mardi 17 février 2015

Contes modernes - 1

CHAUSSURE PERDUE

Le travail de son père l'accaparait et, sans cesse, il était en déplacement. Quand il rentrait, ce n'était jamais pour longtemps et toujours tard. Dillon ne le voyait donc pas. Il entendait juste un lointain bruit de porte et des éclats de voix.
Une fois, ils furent plus forts que d'habitude. Dillon qui venait de fêter son sixième anniversaire en tête à tête avec sa mère, quitta son lit sur la pointe des pieds et entrebâilla la porte de sa chambre pour écouter :
— Tu passes à côté de ton fils !
— C'est grâce à mon travail que je peux t'assurer ce train de vie !
— Cela ne me dérangerait pas que nous vivions dans un endroit plus modeste.
— Tu ne comprends pas !
Dillon referma le battant et alla se pelotonner dans sa couette, le cœur étreint d'une sourde angoisse.
Ses parents se disputaient.
Dillon aimait le magnifique appartement : ses trois grandes chambres, son vaste salon avec son large canapé et ses deux fauteuils chocolat, sa cuisine rutilante blanche, noire et grise,  et sa belle salle de bains marbrée. Cependant, ce qui comptait le plus, c'était sa mère, et découvrir qu'elle était malheureuse, le peinait.
Avec lui, toujours elle souriait, jouait avec lui, préparait ses repas. Dillon faisait tout avec elle, le ménage, les courses, la cuisine, la couture. A sa façon il l'aidait. Jamais elle ne se plaignait ou ne se fâchait, lui montrant comment faire avec patience et douceur. Son père ne lui manquait pas. En même temps, pour lui, c'était presque un inconnu.

    Quand Dillon eut sept ans, son père, cet éternel absent, fut là pour le conduire en voiture à l'école primaire. Durant tout le trajet, Dillon pleura. Il n'avait jamais quitté sa mère jusqu'à alors.
— Vas-tu donc arrêter ce cirque ! Tu es un garçon que diable ! Ça fait longtemps que tu aurais dû quitter les jupes de ta mère. Ne pas te mettre en maternelle était une erreur. Elle t'a gardé trop longtemps auprès d'elle, à jouer à la parfaite petite ménagère ! Il est temps que tu grandisses. Mais tais-toi, merde !

    Quelques mois plus tard, sa mère mourut. En allant le chercher à la sortie de l'école, elle était passée près d'un immeuble du haut duquel se jetait justement un jeune homme suicidaire. Ils étaient morts tout les deux. Elle, écrasée par son poids. Lui, de la chute.
Dillon ne pleura pas quand son père lui annonça froidement la nouvelle sans lui épargner les horribles détails, il attendit d'être à l'abri dans sa chambre pour mouiller son oreiller de larmes.
Malgré son jeune âge, il se retrouva à rentrer seul de l'école, à préparer ses repas et faire les lessives et le ménage. Son père, fidèle à lui-même, ne rentrait presque jamais. Il remplissait irrégulièrement le réfrigérateur et les placards de nourriture, et c'était à peu près tout. Dillon découvrit à quel point l'appartement était froid. C'était la présence de sa mère qui l'avait rendu chaleureux.

4 commentaires:

Jeckyll a dit…

Whaou on peut dire que tu démarre sur les chapeaux de roues ^o^

Merci pour cet épisode, j'ai hâte de lire le prochain XD

Unknown a dit…

Comme dans tous les comptes, qu'ils soient modernes ou anciens, la situation de départ est dramatique :'(
J'aime beaucoup comment tu réinterprètes les rôles et les lieux des contes dans notre monde actuel. Je m'attache déjà à ce petit garçon, je sens que ce n'est que le début d'une série d'épreuves qui l'attendent. J'ai hâte d'y être ;)

Illyshbl a dit…

Amusant que tu lises la psychanalyse des contes de fées en ce moment...
J'espère que ma réécriture et transposition moderne des contes te plaira. :)

Anonyme a dit…

ha ben voila,deja au premier chapitre j'ai accroché!comme a chaque fois!j' adore ton idée de moderniser les contes,ca donne plein d'ouvertures,et je sens que tu vas t'eclaté!vivement la suite!