Cette nouvelle est disponible dans le recueil à thème Handicap : une autre vie ? en vente sur Lulu (une œuvre collective du groupe Deviantart Romans Francophones ainsi que le seul recueil de nouvelles que j'ai actuellement publié Le Baiser et plus encore en vente sur The Book Edition.
Rappel : retour de Zibulinion, le 19 mars.
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Zakuro Zabuza. Sexe : mâle. Profession : opératrice d'un service de téléphone érotique « Si tu tu te sens seul, appelle, de charmantes jeunes femmes se mettront en quatre pour te faire oublier ta solitude. »
Zakuro détestait l'admettre, mais c'était malheureusement vrai. Il avait beau être un homme, il possédait une voix féminine. Quand les gens le voyaient, ils étaient immanquablement surpris qu'une voix aussi douce et fluette puisse appartenir à un grand gaillard d'1m 80. Sa voix féminine et son apparence très masculine formaient une combinaison très handicapante. Si Zakuro avait été petit et mince avec un physique androgyne, les gens ne l'auraient pas regardé comme s'il était une bête de foire, mais le contraste était trop fort et son prénom mixte semait encore un peu plus le trouble quand les gens l'entendaient avant de le voir.
A cause de ça, bon nombre de jobs lui étaient passés sous le nez et alors que Zakuro se désespérait, son cousin l'avait introduit dans sa société « Si tu tu te sens seul... » Il lui avait affirmé qu'il avait une belle voix et qu'au téléphone, personne ne se rendrait compte qu'il était de sexe masculin. « Je suis sûr que tu feras une très bonne opératrice qui fera rêver les clients », avait-il affirmé. Zakuro avait beaucoup hésité. Du sexe au téléphone avec des hommes quand on en est un, c'était bizarre. Néanmoins, comme il ne trouvait rien d'autre et qu'il en avait assez à vingt-six ans de dépendre encore de ses parents financièrement, il avait fini par accepter.
Au début, il avait eu beaucoup de difficultés à rentrer dans son rôle et avait commis bon nombre d'erreurs, mais petit à petit, il s'était habitué et s'était même pris au jeu. La plupart des types qui appelaient avaient désespérément besoin de détente et d'évasion. Zakuro éprouvait d'ailleurs souvent de la culpabilité à les tromper, se disant que c'était mal de sa part de faire croire à ces types qu'il avait une poitrine généreuse, une taille mince et une chatte chaude et humide, prête à les accueillir alors que tout ce qu'il possédait, c'était un grand corps musclé et poilu. Mais, comme il avait besoin de gagner sa vie et que c'était le seul job où sa voix n'était pas un handicap, il continuait à prétendre être une femme pleine de charme et à se livrer à des jeux érotiques téléphoniques. Certes, il avait réussi deux fois à dénicher du travail dans des chantiers de construction, endroit où la parole n'a guère d'importance, mais les deux fois, sa voix lui avait occasionné des problèmes. Les autres gars se moquaient de lui et lui cherchaient des noises, ce qui entravait le bon fonctionnement du chantier et entraînait ultimement son renvoi. Par conséquent, Zakuro s'était habitué à faire semblant d'être une femme et à faire jouir des types à l'autre bout du fil.
Ce soir-là, quand sa ligne de travail sonna, il fit comme d'habitude. Il se présenta et demanda à son client ce qu'il pouvait faire pour lui faire plaisir.
– Rien, répondit l'homme.
L'intérêt de Zakuro fut immédiatement piqué. Il avait eu beaucoup de clients et personne ne lui avait jamais répondu ça. Certains bafouillaient, laissant des blancs. D'autres évoquaient leurs fantasmes. D'autres encore lui demandaient de laisser libre cours à son imagination. Mais personne, au grand jamais, ne lui avait répondu ça.
– Vraiment rien du tout ?
– Non. Enfin si. J'ai envie d'entendre quelqu'un parler.
– Vous avez envie que nous abordions un sujet en particulier ?
– Non.
Zakuro avait déjà eu des appels de gars qui n'appelaient pas pour une conversation érotique, mais en règle générale, c'était des plaisantins, pas des personnes solitaires qui souhaitaient juste parler.
– C'est la première fois que vous utilisez un service comme le nôtre ?
– Oui.
Dans ce simple mot, toute la tristesse de l'inconnu transparaissait.
– Comme vous appelez-vous ?
– Quelle importance ?
– N'est-ce pas plus agréable de bavarder après s'être présenté ?
– Ogai.
– C'est un prénom rare. C'est joli.
– Merci.
Zakuro retint un soupir. Ogai appelait pour discuter, mais ne faisait guère d'effort pour alimenter la conversation. Cependant, un client était un client et c'était agréable pour changer, de ne pas avoir à faire semblant de posséder des attributs féminins qu'il n'avait pas.
– Que faites-vous dans la vie ?
– Coiffeur.
– Cela vous plaît ?
– Oui. Seulement, en ce moment, je suis au repos forcé.
– Pourquoi ça ?
– J'aimerais mieux ne pas en parler.
Zakuro avait appris à ne pas se montrer trop curieux. Il abandonna le sujet sans insister.
– Quels sont vos loisirs ?
– Ma parole, c'est un véritable interrogatoire !
– Vous préférez que je ne vous pose pas de questions et que je raconte ma vie ?
– C'est une bonne idée. Enfin, pour vous répondre, je suis un passionné de moto, et vous ?
– Moi, j'adore les livres.
Une activité qui lui évitait de sortir de chez lui et de parler avec des gens tout en lui permettant de s'évader.
– Vraiment ?
Le ton d'Ogai était amusé. Il devait trouver cocasse qu'une opératrice d'un service de téléphone érotique tel que « Si tu te sens seul... » puisse aimer lire.
– Oui, vraiment. Comme ça, je me repose la voix.
Et personne ne me regarde comme une bête curieuse à cause d'elle, ajouta mentalement Zakuro.
– Vous avez beaucoup de clients ?
– Cela dépend des jours, mais je n'ai pas à me plaindre.
– Je pourrai vous rappeler ?
– Oui, bien sûr.
– Vous avez beaucoup d'habitués ?
La vapeur questions-réponses s'était clairement inversée, ce qui amusa Zakuro.
– Quelques uns. Les gens ne me contactent généralement qu'une fois ou deux. D'ailleurs, je vous ferai remarquer que vous pouvez demander au standard de m'éliminer. Mais tout cela est indiqué sur notre site internet.
Mais bien évidemment, la plupart des gens ne prenaient pas la peine de lire ce genre de choses, songea Zakuro.
– Cela vous arrive de parler à des clients en dehors de la ligne de la société ?
– C'est interdit.
– Vous ne les voyez jamais non plus ?
– En effet.
Et cela valait mieux, car les pauvres seraient bien déçus en constatant qu'il était un mec baraqué et non la jolie fille qu'ils imaginaient en écoutant sa voix.
– C'est dommage.
– Pourquoi ? Vous avez envie de me rencontrer ?
– C'était juste de la curiosité.
– D'accord... Vous aimez quelque chose à part la coiffure et la moto ?
– Écouter la radio. Mais mon poste est cassé, d'où mon appel.
– Où avez-vous eu le numéro ?
– Une connaissance.
– Je vois.
Il y eut un silence. Zakuro allait demander s'il avait un animal de compagnie pour relancer la conversation quand Ogai dit enfin quelque chose.
– Vous avez une voix douce et harmonieuse.
C'était loin d'être la première fois qu'un client le complimentait ainsi, mais dans la bouche d'Ogai, cela avait plus de valeur, peut-être parce qu'il n'avait pas eu à s'inventer un physique de femme sexy, et peut-être aussi parce qu'il n'avait pas l'air intéressé par jouir au téléphone en l'écoutant.
– Je la déteste personnellement.
Zakuro se mordit la lèvre. Cela lui avait échappé. Au lieu d'accepter avec grâce le compliment comme il faisait d'habitude avec les autres clients, il s'était laissé aller à dire ce qu'il pensait vraiment.
– Pourquoi ?
Aucun mensonge plausible ne vint à l'esprit de Zakuro.
– Cela ne colle pas du tout avec mon physique, et les gens sont toujours étonnés, avoua-t-il en espérant qu'Ogai ne chercherait pas à en savoir plus.
– C'est vrai, c'est parfois trompeur. Comment m'imaginez-vous ?
Ogai avait une voix grave, légèrement cassante. Zakuro essaya de se le représenter.
– Hum. Je pense que vous êtes plutôt grand avec un regard incisif et une bouche mince.
Ogai éclata d'un rire franc, puis déclara :
– Dans mon cas, on dirait que ma voix ne cache rien.
– J'ai bien deviné ?
– Oui, tout à fait.
Après cela, la conversation devint plus facile. Ogai fut plus loquace et ils se mirent à discuter de tout et rien comme deux amis. La seule chose à laquelle Zakuro devait prendre garde, c'était à ne pas trahir son véritable sexe.
Par la suite, Ogai le rappela tous les soirs, toujours à la même heure, juste pour bavarder et sans jamais chercher à l'entraîner dans des jeux érotiques. Et étrangement, cela déçut Zakuro qui réalisa alors avec un brin d'effroi qu'il avait envie de faire l'amour au téléphone avec Ogai tout en redoutant qu'il en vienne là, car il ne souhaitait pas lui mentir sur son apparence.
Deux semaines après le premier appel de Ogai, Zakuro comprit qu'il était tombé amoureux de lui. Il pensait à lui sans cesse et son cœur battait plus vite quand approchait l'heure où il téléphonait. Mais c'était bien sûr sans espoir de retour puisqu'Ogai croyait qu'il était une femme et que c'était un client, une homme qui avait juste besoin de compagnie et qui avait bizarrement choisi un téléphone érotique alors même que d'autres services auraient été plus adaptés.
Ce soir-là, Ogai déclara :
– J'aimerais te rencontrer. C'est vraiment impossible ?
– Oui.
Ogai soupira bruyamment.
– Je croyais que nous étions devenus assez amis tous les deux pour que tu transgresses les règles pour moi.
– Tu serais déçu si tu me voyais, de toute façon.
– T'es si moche que ça ? Tu sais, je m'en moque. Le physique n'est pas essentiel, même s'il est important. Et puis, je ne te verrai pas vraiment.
– Comment ça ?
– Je suis temporairement aveugle. Accident de moto.
C'était donc ça la fameuse pause obligatoire dans son métier de coiffeur sur lequel il n'avait pas voulu s'étendre lors de son premier appel.
– Temporairement ? répéta Zakuro, effrayé de se surprendre à espérer qu'Ogai demeure aveugle à vie afin qu'il puisse passer le restant de ses jours à ses côtés en lui cachant la vérité sur son sexe, ce qui était bien sûr horrible à souhaiter et qui tenait de toute manière du domaine de l'impossible.
– Oui, d'après le docteur, si tout va bien, d'ici une semaine, il m'ôtera ses fichus bandages et je pourrai voir à nouveau.
– Nous pouvons nous rencontrer avant alors, comme ça techniquement, je ne romprai aucune règle. Et puis de toute façon, tu as assez payé pour me parler.
Ogai rit.
– J'espère bien que tu accepteras de me revoir après aussi.
Zakuro esquiva la chose en demandant des détails sur l'heure, le lieu et le jour de leur rencontre.
Le jour J, Zakuro se présenta devant la porte d'Ogai, tout tremblant à l'idée que ce dernier découvre la vérité, mais en même temps impatient de voir l'homme dont il était tombé amoureux, juste en bavardant avec. Il n'avait guère lutté contre ses sentiments, ayant en tant qu' « opératrice » depuis longtemps dépassé sa gêne et ses craintes vis à vis de l'homosexualité.
Un grand brun aux yeux bandés et aux lèvres minces lui ouvrit.
– Je paierai cher pour te voir.
– C'est aussi bien comme ça, répliqua Zakuro.
– Mais pas très équitable, car toi, tu peux me dévorer des yeux tant que tu veux. Je devrais avoir le droit de te toucher au moins.
Zakuro retint son souffle. Tout chez lui était masculin. Ogai risquait de découvrir le pot aux roses.
– Tu en profiterais pour me peloter, protesta-t-il.
– Je n'ai jamais abusé de toi, même pas au téléphone, rétorqua Ogai.
– C'est vrai, dut admettre Zakuro, et mû d'une impulsion subite, il prit la main d'Ogai et la posa sur sa joue.
– Tu as la peau douce, déclara Ogai en lui caressant la pommette du bout des doigts.
Zakuro bénit le ciel de s'être rasé de près.
– Comment te débrouilles-tu au quotidien ?
– J'ai quelqu'un qui vient me faire le ménage et me préparer les repas. Pour tout le reste, je tâtonne.
– Même pour te laver ?
– Oui, pourquoi ? Tu veux me donner un coup de main ? Maintenant, on peut se demander qui veut abuser de l'autre.
Zakuro se racla la gorge, les joues en feu.
– Désolé. Je ne voulais pas...
– Rassure-toi. Je suis certain que j'en tirerais aussi du plaisir.
A l'idée de savonner le corps d'Ogai, Zakuro se sentit à l'étroit dans son pantalon et il s'en voulut. Il trompait honteusement Ogai. Ce dernier croyait flirter avec une femme alors qu'il n'en était rien.
– Pourquoi tu ne dis plus rien ? Même si je t'apprécie énormément et que c'est pour cela que j'ai voulu te rencontrer quand bien même je ne pouvais te voir, je ne m'attends pas à ce qu'on fasse quoique ce soit de sexuel aujourd'hui.
Devant tant de franchise, Zakuro se refusa de continuer à lui mentir.
– Je suis un homme, déclara-t-il de la voix la plus grave qu'il put.
Hélas, comme d'habitude, son intonation fut féminine.
Ogai resta interloqué.
– Tu plaisantes ?
Pour toute réponse, Zakuro reprit la main d'Ogai et la fit glisser sur son torse.
– Il y a quelqu'un avec toi, c'est ça ? Tu as amené un garde du corps ou quelque chose comme ça ? demanda Ogai d'un ton furieux.
– Non. Je suis tombé amoureux de toi au fil de nos bavardages, mais j'ai beau avoir une voix de femme, je n'en suis pas moins un homme.
Ogai se mit à le palper et le sexe de Zakuro durcit de plus belle. Finalement, Ogai passa la main sur l'entrejambe de Zakuro, s'arrêtant sur la bosse que formait le pénis en érection comme s'il ne pouvait croire ce qu'il sentait.
– Sors ! s'écria-t-il.
Zakuro obéit, le cœur meurtri. Un instant, il avait cru qu'Ogai l'accepterait quand même. Dans le couloir, il s'adossa à la porte de l'appartement d'Ogai et pleura en silence. Entre son corps d'homme et sa voix de femme, personne ne voudrait jamais de lui. Quand il ouvrait la bouche les femmes qui lui avaient fait des avances, séduites par sa carrure, se rétractaient promptement. Quant aux hommes, il n'avait jusque là, jamais trop exploré cette possibilité, mais à part au téléphone, il n'avait guère d'atout pour leur plaire.
Il rentra chez lui au radar, espérant qu'Ogai ne se plaindrait pas à la société de son cousin et reprit le cours de son étrange vie.
Au téléphone, avec les clients, il faisait semblant, mentant sur son sexe, prétendant être joyeux alors qu'il était au trente sixième dessous.
Près de trois semaines s'écoulèrent, et il commençait tout juste à remonter la pente quand il eut la surprise d'entendre Ogai à l'autre bout du fil. Il en resta muet d'étonnement.
– J'aimerai que l'on se rencontre à nouveau afin de te voir vraiment, annonça Ogai.
– Mais... commença Zakuro.
– Je sais. Tu es un homme, mais j'ai eu le temps de réfléchir. Nos conversations me manquent. A présent que mes yeux ne sont plus bandés, que je ne suis plus aveugle, je veux te voir pour ce que tu es.
– Je n'ai rien de féminin, à part ma voix, objecta Zakuro qui avait dû mal à en croire ses oreilles.
– Je pense que l'essentiel est ailleurs.
Avec appréhension, mais désireux de tenter sa chance, Zakuro retourna donc à l'appartement de Ogai le lendemain. Celui-ci l'accueillit avec un regard incisif.
– Zakuro ?
– C'est moi, oui.
Ogai leva la main et la posa sur la joue de Zakuro.
– Tu as vraiment la peau douce, déclara-t-il en esquissant un sourire plein de promesses.
Zakuro détestait l'admettre, mais c'était malheureusement vrai. Il avait beau être un homme, il possédait une voix féminine. Quand les gens le voyaient, ils étaient immanquablement surpris qu'une voix aussi douce et fluette puisse appartenir à un grand gaillard d'1m 80. Sa voix féminine et son apparence très masculine formaient une combinaison très handicapante. Si Zakuro avait été petit et mince avec un physique androgyne, les gens ne l'auraient pas regardé comme s'il était une bête de foire, mais le contraste était trop fort et son prénom mixte semait encore un peu plus le trouble quand les gens l'entendaient avant de le voir.
A cause de ça, bon nombre de jobs lui étaient passés sous le nez et alors que Zakuro se désespérait, son cousin l'avait introduit dans sa société « Si tu tu te sens seul... » Il lui avait affirmé qu'il avait une belle voix et qu'au téléphone, personne ne se rendrait compte qu'il était de sexe masculin. « Je suis sûr que tu feras une très bonne opératrice qui fera rêver les clients », avait-il affirmé. Zakuro avait beaucoup hésité. Du sexe au téléphone avec des hommes quand on en est un, c'était bizarre. Néanmoins, comme il ne trouvait rien d'autre et qu'il en avait assez à vingt-six ans de dépendre encore de ses parents financièrement, il avait fini par accepter.
Au début, il avait eu beaucoup de difficultés à rentrer dans son rôle et avait commis bon nombre d'erreurs, mais petit à petit, il s'était habitué et s'était même pris au jeu. La plupart des types qui appelaient avaient désespérément besoin de détente et d'évasion. Zakuro éprouvait d'ailleurs souvent de la culpabilité à les tromper, se disant que c'était mal de sa part de faire croire à ces types qu'il avait une poitrine généreuse, une taille mince et une chatte chaude et humide, prête à les accueillir alors que tout ce qu'il possédait, c'était un grand corps musclé et poilu. Mais, comme il avait besoin de gagner sa vie et que c'était le seul job où sa voix n'était pas un handicap, il continuait à prétendre être une femme pleine de charme et à se livrer à des jeux érotiques téléphoniques. Certes, il avait réussi deux fois à dénicher du travail dans des chantiers de construction, endroit où la parole n'a guère d'importance, mais les deux fois, sa voix lui avait occasionné des problèmes. Les autres gars se moquaient de lui et lui cherchaient des noises, ce qui entravait le bon fonctionnement du chantier et entraînait ultimement son renvoi. Par conséquent, Zakuro s'était habitué à faire semblant d'être une femme et à faire jouir des types à l'autre bout du fil.
Ce soir-là, quand sa ligne de travail sonna, il fit comme d'habitude. Il se présenta et demanda à son client ce qu'il pouvait faire pour lui faire plaisir.
– Rien, répondit l'homme.
L'intérêt de Zakuro fut immédiatement piqué. Il avait eu beaucoup de clients et personne ne lui avait jamais répondu ça. Certains bafouillaient, laissant des blancs. D'autres évoquaient leurs fantasmes. D'autres encore lui demandaient de laisser libre cours à son imagination. Mais personne, au grand jamais, ne lui avait répondu ça.
– Vraiment rien du tout ?
– Non. Enfin si. J'ai envie d'entendre quelqu'un parler.
– Vous avez envie que nous abordions un sujet en particulier ?
– Non.
Zakuro avait déjà eu des appels de gars qui n'appelaient pas pour une conversation érotique, mais en règle générale, c'était des plaisantins, pas des personnes solitaires qui souhaitaient juste parler.
– C'est la première fois que vous utilisez un service comme le nôtre ?
– Oui.
Dans ce simple mot, toute la tristesse de l'inconnu transparaissait.
– Comme vous appelez-vous ?
– Quelle importance ?
– N'est-ce pas plus agréable de bavarder après s'être présenté ?
– Ogai.
– C'est un prénom rare. C'est joli.
– Merci.
Zakuro retint un soupir. Ogai appelait pour discuter, mais ne faisait guère d'effort pour alimenter la conversation. Cependant, un client était un client et c'était agréable pour changer, de ne pas avoir à faire semblant de posséder des attributs féminins qu'il n'avait pas.
– Que faites-vous dans la vie ?
– Coiffeur.
– Cela vous plaît ?
– Oui. Seulement, en ce moment, je suis au repos forcé.
– Pourquoi ça ?
– J'aimerais mieux ne pas en parler.
Zakuro avait appris à ne pas se montrer trop curieux. Il abandonna le sujet sans insister.
– Quels sont vos loisirs ?
– Ma parole, c'est un véritable interrogatoire !
– Vous préférez que je ne vous pose pas de questions et que je raconte ma vie ?
– C'est une bonne idée. Enfin, pour vous répondre, je suis un passionné de moto, et vous ?
– Moi, j'adore les livres.
Une activité qui lui évitait de sortir de chez lui et de parler avec des gens tout en lui permettant de s'évader.
– Vraiment ?
Le ton d'Ogai était amusé. Il devait trouver cocasse qu'une opératrice d'un service de téléphone érotique tel que « Si tu te sens seul... » puisse aimer lire.
– Oui, vraiment. Comme ça, je me repose la voix.
Et personne ne me regarde comme une bête curieuse à cause d'elle, ajouta mentalement Zakuro.
– Vous avez beaucoup de clients ?
– Cela dépend des jours, mais je n'ai pas à me plaindre.
– Je pourrai vous rappeler ?
– Oui, bien sûr.
– Vous avez beaucoup d'habitués ?
La vapeur questions-réponses s'était clairement inversée, ce qui amusa Zakuro.
– Quelques uns. Les gens ne me contactent généralement qu'une fois ou deux. D'ailleurs, je vous ferai remarquer que vous pouvez demander au standard de m'éliminer. Mais tout cela est indiqué sur notre site internet.
Mais bien évidemment, la plupart des gens ne prenaient pas la peine de lire ce genre de choses, songea Zakuro.
– Cela vous arrive de parler à des clients en dehors de la ligne de la société ?
– C'est interdit.
– Vous ne les voyez jamais non plus ?
– En effet.
Et cela valait mieux, car les pauvres seraient bien déçus en constatant qu'il était un mec baraqué et non la jolie fille qu'ils imaginaient en écoutant sa voix.
– C'est dommage.
– Pourquoi ? Vous avez envie de me rencontrer ?
– C'était juste de la curiosité.
– D'accord... Vous aimez quelque chose à part la coiffure et la moto ?
– Écouter la radio. Mais mon poste est cassé, d'où mon appel.
– Où avez-vous eu le numéro ?
– Une connaissance.
– Je vois.
Il y eut un silence. Zakuro allait demander s'il avait un animal de compagnie pour relancer la conversation quand Ogai dit enfin quelque chose.
– Vous avez une voix douce et harmonieuse.
C'était loin d'être la première fois qu'un client le complimentait ainsi, mais dans la bouche d'Ogai, cela avait plus de valeur, peut-être parce qu'il n'avait pas eu à s'inventer un physique de femme sexy, et peut-être aussi parce qu'il n'avait pas l'air intéressé par jouir au téléphone en l'écoutant.
– Je la déteste personnellement.
Zakuro se mordit la lèvre. Cela lui avait échappé. Au lieu d'accepter avec grâce le compliment comme il faisait d'habitude avec les autres clients, il s'était laissé aller à dire ce qu'il pensait vraiment.
– Pourquoi ?
Aucun mensonge plausible ne vint à l'esprit de Zakuro.
– Cela ne colle pas du tout avec mon physique, et les gens sont toujours étonnés, avoua-t-il en espérant qu'Ogai ne chercherait pas à en savoir plus.
– C'est vrai, c'est parfois trompeur. Comment m'imaginez-vous ?
Ogai avait une voix grave, légèrement cassante. Zakuro essaya de se le représenter.
– Hum. Je pense que vous êtes plutôt grand avec un regard incisif et une bouche mince.
Ogai éclata d'un rire franc, puis déclara :
– Dans mon cas, on dirait que ma voix ne cache rien.
– J'ai bien deviné ?
– Oui, tout à fait.
Après cela, la conversation devint plus facile. Ogai fut plus loquace et ils se mirent à discuter de tout et rien comme deux amis. La seule chose à laquelle Zakuro devait prendre garde, c'était à ne pas trahir son véritable sexe.
Par la suite, Ogai le rappela tous les soirs, toujours à la même heure, juste pour bavarder et sans jamais chercher à l'entraîner dans des jeux érotiques. Et étrangement, cela déçut Zakuro qui réalisa alors avec un brin d'effroi qu'il avait envie de faire l'amour au téléphone avec Ogai tout en redoutant qu'il en vienne là, car il ne souhaitait pas lui mentir sur son apparence.
Deux semaines après le premier appel de Ogai, Zakuro comprit qu'il était tombé amoureux de lui. Il pensait à lui sans cesse et son cœur battait plus vite quand approchait l'heure où il téléphonait. Mais c'était bien sûr sans espoir de retour puisqu'Ogai croyait qu'il était une femme et que c'était un client, une homme qui avait juste besoin de compagnie et qui avait bizarrement choisi un téléphone érotique alors même que d'autres services auraient été plus adaptés.
Ce soir-là, Ogai déclara :
– J'aimerais te rencontrer. C'est vraiment impossible ?
– Oui.
Ogai soupira bruyamment.
– Je croyais que nous étions devenus assez amis tous les deux pour que tu transgresses les règles pour moi.
– Tu serais déçu si tu me voyais, de toute façon.
– T'es si moche que ça ? Tu sais, je m'en moque. Le physique n'est pas essentiel, même s'il est important. Et puis, je ne te verrai pas vraiment.
– Comment ça ?
– Je suis temporairement aveugle. Accident de moto.
C'était donc ça la fameuse pause obligatoire dans son métier de coiffeur sur lequel il n'avait pas voulu s'étendre lors de son premier appel.
– Temporairement ? répéta Zakuro, effrayé de se surprendre à espérer qu'Ogai demeure aveugle à vie afin qu'il puisse passer le restant de ses jours à ses côtés en lui cachant la vérité sur son sexe, ce qui était bien sûr horrible à souhaiter et qui tenait de toute manière du domaine de l'impossible.
– Oui, d'après le docteur, si tout va bien, d'ici une semaine, il m'ôtera ses fichus bandages et je pourrai voir à nouveau.
– Nous pouvons nous rencontrer avant alors, comme ça techniquement, je ne romprai aucune règle. Et puis de toute façon, tu as assez payé pour me parler.
Ogai rit.
– J'espère bien que tu accepteras de me revoir après aussi.
Zakuro esquiva la chose en demandant des détails sur l'heure, le lieu et le jour de leur rencontre.
Le jour J, Zakuro se présenta devant la porte d'Ogai, tout tremblant à l'idée que ce dernier découvre la vérité, mais en même temps impatient de voir l'homme dont il était tombé amoureux, juste en bavardant avec. Il n'avait guère lutté contre ses sentiments, ayant en tant qu' « opératrice » depuis longtemps dépassé sa gêne et ses craintes vis à vis de l'homosexualité.
Un grand brun aux yeux bandés et aux lèvres minces lui ouvrit.
– Je paierai cher pour te voir.
– C'est aussi bien comme ça, répliqua Zakuro.
– Mais pas très équitable, car toi, tu peux me dévorer des yeux tant que tu veux. Je devrais avoir le droit de te toucher au moins.
Zakuro retint son souffle. Tout chez lui était masculin. Ogai risquait de découvrir le pot aux roses.
– Tu en profiterais pour me peloter, protesta-t-il.
– Je n'ai jamais abusé de toi, même pas au téléphone, rétorqua Ogai.
– C'est vrai, dut admettre Zakuro, et mû d'une impulsion subite, il prit la main d'Ogai et la posa sur sa joue.
– Tu as la peau douce, déclara Ogai en lui caressant la pommette du bout des doigts.
Zakuro bénit le ciel de s'être rasé de près.
– Comment te débrouilles-tu au quotidien ?
– J'ai quelqu'un qui vient me faire le ménage et me préparer les repas. Pour tout le reste, je tâtonne.
– Même pour te laver ?
– Oui, pourquoi ? Tu veux me donner un coup de main ? Maintenant, on peut se demander qui veut abuser de l'autre.
Zakuro se racla la gorge, les joues en feu.
– Désolé. Je ne voulais pas...
– Rassure-toi. Je suis certain que j'en tirerais aussi du plaisir.
A l'idée de savonner le corps d'Ogai, Zakuro se sentit à l'étroit dans son pantalon et il s'en voulut. Il trompait honteusement Ogai. Ce dernier croyait flirter avec une femme alors qu'il n'en était rien.
– Pourquoi tu ne dis plus rien ? Même si je t'apprécie énormément et que c'est pour cela que j'ai voulu te rencontrer quand bien même je ne pouvais te voir, je ne m'attends pas à ce qu'on fasse quoique ce soit de sexuel aujourd'hui.
Devant tant de franchise, Zakuro se refusa de continuer à lui mentir.
– Je suis un homme, déclara-t-il de la voix la plus grave qu'il put.
Hélas, comme d'habitude, son intonation fut féminine.
Ogai resta interloqué.
– Tu plaisantes ?
Pour toute réponse, Zakuro reprit la main d'Ogai et la fit glisser sur son torse.
– Il y a quelqu'un avec toi, c'est ça ? Tu as amené un garde du corps ou quelque chose comme ça ? demanda Ogai d'un ton furieux.
– Non. Je suis tombé amoureux de toi au fil de nos bavardages, mais j'ai beau avoir une voix de femme, je n'en suis pas moins un homme.
Ogai se mit à le palper et le sexe de Zakuro durcit de plus belle. Finalement, Ogai passa la main sur l'entrejambe de Zakuro, s'arrêtant sur la bosse que formait le pénis en érection comme s'il ne pouvait croire ce qu'il sentait.
– Sors ! s'écria-t-il.
Zakuro obéit, le cœur meurtri. Un instant, il avait cru qu'Ogai l'accepterait quand même. Dans le couloir, il s'adossa à la porte de l'appartement d'Ogai et pleura en silence. Entre son corps d'homme et sa voix de femme, personne ne voudrait jamais de lui. Quand il ouvrait la bouche les femmes qui lui avaient fait des avances, séduites par sa carrure, se rétractaient promptement. Quant aux hommes, il n'avait jusque là, jamais trop exploré cette possibilité, mais à part au téléphone, il n'avait guère d'atout pour leur plaire.
Il rentra chez lui au radar, espérant qu'Ogai ne se plaindrait pas à la société de son cousin et reprit le cours de son étrange vie.
Au téléphone, avec les clients, il faisait semblant, mentant sur son sexe, prétendant être joyeux alors qu'il était au trente sixième dessous.
Près de trois semaines s'écoulèrent, et il commençait tout juste à remonter la pente quand il eut la surprise d'entendre Ogai à l'autre bout du fil. Il en resta muet d'étonnement.
– J'aimerai que l'on se rencontre à nouveau afin de te voir vraiment, annonça Ogai.
– Mais... commença Zakuro.
– Je sais. Tu es un homme, mais j'ai eu le temps de réfléchir. Nos conversations me manquent. A présent que mes yeux ne sont plus bandés, que je ne suis plus aveugle, je veux te voir pour ce que tu es.
– Je n'ai rien de féminin, à part ma voix, objecta Zakuro qui avait dû mal à en croire ses oreilles.
– Je pense que l'essentiel est ailleurs.
Avec appréhension, mais désireux de tenter sa chance, Zakuro retourna donc à l'appartement de Ogai le lendemain. Celui-ci l'accueillit avec un regard incisif.
– Zakuro ?
– C'est moi, oui.
Ogai leva la main et la posa sur la joue de Zakuro.
– Tu as vraiment la peau douce, déclara-t-il en esquissant un sourire plein de promesses.
FIN
1 commentaire:
Quel belle nouvelle merci ^^ j'ai pu la découvrir ici avant de la lire dans le recueil de nouvelles "Le Baiser ..."
Cette histoire m'a émue, maintenant j'ai hâte de lire les autres nouvelles du recueil ^__^
Et de savoir si un jour tu nous fera une suite lol qui sait ...
En attendant je patienterais jusqu'au 19 pour la suite des aventures de Zibu XD
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