vendredi 31 mars 2017

A travers les millénaires - 28

Quand Wen rouvrit les yeux, il n'était plus dehors, à l'air libre, sur un terrain dévasté, mais dans une cage avec un autre prisonnier, les mains et pieds toujours attachés.
— Comment tu t'appelles ? D'où-tu viens ? demanda l'adolescent au visage tuméfié et aux habits déchirés qui partageait sa prison.
— Nous mettre ensemble, c'est une astuce pour nous faire parler, déclara Wen sans répondre aux questions de l'autre.
— Oh, ça va, on peut bien se présenter l'un à l'autre quand même. Moi, c'est Ghao.
— Wen.
— Et pourtant t'en as pas de veine, sinon, tu ne serais pas ici.
La plaisanterie était de mauvais goût, mais Wen esquissa un sourire malgré tout. Lui aussi en avait fait, en son temps, notamment face à la guillotine, à Claude, pour tenter de dédramatiser l'horrible situation...
— Et toi alors ? Depuis combien de temps es-tu là ?
— Je ne sais pas vraiment. Cela manque de pendule dans le coin.
Et de lumière aussi. La pièce dans laquelle se trouvait la cage était hermétiquement fermée et ses murs étaient uniformément lisses.
— Aucun repas pour te donner un repère ?
— Je n'ai été nourri que de coups.
L'un des murs s'écarta alors et deux saturniens entrèrent.
Wen reconnut immédiatement l'un d'entre eux. C'était Hoshi, plus âgé, la peau plus terne, l'anneau au-dessus de sa tête émoussé, mais c'était lui.
Wen prit sur lui pour ne pas laisser filtrer sa joie intérieure profonde.
Les deux saturniens enchaînèrent les questions, mais Wen demeura muet. Le camarade de Hoshi le sortit de la cage et le frappa encore et encore sur tout le corps avec une espèce de cravache, réduisant ses vêtements en lambeaux et écorchant sa peau.
Hoshi intervint, s'efforçant de calmer son collègue :
— Allons, c'est inutile, tu vois bien qu'il ne parlera pas.
— Ce n'est pas en se montrant doux que cela les motivera, rétorqua l'autre.
Jouaient-il le scénario du bon et du mauvais flic ? C'était aussi une technique pour délier les langues.
Wen avait plutôt envie de croire que c'était parce que Hoshi était du côté des humains. A moins qu'en dix-sept ans, il est changé de camp... Mais de toute façon, Wen s'en moquait. Il savait que tous étaient en tort, saturniens, végaliens, uraniens, humains...

jeudi 30 mars 2017

A travers les millénaires - 27

Après une nuit blanche à remonter le fil de ses vies antérieures, Wen se sentit vieux et fatigué. Sa mémoire était composée de souvenirs douloureux et heureux, tous liés à son âme-sœur. Hélas, avec cette guerre qui n'en finissait pas, ses espoirs de le rencontrer étaient minces. Il était plus probable qu'il meure avant.

    Wen quitta le centre de formation sans revoir Basile, ce qui le soulagea plus qu'autre chose.
A la base, il ne fut pas accueilli à bras ouverts par ses camarades plus âgés. Il n'était qu'un bleu. Il eut cependant tôt fait de prouver sa valeur. Son corps n'avait pas encore seize ans, mais il avait des siècles d'existence derrière lui et déjà une expérience bien trop grande à son goût des façons de se battre des saturniens, végaliens et uraniens.
Il sauva la mise à plusieurs dizaines de soldats et monta en grade. Tout le monde ne tarda pas à le traiter avec respect, si ce n'est quelques jaloux dégoûtés qu'il soit aussi jeune et aussi doué.
Wen ne tirait pourtant aucune satisfaction de sa situation. Il avait en effet rêvé de se couvrir de gloire au combat, mais c'était avant de se souvenir de ce qu'était la guerre : les corps déchiquetés et sanglants, les cris déchirants de douleur et tellement de morts que les gens se transformaient en statistique. C'était une folie, un cauchemar et pourtant la triste réalité.

    Un an après être devenu soldat, alors qu'ils se battaient contre des végaliens, Wen fut séparé de son groupe et tomba malencontreusement nez à nez avec une escouade de saturniens. Ils le capturèrent sur le champ et l'interrogèrent. Wen garda le silence pour éviter que ses camarades se retrouvent entre deux feux ennemis. Ils avaient déjà assez de peine comme cela avec les végaliens. Son absence de coopération lui valut plusieurs décharges électriques de fouets saturniens.
Ils commençaient à lui taillader la peau du bras avec de bonnes vieilles lames quand un des éclaireurs saturniens revint leur annoncer que les humains étaient en train de se faire massacrer par les végaliens.
Le chef de l'escouade trancha qu'il était inutile qu'ils s'emmêlent et ordonna que le terrien soit attaché et embarqué dès fois qu'il détienne des informations importantes tel l'emplacement de sa base. Un coup sur la tête fit perdre conscience à Wen.

mercredi 29 mars 2017

A travers les millénaires - 26

Le général se racla la gorge et poursuivit :
— Vous me rappelez quelqu'un que j'ai connu, votre aptitude au tir, ses yeux gris... Il est mort voilà 16 ans... La base de l'époque avait été attaquée par des saturniens. Nous nous étions disputés ce jour-là...
Il s'appelait Waldo alors. Wen sentit poindre un mal de tête. Le barrage était brisé et un flot torrentiel d'images du passé se déversait en lui. Basile l'accusant d'utiliser Hoshi, l'humain transformé en saturnien, son âme-sœur à travers les millénaires... Lui était mort et Basile était devenu général. Il y avait là une injustice profonde, mais tout cela n'avait pas vraiment d'importance. Ce qui comptait, c'est ce qu'il était advenu de Hoshi.
Perturbé par les souvenirs de ses vies antérieures qui affluaient, se bousculant en lui, alors qu'il avait désespérément tenter de les bloquer ces derniers mois, la question échappa à Wen.
Basile sursauta.
— Comment connaissez-vous ce nom ? C'est secret-défense !
— Parce que j'ai été Waldo, répliqua Wen.
Basile blanchit, le regardant avec un mélange d'horreur et de frayeur, puis secoua la tête.
— Non, non, c'est impossible.
— Je ne l'exploitais pas lui faisant l'amour, tu m'as accusé à tort.
Le général porta la main à son cœur, les lèvres tremblotantes.
Face à son désarroi, Wen eut un sourire presque cruel. Basile allait être obligé de le croire, cette fois... à moins qu'il ne fasse une crise cardiaque.
Mais non, il se remettait, reprenait contenance.
— Tout ceci est une plaisanterie de mauvais goût. Parfois quand je bois, ma langue se délie... Je suppose qu'un de mes camarades de beuverie vous a mis sur le coup, pour le plaisir de me faire marcher.
Le général rit nerveusement et reprit :
— Vous allez être affecté à un bataillon. Cependant, avant cela, vous avez droit à un mois de permission pour engrosser une fille. Si cela ne vous tente pas, nous pouvons simplement congeler votre sperme.
— Je choisis la seconde option, mon général, répondit Wen.
Il n'allait pas se fatiguer à répéter qu'il avait bel et bien été Waldo alors que Basile préférait nier l'évidence, se raccrochant à une explication rationnelle qui ne tenait pas la route plutôt que d'admettre que la réincarnation était possible et que la mémoire de Wen ne se limitait pas à sa seule vie.
Il eut été tenter d'insister pour savoir ce qu'il était advenu de Hoshi, mais peut-être que Basile n'en savait rien. Si par miracle il avait survécu à l'attaque de la base, ce jour-là, il devait être sur Saturne, mais si c'était le cas, en seize ans, il avait dû être découvert dans sa mission d'infiltration. Si Wen le retrouvait, son âme-sœur aurait alors un autre visage.
— C'est rare que les jeunes soldats refusent pareille opportunité... Vous êtes sûr ? A moins que vous ne soyez homosexuel...
Wen se demanda s'il ne ratait effectivement pas  une chance de rencontrer son âme-sœur, puis trancha qu'il ne souhaitait pas batifoler avec des filles pour cela. Son cher cœur pouvait tout aussi bien être un homme...
— Certain, mon général.
Wen avait hâte de quitter la pièce, cela le démangeait trop de secouer Basile un bon coup.
Ce dernier n'avait pas dû avoir besoin de rédiger un rapport, Waldo étant décédé... Son autre lui. Tous ses alter ego, tous ceux de son âme-sœur... Il voulait se souvenir au calme.

mardi 28 mars 2017

A travers les millénaires - 25

    Le lendemain, avec d'autres adolescents, Wen monta dans la navette qui devait les conduire à une base militaire et les transformer en valeureux soldats.
L'homme qui les accueillit là-bas, un général célèbre avec près de quarante de carrière derrière lui, lui parut familier, mais lui fut bizarrement de suite antipathique.
Il y avait pourtant quelque chose d'incroyable à ce que pareil homme qui avait survécu à tant de batailles contre leurs ennemis extraterrestres prenne la peine de leur adresser un discours de bienvenue.
Quand ses camarades s'enthousiasmèrent d'avoir rencontré ce héros, Wen ne se joignit pas aux louanges. Il savait, lui, que cet homme n'était pas si admirable que cela, que si la mort l'avait épargné, c'était plus une affaire de chance que de brillantes tactiques militaires. Il n'avait aucune idée d'où il tirait ses certitudes, ou plutôt il ne creusait volontairement la question. Il avait le sentiment qu'alors il perdrait toute envie de se battre.
    Il s'habitua plus vite qu'il n'aurait cru à la vie militaire : le milieu exclusivement masculin, les horaires stricts, les ordres auxquels il fallait obéir sans discuter, les longues heures passer à manipuler des pistolets, des canons, des fusils, des ordinateurs aux commandes meurtrières... Tout lui était familier, comme s'il l'avait déjà vécu. Mais si c'était le cas... Il repoussait l'idée. S'il se souvenait, il souffrirait.
Il était doué dans le maniement des armes, toutes sans exception. Les instructeurs n'en revenaient pas. Wen visait, tirait et faisait mouche en plein centre, presque à chaque fois. Il montait et démontait avec aisance, même les yeux bandés.
    Au bout de trois mois, il fut convoqué dans le bureau du général. Sur ordre de ce dernier, Wen s'assit sur le tabouret en plastique dur et inconfortable, tâchant de garder un visage neutre pour ne pas trahir la défiance que lui inspirait l'homme qui lui faisait face. Wen se doutait de la raison pour laquelle on l'avait fait venir : il n'était pas utile qu'il suive la formation jusqu'au bout, il était déjà opérationnel pour le combat.
Et c'est en effet ce que le général lui annonça. Tous les instructeurs avaient été unanimes : Wen avait tout du vétéran... excepté qu'il venait de débarquer.
— Comme si vous aviez été soldat dans une autre vie, conclut le général en laissant échapper un rire.
L'homme guettait sa réaction.
Wen se força à demeurer de marbre. Oui, c'était ça, mais il ne voulait pas que la mémoire lui revienne, pas encore. Cependant, il ne pourrait pas lutter contre l'inévitable phénomène si le général continuait à le provoquer.

lundi 27 mars 2017

A travers les millénaires - 24

La guerre entre les terriens, les saturniens, les uraniens et les végaliens faisait toujours rage. Le nombre d'humains avait baissé drastiquement. L'enrôlement dans l'armée était obligatoire à partir de quinze ans et les femmes devaient enfanter dès leur seize ans.
— Bientôt, ce sont des enfants qu'on enverra à la guerre, dit sa mère tristement tandis que Wen ouvrait son cadeau d'anniversaire un jour en avance, car dès le lendemain, il irait grossir les rangs de l'armée.
Il ne serait cependant envoyer se battre contre l'ennemi qu'après une année de formation. Cela faisait cependant déjà deux ans qu'il avait des cours pour apprendre à se battre. C'était obligatoire.
Wen était plutôt motivé pour aller en découdre avec les saturniens, uraniens et végaliens, mais il n'avait pas envie de quitter sa mère. Cette dernier allait se retrouver seule, son père était décédé dix ans plus tôt, au combat. Wen n'avait aucun souvenir de lui. Il ne l'avait jamais vu de sa vie. Il ne le connaissait qu'à travers les histoires que sa mère avait raconté sur lui.
Ils s'aimaient et c'était pour cela qu'ils avaient eu Wen. Ce n'était pas comme maintenant où la plupart des couples ne se formaient par que par devoir patriotique. Il était même question de s'en remettre à l'insémination artificielle, quitte à faire des vierges enceintes.
— Cela te plaît ? demanda sa mère.
Wen acquiesça, ému, en caressant du bout des doigts la couverture en cuir du livre relié. C'était une antiquité. Cela faisait des siècles que l'on en fabriquait plus, les jugeant encombrant alors que l'on pouvait mettre des milliers d'histoires sur quelques composants électroniques. Wen avait cependant toujours rêvé de posséder un livre papier comme en on voyait sur les vidéos documentaires. Cela avait dû coûter cher à sa mère. Il l'embrassa sur la joue.
— Je l'emmènerai avec moi au centre de formation.
C'était le premier livre qu'il touchait et pourtant, sous ses doigts, la sensation était bizarrement familière. C'était étrange. Cela lui évoquait des choses, mais il ne voulait pas se souvenir quoi. Il s'y refusait. Il avait l'impression que s'il commençait à se rappeler, ce serait comme ouvrir la boîte de Pandore.

vendredi 24 mars 2017

A travers les millénaires - 23

— Hoshi est mon âme-sœur, déclara-t-il.
— Et moi, je suis quoi dans ton délire ? Le grand méchant qui se réincarne vie après vie pour faire obstacle à votre bonheur ?
Basile cherchait à le tourner en ridicule, mais Waldo prit sérieusement en compte sa suggestion avant de conclure que non. C'étaient les circonstances qui les empêchaient d'être ensemble jusqu'à leur dernier souffle. C'étaient des bêtes sauvages qui l'avaient attaqué et déchiqueté vivant, c'était une tempête qui les avaient noyés après plusieurs années heureuses en mer, c'était la révolution qui les avait séparés, la première guerre mondiale... Et à présent, c'était un conflit interplanétaire qui se mettait entre eux.
Il secoua la tête, puis ajouta :
— A dire vrai, même si c'était le cas, je serais bien incapable de l'affirmer. Il n'y a que mon âme-sœur que je reconnais. Alors, à moins que toi aussi tu te souviennes de quelque chose...
Basile s'empourpra de colère.
— Tu es malade. Je ferais mon rapport, assura-t-il.
Waldo ne chercha pas à le retenir. Il avait été trop loin pour encore espérer le convaincre de les laisser tranquilles.
Il retourna s'allonger dans la couchette pour attendre Hoshi, espérant que le docteur ne lui inflige pas de pénibles examens, le gardant éloigné plus longtemps que nécessaire de Waldo. Ils n'auraient même pas 72 heures.
Hoshi réapparut, peu après. Tout s'était bien passé. Waldo ne put se résoudre à lui rapporter sa dispute avec Basile. Il ne voulait pas que l'angoisse de leur inévitable séparation gâche leur dernier moment ensemble.
— Que dirais-tu d'une douche ? Je t'aiderai à te laver et tu me rendrais la pareille. Ce serait un peu comme du temps où je m'appelais Titus et toi, Ewen.
Si Hoshi avait été encore humain, il aurait sûrement rougi. Au lieu de cela, il répondit oui avec une voix empreinte de timidité.
Il n'y avait pas de caméra non plus dans l'étroite douche. Ils y étaient collés l'un à l'autre. Waldo savonna amoureusement la peau de Hoshi qui semblait scintiller davantage sous le jet d'eau. Il voulait garder en mémoire la douceur de son corps et de son souffle court.
— Waldo, gémit Hoshi.
— A ton tour, mon cœur, répondit Waldo en lui passant la bouteille de savon liquide avant de lui tourner le dos.
Hoshi frotta son cou, ses épaules, son torse, ses hanches, et s'attarda sur son pénis. Waldo sentit son érection contre la raie de ses fesses.
— Tu peux me pénétrer, souffla-t-il en se tordant le cou pour l'embrasser.
Hoshi lui rendit son baiser et plongea en lui, allant et venant avec vigueur, obligeant Waldo à garder les mains sur les carreaux du mur.
Ils jouirent ensemble, l'eau chaude continuant à couler sur leurs corps brûlants.
Ils venaient à peine de retrouver leur souffle qu'une sonnerie stridente retentit. C'était l'alarme signalant que la base était attaquée. Ils se rhabillèrent dans l'urgence. Hoshi avait pour consigne de s'enfermer comme s'il était un authentique prisonnier saturnien dans ce cas. Waldo l'étreignit et le laissa, le cœur lourd. Lui aussi avait ses ordres.
Dans les couloirs, les officiers couraient dans tous les sens. Il y eut une explosion, puis une autre et encore d'autres.
Sans doute Waldo avait usé de toute sa chance en retrouvant son âme-sœur pour la seconde fois dans une même vie, car il mourut ce jour-là.

jeudi 23 mars 2017

Orcéant - 109 (fin)

CHAPITRE 30
Ils étaient tous réunis dans la cour du château, non pas pour des adieux, mais pour un au revoir.
Byll avait retrouvé son corps d'orcéant, grand et bleu, dépourvu de cheveux et Léopold avait repris les rennes du pouvoir.
Le roi avait écouté la suggestion de Byll de mettre en place un conseil avec un représentant de chaque espèce, permettant à chacune d'exposer ses griefs et ses besoins. Il y avait encore du chemin à faire pour que toutes les espèces  vivent en harmonie sur Erret et peut-être même d'ailleurs n'y parviendraient-elles jamais vraiment, mais au moins, ils avançaient dans la bonne direction.
Le père de Violette avait été nommé représentant temporaire des dragons, Rouge ayant refusé de l'être et Korel, celui des licornéens. Byll n'avait pas voulu être celui des orcéants, même pour une courte période. Il lui semblait avoir fait assez de politique pour toute une vie.
Elissande qui avait aidé à effacer les oiseaux bleus des membres innocents du mouvement de la Liberté, avait été invitée à demeurer au château en tant qu'instructrice en magie et avait accepté, mais avait négocié un congé pour aller rendre visite avec Jaro à leurs familles respectives.
L'homme noir qui avait contribué à la capture des dirigeants du mouvement de la Liberté s'était vu offert une place dans la garde royale, comme Pierrick d'ailleurs. Le rouquin n'avait pas fait la fine bouche, trop content de demeurer auprès de Korel.
— Vous êtes sûrs de vouloir partir en voyage ? demanda le licornéen.
— Oui, nous espérons retrouver des dragons et leur apprendre qu'ils peuvent désormais vivre au grand jour, si jamais ils ne le savent pas encore, dit Byll.
— Vous serez en tout cas toujours les bienvenus au château, assura Léopold.
— Vous êtes invités au mariage, ne l'oubliez pas, ajouta Violette.
— Nous tâcherons de ne pas rater cet événement, promit le dragon.
— Rouge, si tu veux redevenir le frère jumeau de Pierrick, n'hésite pas à venir me trouver, lança Elissande comme le dragon aidait Byll à s'installer sur son dos.
Merci.
— Pourquoi ne pas utiliser Jaro comme modèle, tu dois connaître son physique sur le bout des doigts ? demanda Pierrick.
— Parce que ce sera plus confortable pour Rouge d'avoir une apparence familière ainsi que pour Byll, répliqua la jeune femme, les poings sur les hanches.
L'orcéant préférait en effet cette option, mais il savait que Pierrick, lui, était gêné vis-à-vis de cela. Cependant, le rouquin, au lieu de protester et d'insister pour qu'Elissande se serve de Jaro, soupira et lâcha :
— Bon, très bien. Cela ne me retire rien, après tout, et surtout, je leur dois bien cela.
Là-dessus, il effleura la corne torsadée brillante qui ornait le front de Korel, masquée par nul chapeau.
Ils échangèrent encore quelques mots, puis Rouge s'éleva dans les airs, Byll fermement accroché à lui, salué par des signes de mains.
Le dragon continua monter à grand renfort de battement d'ailes vers le ciel bleu jusqu'à ce que les terres en dessous d'eux ne forment plus qu'un patchwork de couleurs.
Ils accomplissaient enfin leur rêve, volant ensemble, aussi libres que l'air qui les environnait, à même d'aller où bon leur semblait.
Il s'éloignaient du bruit et du monde, le vent soufflant à leurs oreilles, flottant au milieu d'une mer de nuages cotonneux.
— C'est encore mieux que ce que je m'étais imaginé.
La tête posée contre le cou écailleux de Rouge qu'il enserrait dans ses bras, Byll approuva.
                                                    FIN

mercredi 22 mars 2017

Orcéant - 108

Korel et Pierrick chevauchèrent comme s'ils avaient le feu aux trousses, ne s'arrêtant que le strict nécessaire.
Quand ils parvinrent au château du roi, comprenant qu'ils allaient être refoulés aux portes, Korel usa de son influence licornéenne pour que les gardes les autorisent à entrer pour bavarder avec leur ami Rouge.
Après cela, chaque fois que quelqu'un s'enquérait de la raison de leur présence, Korel de la même façon. Cela ne lui plaisait pas, mais c'était un cas de force majeure. Il en venait cependant presque à comprendre pourquoi les humains coupaient leurs cornes aux licorneens. Leurs pouvoirs étaient en effet dangereux. Ils avaient cependant leurs limites. Sa tête devenait de plus en plus lourde et douloureuse, à mesure qu'il persuadait les humains de les laisser tranquilles, et chaque pas lui coûtait davantage d'effort. Pierrick, en dépit de ses protestations le souleva et se mit à le porter comme s'il était une princesse.
Finalement, au détour d'un corridor, ils tombèrent sur Rouge et ils lui expliquèrent en hâte le danger que Byll courait.
— Il est actuellement dans la salle du trône,  s'inquiéta Rouge et il fila comme le vent, sans un mot de plus.
Pierrick, Korel toujours dans ses bras, le suivit à vive allure.
— Cela va se produire, gémit le licornéen, la corne brûlante.
Les ailes de Rouge se déplièrent et au lieu de gravir péniblement les escaliers qui conduisaient jusqu'à la salle du trône, il s'envola. Des gens crièrent et des gardes projetèrent leurs lances en direction de l'étrange créature. Rouge esquiva et disparut dans les étages supérieurs.
Plus personne ne faisait attention à Pierrick et Korel, trop perturbé par l'étrange apparition de cet homme aux ailes de dragons. Pierrick était tout essoufflé, mais il ne voulut pas poser Korel et ne renonça pas à monter les marches. Ils pénètrent dans la salle du trône sans être arrêté, les gardes ayant disparu à l'intérieur sur les talons de Rouge.
Korel vit deux silhouettes ensanglantées  étendues près du trône. Le roi qui abritait l'âme de Byll, lui, se tenait debout et semblait n'avoir pas même une égratignure. Il tâchait d'expliquer aux gardes que Rouge l'avait protégé des deux agresseurs qui s'étaient introduit par un passage dérobé.
Rouge, lui, reprenait peu à peu sa véritable forme. Byll s'interposa entre les gardes et lui, les bras écartés, ridiculement petit par rapport au corps écailleux du dragon qui n'en finissait pas de grandir. Tout le monde sachant au château que le roi cherchait à supprimer la loi visant à supprimer les dragons, il finit par avoir gain de cause et les gardes s'occupèrent donc des deux hommes qui avaient été sévèrement brûlés. Pierrick et Korel qui n'avaient rien à faire là, faillirent également être emmené, mais Byll les en empêcha, prétendant que c'était lui qui les avait fait appeler avant l'incident.
Korel se mit à respirer normalement. Aucune de ses horribles visions ne se produiraient.
— Je n'aurais pas été utile à grand chose dans l'affaire, soupira Pierrick.
Korel allait lui répliquer que c'était faux quand la voix caverneuse de Rouge résonna dans leurs têtes :
— Chacun a joué son rôle, sans quoi, aucun de nous ne serait ici aujourd'hui. Je serais sûrement encore dans ma grotte et Byll en train de labourer des champs si Korel et toi n'étiez pas partis en quête de liberté.
— Mais ce n'est pas moi qui ait résolu quoi que ce soit, grommela Pierrick.
— Est-ce important ?
— Non, l'essentiel est le résultat, mais j'ai été injuste envers toi et Byll.
— Tu es venu nous sauver. Tout est pardonné.

mardi 21 mars 2017

Orcéant - 107

CHAPITRE 29
Korel se massa le front, à la base de sa corne, il avait à nouveau assisté à la mort de Byll et Rouge et cette fois, il avait même vu plus loin. Les humains se mettraient à se faire la guerre pour décider du prochain roi, décédé sans laisser d'héritier. Orcéants, trolls et gobelins seraient envoyés et forcés de se battre. Ce serait un bain de sang.
L'entrevue avec l'un des tatoueurs d'oiseaux bleus était pour le lendemain soir, mais il serait alors trop tard. Il savait à présent quand l'assassinat se produirait et s'ils voulaient être au château pour empêcher l'assassinat du roi à temps, ils devaient partir sans plus tarder.
Pierrick qui avait remarqué qu'il avait vacillé sur ses pieds et porté la main à sa tête lui demanda ce qui n'allait pas et d'une voix hachée, Korel le lui raconta, concluant :
— Je n'ai pas d'oiseau bleu, je vais me rendre là-bas par moi-même. C'est ce que j'aurais dû faire depuis le début.
Pierrick refusa, comme pour Elissande, et même de façon plus catégorique que pour la jeune fille :
— Non ! Tu es fou ! C'est trop dangereux ! Si quelqu'un se rend compte que tu as toujours ta corne...
— Tant pis pour les risques, répliqua Korel. Ce ne sont pas seulement les vies de Byll et Rouge qui sont en jeu.
— Très bien, mais dans ce cas, nous les partagerons. Je n'ai déjà que trop longtemps laisser cet oiseau bleu me pourrir la vie et me dicter mes choix.
Korel lui sourit. Il préférait qu'il reste ensemble. Il avait espéré qu'il prendrait cette décision quand il avait déclaré qu'il était prêt à aller seul au château.
— Prévenons Eli et mettons nous en route. Enfin, si tu veux bien, dit Pierrick.
Korel acquiesça et quittant leur chambre d'auberge avec leurs bagages, ils allèrent toquer à celle de la jeune fille. Cette dernière ne répondit pas.
Comme Pierrick tapait plus fort. Korel lui rappela du sort qu'elle utilisait pour s'isoler du monde extérieur.
— Nous n'avons plus qu'à lui laisser un mot, même si elle sera furieuse que nous ne lui ayons pas laissé la possibilité de nous accompagner.
Alors que le rouquin fouillait dans un de leurs sacs pour trouver de quoi écrire, la porte s'entrebailla sur une Elissande échevelée enroulée dans une couverture.
Pendant que Pierrick la mettait au courant de la  nouvelle vision de Korel et de leur projet, Korel  aperçut derrière le crâne de la jeune fille, Jaro qui se rhabillait. Ces deux-là n'avaient pas perdu de temps...
— Je reste pour cuisiner le tatoueur avec Jaro et dès que je sais comme nous débarrasser de l'oiseau, nous vous rejoindrons.
Oubliant sa tenue rudimentaire, elle voulut les serrer dans ses bras en guise d'au revoir. La couverture glissa donc et elle se retrouva toute nue.
Jaro se précipita pour la lui ramasser, ce qui embarrassa davantage Elissande que sa nudité brièvement dévoilée.
— Nous voilà quitte pour l'épisode dans la grotte, déclara Pierrick. Prenez bien soin d'elle, ajouta-t-il à l'intention de l'homme noir.
Et Jaro promit pendant que la jeune fille râlait qu'elle n'avait besoin de personne.
— Alors, veille bien sur lui, corrigea Pierrick.
— Je préfère ça, répondit Elissande.

lundi 20 mars 2017

Orcéant - 106

Les jours suivants, le roi dicta à Byll la marche à suivre pour que les conseillers se rangent à ses côtés. Il ne s'agissait pas en fait ni de posséder des talents exceptionnels d'orateur ni d'avoir de solides arguments, mais de chantage. Chaque conseiller avait ses petits secrets et étaient coupables de différentes manigances financières et de diverses conspirations. Si Byll, abandonné à lui-même dans son corps d'emprunt avait déjà entrevu certaines difficultés de la politique et de la diplomatie, il découvrait à présent ses aspects les plus noirs.
Toutes ces manipulations et ces sourires hypocrites lui faisaient presque regretter sa vie d'esclave où il enchaînait différents labeurs physiques sans se poser de questions. Au fond, le roi n'était pas libre non plus, il n'avait juste pas les mêmes contraintes. Il était sollicité pour un oui ou non, pour tout et son contraire, obligé de faire face à des mensonges et des sourires aussi aiguisés qu'un couteau. Cela permettait de mieux comprendre l'attachement de Léopold aux avantages de sa position, notamment le confort matériel et les mets raffinés.
Heureusement, pour effectuer toutes ses manœuvres dans l'ombre, Byll avait désormais Rouge auprès de lui.
Libérer les espèces du joug humain était une opération plus complexe que Byll ne l'avait pensé, avant que le roi ne mette en avant tout un tas de problèmes et ne lui prodigue moult conseils.
Même s'il n'avait jamais voulu prendre le taureau par les cornes, Léopold avait déjà réfléchi à la question et au final, il était bien content qu'un autre lui-même s'attelle à la tâche. A demi-mot, il avoua même à Byll, après lui avoir adressé tout un tas de recommandations pour « persuader » un conseiller de lui donner sa voix qu'il trouvait cela reposant de n'avoir plus qu'à tirer les ficelles en coulisses, que cela lui donnait le temps d'apprendre à mieux connaître Violette.
    Un à un, les conseillers cédaient, obligés de se ranger à leurs vues et bientôt, le visage d'Erret tout entier en serait transformé.
Orcéants, trolls, gobelins et licornéens se verraient offrir le choix de continuer à vivre et travailler pour leurs maîtres humains, mais percevant un juste salaire pour leur peine ou de partir ailleurs pour trouver un nouvel employeur ou se mettre à leur compte. Certaines terres qui leur avaient appartenu autrefois seraient rendues et leurs propriétaires actuels  dédommagés. La pratique du coupage de cornes serait interdite, de même que la chasse aux dragons.
Byll n'oubliait pas dans tout cela le mouvement de la Liberté et ses traîtres oiseaux bleus et il savait qu'il fallait le démanteler, mais sa priorité était l'abolition de l'esclavage qui en toute logique devait mettre fin au plan d'assassinat à grande échelle du mouvement.

vendredi 17 mars 2017

Orcéant - 105

— Pouvons-nous désormais compter sur votre aide ? demanda Rouge.
— A certaines conditions, répondit le roi.
Il s'avéra que Léopold voulait retrouver son confort et demeurer auprès de sa fiancée, même si la présence d'un orcéant au château et de son maître cracheur de feu ne manquerait pas d'étonner ses résidents.
Bien que déçu de constater que la leçon n'avait pas vraiment portée ses fruits, la coopération du roi ne se refusait pas.
— C'est d'accord, dit Byll. Je vais donner les instructions nécessaires pour que vous ayez vos quartiers.
Le roi lui communiqua l'aile appropriée pour les loger, puis les congédia, exigeant de passer un moment en tête-à-tête avec Violette.
Byll discuta d'autant moins l'ordre que cela lui convenait. Lui aussi souhaitait échanger quelques mots en privé avec Rouge pour tirer les choses au clair à propos de ses sentiments pour la dragonne et savoir s'il allait devoir réendosser le rôle d'ami. Il n'était pas sûr d'en être capable.
Ils se rendirent dans la pièce d'à côté, semblable en tout point à celle qu'il venait de quitter : pierres nues, étroite fenêtre et banc.
Une fois qu'ils furent seuls tout les deux, Byll ne sut comment aborder le sujet.
— Tu m'as manqué, affirma Rouge en lui prenant les mains.
Et Byll se prit à espérer qu'il s'était monté la tête comme un idiot.
— Toi aussi, balbutia-t-il.
— Violette est très amoureuse du roi et c'est réciproque, autrement, il n'aurait pas aussi bien accepté sa véritable nature.
— Mais et toi ? demanda Byll.
— Moi quoi ?
— Pour Violette, tu n'es pas déçu ?
— Byll, je ne te suis pas.
— Tu ne la quittais pas des yeux alors j'ai cru, enfin...
Byll n'acheva pas, réalisant qu'il avait trop vite conclu que Rouge trouvait la dragonne à son goût, alors qu'il avait sans doute été simplement remué d'être en présence d'un de ses congénères et que c'était pour cela qu'il n'avait pas prêté attention à l'orcéant.
— Qu'as-tu donc été imaginer?
Byll se justifia, se sentant honteux d'avoir douté ainsi de l'amour que lui portait le dragon.
Rouge, magnanime, présenta ses excuses de l'avoir en quelque sorte ignoré, en se lançant dans une discussion télépathique des plus animées avec Violette.
— J'ai toujours eu peur de te perdre si jamais tu rencontrais une dragonne... C'est pour cela qu'en voyant que j'étais comme invisible pour toi, je...
— Tu n'as jamais été un pis-aller, à défaut de quelqu'un de mon espèce.
— Mais si vous êtes les derniers...
— Alors, nous le resterions. Deux, c'est un peu juste pour empêcher l'extinction, niveau consanguinité.
Byll, rasséréné, regretta de ne pas être dans son corps pour qu'ils s'étreignent.
Rouge partageait ses pensées, car il déclara :
— Vivement que tu sois toi-même !
— Oui... En attendant, tout s'arrange, n'est-ce pas ? dit Byll, songeant à la promesse du roi de les aider.
— Seul l'avenir le dira, répondit prudemment Rouge.

jeudi 16 mars 2017

Orcéant - 104

— Pardon d'interrompre vos retrouvailles, mais j'aurais une question pour son altesse, intervint soudain Rouge.
— Tais-toi ! s'écria Violette.
Mais Rouge continua :
— Si votre fiancée se révélait être une dragonne, comment réagiriez-vous ?
— A quoi bon cette hypothèse ? Avez-vous effectué un transfert d'âme entre ma moitié et une dragonne ? Cette espèce est éteinte.
— Non, elle ne l'est pas. M'avez-vous user de magie pour cracher du feu ? Je suis un dragon ayant emprunté des traits humains.
— Les dragons ne sont pas capable de se transformer, autrement ils se seraient vite fondus parmi nous quand le massacre a commencé...
— Tous les humains ne détestent pas les dragons. L'un d'eux m'a transformé.
— Cela suffit ! cria Violette et une longue flamme s'échappa de sa bouche en direction de Rouge qui l'esquiva d'un bond de côté.
Elle s'était trahie elle-même. C'était un miracle qu'elle ait réussi à faire illusion durant toutes les lunes qui lui avaient fallu pour que le roi la remarque et se fiance avec elle, tant elle était à fleur de peau. Mais peut-être est-ce justement parce qu'elle vivait depuis déjà maintenant longtemps sous une forme qui n'était pas la sienne qu'elle était aussi fragile et facilement perturbable.
Elle se répandit en excuses et explications auprès de Léopold. Byll s'attendait à ce que le roi se fâche et la rejette, mais il se trompait. Comme elle l'assurait de son amour, il lui répondit qu'il n'en doutait pas et que cela ne changeait rien qu'elle soit une dragonne, il ne partageait pas la haine de ses ancêtres pour les dragons. Il était cependant d'avis qu'il valait mieux garder le secret, mais évidemment, il ferait supprimer la loi visant à tuer Violette et ses congénères dès qu'il aurait regagné son véritable corps.
— Je suis déjà en train d'essayer de le faire, déclara Byll, évitant de regarder en direction de Rouge parce qu'il avait peur qu'il ne soit déçu du temps que prenait les choses.
Violette semblait extrêmement soulagée et heureuse que Léopold prenne aussi bien la nouvelle et veuille toujours convoler en juste noces avec elle.
— Je parie que tu n'arriveras à rien, répliqua le roi.
Une boule se forme dans la gorge de Byll. Il n'avait pas besoin que le roi l'enfonce plus bas que terre devant Rouge si fasciné par Violette.
Le dragon vola néanmoins à sa défense :
— Nous n'en serions pas là si vous aviez daigné nous écouter la première fois au lieu de nous traiter avec condescendance, comme à présent.
Le roi commença à protester, puis admit avec réticence qu'il n'avait pas tort.

mercredi 15 mars 2017

Orcéant - 103

CHAPITRE 28
La fête était enfin terminée. Byll avait ordonné à son serviteur licornéen de conduire le cracheur de feu au même endroit que la dernière fois.
Il ne savait comment se rendre dans ce lieu reculé du château, mais Violette oui. La jeune dragonne avait frémi d'impatience durant tout le spectacle, peinant à croire que l'orcéant qui jonglait abritait bel et bien son cher Léopold.
Quand ils entrèrent dans la petite pièce aux pierres nues qui ne contenait qu'en tout et pour tout un banc, Rouge et le roi étaient déjà là.
Rouge sut que Violette était une dragonne sans qu'il eut besoin de le lui dire, Byll le comprit en les voyant se regarder avec une intensité furieuse, des paillettes mordorées dans les yeux de Violette, les yeux de Rouge étincelant. Jusque là, ils ne s'étaient vus que de loin, au milieu d'une foule bruyante et odorante, mais à présent qu'ils se tenaient face à face, ils s'étaient reconnus. Byll demeura muet et glacé, mais le roi qui occupait son corps ne fit pas preuves d'autant de réserve :
— Vous vous connaissez ? demanda-t-il d'un ton mécontent.
Violette se détourna immédiatement de Rouge pour le regarder.
— Léopold, c'est bien vous ?
Le roi hocha la tête et confirma par un « oui » clair et sonore.
— Quelle histoire ! s'exclama la jeune femme.
Rouge, alors qu'ils se retrouvaient après une séparation de plusieurs jours, ne la quittait plus des yeux. Byll en éprouva une profonde tristesse, mais ne se plaignit pas. Malgré tout ce que Rouge et lui avaient partagé, il avait toujours été intimement convaincu qu'il ne ferait pas le poids face à quelqu'un de son espèce. Violette, elle, néanmoins ne semblait plus se préoccuper que du roi et du récit que ce dernier faisait de ses malheurs.
Pourtant, Byll qu'en même temps, elle et Rouge tenait une conversation télépathique. La dragonne paraissait écouter Léopold, mais en réalité discutait avec Rouge.
Byll se força à rester alors que cela le démangeait de sortir. Ils avaient une mission à accomplir et elle passait avant sa peine. Il saurait rendre sa liberté à Rouge pour qu'il puisse être avec la dragonne. Il n'y avait pas de raison que cette dernière préfère le roi, surtout une fois qu'elle aurait vu le dragon sous sa véritable forme. Cependant, il y avait le problème de ce plan pour reprendre le pouvoir en l'épousant. Byll en avait mal à la tête et surtout son cœur saignait.

mardi 14 mars 2017

Orcéant - 102

CHAPITRE 27
La corne de son merveilleux Korel les avait guidés jusqu'à Jaro. Elissande interrogea sans détour l'homme noir qui parut tomber des nus concernant l'oiseau bleu, ce qui ravit la jeune fille bien que cela signifiât que Jaro n'était pas en mesure de lui fournir des renseignements supplémentaires sur le sujet.
Pierrick comprit cependant son soulagement de savoir que l'homme dont elle s'était amourachée n'était pas un ignoble conspirateur, mais quelqu'un comme eux épris de liberté qui avait été roulé dans la farine.
Elle lui rapporta aussi la vision de Korel,  celle des assassinats des grands propriétaires et des esclaves libérés perdus ou bien se vengeant sur les humains et Jaro parut atterré. Il savait qu'un plan de libération à grand échelle se préparait par le biais des armes, mais il n'avait certes pas été informé qu'il impliquait des assassinats réalisés sous influence magique. Il ne mentait sur rien, Pierrick s'en était assuré à l'aide du sort approprié.
— Je n'avais jamais songé que les orcéants, trolls et gobelins libérés puissent se laisser aller à la violence, avoua-t-il.
Pierrick lui aurait presque tapé dans le dos pour lui remonter le moral tant l'homme noir avait l'air défait. Ce n'était jamais drôle de se rendre compte qu'on avait été trompé et qu'on n'avait pas pris en compte toutes les données de l'équation. Cela lui était arrivé bien souvent à lui aussi. Ce fut cependant Elissande qui se chargea de consoler Jaro en le réconfortant avec des paroles bienveillantes.
Comme elle continuait encore et encore, Pierrick finit d'ailleurs par perdre patience et la coupa :
— Concrètement, avez-vous un moyen de nous libérer ou à défaut d'être considérés comme des traîtres si nous nous rendons auprès du roi?
Elissande lui révéla aussitôt leurs raisons alors qu'elle aurait mieux fait de les garder pour elle.
Jaro poussa un long sifflement en apprenant qu'un orcéant occupait pour ainsi dire le trône. Une fois qu'il eut digéré la nouvelle, il discuta avec eux la manière dont ils pouvaient informer leurs amis sans encourir les foudres du mouvement de la Liberté, le problème étant que le temps pressait : l'assassinat devait avoir lieu dans moins d'une lune.
Finalement, Jaro leur proposa de tenter de tirer les vers du nez d'un des tatoueurs du mouvement.
Cela équivalait à se jeter dans la gueule du loup, mais Elissande comme Korel étant partants, Pierrick n'eut plus qu'à s'incliner, regrettant que Rouge ne soit pas là pour trancher si leur décision était sage ou pas.

lundi 13 mars 2017

Orcéant - 102

CHAPITRE 26

Le roi s'était enfui. Rouge avait passé trop de nuits sans dormir et le sommeil avait eu raison de lui. Heureusement, il avait un excellent odorat et il connaissait par cœur la senteur de Byll. Il retrouva le fuyard aux portes du château, en train de parler aux gardes qui se riaient de lui.
Comme le roi s'énervait, sans réaliser qu'il n'était qu'un bête orcéant aux yeux des gardes, il goûta à la morsure des fouets qu'ils portaient à la ceinture.
— Mais où est son maître ? s'agaça l'un des hommes qui le frappait.
Rouge s'emmêla aussitôt et essuya les remontrances des gardes. Il opina à tous leurs conseils pour éduquer son esclave qui avait trop d'imagination et se permettait de raconter des contes à dormir debout.
Le roi suffoquait de rage. Encore un peu et il allait riposter. Il en avait la force et n'était limité par aucune magie contrairement aux autres orcéants d'Erret. Rouge l'entraîna au loin pour éviter que les choses ne dégénèrent.
— Ces imbéciles ne m'ont pas cru, pas un seul instant, maugréa le roi.
— C'était prévisible.
— Je déteste cette situation, plutôt en finir que de passer ma vie dans la peau d'un orcéant !
— Pourquoi ? Ils sont plus puissants que les humains et pas plus idiots qu'eux.
— Dois-je en déduire que s'ils n'étaient pas relégués au rang de bêtes, je devrais m'estimer heureux d'en être un ?
— Exactement.
— Combien de fois vais-je devoir répéter que l'esclavage ne me plaît pas ?! Les ramifications politiques vous échappent complètement. Votre orcéant va déclencher quelque catastrophe...
— Je lui fais confiance, répliqua Rouge.
Le roi se plaignit à nouveau, geignant qu'il ne reverrait jamais sa douce Violette.
Las de ses complaintes et craignant qu'il n'en vienne à attenter à ses jours, Rouge lui révéla finalement que dans une lune, il serait à nouveau à sa place, sur son trône, dans son corps habituel.
Le roi se rasséréna à cette nouvelle et se montra  soudainement d'une grande agilité avec les balles.
A ce niveau, il redevenait possible de faire des représentations, chose auquel Rouge avait dû renoncer, le roi refusant d'y mettre du sien.
Le soir même, ils se rendirent sur la place publique en ville, le roi traînant des pieds et Rouge fit un numéro semblable à ceux qu'il avait fait avec Byll.
Tout se passa bien, le roi se prenant au jeu, mais ce qui  mit Rouge en joie, ce fut quand à la fin du spectacle un garde vint leur ordonner de se rendre au château pour la nouvelle fête que donnait le roi en l'honneur de sa fiancée. Il allait enfin retrouver Byll.

vendredi 10 mars 2017

Orcéant - 101

Korel secoua Pierrick qui grommela. Ils étaient restés éveillés tard dans la nuit, multipliant caresses et baisers. Le licornéen appela encore le rouquin, une note d'urgence dans la voix. Les morts de Rouge et Byll étaient pour bientôt.
Pierrick ouvrit enfin les yeux en grand et attrapa aussitôt son épée qu'il avait rangé au pied du lit.
— Que se passe-t-il ?
Korel voulut lui rapporter sa vision, mais dans son empressement les mots se bousculèrent dans sa bouche pour un résultat incohérent. Pierrick l'enjoignit à se calmer.
— Respire, recommence doucement, prends ton temps.
C'était quelque chose que le licornéen n'aurait jamais pensé entendre Pierrick dire, mais il ne put savourer l'instant, trop troublé par le funeste destin qui attendait leurs compagnons. Il finit par réussir à tout raconter dans le bon ordre.
Pierrick récapitula, comme s'il voulait être sûr d'avoir bien compris :
— Tu as vu le roi être assassiné alors qu'il abritait l'âme de Byll et Rouge, impuissant à empêcher le drame, reprendre sa forme originelle et se laisser tuer ?
Korel acquiesça.
— Prendre la place du roi, il fallait l'oser. Hélas, apparemment, il y a des gens qui n'apprécient pas le changement.
— Nous devons les prévenir.
— Tu oublies l'oiseau bleu et le troisième message que nous avons à transmettre.
Korel aurait bien tiré sur sa tresse dans sa nervosité, mais il s'était endormi les cheveux dénoués. Le deuxième destinataire s'était révélé encore moins causant que Jenkins.
— Mais nous devons faire quelque chose, autrement, ils vont mourir.
— Allons réveiller Eli.
Korel faillit protester qu'il ne voyait pas en quoi consulter la jeune fille changerait quoi que ce soit, mais il se morigéna : il ne fallait pas qu'il laisse parler sa jalousie. Pierrick avait raison de ne pas prendre une décision tout seul, sans tenir compte de l'opinion du dernier membre de leur petit groupe.
L'adage « trois têtes valent mieux que deux » se révéla exact.
Elissande proposa de se charger seule des messages, chose pour laquelle Pierrick ne fut pas d'accord parce qu'il jugeait dangereux qu'une fille voyage seule. Elissande argua qu'elle n'avait besoin de personne pour la protéger, puisqu'elle était plus douée que la moyenne en magie. Pierrick rappela le problème de l'oiseau bleu. Cela l'obsédait, ce qui était logique vu la vision du licornéen où il tuait son propre père.
— Je proposerai bien que nous localisions Jaro, mais tu vas encore m'accuser d'être influencée par mes sentiments.
Pierrick se renfrogna, mais en grommelant, lui donna raison. A présent que le temps leur manquait, c'était la meilleure solution, à moins bien qu'il ne soit à l'autre bout d'Erret...

jeudi 9 mars 2017

Orcéant - 100

CHAPITRE 25
La salle du trône était magnifique : une haute voûte, de grandes fresques aux murs, des fenêtres avec des vitraux, un long tapis menant jusqu'à une estrade ornée de mosaïques sur laquelle se dressait une chaise imposante. L'homme barbu couronné assis dessus était richement vêtu. Cependant, son gilet brodé était mal boutonnée et ses chausses chiffonnées. Il paraissait perdu dans ses pensées et c'est sans doute pour cela qu'il ne réagit pas quand de derrière le trône deux silhouettes masquées surgirent, brandissant des poignards.
Tout en murmurant des sorts du bout des lèvres, elles se jetèrent sur le roi qui ne put échapper à leurs lames meurtrières qui s'enfoncèrent dans son corps.
Dans la foulée, les gardes déboulèrent, mais déjà les assassins prenaient la fuite la mystérieuse issue par laquelle ils étaient arrivés.
Dans le château, la nouvelle du roi attaqué se répandit instantanément. Rouge courut sur les lieux, l'orcéant dans son sillage.
Le corps inanimé et ensanglanté du roi était entouré de plusieurs hommes. Il franchit leur cercle, sourd aux protestations et aux menaces. Quand les gardes voulurent le repousser, Rouge les brûla de ses flammes et atteignit enfin le souverain.
— Byll ! cria-t-il, les mains sur le cœur de l'homme barbu qui n'émit pas un son en retour.
L'orcéant, à quelques pas de lui, se tenait immobile, comme glacé d'effroi.
Et soudain, Rouge se transforma sous les yeux ébahis de ceux qui cherchaient à l'éloigner de la dépouille royale. Il grossit et grandit, se recouvrant d'écailles luisantes, ses ailes et sa queue se déplièrent, balayant tout sur son passage.
Les gardes  s'attaquèrent à lui à coups de lances et d'épées, mais Rouge semblait indifférent, comme si ces armes n'avaient pas plus de force que des piqûres de moustiques. Il était occupé à lécher le corps du roi qu'il avait pris avec délicatesse dans ses pattes griffues.
D'autres hommes débarquèrent munis d'arcs et d'arbalètes. Le dragon ne se défendit pas plus. Il se laissait massacrer. L'orcéant tenta de s'interposer, mais fut violemment repoussé. Seule l'intervention d'une jeune femme affolée qui avait pénétré la pièce un instant auparavant lui valut de ne pas être tué.
Finalement, sous les assauts répétés des hommes qui avaient envahi la salle du trône, le dragon s'effondra, les yeux vitreux et le mince filet de fumée qui s'échappait de ses naseaux s'éteignit.

Korel se redressa dans le lit de l'auberge qu'il partageait avec Pierrick. Ce n'était pas un cauchemar. Il porta la main à sa corne brûlante. Cela allait se produire.

mercredi 8 mars 2017

Orcéant - 99

— Quel plan ?
Elle se mordit la lèvre.
— Par rapport au mariage. Léopold et moi avons décidé de choses très spéciales, expliqua-t-elle à toute vitesse.
Byll ne la crut pas.
— Si je suis un usurpateur, vous, vous êtes une intrigante.
Elle se défendit de son accusation, mais les positions étaient à présent inversées.
— Je vous ferai voir le véritable Léopold, si vous m'expliquez ce que vous avez vraiment voulu dire.
— Vous admettez enfin ! s'écria-t-elle, triomphante.
— Vous feriez mieux de me révéler la vérité vous aussi, si Léopold compte pour vous.
Elle se rembrunit, puis déclara, en levant fièrement le menton :
— En épousant le roi, je réinstaurai le règne des dragons, même si pour cela je dois vivre sous une forme humaine jusqu'à la fin de mes jours.
Elle était donc une dragonne... Byll en eut des frissons. Elle incarnait en quelque sorte ses craintes les plus secrètes. Il n'avait pas envie qu'elle rencontre Rouge sous sa forme originelle. Peut-être le dragon serait attiré par elle... Et même s'ils ne tombaient pas amoureux l'un de l'autre, peut-être ces deux-là se sentiraient obligés de se mettre ensemble pour perpétuer l'espèce...
— Y-a-t-il encore beaucoup de dragons en vie ?
Elle ne voulut pas répondre.
Il dut encore la menacer de s'en prendre à Léopold pour qu'elle déballe tout.
C'était le vieil instructeur en magie du roi qui lui avait donné ses traits humains. A sa connaissance, seuls elle et son père avaient survécu à l'éradication des dragons. Elle espérait cependant que d'autres vivaient cachés dans des coins reculés d'Erret.
— Que je sois ou non le véritable Léopold ne change rien à votre plan, fit remarquer Byll.
— Bien sûr que si, car avec tes projets d'abolition d'esclavage, tu risques de te faire tuer avant le mariage !
— J'espère aussi mettre fin à cette loi qui fait des dragons des cibles à abattre.
— Cela fait partie des choses qui m'ont permis de comprendre que tu n'étais pas Léopold. Qu'as-tu donc fait de lui ?!
Elle ne se rendait même pas compte qu'il était plus ou moins de son côté, obnubilée qu'elle était par retrouver celui dont elle était tombée amoureuse
— Et une fois reine, tu comptes œuvrer pour libérer les gobelins, trolls, orcéants et licornéens ?
— Je n'y ai pas trop réfléchi. Cela a déjà été toute une histoire de s'infiltrer au château, de séduire Léopold, puis de convaincre mon père et notre allié humain qu'il était inutile de le supprimer après le mariage... Et, alors que je touchais enfin au but, tu es arrivé !
Elle était dans tous ses états à présent. Ses yeux brillaient d'un étrange éclat et ses cheveux noirs de jais prenaient une teinte violacée.
Byll comprit qu'elle risquait de reprendre sa forme originelle. Pour éviter cette catastrophe, il se dépêcha de la rassurer : elle aurait tôt fait de retrouver son Léopold, il allait s'arranger pour qu'elle puisse lui parler.

mardi 7 mars 2017

Orcéant - 98

CHAPITRE 24
Byll avait évité au maximum la fiancée du roi, trouvant des excuses pour ne demeurer pas plus de quelques minutes en sa compagnie, se réfugiant derrière le fait qu'il était très occupé, ce qui était vrai. Il avait exprimé ses désirs de changements à ses conseillers et tous, sauf deux, s'étaient prononcés contre.
Après sept jours de discussions acharnées et épuisantes pour lui qui était si mal à l'aise avec les humains, Byll n'avait pas réussi à obtenir gain de cause. Apparemment être roi ne lui permettait pas de faire tout ce qu'il voulait. Il y avait des tas de règles, d'usages et de protocoles. Il fallait que plus de la moitié des conseillers soient d'accord pour qu'une loi soit modifiée, supprimée ou créée.
C'était frustrant et en même temps, il était rassurant qu'un seul individu n'ait pas le pouvoir de faire tout ce qui lui chantait.
Dans l'esprit de l'orcéant, une nouvelle idée avait germé, celle d'un conseil qui comprendrait un représentant de chaque espèce afin de veiller  aux droits de chacune.
Il était plongé dans ses réflexions à l'abri des appartements privés du roi quand Violette apparut. Elle n'aurait pas dû être là. Byll avait en tout cas cru comprendre qu'il n'était pas de bon ton pour deux jeunes gens de sexes opposés de se retrouver entre quatre yeux dans une pièce fermée, fiancés ou pas. Cependant, peut-être que le roi s'était-il entendu avec la jeune fille pour qu'il en soit autrement.
Comme Byll hésitait entre la réprimander d'être venue seule et manifester une joie qu'il ne ressentait pas à sa présence, Violette, d'une voix accusatrice lui demanda :
— Qui êtes-vous ? Je ne sais pas comment vous avez réussi à obtenir les traits de Léopold et à imiter si parfaitement sa voix, mais vous êtes un imposteur.
Byll tenta de la rassurer, mais ce n'était pas facile de se défendre et de nier puisqu'elle avait raison. Il ne faisait qu'habiter le corps du roi.
Elle insista encore et encore, pointant tout ce qui le différenciait du véritable Léopold, montrant ainsi qu'elle l'aimait sincèrement.
Byll se sentait acculé, mais tenait bon. Tant qu'il ne reconnaissait pas la vérité, elle ne pouvait rien.
Elle se mit à marteler de ses petits poings fermés son torse.
— Avouez-le que vous n'êtes qu'un vil usurpateur ! Vous n'avez pas intérêt à lui avoir fait du mal !
Byll l'enjoignit à se calmer, mais elle continua encore et encore jusqu'à laisser échapper :
— Qui que vous soyez, vous allez gâcher tout notre plan !
Byll lui captura les poignets, l'empêchant de continuer à le frapper.

lundi 6 mars 2017

Orcéant - 97

Rouge s'était réveillé très tôt, bien avant l'aube et depuis il observait l'orcéant endormi. Il ne s'attendait pas ce que son âme s'envole devant ses yeux, mais il guettait un signe du passage.
Il n'y en eût pas. Quand l'orcéant émergea, c'était le roi qui s'exprima par sa bouche. Il s'offusqua de la présence d'un orcéant dans sa chambre sans comprendre que c'était lui-même, avant de remarquer qu'il était dehors, allongé à même le sol, comble de l'horreur, puis il reconnut Rouge. Il tempêta et s'époumona à appeler la garde en pure perte.
Rouge finit par avoir pitié de lui et lui exposa la situation et ce qui avait motivé cet échange.
Comme le roi contemplait son nouveau corps avec dégoût, le dragon ne précisa pas que ce ne serait que pour une lune.
— Personne ne sera dupe un instant, déclara finalement le roi. J'avais pourtant pris la peine de vous dire que cela n'avait pas de sens de toucher à loi concernant les dragons et pourquoi j'étais pieds et poings liés concernant l'esclavage et la servitude !
— Les gens remarqueront que vous avez changé, oui, mais est-ce pour autant que quiconque soupçonnera la vérité et surtout osera vous interroger sur vos agissements ?
Le roi ne répondit rien, mais Rouge devina qu'il pensait à sa fiancée Violette. Byll et lui avaient discuté du fait que c'était elle qui risquait de poser problème, du moins si elle l'aimait vraiment.
— Que comptez-vous faire de moi ? Je vous préviens je ne m'abaisserai pas à travailler dans les champs ou de porter des pierres.
Byll avait envisagé bien sûr ses tâches pour le roi pour que la leçon soit complète, mais Rouge avait repoussé cette possibilité : il aurait fallu vendre l'orcéant, expliquer l'absence de numéro au poignet et le dragon n'aurait pas pu garder le roi à l'œil et l'empêcher de faire des bêtises.
— Votre altesse a donc peur de l'effort physique ?
— Ce n'est pas le problème. Je n'ai aucune raison d'entrer dans votre jeu.
— Mais nous sommes très sérieux, aussi, vous allez apprendre à jongler.
— C'est ridicule !
Rouge lui rappela qu'il était désormais son esclave et qu'en tant que tel il avait perdu le droit de choisir.
— Vous n'oseriez pas vous en prendre à votre ami, riposta le roi sans lever ne serait-ce que le petit doigt pour rattraper la balle que venait de lui lancer Rouge.
C'était un coup bas, mais le dragon s'y était préparé : sans hésiter, il cracha une flamme de faible intensité et le brûla au genou. Le roi poussa un cri de douleur. Rouge le toucha à l'autre. Cela lui faisait mal d'abîmer le corps de l'orcéant, mais il savait que celui qui souffrait, c'était le roi et non Byll.
Son altesse se révéla un jongleur maladroit. Il faut dire qu'il n'y mettait pas du sien, de quoi rendre nostalgique de l'acharnement avec lequel Byll s'était entraîné.
Rouge aurait voulu être auprès de lui plutôt que le gardien de son corps, face à cet homme qui ne manquait pas d'intelligence mais était désagréable au possible.
Quand le roi se rendrait compte que l'orcéant était en fait libre – Rouge ne doutait pas que cela arriverait – le dragon devrait le surveiller avec encore plus d'attention, car alors il n'aurait cesse de s'échapper. Peut-être même essayerait-il d'utiliser la force de son corps d'orcéant contre Rouge qui devait donc se tenir prêt et demeurer vigilant nuit et jour.

vendredi 3 mars 2017

Orcéant - 96

CHAPITRE 23
Quand Byll se réveilla le lendemain matin, il n'était pas enroulé dans une couverture dans les bras de Rouge, mais dans un lit ridiculement grand aux montures massives dorées. Le matelas sous lui était moelleux et soyeux, mais cela ne valait pas le confort d'être auprès de celui qu'il aimait.
Byll passa la main sur son visage, gêné par la barbe qui le recouvrait en partie et se leva d'un pas chancelant pour se regarder dans le miroir le plus proche. Oui, il était bel et bien devenu un homme et pas n'importe lequel : le roi d'Erret. La vieille licornéenne avait réussi. Pendant une lune, Byll était à même de refaire le monde. Il était dommage qu'il doive être humain, en d'autres termes petit, rose et poilu pour cela, mais c'était un faible prix à payer. Rouge, lui, avait la tâche ingrate d'expliquer au roi la situation.
Le premier défi de Byll fut de s'habiller, sans oublier la couronne en guise de touche finale. Il sortit ensuite de chambre dont la splendeur lui donnait plus le tournis qu'autre chose.
Le dragon et lui avaient longuement débattu pour savoir s'il valait mieux que Rouge se tienne ou non à distance. Un insolent cracheur de feu ne pouvait devenir un proche du roi du jour au lendemain sans que les gens ne s'en étonnent. Le véritable roi aussi posait problème. L'avoir auprès de lui pouvait éviter de commettre des erreurs, mais seulement si ce dernier jouait le jeu. Or, l'homme risquait d'être tenté de le piéger ou d'exposer son imposture, furieux qu'on lui ait emprunté son corps.
Rouge  et Byll avaient finalement opté pour un compromis : dans un premier temps, l'orcéant se débrouillerait seul, ce n'est que dans un second qu'il ferait entrer au château Rouge le saltimbanque et son « esclave .»
Les gardes à sa porte se redressèrent en le voyant et un licornéen accourut, ses cheveux blonds flottant derrière moi.
— Votre majesté est bien matinale.
Byll hocha la tête, n'osant dire quoi que ce soit. Il faudrait pourtant bien qu'il parle tôt ou tard s'il voulait modifier les lois concernant les dragons et les esclaves, il ne pouvait pas le faire sans préparer le terrain, autrement les gens réaliseraient de suite qu'il n'était pas le roi.
Il aurait aimé que Rouge soit là. Il savait qu'il était à proximité, mais ce n'était pas pareil. C'était dur d'affronter tous ses inconnus sans lui. Comment parviendrait-il à donner le change ? L'entourage du roi allait forcément se rendre compte que quelque chose clochait. Il fallait pourtant qu'il réussisse.

jeudi 2 mars 2017

Orcéant - 95

CHAPITRE 22
Leur chemin jusqu'à Kolassos s'était déroulé sans heurt et même dans le plus grand bonheur. Pierrick et lui avaient fait l'amour chaque nuit de façon passionnée et parfois quelque peu bruyante sans avoir à se soucier de Elissande qui avait précisé user d'un sort pour s'isoler et dormir sur ses deux oreilles.
Dans la ville portuaire, ils n'avaient eu aucun mal à trouver Jenkins. Hélas, ils n'avaient guère pu tirer plus de trois mots à l'homme qui leur avait confié sans sommation un nouveau message à l'intention d'un autre membre du mouvement, dans une ville à plusieurs milles.
Pierrick fulminait, tout son corps trahissait sa colère. A une autre époque, le licornéen aurait peut-être jugé que c'était une bonne leçon pour le rouquin que d'être considéré comme corvéable à merci, à la manière serviteur ou un esclave, mais dans l'état actuel des choses, il était juste désolé pour lui.
— Ils nous prennent pour quoi, hein ? Nous ne sommes que des pions dans leur maudit plan ! s'écria Pierrick, en donnant un coup de pied dans un mur qui ne lui avait rien fait.
Elissande mit les poings sur les hanches.
— Râler et tempêter ne servira à rien, autant nous remettre en route et nous débarrasser de cette nouvelle corvée.
— A quoi bon se dépêcher si c'est pour se retrouver encore avec un énième message !?
— Parce que nous n'avons rien de mieux à faire pour le moment ! Le prochain destinataire sera peut-être plus bavard, répliqua Elissande.
— Korel, qu'en penses-tu ?
Le licornéen sourit. Il aimait que Pierrick lui demande son avis, plutôt que de décider tout seul. Depuis que lui et Pierrick s'étaient unis et avaient parlé à cœurs ouverts, leur relation avait changé pour le meilleur.
— J'aimerai avoir autre chose à proposer, mais je ne crois pas que nous ayons beaucoup de choix.
— Tout ça à cause de ces foutus oiseaux ensorcelés, grommela Pierrick en remontant en selle.
— J'ai bon espoir de nous en débarrasser. Je suis sûre que j'approche de la solution, seulement il me faudrait des informations supplémentaires dessus et si tous les membres du mouvement se montrent aussi loquaces que ce Jenkins, ce n'est pas gagné. Peut-être aurions nous meilleur compte à retrouver Jaro.
— Ce ne serait pas plutôt parce qu'il t'a tapé dans l'œil que tu suggères cela ?
— Et alors, quand bien même ! Pourquoi n'y aurait-il que vous qui ayez le droit de roucouler ?! protesta Elissande.
Korel songea que ces deux-là étaient décidément toujours prêts à s'enflammer. Cela le rendait d'ailleurs toujours un peu jaloux d'être si à l'aise l'un avec l'autre. Heureusement, il savait désormais que le cœur de Pierrick ne battait que pour lui et que nul autre que lui n'avait pu goûter à sa puissance virile... Le licornéen s'ébroua. Mieux valait penser à autre chose. Par exemple, un être tout feu tout flamme au sens propre et non figuré.
— Je me demande si Byll et Rouge ont réussi à parler au roi, déclara-t-il à haute voix.
Elissande et Pierrick cessèrent de se chamailler au sujet de Jaro et des éventuels sentiments que la jeune fille lui portait ou non et des avantages qu'ils tireraient d'une possible discussion avec lui.
— Ils sont débrouillards, alors ça ne m'étonnerait pas, répondit Elissande.
— Nous n'avons aucun moyen de le savoir, surtout que le roi doit avoir d'autres chats à fouetter avec ses récentes fiançailles.
Ils avaient appris la nouvelle à Kolassos par le biais d'un avis placardé sur la grand place.
Quand il l'avait lu, la corne de Korel s'était mis à lui brûler, mais il n'avait pas eu d'autre prémonition. Les précédentes continuaient à le hanter, mais il n'était plus aussi certain que les évènements terribles qu'il avait vu se produiraient. C'était difficile à dire. Ce pouvoir était nouveau pour lui. Comme sa relation avec Pierrick pleine de baisers, de caresses et de mots tendres. Korel s'en voulut. Il fallait toujours qu'il en revienne là alors qu'il aurait dû se préoccuper davantage de l'avenir d'Erret. Enfin au moins, il ne faisait de mal à personne...

mercredi 1 mars 2017

Orcéant - 94

Une fois que Rouge leur eut exposé leur projet, Maître Frédérick émit des tas d'objections. Il avait peur pour son épouse et le dragon pouvait le comprendre. Lui aussi était inquiet pour Byll, notamment ce qu'il adviendrait de l'orcéant si jamais il arrivait quelque chose à Byll dans le corps du roi ou vice et versa.  Cependant, vouloir protéger et couper les ailes sont deux choses bien différentes.
La vieille licornéenne, elle, n'avait que trop rarement l'occasion d'utiliser son pouvoir spécial, aussi était-elle partante. C'était une excellente cause. C'est elle qui contra chacun des arguments de son mari : même si le roi était protégé par différents sorts, il ne pourrait échapper à sa magie licornéenne et il serait impossible de remonter jusqu'à elle.
Maître Frédérick finit par s'incliner, et la vieille usa de son pouvoir.
— Demain, l'orcéant se réveillera dans la peau du roi, assura-t-elle.
Rouge les remercia pour leur aide et partit rejoindre Byll pour l'informer de la nouvelle. Pour lui, elle n'était pas vraiment bonne, car il voyait surtout les dangers du transfert, mais il savait que Byll se réjouirait d'apprendre que son plan allait pourvoir être mis à exécution, alors il était content.