus grand que la moyenne, et avec un sacré tempérament, mais...
— Et pourtant, j'ai été abandonné de tous. Même toi, tu n'es sous mon toit que parce que tu es mon prisonnier.
Beau ne nia pas, c'était vrai. Mais il était loin de trouver la compagnie de Orso déplaisante. Plus il en apprenait sur lui, plus il l'appréciait. Le problème, c'était que le désir tout neuf qu'il éprouvait pour lui l'embarrassait.

jeudi 6 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 10

La Bête lui prépara un petit déjeuner de roi : chocolat chaud, petits pains et confiture de pomme parfumée à la rose.
Beau le remercia et le félicita pour ses talents culinaires, jouissant de son embarras. Il voulut ensuite s'occuper des ongles de la Bête qui renacla et retarda le moment en lui offrant de prendre des vêtements de son choix dans les armoires du château.
Beau n'était pas du genre à se soucier de son habillement, mais il accepta, se disant qu'il dénicherait peut-être quelque chose de plus adaptée à la taille de son geôlier qui décidément semblait à l'étroit dans les tenues qu'il portait.
Ses recherches n'aboutirent pas. Sur l'insistance de la Bête, il dut sélectionner pour lui-même des chemises aux manches bouffantes, des jaquettes brodées et des pantalons assortis. Il refusa cependant de les enfiler avant que la Bête n'ait accepté que Beau le rase, et lui coupe ongles et cheveux.
Ellese résigna, refusant toutefois catégoriquement qu'ils aillent dans ses quartiers pour procéder.
— Mais que cachez-vous donc là-bas ? Des cadavres ? demanda Beau.
La Bête s'offusqua.
— Tu as trop d'imagination !
— Certes, mais en m'interdisant de visiter vos quartiers et uniquement eux, avouez que cela à de quoi piquer la curiosité.
— Ne compte pas sur moi pour la satisfaire.
Beau s'inclina et finalement, ils s'installèrent dans la cuisine sur des tabourets.
Quand Beau prit la main de la Bête dans la sienne pour tailler ses ongles, il fut frappé par la rugosité de ses doigts et la largeur de sa paume et une pensée incongrue le traversa : quel effet cela lui ferait si la Bête le caressait avec ?
Les joues en feu, il termina le travail, puis s'attaqua à la barbe de la Bête, révélant des joues aux hautes pommettes marquées de traits lie-de-vin. Beau se sentit tout chose en les effleurant.
Il lui épila ensuite les sourcils sur l'arrête du nez, arrachant des cris terribles à la Bête qui lui intima d'arrêter. Beau cependant su lui faire accepter cette « torture » jusqu'au bout. Il lui coupa ensuite les cheveux qui se révélèrent doux, mais emmêlés.
Il n'avait pas pensé à mettre une serviette protectrice autour du cou de la Bête, aussi, quand il eut fini, elle ne tarda pas à se plaindre que cela la démangeait épouvantablement.
Les petits cheveux taillés étaient les coupables, comprit Beau, en le voyant s'agiter et pester en se frottant la nuque.
Il offrit de lui préparer un bain et l'aida à se déshabiller comme la Bête se grattait comme un forcené.
Tout était allé très vite, sans que Beau réfléchisse vraiment à ce qu'il faisait, mais quand il le vit nu, il cessa de respirer un instant. Son geôlier était  toujours monstrueusement grand, mais avec le visage dégagé, il avait figure humaine, son corps était indéniablement celui d'un homme. Il était velu et musclé. Tout était décidément énorme chez lui, y compris ses parties génitales.

mercredi 5 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 9

Ils déambulèrent dans les couloirs et pièces du château désert, puis se promenèrent dans les jardins. Beau dut assurer la majeure partie de la conversation, la Bête se montrant réticente à faire des confidences. Il lui raconta des anecdotes sur ses frères et sœurs, et comment leur vie avait basculé à la perte de la fortune de leur père.
Il eut ensuite de la bonne idée de le lancer sur ses rosiers et à ce sujet, la Bête se montra intarissable.
A l'heure du dîner, la cuisine se révéla un autre domaine sur laquelle son geôlier s'étalait volontiers. 
Beau le complimenta pour ses plats. La Bête se tortilla sur sa chaise et Beau trouva sa gêne mignonne.
— Veux-tu bien être mon ami, alors ? grommela la Bête tandis que Beau terminait sa savoureuse mousse au chocolat.
— Je ne sais pas si c'est compatible avec mon statut de prisonnier, répondit le jeune homme en toute honnêteté.
La Bête grimaça, se leva brusquement, lui souhaita bonne nuit et s'en fut.
Beau songea qu'il y avait de l'amélioration : il ne lui avait pas crié dessus. Après avoir débarrassé la table, il alla se coucher dans sa belle chambre et lut jusque tard dans la nuit.
    Cependant, par habitude, il se réveilla quand même tôt le lendemain matin et partit aussitôt à la recherche de la Bête. Il ne le trouva ni dans la cuisine ni dans la salle à manger, mais au jardin, assis au bord d'un petit bassin, se parlant à voix basse à lui-même, à moins qu'il ne s'adresse aux poissons... Beau s'approcha subrepticement pour entendre.
— Comment faire pour qu'il m'apprécie ? Je n'aurais pas dû le mettre au cachot. Je crains qu'il ne soit déçu en découvrant que rien ne peut m'améliorer...
Le jeune homme fut touché par ses inquiétudes. Afin qu'il ne sache pas qu'il l'avait écouté, il recula de quelques pas, puis s'avança à nouveau, en faisant du bruit.
— Bonjour ! s'écria-t-il.
— As-tu bien dormi ? demanda la Bête en se mettant debout, le dominant de toute sa hauteur.
— Oui. Ce lit princier m'a changé de mon habituel.
La Bête se méprit une fois de plus, croyant qu'il faisait allusion à la nuit qu'il avait passé à même le sol dans le cachot, et s'emporta.
Beau laissa passer l'orage, puis précisa que c'était en comparaison avec son couchage dans la maison campagnarde où il habitait avec son père, ses frères et ses sœurs.
Il eut un pincement de cœur en pensant à eux. Il espérait que tout allait bien pour eux, car son sort à lui n'était pas si mauvais en fin de compte.
— Pardon, marmonna la Bête, penaude.
C'était la première fois qu'il s'excusait et Beau trouva que décidément, il y avait du progrès.

mardi 4 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 8

— Vous avez vraiment tendance à prendre la mouche pour un rien. Si vous faisiez des efforts là-dessus, que vous vous montriez plus aimable et que vous vous arrangiez un peu, je suis sûr que les gens cesseraient de vous fuir.
— Ah ! C'est facile à dire pour toi qui est plus resplendissant que le soleil couchant, même dans des nippes terreuses, beau à faire pâlir les roses de mon jardin. Moi, mère nature m'a maudit dès la naissance en m'affligeant de cette affreuse enveloppe !
En prononçant ses paroles, la Bête dévora Beau du regard et le jeune homme se sentit troublé. Tout le monde l'avait toujours admiré, il avait souvent été jalousé, mais cela semblait aller plus loin pour la Bête.
— Laissez-moi vous aider à soigner votre apparence et à améliorer vos manières,  qu'avez-vous à perdre ?
La Bête tourna les talons. Beau regretta son départ.
Heureusement, tel un papillon attiré par la flamme, l'immense homme revint et le sortit à nouveau de son cachot, pour le conduire cette fois à une chambre digne d'un prince : tableaux aux murs, tapis au sol, lit à baldaquin, armoire sculptée et peinte, petite bibliothèque...
 — Cela te convient-il ?
— Je serais difficile, si ce n'était pas le cas, répondit Beau.
— Par ailleurs, à partir de maintenant, tu dîneras à ma table.
Beau aurait bien aimé connaître le pourquoi de son nouveau revirement, mais se garda de poser la question. Vu comme son geôlier était soupe au lait, il risquait de se voir renvoyé derrière les barreaux.
— Tu peux explorer le château, hormis mes quartiers dans l'aile sud, mais tu ne dois pas franchir les remparts, continua la Bête.
— C'est gentil à vous de m'accorder autant de libertés.
Il était sincère, mais la Bête crut qu'il se moquait et s'énerva.
Beau qui commençait à s'habituer à ses soudains colères et qui avait appris la patience avec ses frères et sœurs, attendit que la Bête se calme de lui même.
Et, une fois que son geôlier eut cessé de tempêter, il lui sourit.
La Bête le dévisagea, ses yeux dorés étincelant. 
— Tu n'étais pas ironique ?
— Non, pas du tout, dit Beau, amusé par l'air désarçonné de la Bête.
Son geôlier était décidément un drôle de personnage.
— Tu veux vraiment m'aider ?
— Oui. Je suggère que nous commencions par vous couper les cheveux et vous raser.
— Je te vois venir... Tu en profiteras pour me trancher la gorge ! s'écria la Bête.
Beau éclata de rire.
— Même armé, vous êtes plus fort que moi. Mais si cela vous inquiète, je peux débuter par vos ongles.
— Nous verrons tout cela demain. Bavardons plutôt aujourd'hui.

lundi 3 juillet 2017

Le Beau et la Bête - 7

Ils traversèrent, sans croiser personne, des salles et des couloirs tous décorés et tapissés, beaux, bien que poussiéreux et plein de toiles d'araignées, puis ils parvinrent dans une grande pièce qui contenait des rayonnages entiers de livres. Les étagères allaient jusqu'au plafond et débordaient. C'était une vision de rêve.
— Il faudrait plus d'une vie pour en venir à bout... souffla Beau.
— Je veux bien la partager avec toi. Et je suppose que tu pourrais avoir la chambre attenante, si tu promets de ne pas t'enfuir.
S'en aller alors qu'il avait pareille bibliothèque à disposition, il aurait fallu que Beau soit fou ! Cependant, l'enthousiasme du jeune homme retomba vite. Il était supposément le prisonnier de la Bête. Cette soudaine générosité ne cachait-elle pas quelque piège ?
— Pourquoi m'offrir cela ?
La Bête s'emporta aussitôt, envoyant valdinguer l'échelle à roulettes permettant d'accéder aux planches de livres les plus hautes.
— Ne peux-tu te réjouir sans me questionner ? Si cela ne te plaît pas, retourne au cachot !
L'attrapant d'un mouvement vif, il le jeta sur son épaule comme un vulgaire sac de patates et le rapporta à grandes enjambées dans sa cellule où il le laissa choir brutalement avant de l'abandonner.
Beau se massa le postérieur et s'épousseta. Son geôlier avait un fichu caractère. Le jeune homme se surprit toutefois à guetter son retour. Mêmes les deux livres qu'il avait encore ne l'empêchèrent pas de trouver le temps long.
Enfin, la Bête revint rôder devant sa cellule.
— Je ne voulais pas vous vexer, tout à l'heure, commença Beau comme son geôlier faisait les cent pas devant sa porte. C'est juste que je ne comprends pas. Pourquoi me faire des amabilités, si je suis votre prisonnier...
— Et pourquoi pas ? rétorqua la Bête. Pourquoi, à défaut d'une femme, ne pourrais-je avoir un ami ?
— A part vous, nul n'habite ce château ?
— En effet. Ils sont tous partis, prétendant que j'étais le diable incarné...
— Ainsi, vous êtes seul pour entretenir cette vaste demeure ? Cela doit être dur...
Et la Bête devait être bien solitaire.
— JE NE VEUX PAS DE TA PITIÉ ! hurla la Bête, ses mains aux ongles griffus crispées sur les barreaux de la cellule.
Beau rentra la tête dans les épaules, puis se redressa, refusant de se laisser intimider.