jeudi 31 mars 2016

Cœur de fantôme - 20

Quand le réveil de Zack sonna le lendemain, il commença par sortir faire un jogging, puis il rentra prendre une douche rapide, s'habilla en survêtement, engloutit un solide petit déjeuner et partit travailler en moto.
Une fois au centre sportif, il conseilla les clients, corrigea leurs postures, expliqua le fonctionnement de telle et telle machine.
En bref, il mena une journée normale, excepté qu'il ne put s'empêcher de se demander à plusieurs reprises si d'invisibles fantômes n'erraient pas autour de lui, retenus par leurs regrets ou par leur désir de vengeance parmi les vivants.
Son travail fini, au lieu de prendre le chemin de son appartement, il roula jusqu'au 7 de la rue des Sycomores.
Déjà peu engageant de jour, l'endroit était franchement sinistre dans la nuit. Une vraie maison hantée.
Zack résista à l'envie de tourner les talons et s'introduisit à l'intérieur. Il faisait noir comme dans un four dans l'entrée et l'interrupteur qu'il trouva en tâtonnant le mur n'alluma aucune ampoule. Il utilisa son mobile en guise de lampe de poche et avança en appelant Nino. Seul le silence lui répondit.
Il passa de pièces en pièces, toutes plus à l'abandon les unes que les autres. Il y avait toutefois dans la salle de bains pleine de moisissures une trousse de toilette flambant neuve, dans la cuisine, un sac de courses et dans une des chambres, un lit avait des draps. Nino n'était nulle part, Kazuya non plus.
— Ohé, il y a quelqu'un ? cria par trois fois Zack, ne pouvant se résoudre à prononcer le nom du fantôme.
Kazuya, dans son sombre kimono, apparut brusquement devant lui, bien trop près au goût de Zack.
— Tu en fais du raffut depuis tout à l'heure.
— Je cherche Nino. Où est-il ?
— Il travaille ce soir. Que lui veux-tu ?
Zack qui n'avait pas originellement prévu d'informer le fantôme qu'il comptait lui voler Nino, jugea plus correct de le faire.
— Lui parler, l'inviter au restaurant et plus si affinités...
Kazuya approcha son visage du sien, l'examinant avec sévérité. S'il avait été vivant, Zack aurait pu sentir son souffle.
— Nino sera plus heureux avec moi, ajouta-t-il.
Kazuya continua à le regarder sans mot dire et le malaise de Zack augmenta. Il s'était attendu à ce que le fantôme clame que Nino lui appartenait.
— Je vois, dit finalement Kazuya avant de disparaître.
— Hé ! s'écria Zack, furieux que le fantôme l'ait planté là.
— Vous vous fichez que je vous prenne Nino ? s'énerva-t-il.
Pas de réponse.
Dans l'espoir de le faire réagir, il lança encore :
— Vous ne l'aimez donc pas ?
Kazuya ne réapparut pas, mais sa voix se fit entendre :
— Si, et c'est précisément pour cela que je te laisse tenter ta chance. Tu as l'air sérieux à son sujet et tu as l'avantage d'être en vie. Après, c'est à Nino de décider.
Zack se sentit bête. Évidemment que Kazuya était conscient des problèmes de sa relation avec Nino. C'était le jeune homme qu'il fallait convaincre. Il essaya de se réjouir du fait que le fantôme ne lui mettrait pas de bâtons dans les roues, mais n'y parvint pas.

mercredi 30 mars 2016

Cœur de fantôme - 19

Il effectua la tâche demandée et retourna à l'intérieur où Kazuya-Nino, armé d'une aiguille et d'un fil était à présent occupé à coudre.
Zack déversa sans cérémonie la poignée de terre devant lui, sur le bureau.
Kazuya-Nino en prit une pincée qu'il glissa dans ce qui était devenue une petite pochette avant de la fermer d'une couture nette.
D'un œil critique, il contempla le résultat, puis il fit passer une ficelle dans le nœud de cordelette cousue à la pochette et l'attacha autour de son cou. Après quoi, il posa le bout de ses doigts sur ses lèvres et en suivit le contour avec beaucoup de douceur.
Zack se sentit troublé et un brin excité.
Kazuya surgit alors du corps de Nino dont les yeux papillonnèrent.
— Fais attention à ne plus le perdre.
— Promis.
Ils n'avaient d'yeux que l'un pour l'autre. Zack réalisa que le geste d'un peu plus tôt était l'équivalent d'un baiser, Kazuya n'ayant pas de corps, à moins d'emprunter celui d'un autre. Zack était l'intrus. Il ne pouvait décemment interroger Nino devant Kazuya sur sa relation avec lui et les possessions qui allaient de pair.
— Je vais y aller, annonça-t-il.
— Encore merci, déclara Nino.
— Au revoir, dit simplement Kazura.
Sans se presser, Zack quitta la maison, traversa le jardin envahi par les mauvaises herbes et enfourcha sa moto.
Personne ne le croirait s'il racontait sa journée, pas plus ses parents que ses amis. Ils riraient ou le taxeraient de folie. Et, même s'il les forçait à l'accompagner au 7 rue des Sycomores, il doutait que Kazuya se montre. C'était seulement parce que Nino se tenait aux côtés de Zack qu'il l'avait fait. Bien sûr, il y avait toujours la possibilité que, dans son entourage, quelqu'un croit à l'existence des fantômes, mais ne s'en vante pas. Aborder le sujet n'était cependant pas une mince affaire.
Zack passa la fin de la journée allongé sur son lit. Ce n'était pas son style. En temps habituel,  lors de ses jours de congé, il se promenait à pieds ou à moto dans les rues, ou sortait prendre un verre, mais là, il avait eu son compte pour la journée : il était éreinté et avait beaucoup à penser.
Combien de fois le pauvre Nino avait dû affronter l'incrédulité et l'incompréhension des gens ? Plus il y songeait et plus il l'admirait. Il lui plaisait et plus uniquement pour son physique. Il voulait en apprendre davantage sur lui. Le problème, c'est que le jeune homme n'était pas libre.   En même temps, Kazuya ne comptait pas vraiment. Il était mort et il aurait éternellement vingt-sept ans tandis que Nino vieillirait. Dans ses conditions, tenter de séduire le jeune homme n'avait rien de honteux.

mardi 29 mars 2016

Cœur de fantôme - 18

Sans lever les yeux de son ouvrage, Kazuya-Nino précisa :
— Les jeunes fantômes ne peuvent réussir ce tour de force, sauf avec des gens comme Nino qui sont sensibles à leur présence. Tu peux donc dormir sur tes deux oreilles.
— Cela ne m'inquiétait pas, prétendit Zack, tout de même bien soulagé de savoir que ses risques d'être à nouveau posséder étaient minces.
Kazuya-Nino rit, tout en sortant d'un tiroir un pinceau et de l'encre. Il n'était pas dupe.
— Tu sembles oublier que j'étais en toi. Je sais que tu fais tout ton possible pour correspondre à l'image que tu renvoies, celle du beau sportif cool et plein d'assurance, mais qu'en réalité tu es pétri de peurs et de doutes.
Que répliquer à ça ? Ce n'était que trop vrai. La meilleure défense étant l'attaque, Zack demanda, espérant le mettre mal à l'aise :
— Comment êtes-vous mort ?
Kazuya-Nino acheva de tracer d'étranges caractères sur le tissu qu'il avait coupé et annonça tranquillement :
— J'ai été assassiné par mon frère cadet. Il voulait hériter à ma place.
Zack resta sans voix. C'était une histoire horrible. De quoi être content d'être enfant unique. Sa rancœur à l'égard du fantôme diminua d'un cran.
Kazuya-Nino continua :
— Ce n'est pas les regrets qui m'ont retenu parmi les vivants, mais un noir désir de vengeance.
— Et vous avez réussi ?
— Si c'était le cas, je ne serais plus de ce monde... Puisque tu es là, rends-toi utile et va me chercher une poignée de terre du jardin.
Zack faillit obéir, mais protesta :
— Je ne suis pas à votre service.
— Mais tu t'attends à ce que je satisfasse ta curiosité.
Cela sonnait comme un reproche. Zack estimait en effet que Kazuya comme Nino lui devaient bien ça après ce qu'ils lui avaient fait vivre, mais c'était, à la réflexion, une erreur de sa part. C'était lui qui avait aidé Nino à se relever, lui qui l'avait suivi, se refusant à le laisser. C'est vrai que Kazuya avait exigé qu'il aille au zoo avec le brun et le ramène, mais il ne l'avait pas forcé. Il aurait pu le posséder à ce moment-là. Il n'arrivait pas à le cerner. Toujours est-il qu'il lui en voulait. Il n'avait pas mérité de n'être plus qu'une marionnette et de voir son intimité psychique violée. Comment Nino pouvait-il le supporter ? Zack aurait aimé en discuter avec lui, seulement pour l'heure, la voix du jeune homme était au service de Kazuya.
Escomptant que le fantôme dépossèderait Nino le talisman achevé, Zack annonça qu'il se rendait au jardin, ce qui lui valut un sourire qu'il jugea empli d'ironie.

lundi 28 mars 2016

Cœur de fantôme - 17

— Ce n'est pas juste pour lui, dit finalement Nino.
— Aucun désir de vengeance ? Tu as une âme tellement plus noble que la mienne, déclara Kazuya avant d'abandonner brusquement le corps de Zack qui se serait effondré sur le sol comme un pantin dont on aurait coupé les ficelles si Nino ne l'avait retenu.
— Désolé, s'excusa le brun. Et merci de m'avoir reconduit ici.
— De rien, souffla Zack.
Il était nauséeux et avait un épouvantable mal de crâne.
Kazuya s'introduisit à nouveau à l'intérieur de Nino et lâcha Zack comme une vieille chaussette.
— J'ai un talisman à fabriquer. Dès que tu seras d'attaque, file.
Zack l'aurait volontiers étripé. C'était à cause de lui qu'il était dans ce sale état. Seulement, Kazuya était déjà mort et s'attaquer à lui revenait à faire du mal à Nino qui lui s'était comporté de manière exemplaire. Il ne s'était jamais montré aimable, mais toujours honnête. Maintenant qu'il avait vécu lui-même une possession, Zack le trouvait même admirable d'en avoir enchaîné trois sans se plaindre, cinq, si on comptait Kazuya qui était entré à deux reprises dans Nino sans rien lui demander, lisant en lui sans vergogne.
— Je ne partirai pas, répliqua Zack, provocateur, même s'il eût été logique de s'enfuir à toutes jambes après ce qui s'était produit.
Il voulait des explications, notamment au sujet des différences entre Kazuya avec les autres fantômes.
— A ta guise, répondit Kazuya et, faisant pivoter le corps de Nino qu'il occupait, il se dirigea vers l'escalier.
Zack lui emboîta le pas d'une démarche mal assurée.
Dans la montée, la peinture s'écaillait et certaines marches étaient à moitiés pourries. Ils traversèrent une pièce au papier peint décoloré et déchiré occupée par un canapé éventré avant d'arriver dans une où au bas d'étagères écroulées s'entassaient pèle-mêle des livres. Kazuya-Nino s'assit devant un bureau au pied cassé sur une chaise dont la paille était au trois quart défaite. Sans se soucier de Zack, il s'empara d'un morceau de soie rouge qu'il coupa avec une grande paire de ciseaux pointue. Il tressa ensuite un bout de ficelle blanche avec laquelle il forma une boucle qu'il referma d'un nœud.
— Comment ça se fait que vous soyez visible ?
— J'ai acquis cette capacité avec les années, de même que celle de posséder les vivants de mon choix.
— Quel âge avez-vous ? demanda Zack tandis que Kazuya-Nino se mettait à coudre.
— Je suis mort, il y a quelque chose comme sept cent ans, à l'âge de vingt-sept ans.
L'âge de Zack, à sept cent ans près...

vendredi 25 mars 2016

Cœur de fantôme - 16

La présence de Kazuya en lui était écrasante. Quelques souvenirs qui n'étaient pas les siens le traversèrent : un jardin, un combat aux sabres... Le fantôme était incroyablement vieux. Il était mort depuis longtemps.
Zack avait l'impression de manquer d'air. Il se rapprocha de Nino, mais ce n'était plus lui qui dirigeait et sa bouche forma des mots qu'il n'avait pas voulu prononcer :
— Faisons l'amour.
— Kazuya ! Libère-le ! s'écria le brun.
— Je me contente de lui montrer ce que c'est d'être possédé et d'être contraint de coucher avec quelqu'un.
— C'est ma faute, c'est moi qui ait perdu ton talisman.
Zack aurait volontiers applaudi des deux mains mais il n'était plus qu'un spectateur dans son propre corps.
— Arrête de prendre toujours le tort pour toi,  rétorqua Kazuya.
— Relâche-le, demanda une fois de plus Nino.
— Non, pas tout de suite. J'ai envie d'en profiter pour t'enlacer.
Joignant le geste à la parole, il prit le brun dans ses bras.
— Nous pouvons faire comme d'habitude...
— Quand j'étais en toi, j'ai bien vu que tu le trouvais attirant.
Zack ne fut pas fâché de l'apprendre.
Les joues de Nino rosirent.
Kazuya l'embrassa à pleine bouche d'une façon passionnée et affamée qui ne ressemblait en rien à à la manière de procéder de Zack.
— Je sais aussi que tu t'es senti coupable vis-à-vis de moi de ne pas avoir détesté ses caresses.
De quoi alléger la conscience de Zack, mais Dieu que c'était frustrant de ne pouvoir rien dire, de ne plus être que le véhicule d'un autre !
— Je ne peux rien te cacher, marmonna Nino.
— Parce que tu le veux bien. Je t'ai appris à protéger ton intimité en cas de possession.
— Oui, je te dois tellement... Tu vas pouvoir me refaire un talisman ?
— Je m'y mettrai après... répondit Kazuya d'un ton suggestif en portant à ses lèvres les mains de Nino dans un geste que Zack jugea désuet.
— Quitte-le.
— Une leçon pour lui, une chance pour nous. Tu pourrais à ton tour me posséder. Physiquement, j'entends.
Dans l'œil bleu comme dans le vert, une petite étincelle s'alluma.
Nino allait le prendre par derrière. Cela n'avait rien de dramatique, excepté que son unique expérience de la chose s'était fort mal passée. Cela avait été douloureux. Zack avait même dû consulter un proctologue après. Évidemment, il n'avait pas eu envie de retenter, même en sachant qu'avec un partenaire attentif, cela pouvait être tout à fait satisfaisant. Lui-même savait donner du plaisir aux hommes avec lesquels il couchait. 
Il sentit l'amusement de Kazuya devant le fil de ses pensées et en éprouva une terrible impuissance.

jeudi 24 mars 2016

Cœur de fantôme - 15

Toutes ses informations ne disaient pas à Zack s'il l'avait dépucelé ou pas, mais il ne chercha pas à tout prix à clarifier ce point. Le mal était de toute façon fait.
— Prends mon bras et en route !
Nino hésita, puis à l'aveuglette, s'accrocha à un pan de la veste de Zack.
Comme quand il était possédé par le gosse, Zack dut l'aider à s'installer sur la selle de sa moto et lui mettre le casque. Il lui recommanda aussi de se tenir à lui malgré la répugnance que cela semblait lui inspirer.
Il y avait un bout de chemin entre le zoo et le 7 rue des Sycomores, mais l'après-midi était à peine entamée quand ils arrivèrent.
Nino eut un sourire fugace en entendant le portillon grincer sur ses gonds. Il rouvrit les yeux et fila jusqu'à la maison délabrée.
Zack aurait pu repartir, sa mission étant achevée, mais il s'élança à sa suite et assista aux retrouvailles de Nino et Kazuya.
Le brun se jeta contre le torse de son amoureux qui se fondit en lui, son grand corps disparaissant dans celui du jeune homme.
Nino fit alors volte-face,  les sourcils froncés et, sans sommation, fila un coup de poing dans le ventre de Zack qui se plia en deux sous l'effet de la douleur.
— Ça, c'est pour avoir couché avec Nino.
Apparemment posséder quelqu'un donnait un certain nombre d'informations sur la personne et ses agissements.
Nino, habité par Kazuya, vibrait de colère et dardait sur lui un regard bleu-vert méprisant comme s'il n'avait été qu'un infâme colporte. Rien à voir avec la réaction de Nino lui-même qui ne lui avait même pas fait un reproche.
— C'est lui qui s'est offert à moi, je ne pouvais pas savoir, se défendit-t-il d'une voix hachée, la respiration sifflante.
Il s'attendait à une seconde attaque qui ne vint pas.
— Il a pourtant expliqué les possessions dont il était victime.
— Il me plaisait, il m'a fait un numéro de charme... se justifia encore Zack. Il n'y a pas mort d'homme, ajouta-t-il, même s'il se sentait au fond morveux.
— Tu prends ça vraiment trop à la légère. Ça mérite une punition en règle.
Kazuya ressurgit soudain du corps de Nino, grand et imposant avec ses cheveux en ailes de corbeau et son nez busqué.
Nino vacilla, se retenant au mur au papier peint moisi pour ne pas tomber tandis que Kazuya bondissait sur Zack comme un animal sur sa proie. Le fantôme entra complètement en lui et ce fut comme si Zack recevait une décharge électrique.

mercredi 23 mars 2016

Cœur de fantôme - 14

Quand la visite fut finalement terminée, Nino le remercia.
Après quoi, il trébucha, mais Zack s'y attendait et il le retint sans peine.
Nino s'écarta immédiatement et ferma les yeux dans la foulée, sans doute pour éviter de se faire à nouveau posséder par un fantôme. Le jeune homme était de retour.
— Retournons vite auprès de Kazuya.
Zack se savait en tort vis-à-vis du brun, mais il n'aima pas son ton. C'était une chose de se faire commander par un fantôme, c'en était une autre de se plier aux désidératas d'un quasi-inconnu.
— Il faudrait songer à y mettre les formes.
— Désolé. S'il vous plaît. Je vous en prie, ramenez-moi à la rue des Sycomores, déclara aussitôt Nino humblement.
— Pressé de retrouver ton amoureux fantôme ? Comment cela peut-il marcher entre vous deux au juste ?
Zack n'avait pu se retenir de poser la question.
Nino s'empourpra, ses paupières papillonnèrent,  mais restèrent baissées. Il protesta, refusant de répondre, c'était de l'ordre de l'intime.
C'était vrai, mais la curiosité de Zack était si forte qu'il insista :
— Après la matinée que j'ai vécu, n'ai-je pas le droit à quelques éclaircissements ? De quoi me motiver à te reconduire...
C'était limite du chantage. Le brun serra les lèvres.
Zack émit des suggestions :
— Il possède un autre type ? Tu es capable de toucher les fantômes ?
Nino soupira et lâcha :
— Il prend possession de mon corps.
Zack chercha à imaginer Kazuya aux commandes de Nino sans y parvenir. Ce devait être étrange.
Au lieu de vouloir désormais en finir avec l'affaire, il avait envie d'en apprendre plus. Connaître l'existence des fantômes et vivre comme avant, comme si de rien n'était, ne lui disait rien.
— Comment tu l'as rencontré ?
— Par chance. Pouvons-nous y aller ?
Zack hocha la tête, puis se rappelant que Nino n'y voyait rien pour l'heure, confirma à haute voix. C'eût été cruel de sa part de continuer à l'assaillir de questions et si jamais il ouvrait les yeux et qu'un fantôme était dans le coin, ce serait la catastrophe.
— Je n'ai pas de foulard. Il n'en vendait hélas pas à la boutique du zoo.
— Ce n'est pas grave, je m'en passerai, affirma Nino.
Zack voulut le prendre par la main pour le guider, mais le brun se dégagea vivement, comme s'il ne supportait pas son contact. De quoi rappeler à Zack qu'il s'était, sans le vouloir,  imposé à Nino alors que ce dernier était sous l'emprise d'un fantôme.
— Pardon de ne pas t'avoir cru. J'espère que ce n'était pas ta première fois...
— Sans ça, elle aurait continué à squatter mon corps. Enfin, peut-être, parce qu'au final, elle n'est pas passée de l'autre côté et elle est retournée là où elle est morte...

mardi 22 mars 2016

Cœur de fantôme - 13

— Maintenant que nous avons réglé ce point, passons aux choses sérieuses. Qu'est-ce qui le retient ici ?
— Aller au zoo, je crois, murmura Zack.
Il avait du mal à se remettre du choc.
— Ce sera plus simple que de le forcer à quitter Nino. Tu vas être gentil et l'y emmener. A l'instant où il sera parti, il faudra bander les yeux de Nino pour plus de sécurité et le ramener ici, compris ?
La voix de Kazuya était posée et empreinte d'autorité.
Zack aurait dû refuser malgré tout, pu le faire, mais en fut incapable.
Le type qui lui faisait face était un fantôme et pourtant il pouvait le voir. C'était délirant. Il avait été contaminé par la folie de Nino... Non, il allait se réveiller d'une minute à l'autre.
— D'accord, s'entendit-il répondre comme dans un rêve.
— Parfait. A tout à l'heure. Nino a eu de la chance de tomber sur toi.
Cela aurait pu être le moment de révéler qu'il avait couché avec le jeune homme, enfin avec lui possédé par un fantôme, mais Zack se garda de le faire. Toute la situation était trop bizarre.
Nino ou plutôt le fantôme du petit garçon qui avait pris possession de lui s'était calmé depuis qu'il avait été clair qu'il aurait le droit d'aller au zoo sans être expulsé de son hôte.
Zack ressortit avec lui. A mesure qu'il s'éloignait de Kazuya, il se mit à douter de nouveau : est-ce que tout ça n'avait pas été un effet d'optique ? Les fantômes erraient-ils vraiment parmi les vivants, parfois invisibles, parfois non ? C'était dur à admettre et pourtant, tour à tour Nino s'était comporté de façon fort différente, chaque manière d'être se justifiant par le fantôme qui l'habitait : celui de la femme enceinte, celui du gosse, celui de la lycéenne désireuse de coucher... Dans ce cas, cela signifiait que Zack avait en quelque sorte violé Nino et il n'en était pas fier du tout. Il n'y avait hélas aucun moyen de revenir en arrière. La seule chose qu'il pouvait faire, c'était de ramener le brun à son amoureux.
Comment cela pouvait-il fonctionner entre eux puisque Kazuya était un fantôme ? Cela ne regardait pas Zack, mais cela l'intriguait, de même que de savoir comment Kazuya était mort et pourquoi il était resté sous cette forme... Mais pour avoir les réponses à ses questions, il allait d'abord devoir aller au zoo.

Une fois là-bas, le petit garçon qui possédait Nino s'extasia devant les animaux, poussant des cris de joie face aux lions, éléphants, singes et girafes...
Zack, même s'il aurait préféré être ailleurs, fut attendri devant son enthousiasme. Cela changeait tout de savoir qu'il y avait dans le corps du jeune homme un authentique garçonnet mort bien trop tôt.
Il joua le jeu jusqu'au bout, leur achetant de quoi manger et un souvenir à la boutique.

lundi 21 mars 2016

Cœur de fantôme - 12

A un certain point, Zack dut s'arrêter pour consulter le plan de la ville sur son mobile. Nino se tortilla sur son siège, s'impatientant immédiatement : quand est-ce qu'ils repartiraient, quand est-ce qu'ils arriveraient, quand est-ce qu'ils iraient enfin au zoo...
Zack lui intima le silence sans obtenir gain de cause.  
Ayant repéré le chemin, il redémarra et roula jusqu'au 7 rue des Sycomores devant lequel il se gara.
Les maisons du coin étaient vieillottes, mais celle du numéro 7 était carrément délabrée. Son jardin, à l'abandon, était entouré d'un grillage à moitié affaissé rongé par la rouille.
Sans trop y croire, Zack sonna. Évidemment, personne ne répondit. Ce devait être inhabité. Nino devait squatter les lieux...
Il allait renoncer quand le brun se plaignit que le lieu était sinistre et qu'il avait peur.
Zack se retint tout juste de lui crier dessus : c'était sa faute s'ils étaient là !
Décidé à se débarrasser de lui, il tenta de pousser le portillon branlant au bois noirci et ce dernier s'ouvrit.
— Allons-y !
Nino secoua la tête.
— Non, je veux pas.
— Ne me dis pas que tu es effrayé par les fantômes !
Zack lui prit la main et l'entraîna de force jusqu'à la maison.
Il toqua, puis essaya d'entrer. Là non plus ce n'était pas fermé.
— Il y a quelqu'un ? appela-t-il en franchissant le seuil, obligeant Nino à faire de même.
Un homme surgit du mur. Zack se frotta les yeux, sûrement il avait mal vu. Ce devait à cause du contraste entre la luminosité du dehors et la pénombre de l'entrée.
Le type était plus grand que lui d'une tête, chose peu fréquente, Zack mesurant un mètre quatre vingt. Il avait les yeux noirs légèrement bridés, des cheveux charbon qui descendaient sur ses épaules et un nez busqué. Il portait un kimono bleu foncé. L'un dans l'autre, il ne manquait pas de charme.
— Un souci avec Nino ?
Zack se sentit soulagé. Son interlocuteur connaissait le problématique jeune homme.
— Eh bien... commença-t-il, ne sachant trop comment présenter les choses.
— Je veux qu'on s'en aille, coupa Nino d'un ton effrayé, tirant pour se libérer et ressortir.
— Je vois. Il est possédé, constata l'homme en kimono.
C'était aussi un toqué ! Décidément, ce n'était pas son jour, songea Zack.
— Vous êtes Kazuya, le copain de Nino ? demanda-t-il plus pour confirmer qu'autre chose.
L'homme acquiesça sobrement.
— Et vous croyez à ses stupides histoires de fantômes ?
Ce n'était pas très délicat de sa part, mais Zack avait vraiment eu son compte pour la matinée.
— En effet, puisque j'en suis un.
Avant que Zack ne put se moquer de cette affirmation, Kazuya enfonça sa main dans son avant-bras et passa au travers.
Nino hurla de frayeur. Zack ressentit un drôle de frisson et déglutit. Comment continuer à nier l'existence des fantômes alors que la main de l'homme qui se tenait debout devant lui dépassait de son corps. Il chercha à toucher Kazuya, mais ne rencontra que le vide.
— Oh mon Dieu, souffla-t-il, resserrant son emprise sur Nino qui s'agitait de plus belle.

vendredi 18 mars 2016

Cœur de fantôme - 11

Un petit frère. Nino affirmait voir les fantômes et être possédé par ces derniers, ce qui était impossible bien sûr. Mais alors que Zack repoussait l'idée, le souvenir du concierge lui racontant qu'un garçonnet était accidentellement tombé de la fenêtre du studio qu'il habitait lui revint. La chute du quatrième étage lui avait été fatale. Une bien triste histoire. Or Nino se comportait comme un enfant. Mais ce n'était pas tout : avant de changer du tout au tout, il lui avait demandé de l'amener à une adresse précise sans tenir compte de son comportement et ses propos par la suite, comme s'il savait ce qui allait se produire... parce qu'il avait vu le petit garçon décédé.
Non, c'était n'importe quoi, trancha Zack en achevant de remonter la fermeture éclair de sa veste de jogging.
— On y va ? demanda Nino avec une impatience toute enfantine.
Il portait toujours seulement son caleçon.
— Tu n'es pas encore habillé...
— Aide-moi, s'il-te-plaît, dit Nino en levant les bras.
— Tu n'es pas trop vieux pour cela ? s'agaça Zack.
— J'ai que cinq ans !
Ça collait pas mal avec son âge mental, oui. Il était bon pour l'asile, pas de doute ! Mais quelque soit l'endroit où Zack l'emmènerait, il n'allait pas le sortir à poil dans ce froid automnal.
Résigné, il alla vers lui pour lui mettre ses vêtements.
Même avec la coopération de Nino, cela ne se déroula pas sans mal et lors de l'enfilage du jeans, ils basculèrent tout deux sur la moquette.
Un beau brun sur lui, cela aurait pu être excitant, mais pas dans les circonstances. Zack se dépêcha de se dépêtrer du jeune homme et après bien des efforts, Nino fut enfin habillé, veste et baskets comprises.
A peine l'opération achevée, Nino se mit à scander le mot zoo. Il était tellement agaçant que Zack opta pour la rue des Sycomores. Il espérait qu'il y trouverait enfin quelqu'un à qui confier Nino et qu'il cesserait d'être son problème.
— Avant qu'on aille voir les animaux, j'ai un truc à faire. Ça ne prendra pas longtemps. On va y aller avec ma moto.
Nino se renfrogna et croisa les bras sur son torse. Il boudait. Était-ce bien le même qui lui avait fait un numéro de charme à peine un quart d'heure plus tôt ? C'était à peine croyable. Parmi les différentes personnalités, seule une était réapparue, celle du jeune homme inquiet et grognon qui était ennuyé d'avoir perdu sa protection contre les fantômes qui pouvaient dès lors s'emparer de son corps... Ce qui était du domaine de l'impossible. Normalement.
— On ira au zoo juste après, déclara Zack, pressentant qu'autrement, il aurait du mal à faire bouger le brun.
— Pour de bon, hein ?
Zack opina, même s'il escomptait y couper.
Une fois dehors, il enfonça et attacha lui-même un casque de moto sur le crâne de Nino qui se laissa Dieu merci faire docilement avant d'installer ce dernier sur la selle arrière. Zack enfourcha ensuite sa moto,  se sentant obligé de recommander à Nino de bien se tenir à lui, comme s'il avait effectivement été un gosse. Avec circonspection, le brun obtempéra et Zack démarra, se gardant de rouler vite.

jeudi 17 mars 2016

Cœur de fantôme - 10

— Pourquoi a-t-il fallu que je perde le talisman et que je tombe sur le fantôme d'une lycéenne qui regrettait de ne pas avoir perdu sa virginité avant de mourir... Et merde ! Kazuya va me tuer !
Et voilà qu'il repartait dans ses délires de fantômes, de quoi augmenter la culpabilité que ressentait Zack à l'avoir culbuté. C'était certes Nino qui l'avait invité, mais il n'aurait pas dû céder sachant que ce dernier ne tournait pas rond.
— Qui est Kazuya ? interrogea Zack.
C'était le seul élément de la tirade qui n'était pas totalement dingue.
Nino se redressa, les yeux brillants.
— Mon amoureux. C'est lui qui a fabriqué le talisman pour me protéger.
La nouvelle que Nino était en couple avec quelqu'un déplut à Zack, car il était contre l'infidélité. Il s'en voulut encore davantage.
Le fameux Kazuka n'avait cependant pas l'air de valoir grand chose : était-ce lui qui avait farci la tête de Nino avec toutes ses sottises ? A moins qu'il n'y croit lui-même, ce qui n'était guère mieux.
— C'est sûr qu'il ne risque pas d'apprécier que tu aies couché avec un autre type. Sauf tu es un habitué de ce genre de truc, bien sûr.
Nino lui lança un regard que Zack ne sut interpréter, puis quitta le canapé pour récupérer ses vêtements, les jambes un peu tremblantes.
Il venait tout juste d'enfiler son caleçon noir moulant quand il demanda d'une voix où pointait le désespoir :
— Vous n'avez pas de petit frère, si ?
Il était bizarrement repassé au vouvoiement et la question sortait de nulle part, mais Zack y répondit :
— Non, je suis fils unique.
— Quoique je dise ou fasse dans les minutes à venir, promettez-moi de me conduire au 7 rue des Sycomores, débita Nino à toute vitesse.
Sur ces mots, il se laissa glisser au sol, comme privé de forces. Zack crut que c'était dû à la manière dont il avait plongé en lui encore et encore sans ménagement.
Il se rapprocha pour lui tendre une main secourable, des excuses sur les lèvres quand Nino lança :
— Je veux aller au zoo.
— Hein ?
Le brun répéta sa demande. Zack lui rappela qu'il voulait regagner son domicile.
— ZOO. ZOO. Maman avait promis.
Il avait encore changé. C'était infernal. Cette fois, il se prenait pour un gosse. Zack resta interdit. Nino se mit à se rouler par terre, agitant bras et jambes en hurlant qu'il voulait se rendre au zoo. C'était fort bizarre de voir un adulte se comporter ainsi.
Le volume sonore était insupportable. Zack se boucha les oreilles sans grand effet.
— OK, lâcha-t-il enfin. Laisse-moi le temps de me préparer. Toi aussi tu devrais te rhabiller, ajouta-t-il.
Le jeune homme cessa son cirque et s'assit par terre.
Zack enfila avec lenteur ses vêtements pour se donner le temps de réfléchir. C'était curieux la manière dont Nino s'était métamorphosé en gosse braillard juste après l'avoir interrogé sur sa famille.

mercredi 16 mars 2016

Cœur de fantôme - 9

Glissant son jeans et son sous-vêtement sur ses jambes, Nino révéla ses bijoux de famille.
Zack déglutit. C'était effectivement un homme et de surcroît bien doté.
Nino retira également le haut, dévoilant un torse finement dessiné et deux appétissants tétons framboise. Il était superbe. Zack ne parvenait à détacher son regard de lui. C'est au prix d'un immense effort, en se morigénant -  le jeune homme était dérangé  - qu'il effectua quelques pas en direction de la cuisine.
Nino s'allongea alors sur le canapé.
— Tu viens ou je commence sans toi ?
Là-dessus, il écarta les jambes et se mit à caresser son pénis qui se dressa aussitôt.
— Doux et dur à la fois, murmura-t-il.
Zack se figea. Le brun s'humecta les lèvres et gémit. Il était trop désirable. Il ne disait plus rien de fâcheux. Il était un corps offert et Zack craqua.
En deux enjambées, il fut devant le canapé et l'instant d'après, il recouvrait sa bouche de la sienne pour un baiser vorace.
— Encore ! réclama Nino, comme Zack se détachait doucement de ses lèvres.
Il obtempéra, sa langue s'emmêlant avec celle du jeune homme, puis il retira son jogging en hâte avant de s'étendre, nu, contre Nino. Il suça ses tétons l'un après l'autre, savourant leur goût légèrement salé, et s'arrangea pour capturer ses fesses qu'il malaxa.
La main de Nino flatta les muscles de ses bras, puis s'empara de son membre durci.
— Pénètre-moi, exigea-t-il.
Zack le délaissa pour récupérer un préservatif et du lubrifiant. D'un doigt enduit de gel, il traça le contour de l'anus palpitant de Nino et l'introduit à l'intérieur. Il passa à deux, tout en caressant le pénis du brun. La respiration de Nino était haletante et sa peau brûlante. Il était prêt. Zack, plein d'impatience, déroula le préservatif sur son sexe et s'enfonça d'une poussée brutale. Nino émit un petit cri, mais quelques coups de reins plus tard, lui demanda d'aller plus fort et plus au fond. Il jouit avant Zack qui continua à le pilonner sans relâche jusqu'à éjaculer à son tour.
— C'était super bon, déclara Nino après que Zack se soit retiré, et assis sur l'accoudoir du canapé.
— Je suis content que tu aies apprécié la performance.
Lui aussi avait aimé posséder ce corps mince et souple. Il éprouvait cependant une pointe culpabilité.
— Tu crois que le sexe est très différent quand on est une femme ?
C'était une étrange question, mais avec Nino, il fallait s'attendre à tout.
— Impossible à savoir à moins d'en être une, répondit-il malgré tout.
Nino rit joyeusement.
— Très vrai ! Plus qu'à patienter encore pour le savoir, alors... Merci pour l'expérience en tout cas, beau gosse !
Zack grimaça, mais ne râla pas. Il avait pris son pied et sa mauvaise humeur s'était envolée.
Le visage content et satisfait de Nino disparut, remplacé par un triste et sombre.

mardi 15 mars 2016

Cœur de fantôme - 8

Ils se mirent à marcher, Nino se plaçant si près de Zack que leurs sacs de courses avaient tendance à se cogner.
— Tu as quel âge, beau gosse ?
C'était regrettable qu'il ait apparemment oublié son nom.
— Vingt-sept ans. Et toi ?
— Di... Vingt ans. Tu fais quoi dans la vie ?
Zack nota mentalement son hésitation. Nino avait bien l'air d'être dans la vingtaine, mais était-il possible qu'il soit en fait plus jeune ?
— Je travaille dans un centre sportif. Et toi, tu es étudiant ?
— Oui.
— En quoi ?
— On s'en fiche ! Parlons plutôt de toi. Depuis quand tu sais que t'es homo ?
— Mon adolescence, répondit Zack sans développer.
Il n'avait jamais été du genre bavard. Les différentes phases par lesquelles il était passé de la négation à l'acceptation, ne regardait que lui.
Il lui retourna la question. Nino se contenta d'éclater de rire sans répondre. Le brun était un mystère, de la femme enceinte à l'homme mal luné, à ce dragueur qui manquait sérieusement de subtilité.
Il y eut un micro-blanc, puis Nino demanda :
— Tu habites loin, beau gosse ?
La question était anodine. Zack, cependant, n'y tint plus. Il s'était montré patient et courtois jusque là, galant même, ce qui lui avait été reproché, et trop, c'était trop !
— Mon nom, c'est Zack et sans les tours et les détours que tu m'as poussé à faire, nous n'en serions pas là...
— On ne vient pas juste de se rencontrer ? demanda Nino d'un ton plein d'innocence.
Oui, il était bel et bien frappé d'amnésie.
Zack le détrompa et lui rappela comment il l'avait aidé dans le parking du supermarché.
— Pardon, je ne savais pas... Bref, si j'ai hâte d'arriver, c'est que je suis pressée de coucher avec toi.
— C'est cela, oui, grommela Zack.
Dans ses rêves. Il lui plaisait physiquement, mais ça s'arrêtait là.
Après cet échange quelque peu vif, Nino essaya à plusieurs reprises de relancer la conversation, l'interrogeant sur ce qui avait motivé son choix de carrière, évoquant le temps venteux et humide, mais Zack s'enferma dans un mutisme résolu.
Ce n'est que devant l'immeuble où il habitait qu'il réalisa qu'il aurait pu l'amener au poste de police. Toutes les histoires de Nino lui avaient fait perdre ses facultés de raisonnement.
Furieux contre lui-même, il l'introduisit dans l'immeuble, puis dans son studio. Il chercha à le voir avec les yeux d'un étranger : une minuscule entrée, une salle d'eau du même acabit accolée à une cuisine à peine plus grande, une pièce principale en désordre divisée par un rideau qui séparait son lit du salon encombré d'une armoire et d'un large canapé.
Il l'invita à s'y asseoir et annonça qu'il allait ranger les courses. A l'abri de la cuisine, il escomptait téléphoner à la police sans l'alarmer. Il craignait en effet autrement que Nino ne s'enfuit.
Son plan tomba à l'eau, car Nino se mit à se déshabiller.

lundi 14 mars 2016

Cœur de fantôme - 7

— Merci ! Vous êtes chic ! Et beau gosse avec ça !
Zack était habitué à être complimenté sur son physique. Éducateur dans un centre sportif, il était blond, les yeux verts, grand, musclé et basané de naissance, n'en déplaise à ceux qu'il croyait qu'il se faisait des UV. Dans le cas présent, la remarque tombait comme un cheveu sur la soupe...
— Alors, finalement, ce n'est pas si terrible que cela que j'insiste pour vous accompagner ?
Nino parut un instant déconcerté avant de lui adresser un nouveau sourire ravageur.
— Non, c'est génial ! s'écria-t-il, faisant un grand mouvement avec ses bras.
Son exubérance était perturbante. Il avait, semblait-il, encore changé de personnalité. Les fantômes avaient bon dos... A moins que tout cela ne fasse partie d'une stratégie pour que Zack renonce à demeurer avec lui.
— Si ça va, remettons nous en route.
— Hum. Je sais que je suis indiscrète, mais vous avez une petite amie ?
Il reparlait de lui au féminin. C'était à devenir chèvre.
— Non, je suis célibataire.
Zack n'aurait rien eu contre avoir un amoureux, mais en attendant de trouver la bonne personne, il n'était pas fâché de multiplier les aventures d'un soir.
Nino baissa les yeux sur lui-même, examinant son propre corps comme s'il ne l'avait jamais vu et fit la moue.
— Je me serais bien présentée pour le poste, mais... Vous ne seriez pas gay, par hasard ? Pardon, si je me trompe.
Zack se demanda ce qui l'avait trahi. Il pensait avoir été discret dans ses regards appréciateurs. Sa politique était de ne jamais afficher son orientation, sans la cacher non plus.
— Je le suis. Ça pose problème ?
— Non, pas du tout. J'ai de la chance dans mon malheur. J'aime les garçons moi aussi.
Dommage que Nino soit dérangé et qu'il reste un léger doute sur son véritable sexe.
— Vraiment ?
— Oui, surtout les sexys comme vous ! Et si nous allions chez vous ? suggéra Nino en battant des cils de façon outrancière.
— Je croyais que vous vouliez rentrer chez vous ?
Il haussa les épaules.
— J'ai changé d'avis.
— Pourquoi ?
— Tu as besoin d'un dessin, beau gosse ?
Zack faillit s'énerver. Il n'aimait guère l'appellation. Nino lui faisait du rentre-dedans après avoir cherché à se débarrasser de lui. Comme depuis le début avec lui, c'était à rien y comprendre...
Finalement, comme il en avait ras le pompon de se faire balader, il acquiesça. Une fois chez lui, il téléphonerait à la police. Quelqu'un, quelque part devait chercher Nino et s'inquiéter pour lui.

vendredi 11 mars 2016

Cœur de fantôme - 6

Elle stoppa, fit volte-face :
— Vous n'avez rien de mieux à faire ? Lâchez-donc moi les baskets !
— Je serais plus tranquille de vous laisser auprès de quelqu'un qui vous connaît, expliqua Zack.
Elle grimaça et précisa qu'elle vivait à un bon quart d'heure à pieds dans un coin réputé pour être mal famé.
— Pas de souci, affirma Zack.
Elle s'avisa soudain qu'il avait ses courses et voulut les récupérer.
— Non, c'est bon, je vais vous le porter.
— Et en quel honneur ? demanda-t-elle, en fronçant les sourcils.
— Par galanterie.
— Vous devriez consulter un ophtalmologue, je suis un homme.
Même si à ce stade, il n'était plus sûr de rien, Zack ne put s'empêcher de se réjouir, non sans manquer de remarquer le ton ironique de son interlocuteur qui semblait se venger là de sa suggestion de faire un tour chez le docteur.
— J'en étais persuadé avant que vous ne me détrompiez avec votre prétendue grossesse, se défendit-il.
— Je vous ai déjà expliqué pourquoi et vous n'avez pas voulu me croire. Enfin, le contraire eût été étonnant. Personne ne le veut jamais. Au mieux, je suis considéré comme un affabulateur, au pire comme un dangereux malade mental bon à interner.
Zack garda le silence. Évidemment que nul ne pouvait gober un truc pareil. Les fantômes, c'était comme les licornes et les dragons, ça n'existait pas !
Le brun continua :
— Il y a pourtant beaucoup de gens qui meurent sans réussir à passer de l'autre côté parce qu'ils ont trop de regrets. Voilà pourquoi ils errent parmi nous. Je peux les voir et quand j'ai le malheur de croiser leur regard, ils peuvent me posséder.
Zack choisit d'ignorer ses élucubrations.
— Je m'appelle Zack. Et vous ?
— Nino.
Cela lui allait bien... Si c'était bien son véritable prénom. Ah, il était vraiment à croquer tant qu'il n'ouvrait pas la bouche.
Nino chercha encore une fois à reprendre les sacs qui étaient à lui. Zack céda. Les garder pour ainsi dire en otage n'avait pas de sens, le jeune homme les ayant auparavant oubliés derrière lui.
Nino se remit en route, Zack sur ses talons.
— Rien ne vous dissuadera, hein ? soupira le jeune homme sans se retourner.
— Non.
Ils avancèrent un moment sans échanger un mot de plus, quand soudain, au tournant d'une rue, Nino vacilla. Même en ayant de bons réflexes, Zack ne put prévenir sa chute.
Tomber, c'était une manie chez lui ou quoi ? songea-t-il en posant précipitamment ses  achats pour l'aider.
Une fois sur pieds, Nino le fixa d'un air égaré, puis lui sourit, ce qui le rendit encore plus séduisant.
Le rythme cardiaque de Zack s'accéléra. Il lui plaisait vraiment, même s'il était dérangé. Pour échapper à son sourire, Zack préféra se baisser pour lui rendre ses sacs dont le contenu ne s'était pas, pour cette fois, par chance, répandu sur le trottoir.

jeudi 10 mars 2016

Cœur de fantôme - 5

— Merci pour tout, dit-elle en regardant Zack droit dans les yeux, puis elle trébucha en avant.
Zack qui avait posé les sacs de courses sur le trottoir comme la conversation avec l'homme blond durait, put heureusement la rattraper avant qu'elle ne tombe.
Elle s'écarta l'instant d'après, porta la main à son cou et jura :
— Merde ! Merde !
Elle était méconnaissable.
— Calmez-vous, tout va bien, intervint Zack, inquiet de cet éclat soudain.
— Pour vous peut-être ! grommela-t-elle. Il faut que je me dépêche de rentrer.
— Où donc ? demanda Zack.
Ils étaient supposément devant chez elle.
— C'est gentil à vous de l'avoir aidée... commença-t-elle.
Et voilà qu'elle parlait d'elle à la troisième personne...
Il ne pouvait la laisser seule, autrement, il ne pourrait plus se regarder dans la glace quand il se rasait le matin. Tant pis pour son jour de repos qu'il était en train de foutre en l'air !
— Mais à présent, je vais me débrouiller, acheva-t-elle.
— Vous êtes tombé tout à l'heure, vous ne pensez pas qu'un tour chez le médecin serait une bonne idée ?
Elle blêmit et protesta :
— Non, je vais très bien.
Zack pointa alors en douceur les incohérences entre les propos qu'elle lui avait tenus et la scène qui venait de se jouer.
Elle s'éloigna sans attendre qu'il ait fini, abandonnant derrière elle ses courses.
Zack ramassa en hâte les sacs et lui emboîta le pas, notant que sa façon de marcher était très différente de tout à l'heure : elle ne se déhanchait plus.
Agacée, au bout de quelques minutes, elle s'arrêta, pivota pour lui faire face et s'écria :
— Laissez-moi tranquille, je ne suis pas fou !
Cet emploi du masculin interpella Zack.
— Vous prétendiez être enceinte de six mois, il y a peine un quart d'heure, riposta-t-il.
— Ce n'était pas moi, c'était elle. Mais inutile que je vous explique, vous ne me croirez pas vu que vous doutez déjà de ma santé mentale.
— Essayez quand même, répliqua Zack.
Il ou elle soupira.
— J'ai perdu le talisman qui me protège des fantômes, c'est pour cela que cette pauvre femme a pu prendre possession de mon corps sur le parking.
Zack secoua la tête. C'était n'importe quoi. Les fantômes, ça n'existait pas. Il ou elle devait souffrir d'un dédoublement de la personnalité ou quelque chose dans ce goût-là. Après, il ne pouvait pas le forcer à consulter, mais quand même... Au minimum, il voulait s'assurer qu'elle ou il ne serait pas abandonné à lui-même.
Elle repartit, Zack la suivit.

mercredi 9 mars 2016

Cœur de fantôme - 4

Soudain, un petit garçon d'une dizaine d'années apparut dans l'embrasure de la porte de la maison, véritable modèle réduit de son père.  Zack s'étonna de sa présence avant de se rappeler que c'était les vacances scolaires.
— Papa, tu viens ? … C'est qui ?
— Des gens qui se sont trompés. Rentre à l'intérieur Eustache, tu vas attraper froid.
Zack émit un son étranglé : impossible de ne pas noter la concordance avec le prénom de l'enfant et du bébé qu'elle était supposée porter. Elle posa à nouveau la main sur son ventre qui était définitivement plat. Des larmes coulèrent de son œil vert comme de son bleu.
L'homme blond parut sensible à ce chagrin subi, même s'il n'alla pas jusqu'à ouvrir la grille.
— Écoutez, je regrette, mais je ne me rappelle pas de vous.
— Votre femme... commença-t-elle, sanglotant de plus belle.
S'adressant à son fils, il lui intima une fois de plus de retourner au chaud. Le petit bonhomme s'exécuta non sans se plaindre que son père lui avait promis de jouer avec lui aux petits chevaux.
— Vous la connaissiez ? demanda le blond, le visage triste, dès que l'enfant eut disparut.
Elle opina, toujours en pleurs.
— Que voulez-vous ? Vous savez qu'elle est morte, il y a huit ans, n'est-ce pas ?
Elle hocha lentement la tête.
— Je... Elle a été renversée par une voiture qui roulait trop vite dans le parking du supermarché... Dieu merci, le bébé a pu être sauvé...
— Eustache a en effet survécu, même si cela a été dur au début, car c'était un grand prématuré. Cela ne me dit pas la raison de votre visite.
Zack déglutit. La situation était si bizarre...
— Je... Elle... Êtes vous heureux ? Vous êtes-vous remarié ?
Même si elle avait été une amie de l'épouse défunte, cela ne la regardait pas. Elle allait essuyer une rebuffade à coup sûr, songea Zack.
— Ce ne sont pas vos affaires, déclara comme de juste le blond.
Se tournant vers Zack, il ajouta :
— Je crois que vous feriez mieux de ramener votre ami chez lui.
Zack grimaça. C'est ce qu'il venait de faire. Du moins, le croyait-il. Et il ne la connaissait pas.
— S'il vous plaît, répondez-moi, plaida-t-elle en tordant ses mains aux longs doigts fins.
L'homme blond hésita, puis céda :
— Tout va bien pour Eustache et moi. Nous formons une famille unie avec ma nouvelle compagne.
Elle ouvrit la bouche, sûrement pour poser une nouvelle question, mais il la gratifia d'un au revoir un peu sec avant de s'éloigner à grandes enjambées.
— Adieu, murmura-t-elle, au moment où la porte se refermait sur lui.
Zack s'interrogea sur la marche à suivre face à cette jeune femme paumée. Devait-il l'amener à un docteur ou au commissariat le plus proche ?

mardi 8 mars 2016

Cœur de fantôme - 3

Elle avançait légèrement devant lui pour lui montrer le chemin. Tandis qu'en vraie pipelette – trait indéniablement féminin – elle détaillait la décoration de la chambre de bébé, il ne put s'empêcher de noter qu'elle marchait en roulant des fesses qu'elle avait au demeurant fort jolies.
Elle se mit à raconter comment son mari et elle s'étaient rencontrés. Craignait-elle qu'il ne veuille la draguer pour qu'elle insiste ainsi sur l'amour qui l'unissait à son mari ? Zack fut presque tenté de lui dire qu'elle n'avait pas à s'en faire, qu'il était gay. En même temps, il ne pouvait nier que physiquement, elle continuait à lui plaire. Elle ressemblait vraiment à un garçon, voix compris. Même son parfum d'eau de Cologne mentholé était trompeur.
Elle était intarissable si bien qu'ils arrivèrent sans que Zack n'ait presque pu placer un mot. C'était une haute maison de briques rouges entourée d'un muret surmonté d'une grille noire qui laissait voir un beau jardin. Ils devaient avoir les moyens, à la différence de Zack qui habitait un studio.
Elle fouilla dans ses poches de pantalon et de veste, de plus en plus paniquée, sortant un mouchoir en tissu blanc, un stylo et un carnet de cuir.
— Je crois bien que j'ai perdu mes clefs, gémit-elle.
— Pourquoi n'appelleriez-vous pas votre mari ? suggéra Zack.
— Je n'ai pas de téléphone sur moi...
— Je peux vous prêter le mien, déclara Zack et joignant le geste à la parole, il lui tendit son mobile sans qu'elle le prenne.
— Quel jour est-on déjà ?
— Jeudi.
Pour faire bonne mesure, il précisa le mois et l'année.
Elle se troubla.
— Vous êtes sûr ?
Zack confirma qu'il était certain, tout en se demandant dans quelle histoire il s'était embarqué et ce qu'il allait faire s'il s'avérait qu'elle ne pouvait rentrer chez elle. Enceinte ou pas, femme ou pas, il ne pouvait la laisser errer dans la rue par ce temps venteux.
— Peut-être est-il à la maison.
Là-dessus, elle pressa le bouton de la sonnette.
Comme elle lui avait également expliqué qu'il était ingénieur, Zack doutait qu'il soit présent un jour de semaine, mais contre toute attente, un homme blond dans la quarantaine apparut à la porte et vint jusqu'à la grille.
— Chéri ! s'exclama-t-elle. Je suis désolée, je...
Le blond fronça les sourcils.
— Qui êtes-vous ? Vous devez faire erreur...
Déjà, il s'apprêtait à repartir. Zack ne s'était pas imaginé qu'elle était dérangée au point de se rendre chez des inconnus. Il aurait donné cher pour être ailleurs, mais il était là, tout ça parce qu'il, ou plutôt elle, lui avait plu et qu'il avait voulu jouer les bons Samaritains...
— Enfin, Marc, s'écria-t-elle, dévastée. Ce n'est pas drôle, juste parce que j'ai égaré mon trousseau...
L'homme s'arrêta.
— Comment savez-vous mon nom ? demanda-t-il, puis il secoua la tête. Aucune importance, ajouta-t-il.

lundi 7 mars 2016

Cœur de fantôme - 2

— Ça va ? le questionna-t-il à nouveau.
— Oui... répondit le jeune homme d'une voix de baryton.
Avant que que Zack n'ait eu le temps de dire que c'était tant mieux, le brun ajouta en posant la main sur son ventre :
— J'espère que le bébé n'a rien.
Zack se demanda s'il avait mal entendu. Il était sûr et certain qu'il était d'avoir un mec en face de lui. Jamais de sa vie il n'avait été attiré par une femme. La silhouette du brun n'avait rien de féminin, pas plus que sa voix, sans compter sa coupe de cheveux courte et son absence de poitrine.
— Vous êtes enceinte ? interrogea-t-il, incrédule, sans cacher sa surprise.
Il ou elle - Zack commençait à douter - eut un rire coquet.
— Cela ne se voit pas ?
La pose qu'il, enfin elle, prit en prononçant ses mots, n'avait rien de masculin. Zack conclut en son for intérieur qu'il s'était trompé et que le profil androgyne de son interlocutrice expliquait son erreur.
Elle reprit :
— J'en suis pourtant déjà à six mois.
Zack se racla la gorge. Quel que soit le sexe de la personne qui se tenait devant lui, elle ne tournait pas rond, quand bien même elle ne s'était à priori pas cogné la tête... La tentation était grande de partir sans plus se préoccuper d'elle et de son bébé qui semblait imaginaire, mais Zack resta.  Il – à moins que ce ne soit elle – paraissait terriblement troublé.
— Vous voulez que je vous raccompagne chez vous ?
Elle ou il – Zack ne savait pas au final -  inclina la tête sur le côté pour réfléchir à la proposition avant de finalement accepter.
Zack se chargea des sacs de l'inconnu(e) en plus des siens.
— Merci. Je suis confuse, vraiment.
— Mais non, ce n'est rien, assura Zack.
Elle lui expliqua où elle habitait et ils se mirent en route.
En chemin, elle raconta comment elle avait emménagé avec son mari dans le quartier deux ans plus tôt.
Zack ne put s'empêcher de remarquer que l'année qu'elle donnait ne correspondait pas. Cela faisait plutôt dix ans qu'elle vivait dans le coin.
Comme il l'en informait, elle cligna des yeux,  se tint les tempes un instant.
— Il faut croire que je ne sais plus où j'en suis, ces derniers temps, avec le bébé à naître... balbutia-t-elle. C'est mon premier. C'est un petit garçon. Nous allons l'appeler Eustache.
Ce n'était pas un prénom tendance, mais Zack se garda de commenter.

vendredi 4 mars 2016

Cœur de fantôme - 1

C'était une matinée d'automne comme tant d'autres. L'air était gorgé d'humidité. Les feuilles mortes sur le trottoir crissaient sous les pieds de Zack tandis que d'autres tourbillonnaient dans le vent qui ébouriffait ses mèches blondes.
Comme tous les jeudis, il était parti faire les courses dans le supermarché situé à dix minutes à pieds de son appartement afin de regarnir son réfrigérateur et ses placards.
Il marchait d'un pas alerte, les mains enfoncées dans les poches de son blouson en cuir noir passé par dessus son jogging bleu roi.
Il ne tarda pas à arriver. Devant lui, les portes du magasin coulissèrent. Il entra et attrapa un panier en plastique rouge vif.
Il procédait toujours de la même manière et faisait chaque allée de façon systématique, passant devant chaque rayonnage pour être sûr de ne rien oublier.
C'est aux fruits et légumes qu'il le vit, mince et brun dans un jeans moulant avec une veste assortie ajustée. Pile poil son genre.
Zack s'approcha pour le regarder de plus près et aussi parce qu'il voulait prendre des pommes. Le jeune homme brun avait un profil délicat, des lèvres pâles et des mains fines et blanches. Durant un instant, leurs yeux se rencontrèrent. Le brun avait un œil bleu et un autre vert. Zack eut un sourire que le jeune homme ne lui rendit pas. Déjà il se détournait vers les poires. Zack acheva de remplir son sac et continua ses courses. Même en étant à l'aise avec son homosexualité, il n'était pas du style à draguer dans les supermarchés.
Son tour achevé, il passa à la caisse et sortit chargé de deux grands sacs réutilisables – il oubliait régulièrement d'emmener ceux qu'il avait déjà qui s'accumulaient sur une poignée de porte dans sa cuisine.
A l'extérieur, sur le parking, à quelques mètres devant lui, près des chariots, il repéra le jeune homme qui avançait d'une démarche souple et rapide.
Et puis, comme au ralenti, le brun glissa et bascula en avant, laissant tomber ce qu'il portait. Zack se précipita pour l'aider.
Arrivé à son niveau, il s'agenouilla et lui tendit des mains secourables que le brun ignora pour se remettre debout de lui-même.
— Ça va ? demanda Zack.
Il ne reçut aucune réponse. Comme il se sentait un peu idiot de s'être accroupi pour rien, il choisit de remettre dans les sacs plastiques les achats qui s'en étaient échappés lors de la chute. Rien ne semblait avoir souffert.
Le brun ne se joignit pas lui pour ramasser. Il avait l'air secoué. Zack se releva.

jeudi 3 mars 2016

Contes modernes - 230

Il reprit :
— Et toi, que je sois un acteur au chômage malvoyant, ça te pose problème ?
La réponse fusa, venant du cœur :
— Bien sûr que non ! Que tu sois célèbre ou pas, je m'en moque. Je ne comprends pas ce genre de truc. J'ai encore bien du mal avec le monde extérieur, même si mes parents et mes sœurs me soutiennent.
— Ça se passe bien avec eux ?
— Oui. Ils sont très gentils, mais j'ai du mal. Il y a encore tant de choses que j'ignore, tant à désapprendre...
Il y avait de la tristesse dans sa voix. Mael suivit tendrement les contours de son visage et remonta sur sa pommette veloutée.
— Je vais être là pour t'épauler à partir de maintenant, même si je suis obligé d'admettre qu'en étant connu, mon monde diffère quelque peu du normal...
— Cela ne change rien pour moi, assura Ray.
— Tu peins toujours ? demanda Mael, mélancolique à l'idée qu'il ne pourrait plus de toute façon admirer ses œuvres.
— Oui... Pour le moment, je n'ai pas de vrai travail. Les jumelles prétendent que je pourrais devenir chanteur, mais je ne sais pas...
— Elles ont raison. Tu as de multiples talents. Si tu le souhaites, je te présenterai aux bonnes personnes. Jim Sanders pour tes peintures et pour ta voix...
La bouche de Ray se posa sur la sienne, l'empêchant de terminer.
— Merci de croire en moi. Faisons l'amour, souffla ensuite le jeune homme.
Mael s'était retenu à cause des sœurs du jeune homme toutes proches, mais pareille demande ne se refusait pas.
Il n'y eut bientôt plus que leurs halètements et la chaleur de leurs peaux nues. Ray ne dit pas un mot des traces qu'avait laissé sa chute sur son corps et Mael lui en fut reconnaissant.
Leur étreinte achevée, Mael tâtonna pour retrouver ses habits. Même s'ils étaient en pleine journée, dans une pièce éclairée, pour lui, c'était toujours le brouillard.
Sa main tomba facilement sur ses vêtements et il soupçonna Ray d'avoir facilité sa recherche, mais en silence.
— Merci, déclara-t-il.
— Avec plaisir, répondit Ray.
Ce fut alors comme si un voile se déchirait devant les yeux de Mael, comme un rayon de soleil perçant les nuages, et soudain il vit. Pour de vrai et pas juste de vagues taches.
— Ray... Je te vois.
Les cheveux châtains du jeune homme descendaient sur son cou, ses yeux jaune d'or brillaient. Des larmes de joies roulèrent sur ses joues, ses lèvres incurvées dans un doux sourire.
C'était une étrange et merveilleuse coïncidence que Mael recouvre la vue le jour de ses retrouvailles avec Ray, mais il n'en était pas vraiment surpris. Depuis toujours, il était persuadé que le monde regorgeait de bizarreries et de mystères pas vraiment explicables. L'amour partagé en était d'ailleurs un.

FIN

mercredi 2 mars 2016

Contes modernes - 229

— Ne nous quittons plus.
Mael le sentit hocher la tête contre son torse avant de lâcher un « oui » plein de ferveur. Cependant, quand il voulut faire monter Ray dans sa voiture pour le conduire chez lui, le jeune homme déclina.
— Je ne peux pas. Je suis venu avec les jumelles. Elles m'attendent au café.
Mael s'inquiéta aussitôt de ce que ses filles représentaient pour lui. En deux ans, des milliers de choses avaient pu se produire...
— Les jumelles ? s'enquit-il.
— Ce sont mes sœurs. Elles ont dix-neuf ans. Elles sont fans de toi. Elles ne voulaient pas croire que je te connaissais au début.
— Allons les chercher, offrit Mael, soulagé.

Les sœurs de Ray poussèrent des cris en le voyant si bien qu'une partie des gens du café l'approchèrent. Il avait beau ne plus être à l'écran depuis deux ans, il restait connu. Son garde du corps eut de la peine à gérer les choses, mais finalement Mael, Ray et les jumelles se retrouvèrent à l'abri de la voiture.
Du bavardage excité des deux jeunes filles, il ressortit que Ray n'avait rien caché de sa relation avec lui. A priori, ses parents étaient également au courant et l'homosexualité du fils qui leur avait été arraché quand il était bébé ne les dérangeait pas. Ils avaient tout de même été d'avis que Ray ne tente pas de revoir l'acteur. Les jumelles avaient à priori également pensé que c'était une cause perdue. Mais là, elles étaient au comble de la joie : c'était tellement romantique qu'ils se soient retrouvés...

Dans l'appartement de Mael, elles s'extasièrent sur tout, les tableaux, la couleur des murs... Tout ce dont Mael ne profitait plus. Il aurait préféré être en tête à tête avec Ray, mais il était dur de leur en vouloir tant elles étaient enthousiastes.
Il finit tout de même par réussir à entraîner Ray dans une pièce à part – sa chambre.
— Laisse-moi te toucher que je puisse te regarder.
— D'accord... répondit Ray d'une voix hésitante. Mais il faut que je te prévienne, je n'ai plus les cheveux longs, ajouta-t-il.
— Et alors ? Je te rappelle que je te poussais à te les couper.
Mael n'avait pas oublié ce que Gérard lui avait raconté sur le coup de couteau qui avait tranché la tresse de Ray, et la seule chose qu'il avait regretté, c'est que cela rendait la trace du jeune homme plus difficile à retrouver.
— Oui, mais ils sont vraiment courts désormais et tu aimais faire courir tes doigts dedans... Cela ne te gêne vraiment pas ?
— C'est vrai que la première chose qui m'a attiré chez toi, c'est ta tresse, mais ce n'est ni elle ni même ta jolie voix l'essentiel, pas même ton innocence, au final, ce qui compte, c'est toi, tout entier.
Ray prit sa main et Mael sentit ses mèches  soyeuses.

mardi 1 mars 2016

Contes modernes - 228

Plus de dix-huit mois passèrent, mais Mael finit par remarcher à nouveau et il se mit à distinguer de vagues formes sans pour autant recouvrer la vue.
Lors du second anniversaire de sa chute, il retourna à l'immeuble où il avait repéré la tresse de Ray qui pendait le long de la façade. Il n'était plus capable de remarquer ce genre de chose désormais. A cause de sa vue défaillante, il ne pouvait d'ailleurs plus non plus se déguiser et partir à l'aventure. C'était forcément accompagné qu'il se promenait, ce qui lui déplaisait foncièrement.
Il se tenait debout depuis plusieurs minutes sur le trottoir, son chauffeur et garde du corps à côté de lui, quand il entendit une voix flûtée qui chantonnait. Il la reconnut de suite.
— Ray ! s'exclama-t-il.
— Mael, oh, Mael...
— Monsieur, vous ne pouvez... commença l'homme qu'employait Mael.
— Laissez, je le connais !
Et un instant plus tard, deux mains attrapaient les siennes et les pressaient contre des joues mouillées de larmes. Ray, c'était bien lui.
Le jeune homme répétait son prénom comme un mantra, aussi bouleversé que lui. Mael regretta de ne pas être en mesure de le voir.
— Ray... Je t'ai fait chercher, tu sais...
Ray l'enlaça et Mael lui rendit son étreinte, humant son parfum. Ils se donnaient en spectacle, mais il s'en moquait. Il l'embrassa. Dans son monde d'ombres, s'abstraire n'avait rien de compliqué, n'en déplaise à son chauffeur qui se raclait la gorge comme un forcené.
— Où étais-tu passé ? demanda Mael, leur baiser achevé.
— Chez mes vrais parents.  La police les a retrouvés. Ils vivent loin d'ici.
Mael se réjouit pour lui, puis posa la question qui fâchait, celle qui l'avait taraudé durant ses longs mois à lutter pour remarcher :
— Pourquoi n'as-tu pas essayé de me contacter ?
La réponse de Ray ne vint pas de suite. Sa respiration s'accéléra, puis il reprit la parole tout bas :
— Je n'osais pas. J'ai lu dans les journaux que tu étais paralysé et aveugle. J'avais peur que tu m'en veuilles.
— Ce n'est pas de ta faute si je suis tombé de cette maudite fenêtre. C'est celle de ta mère ou plutôt de ta kidnappeuse.
— Je me sens responsable. Sans moi...
— J'étais malheureux sans toi, coupa Mael.
— Je l'étais aussi. J'aurais voulu être à tes côtés et t'aider à te rétablir.
Que de temps inutilement perdu, chacun à souhaiter être avec l'autre, songea Mael. Mais peut-être était-ce pour le mieux... Il avait été plus que désagréable avec son entourage les mois passés.