Joël noua ses cheveux blonds mi-longs en queue de cheval avec un chouchou à perle, appliqua un soupçon de mascara, une touche de fard, une bonne dose de fond de teint et une couche de rouge à lèvre rose pâle. Il enfila ensuite une culotte en dentelle rouge, une longue robe en velours noire au haut en bandeau et au bas fendue sur les côtés qui mettait en valeur ses longues jambes rasées de près. Il compléta avec une paire d’escarpins. Pour finir, il accrocha à son cou une chaîne dorée avec pendentif en forme de cœur orné de petites pierres semblables à des rubis.
Il s’admira dans le miroir de la penderie de sa chambre. L’illusion était parfaite ou presque. Il n’avait pas de faux seins, juste quelques soutiens gorges rembourrés qu’il ne portait que rarement. Ce n’est pas pour autant qu’il aurait osé sortir ainsi vêtu dans la rue. A part peut-être avec l’excuse de se rendre à une soirée déguisée et encore. Non, qu’il aimait s’habiller en femme était son secret à lui. Il ne voulait pas pour autant en être une, mais il aimait le maquillage, les robes, les jupes, la lingerie, les bijoux et les coiffures et il doutait que quiconque le comprenne.
Faire accepter son homosexualité avait déjà été assez compliqué comme ça. Il avait bien essayé de parler de son goût pour le travestisssement à ses petits amis, mais le premier avait été dégoûté et le second avait affirmé qu’il était trans, sans paraître comprendre que Joël était le mieux placé pour savoir ce qu’il ressentait.
Joël avait renoncé au troisième, mais n’avait pas supporté de refouler cette part de lui-même si bien que cela s’était aussi terminé par une rupture. A présent, il était libre de faire comme cela lui chantait à l’abri des quatre murs de son appartement.
Vendeur dans une boutique de chaussures, il s’habillait en journée comme un homme on ne peut plus ordinaire, mais le soir venu, il décompressait en se travestissant.
Devenir autre était reposant et il se sentait sexy habillé en femme. Il choisissait ses vêtements en fonction des tâches qu’il comptait faire. Il possédait tout un tas de tabliers différents, des mignons, des à volants. Parfois il cuisinait, d’autre fois il cousait, mais le plus souvent, il se contentait de s’asseoir dans un fauteuil et jouait sur son ordinateur ou regardait des films.
Il était justement plongé dans une aventure où des extraterrestres envahissaient la Terre quand une large créature violette pustuleuse se matérialisa entre lui et l’écran.
Joël se frotta les yeux. Sûrement, il était à moitié endormi, mais la créature ne disparut pas. Elle darda une baguette sur lui et sans prononcer la plus petite formule magique, projeta une lumière sur lui.
Le corps de Joël se raidit. Il ne pouvait plus battre d’un cil. Impuissant, il ne put même pas émettre un son de protestation quand la chose l’attrapa.
Il y eut un sifflement et ils se retrouvèrent dans un autre endroit – ils s’étaient apparemment téléportés dans un lieu aux couleurs vomitives où d’autres êtres pustuleux rangeaient des femmes dans de grands tubes transparents fixés sur deux pans de murs.
Il n’y avait aucun homme si ce n’est lui. Son kidnappeur n’avait à priori vu que du feu à son déguisement féminin… et c’était difficile de s’en réjouir en les circonstances.
A son tour, il fut placé dans un tube. Il assista aux allées et venues de d’autres pauvres femmes capturées contre leur gré par ses monstres. Et puis, il sentit de grandes vibrations. C’était à priori le départ.
Ils allaient quitter la Terre sans espoir de retour pour devenir on ne sait quoi : des esclaves, des animaux de compagnies, de la nourriture… Aucun destin n’était attrayant, le pire étant tout de même le dernier.
Le ronronnement du vaisseau, malgré sa terrible situation, finit par endormir Joël. Ce fut une alarme stridente qui le réveilla.
Les créatures pustuleuses semblaient en panique, s’agitant en tout sens, tapotant des boutons, projetant successivement dans la salle des écrans plein de formes étranges et changeantes.
Les secousses étaient de plus en plus violentes. C’était impossible de savoir ce qui se passait au juste, mais cela sentait mauvais pour leurs kidnappeurs comme pour eux. Qu’ils soient en train d’essuyer une attaque d'ennemis ou une pluie de météorites, la catastrophe semblait garantie. Joël ne pouvait rien faire d’autre qu’y assister paralysé et prisonnier dans son tube. C’était désespérant.
Le vaisseau gémissait, les parois commençant à se fissurer. Les créatures pustuleuses enfilèrent des costumes qui avaient tout de tenues d’astronautes, excepté qu’elles étaient multicolores. Les rats quittaient le navire, abandonnant leur « récolte » d’humains.
Quelques minutes après qu’ils aient disparu de la salle, le bruit de l’alarme fut recouvert par un autre, plus fort.
Un panneau vomitif sauta laissant entrer une sorte de nuage de poussière qui emporta dans un tourbillon des morceaux du vaisseau.
Joël se surprit à prier que les tubes de verre soient bien accrochés. Non pas que cela lui donne vraiment plus de chances de survivre à toute l’aventure, mais cela paraissait une manière terrible de mourir. Non que périr dans un espèce de cercueil de verre soit mieux...
Pendant une éternité au bas mot, le nuage tournoya et puis, tout se figea et se calma. Un épais silence s’abattit sur eux. Dans le tube de verre sur le mur en face du sien, une femme se mit à cligner des yeux. Joël tenta de bouger, mais sans succès. Au moins, il pouvait désormais espérer que sa paralysie prenne fin d’elle-même. Plus qu’à réfléchir comment s’échapper du tube. Ou pas...
Quelqu’un venait de sauter à l’intérieur de la salle. Un autre type d’alien : grand, cornu, la peau turquoise écailleuse, une queue semblable à celle d’un léopard et une verge de taille tout à fait intéressante… Parce que oui, il était nu, ne portant rien d’autre qu’une lance.