vendredi 30 novembre 2018

Chocolat Blanc - 13

Kembou reposa le combiné avec mélancolie. Il n’aimait quand Wyatt était loin de lui. C’était si confortable de songer que seule une demi-heure de marche à pieds les séparait.
— Qu’est-ce qu’il te voulait encore ? demanda Rokia.
— Juste m’informer que sa famille et lui allait s’absenter.
— Tant mieux ! Tu vas enfin pouvoir te consacrer à ta recherche d’emploi !
Comme si Kembou n’y passait pas déjà la majeure partie de son temps. Il avait d’ailleurs essuyé plusieurs refus dont un de façon sûre à cause de sa couleur de peau, ce qui était aussi ridicule que rageant.
Rokia ne réalisait pas que Wyatt lui donnait la force de tout affronter, ce qui était aussi bien, car alors son frère aurait peut-être compris que Kembou était gay et amoureux de son ami. Il n’osait imaginer la réaction de son frère face à son homosexualité, pas plus que celle de ses sœurs et de sa mère d’ailleurs.
Garder secrète cette part de lui était déplaisant et en même temps, il se demandait si ce ne serait pas préférable à subir une double discrimination, à être peut-être rejeté par sa famille.
Kembou se força à retourner à ses brouillons de  lettres. Il était inutile d’attendre que Rokia lui reproche de rester là à rêvasser près du téléphone, vain également de se rendre malade avec d’hypothétiques futurs désagréables.
Évidemment, il peina à se replonger dedans. A force de multiplier les candidatures, c’est à peine s’il se souvenait de l’entreprise pour lequel il postulait.
Son esprit dériva vers Wyatt. Il l’imaginait déjà à la plage en maillot de bain en train de lécher avec application un cornet de glace à deux boules. L’excitante vision vira au cauchemar quand des filles en bikinis entrèrent dans le tableau. Wyatt allait se faire draguer ou bien c’est lui qui essayerait d’en séduire une. Ce n’était pas son style, mais cela ne voulait pas dire qu’il ne le ferait jamais. Au moins, Kembou n’y assisterait pas.
Cela ne l’empêcha pas de se torturer avec cela les jours suivants entre deux recherches d’emploi. Son humeur était d’autant plus maussade que Wyatt ne lui avait pas donné signe de vie, hormis un bref message pour le prévenir qu’il était arrivé à bon port.
Kembou se montra brusque avec sa mère, coupant avec ses sœurs, et se disputa avec Rokia. Puis, il fut finalement embauché pour effectuer de la mise en rayon dans un supermarché - ce qui fut l’occasion de se réconcilier avec tout le monde - et cerise sur le gâteau, il reçut un courrier de Wyatt contenant un filet de sable et une carte postale de mer ensoleillée.

jeudi 29 novembre 2018

Chocolat Blanc - 12

Le repas achevé, Wyatt remonta dans sa chambre. L’envie d’écrire lui était passé, dégoûté qu’il était par la tournure des événements. Se plaindre d’être obligé de partir en vacances faisait probablement de lui un gamin pourri gâté et capricieux. Kembou ne râlait pas de n’aller pratiquement jamais nulle part, lui.
Wyatt prit son smartphone pour appeler son ami et l’informer de ce rebondissement inattendu, au fond assez typique de ses parents. Ce n’était pas si grave que ça s’il tombait sur le frère de Kembou.
— Bonjour, c’est Wyatt.
Un long soupir exaspéré se fit entendre. C’était du Rokia tout craché, ça.
— Tu peux me passer Kembou, s’il-te-plaît ?
— Tu l’as vu tout à l’heure, t’as pas d’autres potes ? Laisse-le respirer. Il a des choses plus importantes à faire que s’occuper de ta pomme.
Le ton méprisant était blessant. Hélas, impossible de rétorquer quoique ce soit parce que ce n’était pas faux.
Il réitéra sa demande polie.
Rokia marmonna un truc qu’il était sans doute préférable de ne pas comprendre et appela Kembou au téléphone.
— Wyatt ? Ça va ?
— Oui. Pardon de te déranger.
Il aurait dû envoyer un mail.
— C’est bon, t’inquiète, j’étais en train de galérer à rédiger une lettre de motivation.
Wyatt se mordit la lèvre, se sentant plus que morveux. Kembou s’efforçait de décrocher un emploi tandis que lui, son problème, c’était de devoir aller se dorer la pilule au bord de la mer.
En deux mots, Wyatt l’informa, sans geindre, qu’il allait être absent pour cause de vacances surprises.
— Amuse-toi bien et n’oublie pas de m’envoyer une carte postale !
— Promis. Maintenant que je t’ai mis au parfum, je ferais mieux de te laisser retourner à tes occupations…
— Oui. A très bientôt !
Wyatt raccrocha tristement. C’était idiot, mais il aurait aimé que Kembou regrette son départ, que cela empiète sur les jours qu’ils leur restaient à passer ensemble. Mais évidemment, son ami avait raison de l’encourager à profiter de son séjour à la plage. Il allait s’y efforcer. L’air marin l’inspirerait peut-être...

mercredi 28 novembre 2018

Chocolat Blanc - 11

Kembou parti, Wyatt se décida à peaufiner une nouvelle de science-fiction qu’il avait écrit au début des vacances. L’année du bac n’avait pas été très productive en terme d’écriture à cause du stress et il était à craindre que lors de sa première année en école d’ingénieur, loin du nid familial, il manque d’énergie pour y consacrer du temps.
Il se lança à corps perdu dans la tâche, conscient que c’était maintenant ou jamais.

— A table !
A l’appel de Marine, Wyatt sursauta. Absorbé par ses corrections, puis par la nouvelle histoire qu’il écrivait, il n’avait ni remarqué que l’heure tournait ni entendu ses parents et sa sœur rentrer.
— J’arrive, répondit-il, finissant malgré tout sa phrase pour ne pas perdre son idée.
Il descendit à contrecœur, l’esprit encore empli de ses personnages.
Son père, sa mère et Marine étaient installés dans la salle à manger. Ils n’avaient pas encore touché à leurs assiettes. Ils l’attendaient.
— J’ai bien cru que nous allions devoir envoyer une équipe de recherche, dit sa mère d’un ton léger, non sans une moue irritée.
Wyatt s’excusa. Il considérait qu’ils auraient dû commencer sans lui. Seulement, ce n’était pas les règles de la maison quand les parents étaient présents. La vie en solo mettrait fin à cette simagrée. Enfin, s’il avait été seul, il aurait été obligé de préparer le repas. En même temps, il n’aurait pas été coupé dans son inspiration.
Avec un certain amusement, il découvrit que sa mère s’était contenté de ramener des plats du restaurant près de son bureau.
Pendant un moment, il n’y eut plus que le bruits des couverts, puis son père parla de son boulot et annonça qu’un collègue l’avait invité à venir profiter de sa maison au bord de la mer.
— Je n’avais pas prévu de prendre de jours, mais l’occasion est trop belle pour que nous la rations. En plus, il a des enfants dans vos âges.
Wyatt grimaça. Partir en vacances, cela voulait dire être loin de Kembou.
Quand il était petit, cela ne t’attristait pas trop, car ils rendaient visite à ses grands-parents maternel, mais depuis que c’était dans des clubs ou chez des amis de ses parents, cela l’ennuyait franchement.
— Je préférerai rester ici.
Sa sœur, cette peste, non contente de ne pas le soutenir, l’enfonça.
— Tu es si pressé que cela de commencer à vivre seul ? C’est sans doute nos dernières vacances en famille.
— C’est vrai, ça, enchérit aussitôt sa mère. Tu auras sûrement un stage en entreprise à réaliser l’année prochaine.
Son père en rajouta une couche : c’était vraiment une magnifique opportunité.
Wyatt sut qu’il n’avait plus qu’à rendre les armes avant que ses parents lui signifient qu’il n’avait pas le choix.

mardi 27 novembre 2018

Chocolat Blanc - 10

Le cœur de Kembou battait si fort dans sa poitrine qu’il craignait que son ami ne l’entende. Parfois Wyatt disait des choses qui lui donnait envie d’espérer plus. Il croisa les bras sur son torse, luttant contre l’envie de le serrer contre lui. C’était dur alors que Wyatt venait en quelque sorte de lui déclarer qu’il souhaitait passer le restant de ses jours à ses côtés.
Comme son pénis s’éveillait, Kembou se représenta aussitôt quelque chose de peu ragoûtant. Il était passé maître dans l’art de tuer ses érections.
Et s’il ne parvenait pas à s’empêcher de fantasmer sur son ami, de rêver au goût de ses lèvres, d’imaginer de ce que ce serait de fourrer son nez au creux du cou de Wyatt, il bannissait toutes ses pensées de son esprit, quand il se masturbait seul chez lui, enfermé dans la salle de bains. C’était sa façon à lui de ne pas trahir leur amitié. C’était peut-être un scrupule absurde compte tenu du fait qu’il gardait secret ses véritables sentiments pour son ami, mais il s’y accrochait.
Avouer son amour à Wyatt aurait été libérateur, mais la crainte de détruire leur relation actuelle était plus forte. Et, à présent qu’ils allaient se voir sur une base moins régulière, le danger était encore plus grand : si jamais Wyatt le prenait mal, il couperait les ponts avec aisance et Kembou ne le supportait pas.
Aimer son ami en silence était plus prudent. Le plaisir de sa compagnie était tout ce qui comptait.
— Tu as faim ? demanda Wyatt.
Sachant que Marine était absente, Kembou accepta le goûter proposé, quand bien même manger avec son ami avait parfois tout d’une torture.
Au lieu de se goinfrer comme la plupart des gens de leurs âges, Wyatt savourait chaque bouchée. L’acte en devenait sensuel, à moins que ce ne soit son attirance pour lui qui le transforme ainsi… Mais non, Kembou se rappelait très bien comment deux filles s’étaient poussées du coude en regardant Wyatt déguster la bûchette de Noël à la cantine l’année dernière...
— Il a fallu que je freine Marine sur la plaque de chocolat blanc, mais il en reste…
Voilà qui n’avait pas dû plaire à Marine. Heureusement qu’elle était de sortie.
Kembou prit un carré et regarda Wyatt grignoter et sucer une barre de chocolat noir. Le souffle court, il se répéta en boucle que c’était la manière naturelle de Wyatt de manger. A force, il aurait dû être immunisé, mais il avait au contraire de plus en plus de mal à contrôler son attirance. Il aimait tout chez Wyatt, ses cheveux châtains ébouriffés comme ses réflexions qui sortaient de nulle part. Peut-être qu’un peu de distance entre eux ne serait pas plus mal… Mais il allait lui manquer.

mardi 20 novembre 2018

Malade

Chocolat Blanc reprendra le mardi 27 novembre.

lundi 19 novembre 2018

Chocolat Blanc - 9

— Des nouvelles de tes entretiens ?
— C’est trop tôt, mais ils ont promis de me recontacter.
— Et toi, c’est quand que vous récupérez la clef de ton futur nouveau logis ?
— Il y a encore de la paperasse. Mon père m’oblige à en remplir une partie pour me responsabiliser et tout ça.
A un moment, Wyatt avait culpabilisé de mentionner son paternel devant Kembou, surtout pour s’en plaindre, mais son ami l’avait remarqué et mis à l’aise : prendre des précautions ne changerait rien à la douleur de la perte de son père.
— Tu t’es défoulé en jouant à la console ?
— Non. J’aime mieux jouer avec toi.
Ce n’était pas un mensonge, c’était plus amusant à deux. Il y avait néanmoins une autre raison : il avait toujours trouvé injuste de s’entraîner dans son coin alors que Kembou qui n’en avait pas, ne pouvait pas.
Ils discutèrent, jouèrent, mangèrent un bout dans la cuisine et retournèrent devant la console.
Après une défaite aussi cocasse que cuisante, Wyatt demanda grâce en riant. Il s’amusait trop avec son ami.
— J’aimerai bien avoir le pouvoir d’arrêter le temps, déclara Wyatt.
— Pour revivre la même journée jusqu’à ce qu’elle soit parfaite, comme dans certains films ?
C’est ça qui était génial avec Kembou. Quelle que soit l’idée saugrenue que Wyatt lançait, il participait.
C’était comme ça depuis leur première rencontre. Wyatt lui avait proposé un rôle dans un de ses jeux où la cour de récréation était tour à tour une planète extraterrestre, une prison, un vaisseau spatial et Kembou avait accepté. Ses autres camarades de classe n’avait jamais voulu – ils trouvaient trop bizarre ses histoires où tout reposait sur l’imagination.
— Non, je veux dire, que tout se fige à cet instant précis. Nous sommes trop bien, là, tous les deux.
Kembou le regarda pensivement. Wyatt pouvait se montrer extravagant dans ses propos, son ami, lui gardait toujours son sérieux.
— L’avantage à ce que les heures continuent de tourner, c’est qu’on peut collectionner les souvenirs des bons moments passés ensembles, tu ne crois pas ?
Vu sous cet angle, Wyatt pouvait presque se consoler de l’inévitable passage du temps.

vendredi 16 novembre 2018

Chocolat Blanc - 8

Enchaîner les visites d’appartements se révéla éreintant et plutôt déprimant. Certains logis étaient franchement mal conçus, celui avec des toilettes pile en face de la douche avait été le pompon. Enfin, c’était toujours mieux que celui où il fallait partager avec les voisins de l’étage. Aucun n’avait convaincu son père. Wyatt, lui, au bout du cinquième – le moins pire du lot – aurait été prêt à signer.
Une fois qu’ils s’étaient retrouvés en tête-à-tête, son père lui avait cependant expliqué que c’était exactement ce qu’avait escompté l’agent immobilier, que c’était une stratégie. Wyatt, lui, avait surtout eu l’impression qu’ils avaient perdu du temps qui aurait pu être mieux employé.
Il avait bien sûr accepté de décaler d’un jour la visite de Kembou, seulement il allait encore devoir repousser, son père étant décidé à poursuivre la recherche du studio parfait pour Wyatt jusqu’à obtenir satisfaction.
Il écrivit un long mail à son ami, lui décrivant le déroulé de son interminable journée qui allait hélas se répéter.
En mettant le point final à son récit, Wyatt réalisa avec mélancolie que communiquer par écrit avec Kembou allait devenir la norme.
Près d’une semaine plus tard, ils ne s’étaient toujours pas revus, le hasard (pour ne pas dire la malchance parce que c’était positif pour son ami) ayant voulu que Kembou ait des entretiens, juste après que le père de Wyatt ait enfin validé un des trop nombreux studios visités. Évidemment, il avait envoyé des encouragements à son ami. Pas de doute, c’était un avant-goût de la vie qui les attendait désormais : fini les bavardages de vive-voix en face à face et bonjour, les mails et la distance. Cela ne plaisait pas à Wyatt, et pourtant, il devrait s’y faire.

Enfin, Kembou et lui furent libres et disponibles en même temps.
Quand son ami sonna à la porte, Wyatt qui le guettait, lui ouvrit sur le champ. Il n’y avait personne pour se moquer de son impatience, les parents travaillant et Marine étant sortie avec une amie.
Kembou lui adressa un grand sourire, ses dents blanches contrastant avec sa peau noire. Wyatt lui sourit en retour. Il était impossible qu’une fille ne lui pique pas un jour… Non, qu’il soit à lui.

jeudi 15 novembre 2018

Chocolat Blanc - 7

Sans se préoccuper davantage de son frère qui continuait à rager, Kembou rangea ses chaussures et alla s’installer devant l’ordinateur dans la pièce principale.
Avant de dénicher de nouvelles annonces, il commença par regarder ses mails dès fois, que par miracle, il ait reçu une réponse, n’importe quoi pour que Rokia lui lâche la grappe.
Dans sa boîte de réception, il trouva quelques publicités qu’il mit direct dans la corbeille et un message de Wyatt avec comme objet « Pardon » qu’il s’empressa d’ouvrir.

Coucou Kembou,
Mauvaise nouvelle, mon père m’emmène visiter des appartements demain. Nous ne pourrons donc finalement pas nous voir. Je suis vraiment désolé.
A+,
Wyatt


Chassant un soupçon de tristesse et de déception, Kembou répondit sur le champ à son ami :

Cher Wyatt,
Ne t’inquiète pas. Ce n’est que partie remise. On se voit après-demain ?

A bientôt,
Kembou


Il se déconnecta de sa boîte et se laissa aller à rêver à ce que ce serait s’il avait eu les moyens d’emménager avec son ami. Il aurait eu plus d’une occasion de le voir nu. Son sexe commença à durcir à cette perspective. Avec les cours de sport et notamment de piscine, il savait comment était Wyatt sans vêtements : ses longs bras, ses grandes jambes et son torse parsemé d’un duvet clair qui semblait si doux. Au souvenir des tétons rose bonbon, son pénis s’allongea encore. Avoir une érection au milieu du salon alors qu’il était en short était cependant mal venu. Il inspira et expira à fond pour se calmer.
— Ce n’est pas demeurant bras ballants devant l’écran que tu vas arriver à quelque chose, lança Rokia dans son dos.
Pour le coup son frère avait raison. Tout excitation l’ayant déserté, Kembou se mit à l’ouvrage. Consulter les offres d’emploi était frustrant, car chaque fois au moins année d’expérience était demandée comme s’il était possible d’en obtenir si personne ne donnait sa chance aux débutants. De surcroît, souvent, il fallait le permis, excepté qu’il fallait de l’argent pour le passer et donc un travail : c’était le serpent qui se mord la queue.
Cela obligeait à ne pas faire le difficile. Enfin, de toute façon, il n’avait pas d’idée précise sur ce qu’il souhaitait faire, juste qu’il préférait une activité physique : il avait trouvé pénible durant toute sa scolarité de rester assis des heures entières.

mercredi 14 novembre 2018

Chocolat Blanc - 6

Wyatt monta dans sa chambre, essayant de se consoler en imaginant comme ce serait bien d’avoir son chez lui. Kembou pourrait dormir là-bas sans que personne ne puisse y trouver à redire.
Kembou n’ayant pas de mobile, pour l’informer du changement de programme, Wyatt pouvait soit lui envoyer un mail et prendre le risque qu’il ne le lise pas, soit téléphoner sur la ligne fixe et éventuellement tomber sur le frère aîné de ce dernier qui se montrait toujours méprisant à son égard.
C’était comme ça depuis la première fois où il l’avait rencontré chez son ami, dix ans plus tôt. Au début, Wyatt avait naïvement essayé d’entrer dans les bonnes grâces de Rokia, le grand frère de Kembou, puis renoncé, croyant que Rokia n’avait aucune considération pour les plus jeunes en général. Ce n’est que bien plus âgé qu’il avait compris pourquoi Rokia le traitait de la sorte.

                                               *

Kembou venait à peine de franchir le seuil du petit appartement que son frère apparut dans l’entrée, accusateur.
— Tu étais encore fourré chez l’endive ?
Son aîné n’avait même pas pris la peine de dire bonjour. Kembou jugea que cela ne méritait pas de réponse. Wyatt était certes plus appétissant que ce légume. Il était à croquer, comme le chocolat.
— Tu n’as rien de mieux à faire ? Et ta recherche d’emploi ? reprit son frère avec agressivité.
Il n’avait jamais que deux ans de plus que lui, mais depuis la mort de leur père, Rokia avait en quelque sorte endossé le rôle de chef de famille, sauf qu’il s’y prenait mal.
— J’attends des retours. Je vais postuler pour d’autres offres dès à présent.
— Tu aurais sûrement déjà décroché quelque chose, si tu ne perdais pas autant de temps auprès de ton pote blanc.
C’était le même refrain depuis qu’il avait reçu ses résultats du baccalauréat et Kembou en était las.
— Je profite de mes dernières vacances de lycéen.
— A cause de ses cons de blancs et de leurs préjugés de merde, il faut que tu te bouges plus, parce qu’autrement, tu vas enchaîner les refus. Délit de sale gueule, tout ça.
Rokia parlait d’expérience, hélas. Le problème, c’est qu’il considérait que tous les blancs étaient racistes. Kembou avait déjà tenté de pointer que son attitude l’était également, mais son frère avait nié, prétendant juste rendre la monnaie de leur pièce aux blancs. Excepté qu’avec Wyatt qui s’était toujours montré aimable, cela ne tenait la route. Rokia avait cependant sa théorie quant à son amitié avec Kembou. Selon lui, Wyatt ne le considérait pas comme un égal, mais comme un sous-fifre à la manière de Vendredi dans Robinson Crusoé. Excepté que rien n’était plus faux. Wyatt ne voyait dans les couleurs de peau que des attributs physiques et rien de plus.

mardi 13 novembre 2018

Chocolat Blanc - 5

Il aurait voulu que Kembou aille étudier dans la même école d’ingénieurs que lui. Elle était publique et donc, les frais étaient raisonnables, mais son ami avait décliné. D’une ce n’était pas des études qui le tentait, de deux, il avait besoin d’un salaire toute de suite. Depuis la mort de son père, trois ans plus tôt,  sa famille avait du mal à joindre les deux bouts et il n’était pas question pour lui de rester à charge plus longtemps. Wyatt non plus n’était guère intéressé par devenir ingénieur. Seulement, la pression parentale avait eu raison de lui, surtout qu’il n’avait aucune idée de carrière.
Ce qu’il aimait par-dessus tout, c’était écrire, mais quand il s’en était ouvert à ses parents, au début du lycée, les deux avaient été unanimes : c’était un loisir, ce ne pouvait être un métier.
Kembou allait manquer terriblement à Wyatt. Ils avaient été dans la même classe durant toute leur scolarité, à l’exception de la première année de collège, et Wyatt ne gardait pas de cette séparation un bon souvenir alors même qu’ils se retrouvaient à chaque récréation. Là, une fois l’été terminé – et peut-être même avant si Kembou dénichait vite un emploi – ils devraient accorder leurs violons pour se voir. En dépit de la certitude qu’ils trouveraient toujours du temps l’un pour l’autre, Wyatt avait peur. Ils allaient chacun rencontrer d’autres gens que ce soient des camarades ou des collègues et parmi eux, peut-être l’un d’entre eux prendrait plus d’importance… Et si Kembou ou lui se mettait en couple, ce serait leur partenaire qui aurait leur priorité et Wyatt n’aimait pas cette idée. Et pourtant, cela risquait d’arriver un jour ou l’autre. Il ne pouvait compter qu’ils restent tout deux célibataires toute leur vie...
Wyatt s’ébroua et se décida à monter l’escalier alors que ses parents commençaient à le descendre.
A leurs tenues élégantes, il n’était pas dur de déduire qu’ils étaient de sortie, comme souvent.
Ils se croisèrent à mi-chemin.
— Bonsoir, mon chéri, dit sa mère en lui effleurant la joue d’une bise parfumée.
— Sais-tu où es ta sœur ? demanda son père.
— Au salon. Passez une bonne soirée tous tes deux.
— Merci, mon chéri.
Wyatt grimpa encore quelques marches avant que son père ne l’interpelle du bas.
— Wyatt ! Au fait, demain, nous allons visiter des appartements.
— Déjà ?
— Il est plus que temps, répliqua son père.
— Mais j’ai invité Kembou à venir.
— Annule !
Wyatt aurait bien suggéré que son ami les accompagne. Mais, même si cela lui aurait rendu la corvée plus agréable, il doutait que cela amuse Kembou. Et à tous les coups, son père aurait refusé.

lundi 12 novembre 2018

Chocolat Blanc - 4

Wyatt referma doucement et la solitude s’abattit sur lui comme une chape de plomb. Bien sûr, ses parents et sa sœur étaient quelque part dans les tréfonds de la maison, mais ce n’était pas pareil.
Il se rendit dans la cuisine et se servit un grand verre d’eau. Il avait un creux, mais à 18h largement passées, ce n’était plus l’heure de goûter.
Il poussa ensuite la porte du salon dans l’intention de regarder la télévision.
Marine était déjà en face du large écran, allongée de tout son long sur l’un des canapés rouges. Elle zappait allègrement.
Wyatt hésita dans l’embrasure.
Prenant en compte sa présence, elle lança soudain :
— C’est bon, il est enfin parti ?
La formule comme le ton employé était détestable. Wyatt ne comprenait pas comment Marine qui, à l’origine, adorait Kembou, en était  arrivée à ce stade.
Bien sûr, dès qu’il avait remarqué son attitude, il lui avait posé la question. Dans un premier temps, elle avait paru croire qu’il se moquait d’elle, puis elle avait inventé une histoire abracadabrante dans laquelle Kembou lui aurait soit disant fait des avances qu’elle aurait dû repousser. Il n’y avait accordé aucun crédit. Kembou et lui parlaient rarement de filles entre eux, parce que justement, à la différence d’une trop grand partie de leurs camarades, ils ne les considéraient pas comme juste une paire de seins et de fesses. Kembou avait aussi des sœurs et surtout, il n’était pas du genre à embêter les autres.
— Tant que j’habiterai ici, tu seras obligée de le voir.
— Il n’est pas de notre milieu ! Quand est-ce que tu vas grandir un peu !?
Wyatt lui aurait bien renvoyé ses propres mots à la figure, excepté que cela aurait manqué de maturité. Il préféra argumenter :
— Ce n’est comme si cela se choisissait. Tu demandes aux gens la profession de leurs parents avant de devenir amie avec eux, toi ? Notre mère aurait pu être femme de ménage et notre père, éboueur. Qu’ils soient ingénieurs ne nous rend pas meilleurs.
— Tu délires, rétorqua-t-elle avant de fixer son attention résolument sur la série télévisée à l’écran.
Wyatt abandonna la partie, le cœur lourd. Marine avait dû finir par se laisser influencer par le discours parental, car son père, sans aller jusqu’à réprouver franchement son amitié, lui conseillait régulièrement d’élargir le cercle de ses fréquentations. Le pire, c’est qu’il allait y être obligé à la rentrée.

vendredi 9 novembre 2018

Chocolat Blanc - 3

— Jouons que je puisse encore te battre à plates coutures.
Wyatt s’humecta les lèvres. Sans le vouloir, Kembou l’imita.
— J’aimerai te demander comment se portent tes chevilles, mais tu es plus doué que moi à ce jeu de combats… T’es sûr que tu ne veux pas casser la croûte ? Il y a du pain frais et du chocolat blanc dont tu raffoles tant.
Tout tentant que cela soit, le mieux était encore refuser par une pirouette.
— Non, c’est bon, j’ai déjà tout ce qu’il faut niveau tablette, déclara-t-il en tapotant son ventre, puis il s’assit à côté de son ami.
— Depuis quand ? demanda Wyatt d’un air amusé. Montre-moi ça, ajouta-t-il avant de soulever le bas du t-shirt blanc que portait Kembou.
Cela ressemblait trop à l’un de ses fantasmes. Kembou rougit, bénissant le fait que cela ne puisse se voir.
Les longs doigts fins de Wyatt lui chatouillèrent les côtes.
Autrefois, Kembou aurait contre attaqué et ils se seraient probablement retrouvés à rouler en riant sur la moquette. Cela se serait terminé avec Kembou au-dessus de Wyatt ou son ami à califourchon sur lui… Ce n’était plus option, car il n’aurait pu s’empêcher d’avoir une érection dans un cas comme dans l’autre. Il se contenta donc de le bloquer en lui capturant les poignets.
Wyatt tenta de se libérer. Kembou tint bon.
— OK. J’abandonne ! s’écria Wyatt.
Kembou le relâcha.
La marque de ses doigts étaient visibles sur la peau pâle de son ami – il l’avait serré trop fort.
— Désolé, dit-il tandis que Wyatt se frottait les poignets.
— Ce n’est rien, c’est moi qui ait commencé, et c’est la preuve que même si tu n’as pas des abdos ultra-définis, tu ne manques pas de muscles !
Kembou s’excusa à nouveau. Cela le tuait de lui avoir fait mal. Il aurait plutôt dû  subir quelques chatouilles sans se défendre avant de déclarer forfait.
Wyatt lui fourra la manette dans la main, décidé apparemment à mettre l’incident derrière eux.
— Pardon, murmura encore Kembou.
— Allez, cesse de faire cette tête-là ! Je ne suis pas une petite chose fragile, je marque facilement, c’est tout. Enfin, si tu te sens si coupable que cela, tu n’as qu’à me laisser gagner !
Kembou savait que Wyatt plaisantait.
— Dans tes rêves ! lança-t-il.
Ils enchaînèrent les matchs, Kembou accumulant les victoires malgré les efforts acharnés de Wyatt. Ils s’affrontèrent ensuite à un autre jeu où son ami prit le dessus, puis Kembou constata que l’heure tournait.
Il n’avait pas la moindre envie de quitter Wyatt, mais il devait s’occuper de sa recherche d’emploi.
— Faut que je me rentre.
— Déjà ? Tu reviens demain ?
— Oui.
Il n’aurait pas dû. En même temps, c’était ses dernières grandes vacances avant d’entrer dans la vie active.
Wyatt le raccompagna à la porte.
Kembour regretta pour la millième fois que la mode ne soit pas à la bise entre garçons et que se serrer la main ait toujours semblé trop formel à son ami.
Un au revoir, un sourire et Kembou s’éloigna.

jeudi 8 novembre 2018

Chocolat Blanc - 2

Kembou sortit de la chambre et descendit à l’étage pour utiliser les cabinets.
Wyatt l’invitant régulièrement depuis qu’ils avaient fait connaissance en première année de primaire, la maison lui était aussi familière que l’appartement de ses parents. Il était cependant loin d’y être aussi à l’aise. Les parents de Wyatt se montraient assez froids à son égard et la sœur de ce dernier aussi, depuis l’année dernière.
Après avoir fini sa petite affaire, il eut la malchance de la croiser dans le couloir.
— Encore là, toi ! s’exclama-t-elle avec une moue pincée.
Kembou préféra garder le silence.
Quoiqu’il dise, elle prendrait mouche, tout ça parce qu’il avait refusé de sortir avec elle quand elle lui avait fait sa déclaration un an plus tôt.
— C’est malpoli d’ignorer les gens ! s’écria-t-elle.
Kembou se retint de répliquer que sa façon de le disputer était pire. Cela dégénérerait et il ne voulait pas que Wyatt ou ses parents doivent intervenir. Marine était tellement furieuse contre lui qu’elle serait capable d’inventer une histoire à dormir debout où il aurait le mauvais rôle. Le père et la mère de Wyatt seraient trop contents d’avoir une excuse pour le bannir de leur demeure et son ami, même s’il le défendrait, à ne pas en douter, serait obligé de l’accepter.
Il se dépêcha de gagner la chambre de Wyatt, heureux de songer que bientôt, ce ne serait plus un problème, et qu’il n’aurait plus à voir Marine, car Wyatt allait emménager à la rentrée dans un studio pour être plus près de l’école d’ingénieur dans laquelle il allait étudier.
— On se fait une autre partie ? A moins que tu ne veuilles prendre un goûter ?
L’estomac de Kembou se noua, rien qu’à l’idée de retomber sur Marine dans la cuisine. Il ne s’était pas confié à Wyatt au sujet de sa sœur pour ne pas embarrasser la jeune fille et il le regrettait, mais c’était un peu tard maintenant... Il avait trop de secrets pour son ami et n’en était pas fier, mais il avait peur de perdre son amitié. Wyatt était cool et il était presque certain que son homosexualité ne le dérangerait pas, mais il se voyait difficilement lui annoncer et continuer à lui cacher ses sentiments.
— Kem ?
A force de se torturer l’esprit, il n’avait toujours pas répondu.

mercredi 7 novembre 2018

Chocolat Blanc - 1

En dépit de la fenêtre ouverte et des rideaux tirés pour bloquer les rayons trop vifs du soleil, il régnait une chaleur infernale dans la chambre.
Kembou étala son ami d’un coup de pied jeté dans le thorax. La musique de victoire retentit : il avait gagné le match.
Wyatt poussa un long soupir en lâchant la manette sur le sol.
— La vie est tellement plus intense dans les livres...
Depuis le temps qu’ils étaient amis, Kembou était habitué aux réflexions aussi étranges qu’impromptues de Wyatt.
— Tu voudrais être le héros d’un ?
Wyatt se laissa tomber en arrière sur la moquette. Son t-shirt loup remonta dévoilant une raie de peau blanche des plus appétissantes. Kembou détourna le regard.
— Tu parles ! Je n’en ai pas l’étoffe ! Je serais plutôt un figurant dans le décor, au mieux un personnage secondaire !
Kembou chercha les mots susceptibles de remonter le moral de son ami. S’ils se mettait à énumérer toutes ses qualités, il risquait de trahir l’amour qu’il éprouvait à son égard depuis le collège, période durant laquelle il avait compris que c’était les garçons qui l’attirait et non les filles.
Dans le silence qui se prolongeait, Wyatt reprit :
— Les héros, ils sont tous impossiblement beaux, ou alors avec un tare physique pour les distinguer, jamais médiocre. Je n’ai pas une once de charisme, rien de spécial. Toi, par contre…
Kembou aurait adoré qu’il termine sa phrase, mais pas question d’aller à la pêche aux compliments. De toute façon, lui non plus n’avait rien de particulier. Il était plutôt grand, mais sans excès, et avait la peau noir ébène et les lèvres épaisses de ses ancêtres africains.
— Qu’est-ce qui te plaît tant dans les livres, hein ?
— Tous les moments ennuyeux sont coupés.
— Oui, enfin bon, un roman qui décrirait chaque passage de ses personnages aux toilettes ne serait pas très passionnant, si ?
Wyatt grimaça de façon comique.
— Vrai. En même temps, cela pourrait être un exercice de créativité des expressions différentes étaient employées à chaque fois : un tour au petit coin, besoin de soulager sa vessie, envie pressante.
Kembou se leva.
— Tu vas où ? demanda Wyatt.
— Devine !
Un passage aux WC s’imposait.