vendredi 31 mai 2013

Le garçon fée - 6 et 7

– Tu vas porter des vêtements de fille, pouffa Rozélita.
La jeune vendeuse qui assistait à la scène, la corrigea :
– De fée.
Zibulinion en déduisit que les autres garçons fées seraient logés à la même enseigne et cela le consola un peu. Il restait à digérer la nouvelle qu'une fois à l'école des fées, il ne reviendrait qu'aux vacances.
Sa mère le pressa d'achever ses achats, et l'adolescent, avec l'aide de la vendeuse, partit en quête de la chemise de nuit.
Zibulinion n'eut pas le courage de l'essayer et il rejoignit sa mère et sa sœur à la caisse avec, le moral au plus bas.
Une fois que tout fut payé et empaqueté, ils repassèrent par le devant de la boutique de vêtement et remontèrent en voiture.
Alysielle  se gara devant une librairie papeterie portant le doux nom de « La plume des fées » et comme dans la boutique de vêtements, montra une pincée de poudre à une des libraires qui leur ouvrit un étage inaccessible aux humains.
La décoration entre la partie visible à tous et celle réservée aux fées changeait du tout au tout. Point de banal couleur crème aux murs, mais des teintes changeantes, terminé le lino sans caractère et bonjour, sol miroitant. Les étagères n'étaient plus en bois contreplaqué peint en blanc, mais en fer forgé tordu avec art. Il n'y avait plus l'ombre d'un bouquin de poche, que de magnifiques livres reliés. Zibulinion resta en admiration devant les épaisses couvertures aux titres en relief, pendant que sa mère s'éloignait avec Rozélita au rayon pour enfants.
Zibulinion qui était assurément plus à son aise au milieu des livres que des vêtements, finit par sortir de sa poche la liste du matériel dont il avait besoin. Une librairie féérique ne différant pas tant que ça d'une classique, l'adolescent eut tôt fait de repérer le coin dédié aux ouvrages scolaires et il commença à réunir les livres indiqués.
Il ne lui en manquait plus que deux, quand soudain, un blondinet aux ailes bleutés apparut, un papier similaire à celui de Zibulinion à la main. Lui aussi devait chercher ses livres de classe.
Il contempla la pile de livres de Zibulinion et lança d'une petite voix fluté :
– Moi aussi, j'ai besoin de ces manuels-là. Tu les as pris où ?
Zibulinion s'était mis à aider le garçonnet quand une femme superbe à la chevelure fauve arriva, le souffle court, suivi d'un magnifique adolescent doté de la même teinte de cheveux.
– Zurmmiel ! s'écrièrent-il en chœur.
Le blondinet fronça le nez et se défendit du reproche encore non formulé :
– J'en avais assez d'attendre ! Il n'y a pas que Folebiol qui va à l'école, moi aussi désormais ! Et je peux me débrouiller tout seul !
La mère du petit Zurmmiel se fâcha tandis que son frère, le dénommé Folebiol regardait Zibulinion avec une intensité embarrassante. Décidé à ne pas se laisser faire, Zibulinion lui rendit la pareille, et le détailla des pieds à la tête, tentant de lui trouver un défaut. C'était peine perdue. Folebiol était un fée tout à fait splendide, une peau de pêche, des yeux émeraudes, un nez mutin, une silhouette mince, deux ailes brillantes...

– Tu viens d'emménager dans le coin ? demanda Folebiol pendant que Zurmmiel continuait à se faire gronder.
Zibulinion secoua la tête, vaguement contrarié de constater que même la voix de l'adolescent était parfaite : grave et mélodieuse.
– C'est bizarre que je ne t'ai jamais vu à l'école. Tu n'es pas un fée ?
Avant que Zibulinion n'eut à faire apparaître ses ailes pour lui prouver que si, la fée aux cheveux fauve s'immisça dans leur conversation :
– Même les humains qui connaissent notre existence ne sont pas supposés se promener dans les parties féériques, Folebiol. Et surtout, il possède des ailes, même si elles sont cachées. N'as-tu pas encore appris à percer ce genre de masque, à l'école ?
– Moi, je savais qu'il était un fée. Il a besoin des mêmes bouquins enquiquinants que moi ! intervint Zurmmiel, avec fierté.
La mère du garçonnet jeta un coup d'œil incrédule à la pile de livres que tenait Zibulinion. Cela ne devait pas arriver souvent qu'un adolescent de quinze ans entre en première année...
– Tu as été malade ? questionna Folebiol.
La fée aux cheveux fauves lui reprocha aussitôt son indiscrétion, évitant à Zibulinion d'avoir à répondre.
Zurmmiel, pas perturbé pour un sou, lança avec un large sourire :
– Je suis sûr que je ne serais pas le seul garçon de ma classe, au moins !
Folebiol doucha l'enthousiasme de son petit frère :
– Rien n'est moins sûr, il y a trois classes par année.
Zurmmiel, sans se laisser démonter, répliqua :
– Oui, mais la directrice, elle met les garçons ensemble jusqu'au moment de la division par spécialité. Maman me l'a dit.
Zibulinion écoutait avec intérêt l'échange houleux entre les deux frères, glanant ce qu'il pouvait comme information sur l'école, quand la mère des deux garçons s'écria :
– Mais qu'est-ce que j'ai fait à Dame Nature pour qu'elle me donne deux petits fées aussi turbulents !
Zurmmiel comme Folebiol se turent aussitôt. Zibulinion, un peu gêné d'assister à cette mise au point familiale, fit mine de s'intéresser à un épais livre intitulé Fées des mythes sur le plus proche présentoir, ce qui n'empêcha pas la fée aux cheveux fauve de lui adresser la parole :
– J'espère que tu voudras bien être ami avec mes deux fils. Les garçons sont en minorité à l'école, alors, vous devez vous serrer les coudes.
Zibulinion qui s'attendait à des protestations de la part du petit comme du grand, eut la surprise de les entendre enchérir et soudain, il lui apparut que sa nouvelle école ne serait peut-être pas si horrible que ça.

jeudi 30 mai 2013

Le garçon fée - 5

L'adolescent avança bravement, le nez en l'air, pour repérer ce qu'il cherchait, imaginant avec désespoir à quel point il serait ridicule dans une robe rose. Il tournicotait depuis un moment, quand une fée aux cheveux de neige, une vendeuse d'un certain âge, vola jusqu'à lui et offrit de l'aider. Zibulinion bafouilla qu'il avait besoin de l'uniforme pour l'école des fées, en montrant sa liste. La fée la regarda, et commenta, les sourcils froncés :
– C'est le matériel demandé aux premières années...
Zibulinion n'en savait rien, pas plus qu'il n'était au courant qu'on pouvait être pensionnaire là-bas.
– Il y a dû avoir erreur, reprit la fée. Si mon petit doigt ne me trompe pas, tu dois être en 9ème année.
– Je vais y aller pour la première fois, objecta l'adolescent.
– Oh... Je crains que cela ne soit problématique. Les robes roses aux étoiles moirées sont taillées pour les 7-10 ans, expliqua la fée. Ceci dit, même l'habit d'école des 13-16 ans risque de ne pas te convenir, ajouta-t-elle, avec un embarras qui fit deviner à  Zibulinion que sa corpulence était en cause.
– Il existe des robes qui ressemblent à celle indiquée ? demanda l'adolescent, la mort dans l'âme, se disant que même s'il n'était pas encore à l'école des fées, il goûtait déjà l'enfer que cela allait être.
La vendeuse aux cheveux de neige opina et en deux coups d'ailes, monta lui dégoter une robe rosée décorée d'étoiles brillantes, puis elle l'amena aux cabines d'essayages.
Zibulinion tira le rideau d'un argent métallisé, ôta à contrecœur son confortable sweat-shirt et jeans pour enfiler la robe dans laquelle il dut se tortiller pour entrer. Le reflet que lui renvoya la glace qui ornait le fond de la cabine était celui d'un garçon grotesque qui ressemblait à une parodie de fée. Le corsage le serrait et  l'aération par le bas n'arrangeait rien. C'était inconfortable et ridicule. Il se dépêcha de l'enlever et de remettre ses vêtements.
– Vous la prenez ? demanda la vendeuse qui l'avait attendu.
Le « non » qui brûlait les lèvres de Zibulinion, se transforma en un hochement de tête résigné. Il n'avait pas le choix puisqu'il était obligé d'aller à l'école des fées.
La fée se proposa ensuite de le conduire au rayon des chaussures, ce que l'adolescent accepta volontiers. Là aussi, il dut se contenter de sandales ressemblantes, les pointures ne correspondant pas, puis après avoir remercié la vendeuse, il partit à la recherche de sa mère et de sa petite sœur.
Quand il les retrouva, il dut attendre que sa mère ait finie de bavardé avec la vendeuse avant qu'elle daigne s'intéresser à lui.
– Tu as trouvé tout ce qu'il te faut ?
Zibulinion montra la robe et les sandales, sans préciser que ce n'était pas exactement ce qui était écrit sur la liste.
– Il te manque la chemise de nuit, remarqua Alysielle.
– Mais je... commença Zibulinion, en écarquillant les yeux.
Il ne s'était pas imaginé une seule seconde qu'il serait pensionnaire à temps plein à l'école des fées.
Il n'acheva pas sa phrase. Il comprenait mieux pourquoi sa mère s'était résignée aussi facilement à ce qu'il y aille après toutes ses années à se débrouiller pour que cela n'arrive pas : c'était une façon de se débarrasser de lui.

mercredi 29 mai 2013

Le garçon fée - 4

Après la terrible nouvelle, rien ne se passa et Zubilinion put faire semblant que sa vie allait continuer comme avant, tranquille et routinière.
Et puis, soudain, quinze jours plus tard, dans l'après-midi, Alysielle apparut dans la chambre de Zibulinion dans un nuage de fumée violet et annonça qu'elle se rendait en ville acheter de nouvelles tenues à Rozélita et que c'était l'occasion de s'occuper de cette maudite liste de fournitures scolaires pour l'école des fées.
Zibulinion dut abandonner séance tenante le bouquin de philosophie qu'il lisait et suivre Alysielle dans le salon où Rozélita, toute contente à la perspective d'avoir de nouveaux vêtements trépignait d'impatience. L'adolescent aurait aimé partagé l'enthousiasme de sa petite sœur, mais il était plein d'appréhension. C'était la première fois qu'il allait mettre les pieds dans des magasins féériques. Sa mère avait jusque là toujours refusé qu'il l'y accompagne.
Après un court trajet, Alysielle gara sa voiture devant une petite boutique de vêtements dont la vitrine laissait voir des habits pour femmes et enfants on ne peut plus traditionnel. Le nom « Les mains de fées » écrit en lettres argentées était le seul élément permettant de soupçonner que tous les clients n'étaient pas humains.
Quand ils entrèrent, la cloche tinta joliment. Alysielle s'approcha immédiatement d'une ravissante vendeuse, tira de sa poche une petite bourse en soie et lui montra une pincée de poudre brillante, l'argent des fées. La jeune femme, une fée à ne pas en douter, lui demanda de bien vouloir la suivre. Elle les conduisit dans l'arrière-boutique où d'un coup de baguette magique, elle leur donna accès à un magasin qui avait une toute autre allure que celui de devant. Les murs chatoyaient, la moquette bleue était pailletée d'or, et les habits étaient suspendus dans les airs.
La vendeuse les invita à « libérer » leurs ailes, autrement dit, les rendre visibles. En un instant, Alysielle les déploya, grandes et translucides. Rozélita l'imita aussitôt. Zibulinion, lui, dut se concentrer pour y parvenir. Le coup d'œil horrifié de la vendeuse lui fit regretter, cependant, c'était trop tard.
Alysielle tendit alors la liste de fournitures à Zibulinion, demanda à la vendeuse de  bien vouloir lui montrer les robes pour petites filles et entraîna Rozélita sur les talons de la jeune femme.
L'adolescent resta interdit un instant, puis regarda ce qu'il avait besoin d'acheter. Il y avait  là des choses classiques, comme des cahiers et des classeurs, mais d'autres qui ne l'étaient pas. Assurément, tous ses livres de magie ne devaient pas se trouver dans les librairies normales. Et hormis, dans les magasins jouets, il devait être impossible de dénicher une baguette magique... Zibulinion tiqua en constatant que l'uniforme de l'école exigé était une longue robe rose piquetée d'étoiles moirées accompagnée de deux sandales nacrés et que les pensionnaires devaient également acquérir une chemise de nuit blanche.