vendredi 3 juillet 2015

Contes modernes - 81

— Désolé et merci, déclara Angel.
Cain eut un sourire amer. L'apparence d'Angel moitié monstre, moitié ange reflétait au fond sa personnalité ambivalente.
— Vous... Tu m'avais mis en garde.
Cela n'avait pas de sens de continuer à vouvoyer quelqu'un avec qui il venait de faire une chose pareille.
— Ce n'était pas une raison. J'ai craqué, je suppose. Personne ne m'a touché depuis des années.
— Pas même un ami ou un membre de ta famille ?
— Je n'ai jamais été du genre très liant. Mes parents sont morts quand j'étais petit et mon grand-père paternel, l'année de mon bac. C'est à lui qu'appartenait la maison, « mon château » avait-il coutume de dire. Mon père détestait y aller en vacances : trop isolé, trop perdu. Moi ça me convient parfaitement.
Enfin, l'ancien pompier se confiait. Cain, cependant, était comme vidé de tout énergie, incapable de reprendre l'interview. Il avait besoin de réfléchir à ce qui s'était passé, de comprendre. Mais peut-être n'y avait-il pas d'explications ? Il n'avait pas pu résister devant le désir profond de cet homme qui s'était privé de toute chaleur humaine alors que tout un chacun en avait besoin.
Angel récupéra les mouchoirs sales et les jeta à la poubelle tandis que Cain rajustait ses vêtements. Ils se lavèrent ensuite les mains dans le vieil évier. Celles d'Angel étaient larges par rapport à celles du jeune homme.
Il n'était même pas encore huit heures du matin. Cain aurait pu terminer l'interview, revenir à temps pour son job et oublier Angel et ce qu'il avait fait avec lui.
Penser ainsi était cependant égoïste de sa part, car cet homme allait replonger dans une dangereuse solitude et ce n'était pas un simple échange qui allait tout arranger. Ses réponses jusque là l'avaient bien montrées.
— Tu devrais rencontrer Pierrot et ses parents, suggéra-t-il.
— Je ne veux voir personne.
— Je ferais mieux de partir, alors, soupira Cain.
Aider quelqu'un contre son gré était une tâche ardue et une part de lui avait envie de fuir l'homme qui l'avait embrassé et qu'il avait caressé. Il avait l'impression de sentir encore ses lèvres sur les siennes, la chaleur de sa peau entre ses doigts.
— L'interview est terminée ?
— Non, mais...
— Reste donc !
— Je ne me sens pas de la poursuivre, avoua Cain.
— Tu reviendras ?
Ce n'était pas dans les intentions de Cain. Près de trois heures de route, cela ne se faisait pas comme ça, même si c'était nettement moins loin et autrement plus accessible que le chalet de Cole Sorière. Sans compter que c'était coûteux en essence.
Il hésita devant le visage plein d'espoir d'Angel avant de secouer la tête.
— Ne pars pas sans finir au moins.
Après l'avoir à moitié chassé la veille et encore refusé de lui répondre à plusieurs reprises ce matin, c'était le comble. Cain aurait dû trouver ça risible, mais cela le remua. Cet homme était émouvant en dépit de toutes ses contradictions ou peut-être à cause d'elles.
Cain récupéra ses notes et son stylo et reprit là où il s'était arrêté avant qu'Angel ne se jette sur lui.
— Comment en es-tu venu à fabriquer des jouets en bois ?
— J'ai toujours aimé bricoler des trucs. C'est mon grand-père qui m'a appris à sculpter le bois. Le gros avantage, c'est que je peux faire ça dans mon coin. Après, il n'y a plus qu'à envoyer. 

1 commentaire:

Jeckyll a dit…

Un épisode tout doux en cette fin de semaine merci ^^

J'ai hâte de lire la suite, bon week-end